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Rentrée sociale difficile dans l’éducation.

samedi 11 octobre 2008, par Courant Alternatif

Les réformes menées au pas de charge dans l’éducation nationale, et un budget en peau de chagrin ont entraîné des luttes tout au long de l’année scolaire dernière, de la maternelle à l’université. La rentrée devait être un moment important pour une reprise de la contestation du bradage du système éducatif. Ce fut incontestablement loupé. Pourtant, il y a comme un feu souterrain qui….


L’étendue des dégâts

Dès la fin juin, les difficultés à mobiliser pour la rentrée étaient perceptibles. L’intersyndicale de l’éducation était incapable d’envisager quoi que ce soit d’un peu combatif, malgré l’ampleur des suppressions de postes et la multiplicité des attaques : réforme du primaire, du lycée, du bac professionnel, Loi liberté et responsabilité des universités (LRU), liquidation des Instituts de formation des maîtres (IUFM)…
Le mouvement des parents et des enseignants contre les mesures Darcos (réduction du temps scolaire dans le primaire, externalisation du soutien scolaire et « nouveaux programmes » rétrogrades) n’était pas parvenu à véritablement déborder du seul département de la Loire Atlantique : au final, la fin de l’école le samedi matin soigne le confort des familles et des instits, et tant pis s’il se fait au détriment des enfants.
Dans le secondaire, les tentatives remarquables d’initiatives locales comme l’Assemblée générale des établissements d’Ile de France, n’étaient pas parvenues à structurer un rapport de force suffisant pour peser sur les bureaucraties syndicales. Celles-ci se sont donc embarquées dans un protocole de discussion sur la refonte du Lycée, en échange de vagues promesses de revalorisations salariales et statutaires. Sur le même mode, les syndicats de l’enseignement professionnel ont accepté le passage du « Bac Pro » de 4 à 3 ans, en échange d’une ouverture de l’enseignement supérieur(1) aux professeurs de lycée professionnel (PLP).

Il n’est pas besoin d’être fin connaisseur du système éducatif pour comprendre que cette réduction de l’offre d’enseignement à tous les niveaux du système scolaire permet des économies substantielles. Chacun analyse et sait bien que la principale logique qui préside à ces réformes est celle de la réduction du déficit budgétaire dans le cadre des accords européens. L’État brade ainsi les services publics, accroît les difficultés de l’Education Nationale, pour à terme livrer aux capitaux privés le marché de la formation, dont celui de l’enseignement initial. Les exemples de France Télécom, d’EDF GDF, de La Poste en sont des illustrations concrètes.
Les plus lucides constatent également l’accentuation de la ségrégation sociale qui se met ainsi en œuvre, reléguant toujours davantage les enfants des classes populaires hors du champs de la culture pour mieux les exploiter ou les cantonner à des ghettos, tout en les rendant responsables de leur « échec ». Ainsi un rapport de l’Inspection Générale alarmant sur les premières conséquences de la fin de la carte scolaire en termes d’aggravation de l’exclusion sociale, a été enterré parce qu’explosif.

Au marché de dupes proposé par le Ministère, les enseignants et les classes moyennes pensent tirer leur épingle du jeu, et chacun espère limiter les dégâts à court terme, alors que la stratégie du gouvernement s’inscrit bel et bien dans une mise à mort d’un système d’enseignement jusqu’ici potentiellement porteur d’émancipation par l’accès aux savoirs, malgré toutes les limites du modèle de l’école républicaine.

Des syndicats indignes.

Les syndicats enseignants se sont malgré tout entendus pour une « journée d’action » le jeudi 11 septembre, mais sans appel à la grève. On peut dire que cette initiative est globalement passée inaperçue, comme les traditionnelles grognes de reprise, et le Ministre Darcos a eu beau jeu de pérorer sur « une rentrée sans problème ». Pourtant, même le syndicat majoritaire des chefs d’établissements lance une alerte sur les limites atteintes avec le recours aux heures supplémentaires et aux moyens provisoires. Dans les établissements, les chantages aux dédoublements de classes, aux fermetures de filières, et aux aménagements divers a en effet permis aux proviseurs et aux principaux d’imposer des heures supplémentaires pour faire tourner la machine cette année. Mais ce système touche à la saturation de la débrouille interne à flux tendus. Et se sont 13500 postes qui sont encore appelés à disparaître l’an prochain.

Syndicats enseignants, lycéens, étudiants, structures pédagogiques, associations de parents, se sont entendus pour une mobilisation nationale à Paris le 19 octobre autour des questions budgétaires. Mais, au regard de l’échec de la mobilisation également unitaire de mai dernier sur la réforme du primaire, on peut douter de la capacité réelle des structures à mobiliser, comme du choix tactique d’une grand messe qui n’impressionnera que bien peu un gouvernement à l’offensive sur tous les fronts.

Les plus virulents des syndicats tenteront une liaison de la mobilisation dans l’éducation avec appel à la grève lors de la journée européenne d’action « Pour le travail décent » le 7 octobre, téléguidée par la très libérale réformiste Confédération Syndicale Internationale (CSI). La encore, mots d’ordre vagues (pourquoi pas une manif pour une exploitation digne ?), pas d’appel global à la grève, absence d’enjeux concrets… Tous les éléments semblent réunis pour une journée plus démobilisatrice qu’autre chose.

Les tergiversations des structures bureaucratiques à engager un réel rapport de force trouvent des explications multiples. Les élections professionnelles de décembre conduisent les bureaucrates à la prudence, et à la mesure. La droitisation du paysage syndical enseignant, tournée vers la négociation et le syndicalisme de service dans la gestion des carrières fait adopter profil bas aux organisations de salariés. Leurs désaccords sur l’analyse de la situation, les formes et les contenus éducatifs, les modes d’actions, laissent les mains libres au ministère.
Le discrédit syndical latent dans l’éducation depuis l’échec du mouvement de 2003 conduit à une désyndicalisation importante, et annonce peut être bien la fin de la citadelle enseignante. D’autant que le départ à la retraite des profs et des instits issus de la génération du baby boom, et l’intégration massive dans le métier d’étudiantEs surdiplômés modifie profondément la structure de classe du monde enseignants, bouleversent les cultures politiques et syndicales qui y prévalaient, et augmentent l’incompréhension entre profs et classes populaires, ce qui est cependant rarement évoquée dans l’analyse de la « crise de l’école ». Ces phénomènes ne sont pas nouveaux, mais ils s’accélèrent singulièrement ces dernières années, et s’aggraveront encore avec des concours de recrutement des enseignants à niveau bac+5, tels que prévus prochainement.


Des résistances pourtant !

Tout n’est pas pour autant perdu sur les enjeux éducatifs, et des résistances de base sont bien réelles, mais d’une grande diversité et donc difficile à apprécier dans leur globalité. Ici, les difficultés de mise en place des réformes dans le primaire ont entraîné des refus de municipalités à mettre en place le soutien hors temps scolaire, là c’est un canton qui fait le choix de maintenir les 26 heures d’enseignement en ouvrant les écoles le mercredi matin. C’est d’ailleurs des parents et des enseignants qui proposent conjointement des ateliers pour maintenir le temps scolaires, ou qui plus largement signent et mettent en pratique un manifeste de la désobéissance pédagogique « je refuse, je m’engage » proposé par l’ICEM-pédagogie Freinet (2)…

C’est encore la CGT-éducation qui finalement claque la porte du protocole de discussion sur la réforme du lycée, ou des minorités révolutionnaires du syndicalisme enseignant qui tentent de faire converger des initiatives de luttes, à l’image d’Emancipation tendance intersyndicale :
« Pour en finir avec cette stratégie syndicale catastrophique, les directions syndicales doivent d’abord de toute urgence donner un signe fort, en mettant immédiatement un terme à leur collaboration suicidaire avec le pouvoir et en rejoignant les syndicats qui refusent de participer à de pseudos négociations, (…) en quittant les structures de "concertation". (…)
Un plan d’action de confrontation avec ce Pouvoir doit converger avec les autres luttes de longue haleine, comme la mobilisation des précaires pour leur réemploi et l’accès de toutEs à un emploi stable et comme la longue grève des travailleurs sans papiers pour le droit au travail, complémentaire de la lutte des collectifs pour la régularisation de toutEs.
Il importe notamment de réaliser la jonction de ces luttes avec celles du reste du mouvement social, à la faveur du contre-sommet « des ponts pas des murs » des 17 et 18 octobre et de l’initiative, qui devrait être une action nationale, dirigée contre le sommet européen des politiques d’immigration des 3-4 novembre à Vichy. » (2)

Au titre des résistances toujours, n’omettons pas les refus concernant le contrôle social exercé par l’école via le fichage des enfants et des familles dans « base élèves », qui est également un indicateur de résistance significative, bien que minoritaire, de l’instrumentalisation du système éducatif à des fins normatives et répressives.

A ces différentes formes de résistance ou de désobéissance, répondent des mesures de répression de la part des instances administratives, ou de la justice. Les procédures de sanction contre des personnels se multiplient (mutations d’office, destitution de fonction de direction ou de formation, retraits sur salaires pour fautes, …), ainsi que les tentatives de criminalisation de la participation d’enseignants, d’élèves ou d’étudiants aux mobilisations, avec une croissance exponentielle des procès pour violence contre les forces de l’ordre. A l’évidence, la lutte contre la répression ne sera pas un levier suffisant pour contrer les offensives gouvernementales, mais elle permet de développer des liens de solidarité, et d’illustrer la nature oppressive du pouvoir et de ses finalités en matière éducative.

La question de la jonction de ces résistances est bien sûr cruciale. Elle ne se fera que dans un processus de politisation des enjeux autour de la question éducative, dans le sens d’une clarification des rapports de classes, et des choix à opérer entre les supplétifs de l’ordre social dominant, et ceux et celles qui prendront le pari du désordre, plutôt que de préférer toujours plus d’injustice. Ce ne pourra être le seul fait du monde enseignant ou des scolarisés. C’est un processus de longue haleine, mais il est aussi des moments où l’histoire s’accélère et prend tout le monde au dépourvu. Et nous pouvons y travailler !

OCL Saint-Nazaire.
24/09/08.

Notes :
(1) Brevet de techniciens supérieur (BTS), Institut universitaire de technologie, (IUT).
(2) Institut coopératif de l’école moderne. http://www.icem-freinet.info/travai...
(3) Texte national d’orientation adopté en collège le 22 septembre.
http://www.emancipation.fr/emancipa/

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