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Quelque chose de pourri au royaume de l’industrie Renault Cléon épinglé

mardi 18 mars 2008, par Courant Alternatif

Le 27 septembre 2007, l’inspection du travail de la Seine Maritime remettait à la direction de l’usine Renault de Cléon ainsi qu’à la presse un rapport de 12 pages explosif. Celui-ci concluant son enquête menée durant 5 mois sur les « possibles pressions ayant pour objet d’éviter que les salariés victimes d’accident du travail soient en situation d’arrêt de travail ». D’un point de vue purement industriel, l’usine de Cléon est peut-être une référence mais en matière de conditions de travail, il y aurait beaucoup à redire. La direction du personnel offusquée de ce nouveau coup de projecteur a eu beau arguer que la sécurité est « la priorité des priorités », il n’en reste pas moins que des pressions sont exercées sur les salarié(e)s victimes d’AT*. Les raisons de ces pressions sont multiples mais force est de constater qu’à Cléon comme au TCR* et tous les autres sites Renault les personnels sont, à tous les nivaux, acculés à une surcharge de travail inadmissible menant aux conséquences que l’on sait. Si le travail salarié reste pour nous une ineptie, le travail à la chaîne est une inhumanité. Au-delà des conditions de travail, c’est la société de consommation qu’il nous faut dénoncer. Rien ne devrait amener qui que ce soit à s’user la santé sur des lignes de production ni sur aucun autre outil de travail.


Celui par qui le malheur arrive…

De mai à septembre 2007 un inspecteur du travail de la Seine-Maritime a enquêté sur les déclarations d’accident du travail parvenues dans ses services entre janvier 2005 et le premier trimestre 2007. Une liste de 58 AT a été retenue. 38 des salariés concernés ont été auditionnés dans les locaux de l’entreprise et 3 par téléphone. Les 17 autres n’ont pu être rencontrés. « Il ressort de l’enquête qu’il existe au sein de [l’] établissement un système organisé de pressions visant à ce que les salariés, victimes d’accident du travail, auxquels un arrêt a été prescrit renoncent à prendre tout ou partie de l’arrêt de travail ».

Kezako Cléon ?

Cléon, ville riante située entre Rouen et Elbeuf est la ville qui abrite une des dernières usines Française de montage de moteurs et de boîtes de vitesses 100 % Renault. Environ 4 900 personnes s’y usent la santé pour le prestige de la marque au losange. Il est à signaler que les salarié(e)s de cette usine sont mieux loti(e)s que leurs voisin(e)s de la fonderie FAC (Fonderie Aluminium Cléon) qui à été externalisée et appartient maintenant à un fond de pension quelconque…Etonnant d’ailleurs que le groupe se soit séparé d’une usine où la dangerosité du travail est élevée.

« Prendre l’arrêt de travail ne serait pas bon pour ma carrière »

Revenons à nos moutons (noirs)… Le rapport signale que « Suite [aux] arrêts prescrits, 22 salariés soit 85 % se sont vu proposer, le jour même ou dans la semaine de leur accident, un poste aménagé* afin que l’AT n’occasionne pas d’arrêt malgré la prescription médicale ».
Quelques extraits d’auditions illustrent la situation observée :
« Les Feugrais* m’avaient prescrit un arrêt de 8 jours environ. En revenant à l’usine prendre mes affaires, mon CU* m’a dit que le CA* aimerait bien me rencontrer dans son bureau. Je suis allé voir le CA qui m’a dit que comme je n’étais pas estropié et que je pouvais marcher, il pouvait me proposer un poste aménagé. Il m’a demandé de déchirer mon AT car prendre l’arrêt de travail ne serait pas bon pour ma carrière. Il m’a précisé que les AT coûtent cher à l’entreprise, environ 600€ par jour. J’ai déchiré mon arrêt et le lendemain je suis allé voir le médecin du travail* pour un poste aménagé ».

« Les Feugrais m’ont prescrit 15 jours d’arrêt (21 points de suture). Dès le lendemain de l’accident, mon CU est venu me voir à mon domicile après m’avoir téléphoné. Il m’a dit que ce serait bien que je reprenne le travail sur un poste aménagé avec l’accord du CA. Il a précisé que je pourrais en profiter pour retrouver un poste de travail à la normale sans perte de salaire. Je lui ai dit que j’étais en AT, que je restais en AT et que je refusais cette logique de chantage. Le lendemain, un autre responsable m’a appelé sur mon téléphone portable dont je ne sais pas comment il a obtenu le numéro. J’ai cru comprendre qu’il cherchait à négocier une reprise anticipée contre un quelconque avantage dont je pourrais bénéficier. A mon retour d’arrêt, j’ai été convoqué par mon CA qui m’a menacé d’une sanction disciplinaire concernant l’utilisation de l’échelle de laquelle je suis tombé. Je pense qu’il y a un lien avec le refus de poste aménagé et je suis persuadé qu’il n’y aurait eu aucune menace si j’avais accepté ».

« Je me suis fait un claquage. […Aux Feugrais on m’a] délivré un arrêt d’une semaine avec obligation de repos pour éviter la déchirure. […]Le CA m’a dit que ça l’arrangerait de me trouver un poste aménagé pour éviter de suspendre l’indicateur des AT avec arrêt. J’ai donné mon AT au CA mais je suis venu à l’usine en poste aménagé pour effectuer diverses tâches administratives dans le bureau du CU. Ensuite j’ai eu un poste aménagé sans port de charges lourdes pendant 3 semaines ».

« Je me suis fait une déchirure musculaire au niveau du dos. […]Le lendemain mon médecin traitant m’a prescrit un AT que j’ai envoyé par la poste. Comme j’ai été prolongé, mon CU ou mon CA m’a appelé pour me dire que ce serait bien que je revienne pour ma carrière et mes blocs de compétences. Je suis donc venu travailler dans un bureau où pendant 2 semaines je n’avais rien à faire. J’avais déjà été victime d’un AT en 2004, à l’époque j’avais subi de grosses pressions et avais accepté de venir en taxi tous les jours pendant 4 heures pour rester assis sur une chaise ».

Pourquoi cette dépense d’énergie ?

En ce début de 21e siècle où la course au profit est omniprésente et la chasse aux dépenses superflues la règle, qu’est-ce qui peut bien pousser une entreprise comme Renault à payer des gens à rien faire (« Je suis venu 2 jours à l’usine, sur ma ligne mais sans travailler, j’ai juste regardé mes collègues »). A aller chercher les arrêté(e)s à grands frais de taxis pour les faire bosser au ralenti. Sans parler des allers et venues des cadres aux domiciles des insoumis(e)s… Aux taux horaires de ces personnages, cela doit commencer à chiffrer. Les raisons sont diverses :

  • La raison principale est bien sûr financière. Comme on l’a dit aux malheureux accidentés, les AT font perdre de l’argent à Renault. En effet, le taux de cotisation des entreprises pour les caisses des accidents du travail et maladies professionnelles est fixé chaque année par établissement. Il tient compte du risque engendré par l´activité, la métallurgie étant considérée comme secteur à risques. De plus il varie en fonction de l´effectif de l´entreprise : Au-delà de 200 personnes le taux de cotisation de l’entreprise est fonction des éléments statistiques en matière d’AT des trois dernières années connues propres à l’établissement. Traduction : métallurgie plus chiffre élevé des AT égal augmentation du taux de cotisation de l’entreprise.
  • Deuxième raison économique très simple : Lorsqu’un(e) salarié(e) est en arrêt pour AT, la charge financière est directement assumée par l’employeur. Si l’on arrive à transformer un arrêt pour AT en arrêt maladie, qui est-ce qui prend en chargepardi ! Merci qui pour le soi-disant « trou d’la sécu » ?
  • D’autre part Renault est confrontée à une cruelle dichotomie : Tout le monde est surchargé de boulot mais on n’embauche pas. Il faut voir à chaque changement d’équipe le ballet des CU cherchant désespérément à pourvoir tous les postes. Pour les lignes où l’on ne travaille pas en équipe, les heures sup sont couramment demandées, sans parler des incitations à travailler certains samedis pour rattraper les retards. On trouvera donc toujours un poste moins pénible pour l’accidenté et le jeu des chaises musicales peur commencer. Pour l’accidenté trop handicapé, on peut toujours lui faire faire des tâches de saisies ou de « fiches d’opérations sur ordinateur ». C’est toujours ça de pris et cela soulage les hauts coeffs*.
  • Et pour finir, avec les suicides à répétitions de ses salariés, Renault n’a pas besoin d’occuper le devant de la sellette avec des taux d’AT trop élevés. A une époque où la com’ est si importante ce genre de publicité doit être évitée.

Que dit M’sieur Renault de tout cela ?

La direction du personnel de Renault déplore être à nouveau dans l’œil du cyclone et hurle au complot. Dans le monde merveilleux du losange argenté, on crie à la persécution médiatique. L’argumentation principale de ces braves gens est basée sur un calcul un peu sordide : Le département de la Seine-Maritime compte 33 937 établissements et 366 834 salarié(e)s, 14 497 AT avec arrêt sont survenus. Ils représentent 697 988 jours d’arrêt de travail. 14 de ces AT ayant entraîné le décès du salarié (chiffres 2005 cités dans une note interne Renault). Toujours selon la prose Renault, l’indice de fréquence pour Cléon est de 0,99 soit 40 fois plus faible que la moyenne du département (39,5 AT avec arrêt pour 1 000 salarié(e)s). L’indice de gravité est de 198 jours d’arrêt pour Cléon soit 10 fois moins que la moyenne du département (1 903 jours d’arrêt pour 1 000 salarié(e)s).
Nous ne mettons pas en doute ces données mais avec des méthodes telles que celles citées dans le rapport de l’inspection du travail, les chiffres de Renault ne peuvent que s’améliorer. Maintenant quid des autres sociétés de la région ? Il serait intéressant de vérifier combien de ces entreprises sont sous-traitantes du groupe*. Pensez-vous que Renault n’exerce des pressions que sur ses salarié(e)s ? Travailler sans cesse dans l’urgence a forcément des conséquences et le tissu industriel de la Seine-Maritime doit bien être concerné. On ne peut certes pas nier que la sécurité est un axe majeur au sein du groupe et si, comme il nous a été affirmé, les normes de sécurité sont les mêmes au sein de toutes les usines à travers le monde, c’est tout à son honneur. Toutefois Quiconque questionne un(e) salarié(e) de Renault sur ses conditions de travail se verra répondre qu’il (elle) est sans cesse sous pression. Faites l’essai pour voir. Le système Renault est une recette éprouvée depuis des lustres. La direction ne propose pas de méthode pour arriver à ses fins mais impose des objectifs tels que l’encadrement « de terrain » ne peut qu’utiliser les intimidations et les menaces. Ces passages relevés dans le rapport de l’inspection du travail en sont une parfaite illustration : « Monsieur J-M D, responsable des conditions de travail pour l’ensemble de l’établissement [a confirmé à l’inspecteur du travail] que l’encadrement doit faire tout ce qui est possible pour une reprise anticipée. La demande de renoncer aux arrêts prescrits est une démarche proposée systématiquement à tous les salariés ». « Un CU répondant [aux questions de l’inspecteur du travail], a déclaré que : « Par tous les moyens, il fallait faire revenir les gens à l’usine afin qu’ils ne restent pas chez eux, si le salarié ne peut pas se déplacer on fait venir un taxi ».

Les Renault et les autres.

Jusqu’à preuve du contraire la société Renault, à l’image de l’état qui l’a longtemps « épaulée » possède une organisation verticale. Une fois de plus, je ne nie pas qu’en haut de l’échelle les pressions soient fortes, mais, comme c’est étrange, plus on descend dans la hiérarchie (et dans l’échelle des salaires) moins cette pression est supportable. Je rappelle que les suicides concernaient principalement des « petits cadres ». Les salarié(e)s Renault ne sont pas les seules victimes de ces pressions et l’on ne se suicide pas uniquement au TCR. Les prestataires subissent une pression accrue car inferieurs au bas de la chaîne. Il est hélas à déplorer également des suicides dans leurs rangs mais là on n’en parle plus… Ce sont des « extérieurs » donc cela ne rentre pas dans les chères statistiques de Renault. Et pour finir, les sous-traitants, les parias de l’industrie automobile à qui l’on impose de se fournir en LCC* ou de délocaliser. Quand toutes ces sociétés auront fermé et qu’il n’y aura plus de boulot, que deviendront vos statistiques sur les accidents du travail M’sieur Renault ?

Dans ce monde capitaliste, l’entreprise Renault n’est pas hélas une exception. Il est d’ailleurs indéniable que les salarié(e)s de cette multinationale ne sont pas les plus mal lotis. Toutes ces grandes entreprises sont entrées dans une logique de guerre. Guerre économique, guerre commerciale certes mais conflit tout de même. Avec son lot de victimes et de laissé(e)s pour comptes. Cet article parle des salarié(e)s du groupe mais il faut voir comment Renault traite ses sous-traitants et ses fournisseurs. Nous n’aurons de cesse de combattre ce modèle économique qui, pour augmenter les dividendes de quelques un(e)s, n’a de cesse de transformer les femmes et hommes en bête de travail. Le travail à la chaine est une aberration, son existence même est une insulte à l’humanité et le système qui a engendré cette cochonnerie ne mérite que de disparaitre. Quoi qu’il arrive, nous ne pouvons qu’être solidaire de ces salarié(e)s victimes ou non de pressions car ils et elles sont les objets d’un système mortifiant.

O Cangaceiro

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