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Chronique d’une crise annoncée

lundi 10 novembre 2008, par Courant Alternatif

Dans Courant Alternatif(173) d’octobre 2007, nous expliquions pourquoi une crise majeure était en train de secouer le monde. Après avoir couvé pendant environ un an, elle a éclaté à nouveau cette rentrée ci, et plus personne ne peut nier son ampleur. On peut observer de visu les chefs d’Etat se précipiter au chevet du malade, et les centaines de milliards qui défilent à vous en faire tourner la tête rappellent avec éclat à quoi sert l’Etat dans notre système : garantir le capitalisme. Quand il le faut, nos dirigeants savent parfaitement oublier le libéralisme, ils y reviendront en des jours meilleurs.


Rappel des faits


Rappelons le point de départ : des millions d’Américains se sont endettés pour devenir propriétaires et ont été étranglés par des échéances en hausse constante. Ils ont dû alors enchaîner les crédits, crédits garantis par la hausse de l’immobilier (leurs maisons valaient plus cher), et quand cette hausse s’est ralentie, ce système s’est écroulé. Rappelons qu’on estime à plusieurs millions le nombre d’Américains qui devraient perdre leur logement de ce fait.

Des pauvres à la rue, en principe, ça n’ébranle pas le système, sinon il serait mort depuis longtemps. Mais entre temps, libéralisme oblige, la déréglementation et la titrisation étaient passées par là. Ces créances avaient été revendues à des banques en lots avec d’autres créances moins douteuses. A partir de ces créances, les financiers avaient imaginé des produits dérivés qui ont eu un gros succès et ont été largement achetés par beaucoup de grandes banques. Or, toujours déréglementation oblige, ce sont ce qu’on appelle des « engagements hors-bilan », c’est-à-dire que les banques ne sont pas obligées de les publier dans leurs comptes. Toutes les banques se sont alors regardées en se demandant laquelle allait faire faillite la première.
Or les banques, c’est utile, du moins dans un système capitaliste. Elles ont besoin de sous tous les jours pour pouvoir en prêter.
Rassurez-vous, elles n’ont pas besoin de posséder l’argent qu’elles prêtent, mais elles doivent en avoir un petit pourcentage. Tous les jours, donc, elles empruntent. Auprès de qui ? De leurs consœurs. Mais là, plus personne ne voulait prêter à personne. Ce sont donc depuis le milieu de 2007, avant que les medias ne vous reparlent de la crise, des centaines de milliards de dollars et d’euros qui ont été prêtés tous les jours par les banques centrales pour alimenter ce marché des prêts au jour le jour, pour éviter la panne totale du système. Je ne vous donnerai pas les montants, je ne les connais pas, je sais seulement qu’ils sont faramineux. Mais ils ne veulent pas dire grand chose, parce que quand même les banques remboursent au fur et à mesure.(1)

Quand les événements s’accélèrent

Evidemment, ces injections massives d’argent évitaient la panne, mais ne résolvaient pas le problème. Petit lexique pour comprendre la suite : aux USA, le système bancaire est un peu différent du notre, il y a les banques de dépôt d’une part (en gros, comme nos banques, là où on a un compte) et les banques d’affaires d’autre part, c’est-à-dire des banques qui ne fonctionnent pas sur les dépôts des particuliers. Ces banques d’affaires peuvent être spécialisées dans un secteur. En mars dernier, une des principales banques d’affaires américaine a failli faire faillite, et la FED a négocié son rachat par la Morgan (une des plus grosses banques américaines) à un prix bradé. Du coup, elle a ouvert la possibilité de prêter de l’argent non seulement aux banques mais aussi aux établissements financiers (banques d’affaires), ce qui est un peu risqué si on n’est pas sûr de la valeur des titres fournis en garantie.

C’est ce qui explique la faillite de Lehmans Brothers qui a marqué le retour de la crise sur la scène médiatique. C’était une des plus grandes banques d’affaires spécialisée dans l’immobilier. Ayant observé que la Bear Sterns avait été sauvé, de même que Fannie Mae et Freddie Mac, elle a cru qu’elle pouvait jouer le même coup. Mais le gouvernement américain a voulu marquer qu’il ne pourrait pas sauver tout le monde et verser indéfiniment à n’importe qui. Il l’a donc laissée faire faillite. Et ça a été comme un coup de tonnerre, d’autant que le ciel n’était pas du tout serein et depuis un moment.

Car des affaires chez Lehmans Brothers, le monde (financier) entier en avait. Sa faillite ne pouvait donc qu’avoir des répercussions en chaîne, et mondiales. Ce qui s’est passé. Le risque était que tout le système financier s’écroule. C’est exactement pourquoi on nous a annoncé dans un premier temps qu’il n’y avait aucun risque. En effet, tous nos dépôts bancaires ne consistent qu’en lignes d’écritures comptables, sans aucune contrepartie matérielle. Si nous paniquons et voulons retirer nos sous, les banques s’effondrent, elles ne les ont pas (et ne les ont jamais eus). Il faut bien comprendre que pour l’essentiel, l’argent n’existe pas, il est purement virtuel. (Mais mieux vaut en avoir pour le quotidien !). En cas d’effondrement, il ne vous resterait de vos économies que les billets que vous avez précieusement gardés sous votre matelas. C’est d’ailleurs ce qui est rassurant. Il est vrai qu’aucun Etat ne peut se permettre ça, et on peut être certain que le gouvernement interviendra pour sauver les banques de dépôt de la faillite. Heureusement, les banques sont assurées. Malheureusement, cette faillite aurait pu alors entraîner la faillite de grandes sociétés d’assurances, dont AIG, nationalisée précipitamment par l’Etat américain. Il s’agit de nationalisations, pas d’expropriations, le système n’en a jamais eu l’intention. Mais nationaliser indéfiniment risque de coûter cher... Le gouvernement américain a alors pondu le fameux « plan Paulson », suivi ensuite par les européens.

Là, on change de cour de récréation, et on passe du bricolage au service après vente. En quoi consiste ce plan, et une partie du plan européen ? Tout simplement à créer un fond public pour pouvoir racheter les créances douteuses quand c’est nécessaire pour sauver les banques. Il s’agit là non pas encore de s’attaquer au mal par la racine, mais au moins de boucher la fuite à l’origine au lieu de rajouter des louches de liquide pour compenser. Qui paiera ? Le contribuable, aujourd’hui ou plus tard si l’Etat se finance par un emprunt. Et là, j’avoue ne pas avoir assez de compétences. En effet, soit les créances seront rachetées plus cher qu’elles ne valent en réalité, et le contribuable aura payé pour enrichir les banquiers qui par ailleurs l’ont éventuellement expulsé. Soit, elles sont bradées, et au final l’Etat se sera enrichi puisqu’il se trouvera à la tête d’un patrimoine immobilier bradé. Je ne sais pas dans quel cas de figure on est, et visiblement les grands experts interviewés dans les médias non plus. Il faut noter qu’une des raisons du refus de vote des démocrates dans un premier temps était le manque d’accompagnement social et de garanties pour les américains expulsés. Les 700 milliards du plan Paulson correspondent à l’estimation du volume des « subprimes » en 2006.

L’idée est toujours la même depuis le début de la crise : « rétablir la confiance », en fait la confiance des banques entre elles pour que le crédit reprenne. Sauf qu’elle ne revient toujours pas, et d’autant moins que toutes ces interventions prouvent si besoin était que la situation est grave. C’est pourquoi les européens ont prévu un plan plus ambitieux, et notamment notre cher Président n’a pas fait que fanfaronner, pour une fois il ne s’agit pas seulement d’effet d’annonce. En effet, le gros problème que ces différents plans ne peuvent de toutes façons résoudre, c’est celui du crédit, et notamment du crédit aux entreprises en l’absence duquel les investissements sont stoppés et un certain nombre d’entre elles risquent de faire faillite. L’idée en France en tous les cas est donc celui d’un deal avec les banques : on vous prête de l’argent pas cher, voire on vous en donne (une recapitalisation surtout sans droit de vote est équivalente à un don), mais en échange on surveillera que vous prêtez cet argent à des entreprises à un taux raisonnable.

Accessoirement, chaque fois que des mesures sont prises, il y a des petits malins pour tenter de voir s’il n’y aurait pas là moyennant quelques menus risques (pour les autres) de se faire un peu de sous, comme en témoigne le scandale récent de la Caisse d’Epargne. Je ne sais plus quel marxiste célèbre disait que les capitalistes seraient prêts à vendre même la corde pour les faire pendre... Ces petits malins sont en tous les cas bien commodes : ils permettent de mieux désigner des coupables, de parler de scandale, pour détourner l’attention du vrai coupable et du vrai scandale : le système capitaliste lui-même.

C’est la crise !

C’est bien sûr la crise dans le secteur financier, et une crise qui ne touche pas que les « golden boys ». Lorsque des banques font faillite, ce sont des dizaines de milliers d’employés qui sont licenciés. Dans beaucoup de pays développés, le secteur financier est le premier en terme d’emplois. Les medias ouvrent leur une tous les jours avec la situation de la bourse. C’est presque le moins important dans cette affaire. Les agitations de la bourse ne sont que le reflet des craintes et espoirs des banques, assurances, fonds de pensions et autres spéculateurs. Elle ne pouvait que baisser. Ceux qui ont fait de mauvaises affaires en croyant faire de bons investissements bien rentables doivent régler quelques menues dettes, et pour ça ils doivent vendre leurs titres, ce qui ne peut que pousser à la baisse. Il faut aussi qu’ils se débarrassent de leurs actions dans les banques et assurances... Et l’argent de ces ventes, il va où ? Il semblerait qu’il aille surtout dans l’achat de bons du Trésor américain, que l’Etat a émis pour financer son plan de sauvetage du monde financier... Moins drôle pour les anglo-saxons et tous ceux qui ont un système de retraite par capitalisation (ce qui n’est pas le cas des couches populaires chez nous) : les fonds publics et privés de retraite ont fondu de 2 000 milliards de dollars aux Etats-Unis. De même chez nous, quelques soi disantes mutuelles et autres institutions du « secteur social » semblent avoir fait des investissements hasardeux dont les pertes seront forcément assumées par leurs sociétaires. Par ailleurs, comme pendant toutes les crises, c’est le moment des soldes et donc des affaires, c’est à dire qu’il se passe en ce moment une concentration très importante dans les secteurs bancaire, financier et d’assurance.
C’est aussi la crise dans l’immobilier, puisque c’est de là que tout est parti. Au-delà des faillites d’agences immobilières, ça pourrait être une bonne nouvelle pour ceux qui souhaitent se loger, sauf qu’on ne leur accorde plus de crédit. Mais qui dit crise de l’immobilier dit crise de l’industrie du bâtiment, qui va là aussi se traduire par des faillites et des licenciements qui toucheront de plein fouet des familles ouvrières notamment immigrées.

Mais la crise est encore bien plus grave. En réalité, les derniers chiffres connus, c’est-à-dire ceux du 3e trimestre 2008, avant toutes ces affaires donc, montrent une véritable récession, c’est-à-dire une baisse de la production. C’est qu’en fait tout le système repose sur un crédit qui s’est tari. Comme nous l’avons déjà expliqué, la consommation est le moteur de la croissance. Dans les pays développés où 90% des actifs sont salariés, cette consommation ne peut venir que d’eux. Or, la politique mondiale de restriction des salaires est générale depuis une vingtaine d’années. Le fond de la crise financière, c’est qu’on a compensé la baisse des salaires par un recours massif au crédit pour maintenir la consommation (cf les discours de nos leaders bien aimés sur le pouvoir d’achat). C’est ce système qui est en crise. Les banques prêtent beaucoup moins qu’avant, les taux d’intérêt se sont fortement élevés et le crédit est devenu plus cher. Ceci frappe de plein fouet les classes populaires et moyennes, d’où les difficultés des constructeurs automobiles, etc. Ceci frappe aussi de plein fouet les PME qui ne peuvent plus investir, voire se trouvent menacées de faillites car les banques ne leur accordent plus les mêmes découverts (la trésorerie d’une entreprise fait par définition des mouvements de yoyo). Or elles représentent le plus gros secteur d’emploi, et des emplois sans avantages sociaux ni protection. Enfin, il ne faut pas oublier que les licenciements annoncés omettent toujours les intérimaires, qui sont bien sûr les premiers renvoyés. On peut à chaque fois plus que doubler les chiffres, les intérimaires virés étant plus nombreux que les licenciements secs. Par ailleurs, il est certain que les heures supplémentaires et autres primes de fin d’année vont en prendre un coup... Et là, le « travailler plus pour gagner plus » rendra un son un peu amer.

Et cette crise là, il est certain qu’on n’en est qu’au début, les choses s’enchaînant : plus de chômage, moins de revenus, moins de revenus, moins de consommation, moins de consommation, des licenciements, des licenciements, plus de chômage, etc. Elle durera jusqu’à ce que le capitalisme trouve un second souffle. La dernière fois, lors des Trente Glorieuses, il l’avait trouvé dans la société de consommation, c’est-à-dire dans un compromis social avec un mouvement ouvrier relativement puissant. Le rapport de forces est complètement différent aujourd’hui. Une question est de savoir si l’argument selon lequel il s’agit une crise mondiale, donc qu’« on n’y peut rien », va ou non bloquer les réactions et les luttes, dans la mesure où la responsabilité d’un bouc émissaire est moins visible. C’est sans doute là-dessus que compte le gouvernement.
L’avenir de la crise, c’est aussi le mouvement social qui le dessinera, et à un niveau planétaire. C’est à cette échelle que des rapports de force vont se redessiner. Les pays émergents sont touchés de plein fouet et par la crise financière et par la crise de surproduction. Les pays les plus pauvres semblent par contre à l’abri, sauf que l’aide publique au développement va encore chuter. Peut-être est-ce une chance pour eux ??? Le pétrole, dont la hausse devait être éternelle, a vu son prix divisé par deux. De façon générale, les prix des matières premières sont très volatiles, car ils sont devenus aussi un placement spéculatif, et leurs cours deviennent donc imprévisibles puisqu’ils dépendent de ce qui se passe ailleurs sur les marchés financiers. On est donc entré dans une période d’instabilité économique mondiale qui va durer et dont les conséquences sont difficiles à prévoir que ce soit en terme de mouvement social, de misère mondiale ou de guerres.

Sylvie

(1)Pour plus d’explications, voir l’article de Courant Alternatif, Crise financière mondiale ou quand le racket éclabousse les racketteurs, octobre 2007

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