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La pêche artisanale rattrapée par le productivisme

mardi 15 juillet 2008, par Courant Alternatif

Le mouvement de ces derniers mois met en lumière l’échec de la logique productiviste à laquelle n’a finalement pas échappé la pêche artisanale européenne. L’augmentation du prix du carburant révèle les contradictions de nature écologique et sociale qui frappent l’activité et annoncent sa prochaine restructuration.


Jusqu’au tournant du vingtième siècle, la pêche en mer demeurait, au même titre que le travail de la terre, une activité rythmée par le cycle des saisons. Progressivement, les industriels de la conserverie et de la transformation vont prendre le contrôle de la filière, en Bretagne d’abord, puis sur les littoraux de la Méditerranée et ensuite de la Manche. En imposant leurs conditions aux pêcheries, ils recevront un approvisionnement de matière première dorénavant soumis aux impératifs du marché. Dès lors, les rapports de production capitalistes - étayés par les “plans de soutien” de l’Etat à l’activité - s’appliqueront méthodiquement aux hommes comme à la ressource, ouvrant une époque ininterrompue de crises. La reconstitution des stocks durant les années de la deuxième guerre mondiale masquera pour les décennies suivantes les effets du déséquilibre qui s’annonce. Mais au sortir des années soixante-dix, le réveil est brutal. Les stocks travaillés par les flottes industrielles sont en voie d’épuisement, les espèces telles la morue, le hareng ou le thon sont menacées de disparition. Cette flotte trouve alors le salut dans la capture des espèces des profondeurs et le déplacement vers les mers du Sud. L’activité artisanale, frappée à son tour par les mêmes maux, ne peut envisager pareille échappatoire. Nulle possibilité ne s’offre à elle de travailler dans des eaux plus lointaines ou encore en profondeur. 
Ainsi, le mouvement qui se développe aujourd’hui en Europe ne peut s’apprécier à l’aune du seul coût du baril de pétrole ; ce à quoi entendent le réduire les médias. Il exprime en réalité la résistance des unités les moins performantes d’une certaine pêche artisanale, soumises à une exploitation intensive des fonds et dorénavant poussées vers les chantiers de démolition. Et la saignée s’annonce violente : les armements disposent de plus d’une fois et demie la capacité maximale d’extraction, alors que les trois quarts de la ressource disponible a déjà été pêchée.
En amont, le marché européen des produits de la mer - en expansion depuis plusieurs années - entend maintenir ses marges. N’en doutons pas, les Etats l’y aideront en rationalisant le secteur. La restructuration de la flotte est de nouveau à l’ordre du jour et, avec elle, sa concentration.


La politique européenne
de la pêche

La politique de pêche européenne s’est construite sur le modèle productiviste de la PAC - la politique agricole commune. Comme pour le secteur agricole, la priorité fut donnée à un exercice intensif de l’activité soutenu par les aides publiques d’Etat et de l’Europe. Mais a contrario de l’industrie agraire, et bien qu’elle dispose du premier espace maritime au monde et compte pour la troisième puissance de pêche mondiale, l’U.E importe 60 % de ses besoins en produits de la mer. A cela on peut invoquer deux raisons : la première étant le rapport à la propriété, différent sur mer de celui qui s’applique sur les terres. Rappelons que les petits paysans propriétaires constitueront au long du siècle dernier une opposition tenace à la concentration des terres et à leur exploitation sur un mode productiviste. L’exploitation des eaux non soumise au même droit de propriété a permis une concentration plus rapide de l’activité sans qu’aucune résistance ne lui soit opposée. En conséquence, l’épuisement des fonds marins précéda puis accompagna celui de l’appauvrissement des terres cultivées. La seconde tient à l’accès de l’U.E aux zones de pêche de plusieurs pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Sous couvert d’accords, ce redéploiement de la pêche industrielle maintient la paix sociale au Nord. Elle alimente la presque totalité de l’industrie de la transformation qui emploie 150 000 travailleurs directs pour une recette de 18 milliards d’euros par an.
En retour, la pérennité des pêches locales est mise à mal et menace la sécurité alimentaire des populations. Une partie d’entre elles sont alors contraintes à l’exil. Une tendance qui se renforce par le biais des programmes d’aides de la banque mondiale et de la FAO. En favorisant la création d’unités industrielles dans ces pays, elles ont surtout encouragé la chasse aux devises étrangères et précipité la destruction du tissu social côtier.


Les artisans happés
par le marché.

D’abord, précisons qu’au delà du statut juridique, il n’existe pas un, mais bien différents types de pêche artisanale. Les effets sur le milieu naturel et l’organisation sociale du travail sont donc ressentis différemment selon que l’on pratique une pêche rationalisée à l’extrême en mer du Nord, ou quelques captures par sortie, comme c’est encore le cas parfois en Méditerranée. Les oppositions, durant le mouvement, entre fileyeurs et chalutiers boulonnais, mettront certaines de ces particularités en lumière. Les uns consommant peu de carburant se mobilisèrent avant tout pour des obtenir des quotas plus importants quand les seconds, partant pêcher au loin, revendiquaient le gas-oil à 40ct d’euro à la pompe.
Traditionnellement, les artisans approvisionnent le marché local en pêche fraîche. L’intérêt des sociétés de mareyage puis de la grande distribution pour cette production va encourager les flottilles à accroître leurs rendements et les contraindre à se moderniser. Graduellement, le capital va se substituer au travail ; la mécanisation des tâches entraînera la diminution en proportion du nombre de marins. Les équipements électroniques et informatiques de détection, les GPS, les nouveaux systèmes de mise à l’eau de chaluts plus efficients, etc... permettent maintenant des prises plus sélectives mais augmentent la pression exercée sur les stocks. Pour financer ces investissements, les artisans recourent aux coopératives intéressées en retour aux résultats des flottilles. Certaines ont prospéré et diversifié leur activité au-delà de la seule pêche : mareyage, restauration... La coopérative maritime d’Etaples, près de Boulogne sur mer, emploie actuellement 700 personnes dont 380 pêcheurs. 
Cette course à la mécanisation exacerbe la concurrence sur les mêmes zones de pêche et contribue en parallèle à éliminer les bateaux les moins équipés. Contraints à la surpêche par le remboursement d’équipement extrêmement onéreux alors que la ressource est au plus bas et les marges bénéficiaires en baisse, les artisans sont pris au piège d’une logique sans issue après avoir perdu le contrôle de leur activité. Puisqu’ils n’interviennent ni sur les prix, fixés en criée par un système de vente aux enchères, ni sur la nature des ventes et les marges exigées par la grande distribution qui écoule 67 % de leur production, il ne leur reste alors qu’à se tourner vers l’Etat.

A qui profitent les aides ?

Au regard de la situation, la revendication sur le prix du gas-oil apparaît comme une aubaine pour les Etats. D’abord parce qu’ils peuvent y répondre, donc calmer le jeu et donner l’illusion de soutenir l’activité : la pêche ne représente que 1% de la consommation de carburant, tous secteurs confondus. Mais surtout parce que l’Europe n’ignore pas qu’au -delà de la revendication d’un “gas-oil eurocompatible”, l’unité affichée dans les manifestations vole en éclat. Quant au “non irlandais” évoqué par certains, il ne change rien à la donne.
Les aides consenties par Barnier et l’Europe ne sont d’ailleurs qu’un allègement fiscal déjà prévu et facilement accordé aux P.M.E. Le plus souvent, ces aides donnent lieu à une sérieuse mise en concurrence entre eux des organismes chargés de les percevoir, et avivent les tensions au sein de la profession.
D’ailleurs, maintenant qu’ils savent les pêcheurs en situation de fragilité, les Etat vont pouvoir appliquer le “plan 2007-2013” prévu par le FEP - le plan européen pour la pêche. Un nouveau fonds dit de “déchirage” y est inclus qui, sous forme d’aides, envisage la réduction “substantielle de l’effort de pêche”. Les précédents plans avaient d’abord profité aux plus gros navires et conduit les petites unités à la casse, voire au rachat, de chalutiers artisans par des armements industriels. Rappelons au passage que le déblocage de 12 millions d’euros d’aides “minimis” en févier le fut d’abord pour les gros chalutiers... Le plan à venir confirmera donc la tendance à la concentration d’une pêche qui, avec moins de bateaux et moins de marins, continuera d’alimenter les étals de la grande distribution.

Le mouvement : patrons
et comités contestés
par la base

La contestation par les marins pêcheurs du marché qui les étrangle s’est d’abord exprimée dans les actes. Sur la question de la rémunération du travail et des intermédiaires, nombreux furent les hypermarchés dont les étals furent vidés ou saccagés et le poisson distribué gratuitement. Des mareyeurs et des poissonneries connurent le même sort ainsi que les camions frigorifiques important du poisson aux usines de transformation de Boulogne sur mer. Un matelot expliquait : “ Le cabillaud est acheté 3,18 € en criée et revendu 18 € dans des poissonneries parfois gérées par des professionnels eux-mêmes ”. Plusieurs ports furent partiellement ou complètement bloqués, interdisant dans certains d’entre eux le trafic marchand ou des passagers. Dans le détroit du Pas de Calais, une “opération escargot” a ralenti momentanément le trafic de “porte-conteneurs” le plus dense au monde ! Les dépôts de carburant furent bloqués et la répression inégalement ressentie selon les régions.
Mais, la nouveauté dans ce mouvement fut la forte contestation par la base des instances dites représentatives : comités locaux, régionaux et national des pêches ainsi que les syndicats. Une contestation qui entraîna de multiples démissions et donna lieu à des tentatives de coordinations. L’Etat a d’ailleurs pris la mesure de la charge en faisant avancer la date des élections professionnelles à janvier 2009. Les raisons de cette opposition sont de deux ordres : d’abord, des instances nationales jugées proches de l’Etat et accusées de diviser la profession en privilégiant les intérêts des patrons ; et ensuite, le fameux système des aides sur le prix du carburant qui, pour les marins, n’a profité qu’aux patrons alors que le montant du gas-oil est prélevé directement sur leur fiche de paie. C’est ainsi que le 26 mai, les matelots votèrent la grève quand les patrons appelaient à reprendre le travail : “Si nous devons aller droit dans le mur, nos dirigeants viendront avec nous... nos patrons ont réussi à payer leurs bateaux et nous on risque de nous prendre nos maisons”.
A suivre donc.

Xavier. Boulogne sur mer le 25/06/08.

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