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Le colonialisme français à l’œuvre !

mardi 13 mai 2008, par Courant Alternatif

Le 21 avril dernier le tribunal de Nouméa a condamne 23 syndicalistes de l’USTKE à des peines de 1 mois à 1 an de prison ferme (dont 6 mois ferme pour le président du syndicat Gérard Jodar), ce jugement est la conclusion provisoire (le syndicat a fait appel), d’un long conflit entre l’USTKE et l’entreprise de transport en commun CARSUD. En infligeant des peines jamais prononcées en métropole pour des faits similaires (incitation à manifester ou participation à une manifestation par ailleurs, durement réprimée) la justice coloniale n’a fait que jeter de l’huile sur le feu d’une situation tendue. Elle démontre également que vingt ans après le massacre d’Ouvéa le peuple kanak n’en a pas fini avec la colonialisation française.


Les raisons de la colère.

Cela fait plusieurs années que la société CARSUD est confrontée à une gestion catastrophique tant en terme social que de service rendu aux usagers. La Province Sud qui a la compétence dans le domaine du transport régulier de passagers a, au nom du libéralisme, choisi de travailler avec le groupe Véolia dont tout le monde sait que la vocation première n’est pas de transporter les personnes mais de gagner de l’argent.

C’est ainsi qu’année après année, Véolia et la Province Sud, se chamaillent pour savoir qui doit payer pour financer le réseau de transport public au service de l’agglomération du grand Nouméa. On retrouve ici une problématique courante du secteur des transports collectifs, (la délégation de service public) de leur privatisation et du rôle de Veolia dans ce secteur, on se rappelle encore du conflit de la SNCM qui concernait là aussi un syndicat indépendantiste, le STC marin.

Le conflit a démarré car le patron de CARSUD refuse d’appliquer un protocole d’accord qui date de janvier 2007, l’USTKEi demande la réintégration d’un salarié, licencié pour « faute grave », accusé à tort de vol. Comme par hasard ce salarié était aussi le délégué STKE au sein de l’entreprise...
Le succès de la grève générale organisé par le syndicat, a vu l’intervention officielle du MEDEF, qui par voie de communiqué à inviter les patrons de l’Ile à sanctionner les syndiqué STKE qui participeraient à cette mobilisation, ce qui a conduit au licenciement de salariés qui avaient participés au rassemblement de soutien.
Il est en apparut rapidement fait que ce conflit est de nature politique et que le patron de CARSUD est un mercenaire au service de la Province Sud pour casser du syndicaliste. La création du Parti Travailliste en novembre 2007 (initié par l’USTKE) et les résultats de cette nouvelle formation politique aux législatives et aux municipales ont visiblement inquiétés. Entre le syndicat, acteur social incontournable, et son parti, réellement indépendantiste, et qui bouscule les indépendantistes « institutionnels », l’USTKE devient vraiment le syndicat à abattre à la fois pour le MEDEF local et pour l’Etat français.
Ainsi dès le début les responsables politiques de cette Province, en l’occurrence son président et son vice président, sont intervenus non pas pour solutionner le problème mais pour accuser le syndicat de tous les maux. Prenant pour prétexte l’occupation d’un terrain appartenant à la Province Sud. Ils ont réclamé à corps et à cris l’intervention de l’état et des forces de l’ordre. Et finit par l’obtenir. Résultat 10 heures d’affrontements entre les forces de l’ordre et les militants STKE, un comportement de la part des gendarmes digne de forces d’occupation et 50 manifestants interpellés.
Dans les jours qui suivent, des leaders du syndicat sont interpellés chez eux, au matin. D’autres se sont enfermés au siège du syndicat, immédiatement assiégé par la police et défendu par les militants. Ils y resteront enfermés pendant un mois, avec tout le quartier bouclé et n’en sortiront que pour le procès.

Le retour du syndrome colonial


L’épisode est en fait révélateur de tout un climat social qui est en train de se dégrader. En effet un équilibre relatif et fragile se maintenait depuis la signature des accords de Matignon (1988) et de Nouméa (1998), lui-même ratifié par un referendum local. En 2007, l’une des plus pressantes exigences indépendantistes (la limitation du corps électoral, pour les élections territoriales et provinciales, aux seules personnes ayant voté en 1998 et à leurs descendants) a fait l’objet d’une modification de la Constitution, ratifiée en congrès à Versailles. Pourtant on imagine mal comment on pourrait revenir sur le processus d’autonomisation institutionnelle engendré par les ANCM, va-t-on revenir à l’époque Pons qui il y a 20 ans mis le pays a feu et a sang jusqu’à provoquer le drame d’Ouvéa ? Venant de l’Etat, tout propos partial réveille en Kanaky le souvenir de cette période dramatique et ravive les tensions.
Il est vrai que la bonne santé économique (6% de croissance l’année dernière) de l’Ile réveille les convoitises. L’industrie du nickel connaît son second boom après celui des années 70, (la terre kanake contiendrait 20% des réserves mondiales), ainsi il est prévu la construction de deux usines d’extraction, l’une dans le Sud, à Goro, l’autre dans le Nord, près de Koné.La spéculation immobilière transforme Nouméa en petit Nice avec les même retraités bronzés qui font leur jogging en bord de mer. Les complexes du type appart-hôtel pousse comme des champignons. Pendant ce temps là les travailleurs pauvres et les chômeurs s’entassent dans les bidonvilles des faubourgs. A Dumbéa, ville au nord de l’agglomération, 20 % de la population vit dans des baraquements. Le slogan de l’USTKE (Usines/Tribus même combat) n’a décidemment rien perdu de sa pertinence

Le caillou a la cote, puisque ce sont près de 14 000 métropolitains, « les zoreilles », qui se seraient installés entre 2000 et 2004. Les retraités de la fonction publique, bénéficient ici de "faveurs". Actuellement, 4 600 personnes profitent d’un dispositif d’indexation, c’est à dire de retraites majorées. Elles n’étaient que 1 600 en 1989. Pour avoir une retraite indexée, il suffit de résider en Nouvelle-Calédonie six mois par an. Aucun contrôle n’est effectué. Une nouvelle colonisation par le peuplement en quelque sorte. On imagine donc mal comment ces nouveaux colons vont pouvoir lâcher la poule aux œufs d’or que représente le caillou. Quitte pour préserver leurs petits privilèges, à flatter le jacobinisme frelaté de la République.

Les temps à venir vont donc être particulièrement important, vingt après Ouvéa tout semble de nouveau réunis pour faire parler la poudre.
Aussi faible que sont nos moyens il est plus que jamais nécessaire d’affirmer notre solidarité avec le peuple kanak en lutte pour sa liberté.

OCL Reims


Quelques éléments sur les inégalités économiques et sociales.

Les accords de Matignon avaient prévu un rééquilibrage des différents niveaux économiques, une nécessité. A la fin des années 80, 80% des emplois sont localisés dans la Province Sud. Dans le Nord presque exclusivement kanak, 84% de la population salariée possède un statut d’employés ou d’ouvriers, alors que 3% seulement possède un statut de cadre (en 2006, on compte près de 30% de chômeurs dans la Province Nord). Les proportions sont plus nuancées dans la province blanche du sud avec 50% d’ouvriers ou employés pour 25% de cadre. Cela aboutit à des écarts de revenus de 1 à 7. De la même façon, si la population kanake est à plus de 80% rurale, la population européenne est majoritairement urbaine, concentré autour du pole administratif et économique de la Nouvelle Calédonie, Nouméa. Enfin l’absence de formation des populations kanakes n’a d’égal que le bon niveau des cadres caldoches, épaulés par de nombreux fonctionnaires territoriaux. Ainsi, si 23% des européens ont suivi une formation supérieure, ils ne sont que 1,6% parmi les Kanaks à avoir suivi le même parcours. Notons pour illustrer le propos que ce n’est qu’en 1962 que pour la première fois, un candidat kanak à obtenu son baccalauréat et que les résultats actuels sont sans appel en 2001 68% de réussite au bac dans le sud contre 28% dans le Nord et les Iles.


Les Accords de Matignon et de Nouméa

Les accords de Matignon (ANMC) sont signés à Paris sous l’égide de Michel Rocard, alors Premier ministre, le 26 juin 1988. Ils constituent un premier pas vers la décolonisation après cinq années de troubles meurtriers. L’objectif de ces accords est triple. Il s’agit de rétablir la paix civile, préparer le referendum d’autodétermination prévu en 1998 et assurer le rééquilibrage économique et culturel en faveur de la communauté kanake. Concrètement, les AMNC prévoient un certain nombre de mesures sur ces trois thèmes :

La paix civile passe par une amnistie générale dont profite le FLNKS. A cet impératif des nationalistes, s’ajoute la mise en place de nouvelles institutions (Congrès de 54 représentants élisant un gouvernement de 6 à 11 membres, sénat coutumier, assemblées provinciales disposant de compétences de droits communs : sécurité civile, santé, culture, scolaire, organisations des collectivités territoriales...)

Le rééquilibrage économique constitue le problème le plus épineux tant les distorsions entre le Sud blanc et le Nord kanaks sont importantes. Les ANCM prévoient des financements publics à travers des contrats Etat provinces privilégiant le Nord et les Iles ; ils prévoient également un effort de formation destiné aux kanaks ; des investissements productifs dans les secteurs miniers et touristiques ; la création de deux agences de développement ; la construction d’un important centre culturel Jean Marie Tjibaou (inauguré en 1998) et enfin la mise en oeuvre de nombreux chantiers d’équipement.

Les accords de Nouméa, signés en mai 1998 entre indépendantistes et loyalistes (ou autonomistes, c’est à dire revendiquant une large autonomie de gestion) repoussent à l’horizon 2018 la question de referendum pour l’autodétermination. Dans l’attente, une profonde évolution institutionnelle est prévue, destinée à préparer une « inéluctable souveraineté » (selon les termes du président du FLNKS). Dès le 1er janvier 2001, c’est un certain nombre de compétences nouvelles qui viennent s’ajouter à celles de 1988. Les plus importantes sont la possibilité de voter « les lois du pays » (véritables actes législatifs non soumis au contrôle du juge ordinaire, représentant de l’état français) et l’instauration d’une « citoyenneté calédonienne » au profit des résidents de plus de 10 ans, installés avant 1998, seuls aptes à voter aux élections provinciales. S’instaurent des lors une double citoyenneté et une souveraineté partagée. Les deux mandatures suivantes (2004-2009 et 2009-2014) verront se rajouter un certain nombre de compétences transférées au Congrès néo-calédonien, visant une pleine autonomie législative et réglementaire.


Il y a vingt ans le massacre d’Ouvéa

Dans la nuit du 4 au 5 décembre 1984, à Hiengène en pleine terre kanak, des caldoches assassinent dix indépendantistes, et constituent une « organisation secrète d’autodéfense de la Nouvelle Calédonie française », qui appelle à la violence armée contre les indépendantistes. Le FLNKS faisant le constat que la vie de ses militants est menacée, décide d’organiser sa propre sécurité. Le 13 janvier 1985, Eloi Machoro, le responsable de la sécurité au sein du gouvernement provisoire de Kanaky est tué par une unité du GIGN. Au total ce sont plus de vingt morts qui sont comptabilisé durant les six premiers mois de 1985. Le statut Pons va sous prétexte de rétablir le calme envenimer la situation. Il indemnise seulement les victimes européennes et réduit les pouvoirs des provinces aux mains des kanaks. Fin 1987, l’acquittement, contre toute logique juridique, des meurtriers de Hiengène, pousse à la révolte de la Province Nord.

Le 22 avril 1988, la Kanaky sombre dans l’horreur. Un commando d’une vingtaine de Kanaks attaque une gendarmerie à Fayaoué, tue quatre militaires et en kidnappe vingt autres, qu’ils séquestrent dans une grotte d’Ouvéa. La réaction de l’état français est immédiate. Des troupes d’élites de la gendarmerie (RAID, GIPN...) vont utiliser des méthodes de tortures pour apprendre la localisation des otages. Le 5 mai, les forces de l’ordre donnent l’assaut et après avoir « enfumé » la grotte, exécutent froidement dix neuf Kanaks alors que deux gendarmes trouvent la mort dans l’opération. Un mois et demi après, le nouveau gouvernement socialiste, signe les accords de Matignon. Mais la poignée de mains entre Tjibaou et Lafleur ne passe pas. Au sein du FLNKS certaines tendances, réunies au sein du FULK (front uni de libération kanake) critiquent cet accord entre « l’esclave et son maître ». Le 5 mai 1989 Jean Marie Tjibaou se rend sur l’île d’Ouvéa afin d’expliquer la portée des accords de Matignon. Djubelly Wéa abat le leader du Flnks et son second Yeiwené-Yeiwené, avant d’être lui même victime d’un garde du corps de Tjibaou. La disparition du chef kanak secoue la communauté de la province Nord et déclenchera le processus de règlement du conflit.

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