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Edito 144 Décembre 2004

mercredi 1er décembre 2004, par Courant Alternatif


Alors que les licenciements vont bon train, que le chômage perdure, que ne cesse d’augmenter le nombre de personnes sans revenus et de travailleurs pauvres, l’éloge du travail se fait de plus en plus insistant. Cela va de pair : il faut que, à tout âge, chacun se sente culpabilisé de ne pas en faire assez. Et ce, dès l’école : une loi d’orientation va voir le jour pour une instruction minimale dont les enfants de la classe ouvrière seront les premiers à faire les frais ; une école qui s’apprête à continuer à rejeter des jeunes, mais avec bonne conscience, puisqu’elle aura cherché (réussi ?) à faire intégrer l’idée que l’échec est pure responsabilité individuelle. Les salariés aussi sont exhortés à mettre plus de cœur à l’ouvrage. Camdessus, directeur du Fonds monétaire international de 1987 à 2000, a mis son expérience au service du gouvernement : il propose 110 mesures, sous le titre « Travail, économie, société : préférer l’emploi à l’assistance », qui visent à « (re)mettre la France au travail ». Selon lui, « le problème majeur de notre pays est celui (…) du déficit de travail tout au long de la vie ». Il s’agit donc de travailler plus, plus longtemps et de (re)mettre au travail les chômeurs/ses, les jeunes et les « seniors », pour améliorer la compétitivité des entreprises. Tout cela est dans le droit fil du projet de « refondation sociale » du Medef et des contre-réformes déjà engagées (dont le Plan de « cohésion sociale » de Borloo), avec en ligne de mire les droits des chômeurs/ses, le contrat de travail, la réduction du temps de travail et le coût de celui-ci.

Les lois qui se succèdent sont toutes faites sur mesure pour un patronat qui mène son offensive de classe sans que les travailleurs parviennent à résister efficacement, et encore moins à faire surgir des formes autonomes de combat social. Ainsi, face aux licenciements, les luttes ont du mal à se coordonner et c’est en recourant à la justice que des salariés arrivent parfois à arracher quelques réparations partielles (article p. 9).

La récente loi visant les restructurations est un cadeau de plus pour les patrons, même si le Medef accuse le gouvernement de « reculade ». Certes, la « sauvegarde de la compétitivité », invoquée par les patrons pour justifier des licenciements, ne sera pas inscrite dans le Code du travail ; mais ils pourront continuer de se servir de cet argument, qui leur permet tout. Quoi, n’est-ce pas justement pour assurer la bonne santé de l’entreprise, c’est-à-dire de leurs profits, qu’ils jettent à la rue des ouvriers ? Parmi les gâteries que leur sert l’Etat : lors d’un plan de sauvegarde de l’emploi, l’ordre des licenciements pourra être établi en fonction de la « qualité professionnelle » des salariés. Voilà qui permettra, de manière vicieuse et sans doute efficace, de créer la division, de forcer au zèle et d’éjecter en priorité les moins « méritants » et les plus indociles. De plus, les patrons pourront soumettre les travailleurs à un chantage à une modification, défavorable, de leur contrat de travail ; s’ils se montrent récalcitrants pour changer de tâche et de statut, ils seront licenciés et exclus des dispositions du plan social. Le chantage à l’emploi risque d’avoir de beaux jours devant lui…

Toutes ces mesures se font au nom, bien sûr, de la sacro-sainte « croissance », artifice idéologique destiné à masquer les spoliations et destructions du système capitaliste. Pour autant, utiliser le concept de « décroissance », comme certains le font pour évoquer un mode de vie et de production alternatif, permet-il d’illustrer le projet de société que nous portons et voulons faire croître ? (article p.6)

La « décroissance », le capitalisme est en voie de la réussir dans le champ de la diversité culturelle, qu’il attaque, cherche à réduire, voire à liquider. La loi interdisant les signes religieux à l’école entretient et accentue le racisme et l’islamophobie d’une France habitée par une histoire coloniale encore vivace, fière de laminer toute spécificité au nom de ses principes républicains et d’une pseudo égalité, et persuadée de la supériorité culturelle de l’Occident blanc et chrétien (article p. 13). La proposition de lancer des CV anonymes pour que ceux-celles dont le nom, le domicile, la photo feraient peur aux employeurs puissent obtenir un simple entretien d’embauche, est elle aussi un projet innommable. Cette « idée » de CV décolorés montre que le racisme vient de haut et trouve à s’ancrer fortement : si tu n’es pas bien né, le monde de l’entreprise ne t’ouvrira ses portes qu’à la condition que tu sois sans nom, sans lieu, sans attache. Cette tentative de neutralisation totale d’une identité qui dérange au point qu’on veuille la gommer est dans le droit fil du « politiquement correct » (article p. 4), d’autant qu’elle masque que les patrons se satisfont très bien d’une discrimination qui favorise l’exploitation salariale.

La France n’en finit pas de reproduire le schéma impérialiste et néo-colonial, en « métropole », dans les départements et territoires d’Outre Mer (Tahiti, Guadeloupe –article p.19) et dans toutes ses anciennes colonies. En Côte d’Ivoire, l’armée française est sur place pour protéger « nos ressortissants », nous dit-on. Un classique. Il a fallu attendre trois semaines avant d’être informé que les militaires avaient tiré sur la foule des manifestants à Abidjan, début novembre, provoquant des dizaines de morts et des milliers de blessés. On nous dit rarement que tous les secteurs-clés de ce pays sont dominés par 240 filiales de sociétés françaises (Total, Bouygues, Bolloré, France Télécom, banques…), qui détiennent près d’un tiers du capital social des entreprises ivoiriennes ; que ces sociétés ont l’hégémonie pour la gestion de l’eau, de l’électricité, des transports maritimes et ferroviaires ; que plus de 500 PME-PMI sont à capitaux français. La véritable mission de l’armée coloniale, c’est de protéger les super-profits de ces sociétés…et de défendre la main mise des capitalistes français face aux multinationales US qui cherchent à les évincer et qui ont déjà fait main basse sur le cacao.

Les Etats se renforcent lorsque le repli et la peur dominent et ils ont tout intérêt à les entretenir pour plus de soumission et de résignation. La réélection de Bush est exemplaire de ce que les démocraties représentatives (modèles exportés dans le monde !) sont capables d’engendrer. Sa victoire électorale ne fera que consolider sa sanglante stratégie militaire impérialiste, en Irak et ailleurs. Les Palestiniens ont tout à redouter de l’axe Etats-Unis-Israël, plus renforcé que jamais. Dans ce numéro, l’article (p.21) qui analyse la situation en Palestine au cours des mois qui précèdent la mort d’Arafat permet de mieux comprendre la réalité des forces en présence ainsi que les causes du blocage, dues à l’Etat d’Israël.

En France également, les dirigeants ne se lassent pas du sécuritaire. Pas de meilleure recette pour reconquérir la bienveillance des électeurs que d’entretenir la peur (en vrac, l’immigration clandestine, les procédures du droit d’asile, le sort des « criminels qui restent dangereux même en fin de peine », et les « nouvelles menaces », terrorisme, cybercriminalité…). Chirac ressort les grands principes de la tolérance zéro : pas d’infraction sans sanction, en toutes circonstances. Il annonce une nouvelle gamme de sanctions applicables par les juges, la multiplication des placements sous bracelet, des peines immédiatement exécutoires par les récidivistes… « Il faut aller plus loin » vers plus de répression, est le leitmotiv des dirigeants et des puissants.

Au nom de la sécurité, encore, l’Etat s’arme, et la course aux armements nucléaires retrouve un nouveau souffle ; il y avait la guerre froide, il y a désormais la guerre contre le terrorisme. Trois milliards d’euros, soit 10% du budget de 2005 de la Défense, seront affectés à l’armement et à la simulation nucléaires ; au même moment, la France et les autres Etats nucléarisés, Etats-Unis en tête, cherchent à contrôler et à étouffer les ardeurs atomiques d’Etats désignés comme nouvel « axe du mal » (Iran, Corée du Nord). La guerre et le nucléaire militaire au service du capitalisme mondialisé…

Le nucléaire « civil » a provoqué la mort d’un jeune militant, Sébastien Briat (article p.11). Cette mort est un élément de plus dans la liste des méfaits, des souffrances et des destructions faites par le capitalisme. Il y a eu, certes, et malgré la désinformation et l’intoxication médiatiques, des initiatives, des rassemblements pour dénoncer le lobby nucléaire, Areva et l’Etat français ; mais ces mobilisations ont-elles été à la mesure de l’événement ?

Face aux agressions du capitalisme et des Etats qui le servent, il n’y a pas d’autre choix ni d’autre voie que de continuer à dévoiler la réalité insupportable de ce système, à intensifier nos capacités de résistance, et à retracer, dans l’offensive, les chemins de la lutte collective.

Pays Basque, 27 novembre 2004

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