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Une crise bien commode...

mardi 30 décembre 2008, par Courant Alternatif

Licenciements à ARCELOR, chômage partiel dans l’automobile, intérimaires aux missions non renouvelées, sous-traitants en faillite, remontée en flèche des chiffres officiels du chômage, SDF qui meurent de froid... ces mauvaises nouvelles s’égrainent tous les jours avec un, ou plutôt une coupable toute trouvée : « LA CRISE ». Après le thriller des Yo-yo de la Bourse, suivi du film d’action avec en sauveurs de la planète économique Nicolas Sarkozy et les grands de ce monde, nous avons droit maintenant au grand mélodrame fataliste : la misère s’étend (comme si elle n’était pas là avant), il y a du chômage (comme s’il n’y en avait pas auparavant), et attention, mesdames et messieurs, nous allons vers le pire. Et tout ça, ce serait la faute de quelques requins de la finance, à qui, mais si, on va faire des leçons de morale, et vous allez voir ce que vous allez voir, ils vont changer par peur de l’opprobre, mais pour l’instant, madame Michu, il n’y a qu’à courber l’échine en attendant que nos héros du film précédent rétablissent la situation.


Qu’en est-il réellement ?

Oui, la crise est bien là, mais elle ne date pas de septembre 2008. Oui, la misère est bien là, au cœur des pays riches, et depuis un long moment à présent. Oui, la situation va encore s’aggraver, mais pas du seul fait du pouvoir maléfique de « la finance ».
Les journaux ont parlé à juste titre de récession. On parle de récession lorsque la richesse créée sur une période dans un pays diminue. En effet, quels que soient les miracles virtuels de la finance, les injustices, l’exploitation, etc., c’est ce qui est produit qui peut être partagé et consommé. La « croissance » a été de – 0,3 % au deuxième trimestre 2008, avant l’été donc, et l’investissement a diminué à la même période. Les dépenses de consommation des « ménages » avaient diminué, elles, dès le premier trimestre 2008 et ne se sont pas redressées depuis. Ce sont les chiffres de l’INSEE, des chiffres officiels donc. Toujours selon la même source, le nombre d’emplois salariés diminue lui aussi depuis le deuxième trimestre 2008 (il s’agit du nombre net, quand on retire les suppressions d’emplois aux créations d’emplois).
Il peut être intéressant de regarder les chiffres de plus près. L’industrie des biens de consommation perd continuellement des emplois depuis une trentaine d’années, délocalisations oblige. A part quelques embellies, l’industrie automobile voit diminuer ses effectifs depuis le début des années 80 : elle a perdu 38 000 emplois du début de 2005 au premier semestre 2008 compris. En résumé, à part la construction, tous les secteurs industriels dégraissent leurs effectifs depuis des années. Cela pour une raison très simple : la productivité a beaucoup augmenté, on a donc besoin de moins de salariés pour produire les mêmes quantités de véhicules. Et beaucoup de marchés sont saturés depuis longtemps. Effectivement, la crise actuelle aggrave la situation puisqu’on peut prédire sans trop de risques d’erreur une contraction des ventes. Les licenciements massifs à prévoir sont en fait le double résultat de la course à la productivité et au profit et de la crise actuelle. Cette baisse des effectifs de l’industrie était partiellement compensée par l’embauche dans le secteur du BTP. Evidemment, c’est un des secteurs qui vont être très touchés par la crise, à cause de la diminution des prêts immobiliers.
Mais ces chiffres, toujours venant de la même source, l’INSEE, sont en fait trompeurs, car un gros bataillon n’est pas pris en compte dans les effectifs de l’industrie : l’intérim, qui est compté dans le tertiaire. L’intérim représente plus d’un demi-million d’emplois. Lorsqu’on annonce des licenciements ou des suppressions de postes, c’est non compris l’intérim dont les contrats ont été résiliés avant. Ce sont les intérimaires qui supportent le poids des variations de la conjoncture, eux qu’on a embauchés quand ça allait mieux, et eux qui sont actuellement licenciés en silence. On peut observer sur le graphique qu’ils dégustent depuis un an. Et, naturellement, ce sont eux qui avaient les plus bas salaires donc les plus basses allocations, eux qui bénéficient de la moins bonne protection sociale.
Il est plus compliqué d’analyser les emplois du tertaire. Un bataillon ne cesse de grossir : celui des domestiques modernes (services à la personne). Ils étaient moins de 400 000 en 1989, ils (mais surtout elles) sont plus de 900 000 aujourd’hui. Bien sûr, les 750 000 salariés du secteur financier, les 290 000 salariés du secteur immobilier peuvent être inquiets, eux, en relation directe avec la crise actuelle. Le sort des 3 000 000 de salariés du commerce est certes lié à l’évolution de la consommation, mais aussi aux mouvements de concentration et à la rationalisation du travail dans leur secteur.
En résumé, la crise actuelle aggrave une situation qui se détériorait déjà, pour des raisons de fond comme on l’a vu dans des numéros précédents : il est difficile de comprimer les salaires et de continuer à vendre ses produits. Et les usines qui ferment, la chute continuelle des effectifs ouvriers ne sont pas liées à la crise actuelle, c’est un phénomène qui dure depuis plusieurs années, et va sans doute continuer.

La menace de l’inflation pour détourner de la réalité des bas salaires

La crise menaçant de dépasser en ampleur celle des années 30, et les journalistes aimant bien les séries télévisées répétitives, voilà que resurgit le spectre de l’inflation. A priori, nous vivons plutôt une crise de surproduction (on n’arrive pas à écouler ce qu’on a produit), et ça, ce n’est pas inflationniste du tout. Le pétrole est exemplaire de ce point de vue. Il avait triplé, et on nous avait annoncé que ce n’était que le début. Là, son prix a été divisé par trois et on se demande si ça va continuer.
En réalité, les journalistes mélangent ce qui préoccupe la moyenne des gens au quotidien : la hausse des prix de ce qu’ils achètent et les cours des matières premières au niveau mondial. Certes, les deux sont liés, mais il suffit de fréquenter les stations-service pour observer que l’essence ne diminue pas avec la même rapidité que le pétrole. Le cours des matières premières se détermine au niveau mondial, et le gros problème, c’est qu’il est devenu très volatil, c’est-à-dire qu’il varie à grande ampleur très rapidement, du fait de la spéculation. Ce risque va s’aggraver, car lorsqu’on ne peut plus spéculer sur des titres financiers, on spécule sur le cours des matières premières. C’est un problème pour les pays producteurs de matières premières, les pays déjà pauvres donc, qui ne peuvent plus faire aucune prévision. C’est un problème aussi pour les industriels, mais ils sont souvent couverts par des contrats à long terme. Les plus gros, en tous les cas, sont en mesure d’imposer leurs conditions.
En ce qui concerne les prix du quotidien, c’est lié à trop de facteurs pour qu’on puisse se lancer dans une quelconque prévision. Il y a des facteurs de baisse : si on n’achète plus de yaourts, Danone devra bien se résigner à faire des promotions ; et des facteurs de hausse : la concentration des entreprises favorise les situations de monopole. Mais, surtout, le gros de nos dépenses c’est ce qu’on appelle les dépenses contraintes : loyer, EDF, GDF, ADSL, assurance, essence pour aller bosser... Le prix des loyers est lié à la pénurie de logements, qui n’a pas tellement de raisons de s’arranger si on arrête de construire....
Ce fantasme de l’inflation prend bien car en réalité le problème est ailleurs : il est une denrée qui ne connaît pas de hausse de prix depuis longtemps, c’est le travail. Ce qui rend le problème des prix sensible, c’est d’abord la faiblesse des revenus. Il existe une définition française de la pauvreté : ceux qui gagnent moins de la moitié du revenu médian (681 euros par mois pour une personne seule en 2005) ; et une définition européenne de la pauvreté : ceux qui gagnent moins de 60 % du revenu médian. Dans la première définition, ça nous faisait 4 millions de pauvres en 2006, dans la seconde 8 millions. La proportion de pauvres dans les deux définitions a cessé de baisser en 2002, et remonte fortement depuis 2004, voilà qui nous ramène bien avant « la crise ». Ce qui est frappant, c’est qu’à 10 % de revenu médian près le nombre de pauvres est multiplié par deux : cela signifie que beaucoup de gens sont très proches du seuil de pauvreté, c’est-à-dire qu’en réalité le nombre de ceux qui sont dans une situation de survie à la merci du moindre incident financier ou de la moindre baisse de revenus sont très nombreux. Elle est là la grande peur, et cette peur-là est plus que justifiée.
Il faut bien voir que si on laisse de côté les revenus du patrimoine, qui concernent essentiellement la minorité la plus aisée, si on raisonne non plus en personnes mais en ménages, la moitié des ménages vivait en 2004 avec moins de 2 050 euros par mois. Si on raisonne en salaires de ceux qui travaillent à temps complet, en laissant donc les plus pauvres, cette année-là, la moitié gagnait moins de 1 550 euros (là, on ne considère plus les ménages, mais les personnes ; 1 429 euros pour les femmes travaillant à temps complet). Seuls 10 % des salariés à temps complet gagnaient plus de 3 000 euros par mois. Les fameuses « classes moyennes » gagnent entre 1 400 et 1 800 euros par mois. Pour l’immense majorité de la population, sans crédit, il est assez difficile de suivre les standards affichés par la société de consommation.
Cette réalité de l’éventail des revenus en France était très peu médiatisée. Chacun était renvoyé à un sentiment d’injustice individuel en référence à une situation présentée comme moyenne, alors qu’elle ne concerne qu’une minorité de privilégiés : combien de fois a-t-on vu des journalistes interroger des « classes moyennes » à plus de 3 000 euros par mois pour juger de l’effet de mesures gouvernementales ? Depuis la crise, on se penche sur les « faibles revenus », c’est-à-dire en réalité ceux qui concernent environ 80 % de la population... Cette nouveauté médiatique est présentée comme une nouveauté tout court, comme une conséquence de « la crise », histoire de mieux en masquer la cause : l’exploitation normale dans le cadre de ce système.

Faire de la fumée pour cacher la braise

C’est toujours le même scénario. Lorsqu’on ne peut plus masquer certaines réalités abruptes du système capitaliste, on cherche un responsable qui exonérerait tous les autres exploiteurs des injustices de ce système. Oui, il y a une crise financière. Oui, il y a une crise économique qui risque de perdurer un moment. Et oui, c’est pour la même raison qu’il y a des licenciements en 2008 qu’il y en avait en 2005 et bien avant : la recherche toujours plus avide de profits.
Cette crise est une crise du système. Dans le rapport de forces qui oppose exploiteurs et exploités, les exploiteurs ont retrouvé leur suprématie et aggravé l’exploitation à l’échelle de la planète. Du même coup, ils se retrouvent face à une contradiction classique : quels débouchés pour leur production ? La solution du crédit, qui a marché pendant des décennies, est arrivée au bout de sa course. La question est maintenant : quel nouveau rapport de forces social va se dessiner (ou non) ? L’autre question, liée, est : va-t-on vers un changement des modes de régulation du système ? Pour le moment, le gouvernement français continue de présenter comme des remèdes à la crise l’application en France des mesures adoptées aux Etats-Unis et qui ont facilité le déclenchement de ladite crise. Rappelons que la campagne de Sarkozy s’est faite sur le modèle des Etats-Unis : faciliter l’accès à la propriété par le recours au crédit, assouplissement de la législation du travail, baisse des impôts des plus riches, déréglementation, tous ingrédients qui sont à l’origine de l’éclatement de la bulle finanière. Pour le moment, sa politique reste la même. C’est pourquoi le nuage de fumée médiatique est aussi important. Cette politique reste-t-elle possible ? Le mouvement social, mais aussi le patronat (pas forcément si uni que ça derrière ses financiers) le diront. En effet, le roi est nu. Et on sent bien, derrière les tentatives de criminalisation de groupuscules comme d’associations, derrière le mépris envers des syndicats même plus capables de maîtriser leurs troupes (pour les mobiliser comme pour les calmer), une certaine panique. A preuve, le soulagement visible du PDG de la SNCF, lorsqu’il a annoncé que ce n’était pas des cheminots qui avaient perturbé les TGV !

Sylvie

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