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International

Tchad : la France encore et toujours.

jeudi 3 avril 2008, par Courant Alternatif

Le Tchad, avait attiré nos médias nationaux sur le feuilleton humanitariste de l’arche de zoé masquant la présence et les agissements de la soldatesque française dans ce pays. Pourtant, fin janvier lorsque des « forces rebelles » venues du Soudan foncent sur N’Djamena la capitale, ce sont une fois encore les troupes françaises qui s’engagent pour venir au secours du despote : Idriss Déby, menacé par cette opposition armée.


Une présence militaire française permanente.

Crée par la France en 1922, indépendant depuis 1960, le Tchad a toujours été occupé par la France, avec une présence militaire ininterrompue. Cette amitié par les armes a été renforcée dans les années 1980 lorsque la Libye avec un colonel Khadafi classé alors dans le camp des terroristes et mis au banc des nations, menaçait à la frontière Nord. Avec le dispositif « Epervier » en 1986, il s’agissait alors de venir en aide à l’homme fort du pays : Hissen Habré. Cette intervention allait contenir les forces libyennes à leur frontière. Ce dernier sera ensuite chassé du pouvoir en 1990 par I. Déby. Venu armé par la Libye, il prendra le pouvoir avec l’assentiment de la France. Ce dernier lui permettra même de renforcer son contingent. Aujourd’hui, la présence française se chiffre à 1500 soldats, des avions mirages, des blindés et hélicos de combat etc.
Depuis son indépendance en 1960, les gouvernements français, des gaullistes aux socialistes ont toujours soutenu « l’Homme fort » qui régnait sur le Tchad, quand ils ne l’y installaient pas eux-mêmes. Il est vrai que cette région de déserts est prometteuse de pétrole tout comme le Darfour limitrophe situé au Soudan, et, depuis toujours convoitée par les grandes puissances impérialistes. Il n’est alors pas étonnant que la bourgeoisie française veille de très près sur ses intérêts.
La fin de la guerre froide marquée par la chute du mur de Berlin et par l’hégémonie américaine, a attisé les appétits de chacun et, modifié les alliances au gré des enjeux et intérêts.
Le Moyen Orient a vu deux guerres impérialistes menées par les USA et ses alliés contre l’Irak, pour le pétrole et ses voies d’acheminement. En Afrique, les rivalités entre grandes puissances alliées et amies dans l’affrontement d’hier contre l’impérialisme de L’URSS et du bloc de l’Est, s’exacerbent de plus en plus via des affrontements localisés. On assiste à l’éclatement de nombreux conflits locaux et guerres civiles à relents ethnico-religieux instrumentalisés. D’où ces chaos de feu et de sang de l’Afrique de l’Ouest jusqu’à la corne de l’Afrique à l’Est. Face aussi au désir de liberté et de démocratie des populations en mouvement, la bourgeoisie française, colosse aux pieds d’argile, menacée dans ses ex carrés coloniaux n’a plus les moyens politico-militaires de sa prétendue grandeur. Aussi dans ces contextes instables, la France à dû revoir ses positions et sa présence dans ses ex-colonies après les soubresauts de la Centrafrique et de la côte d’Ivoire. De par sa situation géographique, le Tchad est devenu un élément militaire important dans le dispositif impérialiste français.

L'Eufor en couverture.

C’est la première crise extérieure qu’affronte N. Sarkosy comme président. Sa conduite durant les soubresauts qui ont secoué le pouvoir à N’Djamena, avait été définie durant sa campagne électorale. Il reste dans le cadre d’un engagement français défini, et, aux côtés de la communauté internationale. « Je souhaite que l’armée française reste au service de la sécurité en Afrique mais sous mandat de l’ONU et de l’Union Africaine ». Par cette déclaration notre président entend toujours défendre les intérêts de la bourgeoisie française mis à mal dans ces régions par l’impérialisme américain et l’expansionnisme chinois. N’ayant plus les mêmes moyens pour continuer la politique de grandeur héritée de la « Françafrique », L’intérêt de la France ne coïncide pas avec celui d’autres capitales de l’U.E. et cette dernière, doit aujourd’hui composer avec d’autres intérêts européens. Couvert par les instances internationales, sauvegardant ses intérêts au Tchad et en république de Centrafrique, le président Sarkozy permet aussi à un impérialisme européen de se confirmer malgré ses difficultés internes. Notons que c’est la cinquième intervention menée par l’U.E. hors d’Europe. Le fort contingent français au sein de cette EuFor (autorisée à utiliser la force) ne leurre personne. Autant de réticences, et divergences qui complique son déploiement freiné par la tension diplomatique entre Paris et N’Djamena, autour de l’Arche de Zoé, puis par l’attaque intentionnelle des forces rebelles. Force européenne qui n’arrive que lentement et difficilement à se mettre en place sur le terrain. C’est aussi après une réconciliation avec « l’ami libyen » et la bienveillance du gouvernement US que Paris peut de nouveau agir dans son ex-colonie.
Il va de soi que le déploiement de cette force européenne composée de quatorze pays qui compte près de 4000 soldats avec 2100 soldats français n’à d’autres buts « officiellement » que de protéger et aider « humanitairement » les populations déplacées, réfugiées et réparties dans des camps au Tchad et en Centrafrique ou au Darfour même.

 Une opposition armée venue du Soudan.

Le sous-sol de ces régions est un immense lac de pétrole. Le développement de la Chine est lié à la garantie de son approvisionnement personnel en pétrole pour les années futures. 30% de son brut provient de l’Afrique où la diplomatie chinoise marque de plus en plus d’avancées au grand dam des européens et des américains irrités. Après de multiples contrats de fourniture d’or noir avec les pays producteurs de la région, la China National Petroleum Compagny est le plus grand investisseur au Soudan. Alors que de l’autre côté de la frontière, au Tchad c’est Exxon Mobil et Chevron : compagnies américaines, qui exploitent et transportent l’or noir depuis le bassin tchadien de Doba jusqu’au port de Kirby au Cameroun, après avoir supplanté les sociétés pétrolières françaises d’Elf et Total. Après le contrôle du pétrole au Moyen Orient, le pétrole africain est devenu un intérêt stratégique national pour les américains. Dans ce contexte de tensions, les champs pétrolifères du Tchad, Darfour et environs sont devenus un champ clos où s’affrontent impérialisme US, européen et expansionnisme chinois. L’incursion armée des rebelles venus du Soudan n’est donc qu’une bataille de plus dans la guerre que se livrent ces puissances et dont les populations locales payent le prix de leurs barbaries, très cher. Affrontements délégués aux potentats du Tchad et du Soudan (et même la Libye qui fournit tout le monde en armes), qui à leur tour sous-traitent par des clans armés interposés qui sévissent au gré des rapports de forces locales ou de la stratégie de leurs « parrains » commanditaires de Paris, Washington ou Pékin. Chacun arme ces alliés de substitution et lui offre abri et soutien sur son territoire. Mafieux locaux et petits caïds qui sèment la terreur et la désolation parmi les populations civiles massacrées ou contraintes à l’exil dans des camps de réfugiés de fortune et de misère.
Le Tchad est frontalier du Soudan et de la région du Darfour. Un Soudan islamiste, dénoncé par Washington car suspecté de connivence avec le terrorisme international islamiste. Un Soudan au sous sol prometteur en pétrole et autres sources d’énergie mais ouvert aux industriels et banquiers chinois qui ont les faveurs de Khartoum.
Alors que les forces d’I. Deby étaient parties de Libye pour chasser H. Habré, cette fois l’offensive des forces « rebelles » venait du Soudan. Offensive, qui inquiète le président libyen, autant que Paris ou Washington, qui craignent que le Tchad ne glisse vers des forces amies du régime islamiste soudanais ouvert à la « diplomatie » chinoise. On peut s’étonner de la lenteur des réactions de Paris laissant les forces rebelles entrer jusque dans les rues de N’Djamena, la capitale. On ne peut imaginer la France prise de court par cette offensive avec la logistique d’écoute et de surveillance déployée dans la région. Sarkozy a-t-il voulu forcer la main au président Tchadien pour une amnistie des membres de l’Arche de Zoé ? Les forces rebelles n’offraient-elles pas assez de garanties pour une allégeance future envers Paris après leur prise de pouvoir malgré le ralliement de proches d’I. Déby ? Le président français avait même proposé une évacuation à celui-ci dès le 2 février. En laissant les rebelles entrer dans N’Djamena, Paris et Washington ont rappelé à I. Déby (ou son successeur) que rien ne pouvait se faire sans leur consentement, qu’il était risqué pour cet « ami de la France » de vouloir se passer de ses « protecteurs de toujours ».
Un président tchadien qui, mécontent des insuffisantes royalties que lui versent les majors pétroliers américains devenait trop complaisant à l’égard de la diplomatie chinoise en œuvre au Soudan voisin.
Une chose est certaine, la France a encore une fois pris sa part dans la bataille, contrairement aux proclamations officielles. Certes, elle n’a pas fait directement usage de son aviation de combat pour stopper l’avancée de l’opposition armée, comme ce fut le cas en 2006, mais elle a fourni des munitions, toute sa logistique d’information et mis ses hélicos au service du transport des troupes du président Déby. Elle s’est malgré tout engagée directement pour garder le contrôle de l’aéroport de N’Djamena que les rebelles voulaient prendre d’assaut début février.
Heureux hasard de la politique internationale. C’est à ce moment là, que lors de sa réunion l’Union Africaine donne une légitimité et un mandat à la France. Elle soutient I. Déby et charge le colonel Kadhafi de « Médiation ». C’est aussi peu de jours après qu’à New york, le conseil de sécurité appelle « à soutenir par tous les moyens nécessaires le gouvernement légal du Tchad ». Via l’ONU, c’est le feu vert des Etats Unis qui est donné au président français pour réagir. C’est plus que suffisant pour que Paris menace alors les forces rebelles d’intervention directe.
Le 5 février, celles-ci se retirent de la capitale N’Djamena après de violents combats et de nombreuses pertes dans leurs rangs et victimes parmi la population. Population meurtrie, qui paie son lourd tribut en perte de vies humaines et lot de misère, sans compter les représailles et exactions commises après la victoire par la soldatesque du président vainqueur qui en a profité pour liquider ses opposants.

MZ. Caen le 15 03 08.

P.-S.

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