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Bogny sur Meuse

L’acide va-t-elle de nouveau couler dans les Ardennes ?

Lutte ouvrière chez Lenoir

jeudi 3 avril 2008, par Courant Alternatif

Les luttes faisant suite à la fermeture d’entreprises sont-elles un éternel recommencement dans les Ardennes ? On peut le croire avec la dernière en cours, celle des Lenoir et Mernier. Après un long conflit au début des années 1980, les sidérurgistes de Vireux avaient obtenu un plan social jamais égalé à ce jour, les 150 salariés de Cellatex Givet (là où l’acide a coulé) 12 MF en primes individuelles payés par Rhône-Poulenc, les Thomé-Génot une prime supra-légale de 45 000 € payée par le Conseil général, le Conseil régional et l’Etat.


En 2002, dans le cadre de la fusion avec Usinor et Aceralia qui donnera naissance au géant Arcelor, le sidérurgiste luxembourgeois Arbed se débarrasse de ses petites unités comme Lenoir-et-Mernier à Bogny-sur-Meuse. C’est le début de la funeste épopée de Philippe Jarlot, ex-commercial d’une des boulonneries qu’il finira par racheter. À chaque étape, c’est le même scénario : le patron n’a pas de capital mais il a constitué un holding avec deux partenaires, il verse des clopinettes dans le cadre des liquidations judiciaires, et il utilise les stocks de métal ou le parc de machines pour financer les « investissements » suivants. Il obtient Lenoir-et-Mernier pour 40 000 euros, Gérard-Bertrand pour 40 000 euros (après avoir mis la main sur les stocks et démoli les machines pour les vendre à la ferraille, il revendra les bâtiments vides pour 150 000 euros), Dauvin pour quelques milliers d’euros, Jayot pour 8 000 euros, FAV-LCAB pour 25 000 euros… Pour l’usine Jayot (un site périphérique de Thomé-Génot), « Ils ont touché des fonds publics et, pendant quelques mois, entre la reprise en décembre 2006 et le dépôt de bilan en mai 2007, on a écoulé les stocks. Ils n’ont rien investi, contrairement aux promesses. Au départ, Jarlot a touché 200 000 euros du conseil général et 100 000 de plus le 30 mars contre l’embauche d’une salariée supplémentaire ».

 Un « patron voyou » selon l'UIMM

Les 132 employés des sites de production du groupe Lenoir-et-Mernier-FAV-LCAB (une cinquantaine pour Lenoir et Mernier, environ 80 pour FAV-LCAB) vont se retrouver sur le carreau. En redressement judiciaire depuis mai 2007, un repreneur n’a pas réussi à boucler son budget. Selon l’avocat des employés, la liquidation va coûter 9 millions d’euros aux contribuables ardennais en indemnités de toute sorte : stages, reclassements ou pseudo-reclassements (rappelons par exemple que la fermeture de Cellatex a coûté plus de 25 MF à la Communauté de communes de la région de Chooz en 2 ans). Les ex-salariés demandent une indemnité supra-légale de 50 000 €, non pas payée par l’Etat et les collectivités territoriales comme pour Thomé Génot, mais par l’UIMM, le syndicat des patrons de la métallurgie. La préfète des Ardennes envoie au syndicat une demande de rencontre pour étudier cette proposition (proposition que rejette la branche ardennaise). La liquidation de Lenoir-et-Mernier se double d’accusations de malversations contre le PDG, Philippe Jarlot. Emplois fictifs accordés à des proches, vente à perte pour gonfler ses propres commissions de principal commercial de l’entreprise, sociétés rachetées à vil prix et dont le matériel aurait été revendu au noir (les rebuts et les déchets de métal étaient vendus au noir pour un montant mensuel de 10 000 à 15 000 euros à un ferrailleur du coin) : les salariés n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer leur employeur. Ils ont déposé plainte pour abus de biens sociaux, détournement d’actifs, présentation de faux bilan, vol et banqueroute. Et ce au moment où ils réclament que leurs indemnités de licenciement soit payées par les syndicats patronaux et non par l’Etat ou les collectivités, l’UIMM (gros morceau du MEDEF) indemnise son ex-dirigeant (Gautier-Sauvagnac) à hauteur de 1,5 M€ et refuse de participer à celles des salariés de Lenoir et Mernier - LCAB.

Des opérations coup de poing à la menace de faire couler l'acide

De nombreuses manifestations et opérations « coup de poing » ont eu lieu. Les deux projets de reprise de Lenoir-et-Mernier par Anco’s (Donchery) et de LCAB/Jayot par une S.A. coopérative sont acceptés puisqu’ils ne portent pas sur les mêmes secteurs du groupe Lenoir-et-Mernier. Ce qui signifie, dans le premier dossier, un retour à l’emploi pour 10 personnes immédiatement sur le site de Braux, avec un objectif de 20 à 25 salariés à terme. La validation du second dossier de reprise de ce que l’on appelle depuis le début le « projet de scop » autorise aussi l’embauche immédiate de 33 salariés répartis sur les sites Jayot de Gespunsart et la Forge LCAB de Château-Regnault. « Il y a eu des manifs, des barrages filtrants, des blocus à la gare. Et toujours rien. Ca fait cinq semaines que ça dure… Même l’euro symbolique, ils nous l’ont refusé. C’est incroyable ». « En dépit des projets de reprise, il reste une centaine de gars sur le carreau. Les pouvoirs publics nous parlent de CTP et de reconversion. Mais une indemnisation, une prime supra-légale, une avance sur des dommages et intérêts, personne ne veut en entendre parler. ». Ils réclament un médiateur. Les Lenoir-et-Mernier décident de se retrancher dans un des sites de la société. Pas n’importe lequel. A Levrézy, où l’on fabriquait des boulons et où l’on galvanisait des pièces, sont stockés des milliers de litres d’acide chlorhydrique. Une petite cuve est positionnée au-dessus d’une bouche d’égout. La menace est claire et doit être mise à exécution le 14 mars. Un nouveau palier a été franchi. Suite à l’intervention du sénateur bourgmestre de Dinant (Belgique), la mise à exécution est retardée. Le secrétaire général de la préfecture est nommé coordinateur sur le dossier Lenoir-et-Mernier par la ministre Christine Lagarde. 92 salariés sur 123 ont signé leur intégration au contrat de transition professionnel et vont bénéficier durant un an de près de 80 % de leur salaire brut avec des formations qualifiantes à la clé.

 Une fin de non recevoir de la part de l'Etat

La ministre de l’Économie, des Finances et de l’Emploi fait circuler un communiqué de presse qui semble marquer la « fin de la récréation » dans le dossier Lenoir-et-Mernier. Tout juste 48 heures après le deuxième tour des élections, Christine Lagarde indique en effet que « la priorité des pouvoirs publics est le retour à l’emploi des salariés licenciés ». Un retour qui passe par « les deux projets de reprise permettant de sauver une quarantaine d’emplois » et le contrat de transition professionnelle, « un dispositif qui n’existe que dans sept sites en France et qui a prouvé son efficacité ». Par contre, tout en prenant acte du fait que « les salariés réclament le versement d’une indemnité au titre du préjudice subi », la ministre précise qu’« il n’appartient ni à l’État, ni aux collectivités locales de verser une prime supra-légale à des salariés licenciés dans le cadre d’une liquidation judiciaire. Il ne sert donc à rien de nommer un médiateur pour négocier avec les pouvoirs publics l’octroi d’une telle prime ». « C’est la douche froide. Tout est une nouvelle fois remis en cause. Car, à la mairie de Bogny, on avait réamorcé un dialogue constructif avec le coordinateur. On nous a même avancé qu’une enveloppe supplémentaire, financée par l’Etat, la Région, le Département et l’UIMM, allait être dégagée dans la mise en place de mesures complémentaires au dispositif existant. Cet effort émanant de l’Etat, de la Région et du Département visait à apporter un complément aux mesures de reclassement et de formation. Il y avait bel et bien un engagement. Nos interlocuteurs voulaient améliorer les dispositifs existants, les représentants du personnel souhaitaient une indemnité fixe et uniforme pour chaque salarié. Qu’ils soient intégrés au Contrat de transition professionnel ou non ». Lors de la réunion du 25 mars où participaient la préfète des Ardennes, le président PS du conseil régional, celui UMP du conseil général, le député PS de la circonscription, le maire socialiste de Bogny, le directeur départemental du travail et un représentant de l’UIMM 08, les pouvoirs publics n’ont pas voulu aller au-delà du cadre légal du Contrat de Transition Professionnelle et du dispositif supplémentaire Mutarev (dont personne ne connaît le contenu) proposés antérieurement.

A force de se faire balader par le patronat et les pouvoirs publics, les Lenoir et Mernier mettront-ils à exécution leur menace ? Si l’on a peu vu les forces de l’ordre depuis le début du conflit, on peut penser que, les municipales et les cantonales passées, celles-ci réapparaissent massivement…

Camille, OCL Reims, le 26 mars 2006

 Dernière minute :

Le 25 mars vers 22 h, un groupe « incontrôlé » a mis le feu à la maison mère. Un quart de l’usine a brûlé. L¹atelier de contrôle est dévasté, le magasin de stockage des pièces est touché seul est sauvé le reste de l’outil de travail, repris par une nouvelle entreprise avec une dizaine de salariés. Le lendemain, sur le site de Levrézy où sont stockées les cuves d’acide, des bacs pleins de boulons sont renversés, les vitres des bureaux explosées, les armoires jetées au sol. « On préservait l’outil de travail. Mais à partir de maintenant, nous syndicalistes, on ne s’estime plus responsable de ce qui peut se passer ».

P.-S.

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