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Manifeste Mineurs en danger

lundi 4 février 2008, par Courant Alternatif

En novembre 2007, le groupe départemental 44 de « l’Emancipation » organisait une réunion sur le thème « développement des logiques répressives dans les métiers de l’éducation » à Nantes, qui décidait d’un manifeste s’opposant au travail dans les Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM), celui d’Orvault (44) devant accueillir le 5 février 2008 ses premiers détenus.
Avec ce manifeste, il s’agit d’opposer un refus de contribuer à la répression et l’enfermement des mineurs, dans la continuité du travail déjà mené par les différents collectifs qui se sont opposés à la construction des EPM.
Il s’agit aussi d’informer sur le « tout enfermement » comme réponse à la délinquance des mineurs, avec les Centres éducatifs renforcés, les Centres éducatifs fermés, les EPM… Et qui va se renforçant avec le texte de loi sur l’enfermement systématique des mineurs délinquants récidivistes, stigmatisant la jeunesse telle une nouvelle « classe dangereuse » qu’il convient de mâter à défaut d’apprivoiser les « sauvageons ».
Il s’agit enfin de créer un débat, sur la nature même du travail éducatif, dès lors que chacunE dans son métier, est contraint à délaisser toujours plus l’éducation et la prévention au profit d’une répression aussi démagogique que destructrice. Aussi nous le publions aujourd’hui.


La place des enfants n’est pas en prison
Nous ne travaillerons pas en E.P.M. !

La lutte contre la construction de 7 établissements pénitentiaires pour mineurs n’a pas, à ce jour, permis d’annuler ce programme d’enfermement des enfants délinquants et de criminalisation croissante de la jeunesse.
Ici à Nantes, l’ouverture de l’E.P.M. d’Orvault s’accompagne d’appels à candidature pour que des personnels éducatifs (enseignants, éducateurs, travailleurs sociaux, soignants…) aillent travailler dans ces « nouvelles » prisons pour enfants. Nous n’irons pas, et nous appelons toutes les personnes concernées à refuser de travailler en E.P.M., ici comme ailleurs, car nous refusons de contribuer à l’illusion démagogique qui consiste à faire croire qu’une action éducative est possible en prison.

NOUS COMBATTONS

La logique de l’enfermement

Jusqu’en 1945, les mineurs délinquants étaient enfermés dans des bagnes pour enfants, colonies pénitentiaires, maisons de correction… Dans les années 70, les derniers centres fermés furent supprimés en raison de leur fonctionnement archaïque, violent et inadapté à un objectif éducatif.
Depuis quelques années, la tentation d’un retour en arrière dans le traitement de la délinquance des mineurs est bien réelle : création de Centres d’éducation renforcée, Centres éducatifs fermés, et aujourd’hui des Établissements pénitentiaires pour mineurs, qui ne sont que l’aboutissement d’une politique fondée sur l’exclusion et la répression.
Nous pensons que la création des prisons aura une incidence sur le traitement judiciaire de la délinquance des mineurs, et le projet actuel d’abaissement de la majorité pénale de 18 à 16 ans confirme nos craintes : toujours plus d’enfermement pour créer l’illusion d’une paix sociale.
Nous savons qu’avec l’enfermement, il y a toujours des risques de dérive vers l’usage de la force physique ou de la maltraitance psychologique : c’est un phénomène bien connu, aussi vieux que l’enfermement lui-même. La vie ne s’apprend pas en prison, on n’y apprend que la haine de soi et de l’autre !


Une logique répressive et non pas éducative

Traiter la délinquance par les poursuites systématiques, l’incarcération ou la mise à l’écart dans des structures spécialisées témoigne d’une réponse à court terme. Les causes sociales, économiques de ces passages à l’acte sont éludées. Le jeune délinquant n’est plus un mineur en danger, mais un individu dangereux à enfermer !
Or, les adolescents ne sont pas des adultes ! Chaque année, 15 000 jeunes âgés de 16 et 17 ans sont interpellés plusieurs fois dans l’année. Ce sont pour beaucoup, des adolescents déscolarisés depuis l’âge de 14 ans, sans travail ni qualification, qui n’accèdent pas à un premier emploi. Se percevant comme inutiles, humiliés par les échecs répétés, ils « traînent », provoquent, commettent ensemble la plupart de leurs infractions. 3350 d’entre eux ont été incarcérés en 2006. Cependant 70% récidiveront malgré ce séjour en prison, alors que, par ailleurs, les centres éducatifs ouverts permettent une réinsertion pour plus de 60% des jeunes qui leur sont confiés ! Qui nous fera croire aux bienfaits des prisons pour enfants ?


NOUS DEFENDONS

Une véritable prévention

Le mineur délinquant est d’abord un enfant en souffrance, et il convient de traiter les causes de cette souffrance plutôt que ses effets. Cette évidence connue des professionnels, doit orienter une véritable politique de prévention, d’aide et d’accompagnement, qui inclurait la justice saisie en amont, au civil et non au pénal, et une action éducative et non répressive. La société ne passerait alors plus autant de temps à tenter de rattraper les dommages causés à des mineurs dès leur plus jeune âge, dans l’indifférence ou l’incompétence non moins coupable de responsables politiques qui ne voient guère plus loin que la date des prochaines élections.

Une prise en compte de la réalité de l’adolescence

D’autres sanctions existent, qui réparent sans exclure, et permettent un nouveau départ pour des jeunes en danger que l’école, la famille, la pauvreté, la justice, ou la politique répressive ont conduit au ban de la société.
Nous devons ainsi nous engager dans la réussite de programmes ou projets éducatifs, de lieux de vie, d’internats qui structurent et aident ces adolescents, de dispositifs relais, de centres de jour, de maisons des adolescents, qui les fassent accéder à la culture, à l’éducation et à la formation.
L’efficacité des alternatives à l’enfermement des enfants est probante. Elle serait encore plus forte si elles étaient appuyées par des moyens conformes aux enjeux.


Le droit à l’insoumission éducative

Refuser de travailler en EPM n’est pas délaisser les mineurs délinquants, ou refuser le travail avec des jeunes incarcérés. En refusant d’exercer dans les prisons pour mineurs, il s’agit pour nous de bloquer ce système carcéral pour enfants, en contraignant justice et administration pénitentiaire à faire sortir ces jeunes des EPM comme des quartiers pour mineurs, pour leur permettre de suivre des cours, des formations, des entretiens, des soins et ne pas les isoler, toujours plus, de la vie en société.
Nous serons solidaires de toute personne inquiétée pour son refus de travailler en EPM.


Les droits de l’enfant

La Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par l’Etat français en 1990 stipule que « Les États parties reconnaissent à tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d’infraction à la loi pénale le droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, qui renforce son respect pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales d’autrui, et qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci (article 40) ».
Or la dignité et le sens de la liberté ne s’acquièrent pas dans la soumission, ni le respect de l’autre par le déni de soi, et la réintégration ne se prépare pas en prison. Les EPM sont criminogènes. Nous n’irons pas y travailler !

A Nantes le 1er décembre 2007

Contacts et signatures : emancipationgd44@no-log.org
Groupe départemental de l’Emancipation c/o FSU
8 place de la Gare de l’Etat
44276 Nantes cedex 2
signature en ligne
http://pays-de-la-loire.emancipation.fr

P.-S.

Quelques éléments de discussion

Ce n’est pas tous les jours que des salariés refusent de faire un travail qu’ils jugent incompatible avec leurs convictions et réclament un « droit à l’insoumission ». Autrement dit qu’ils posent la question de l’utilité sociale de cette activité. Ce faisant ils ouvrent grande la porte au débat et c’est sans doute là un de leurs objectifs. Alors posons-nous quelques questions.
« Un mineur délinquant est d’abord un enfant en souffrance » est-il écrit. Je pense que cela n’est nullement automatique étant donné que l’acte de délinquance est délimité et caractérisé par le pouvoir et non par une société démocratique (comme la finalité du travail qu’on vous demande d’ailleurs, et que vous refusez). Ce même pouvoir qui caractérise comme délinquant nombre d’actes que nous commettons nous-mêmes dès lors que nous sommes opposés à l’organisation de cette société. Je note en outre que le terme de « en souffrance » est un terme relativement récent, introduit par les nouvelles générations de « psy » et qui fait maintenant partie de la panoplie sémantique du « politiquement correct » de ce secteur.
« Les adolescents ne sont pas adultes ». Le problème c’est que la délimitation et la définition de l’adolescence n’en finissent pas de varier selon les écoles et les périodes. Vous précisez « le mineur est d’abord un enfant ». Ce qui veut dire que l’enfance est un état social lui aussi délimité par le pouvoir puisque c’est ce dernier qui définit la « majorité ». Il me semble que tout cela risque fort de renforcer la notion d’irresponsabilité du jeune alors qu’au contraire, me semble-t-il, c’est d’être davantage considéré comme responsable qui fait défaut.
Vous dites que la preuve de ce que vous avancez c’est que ce sont des « évidences connues des professionnels ». Raison de plus à mes yeux pour s’en méfier ! D’abord parce qu’il faut toujours se méfier des professionnels (c’est un principe de base), ensuite parce que dans ce secteur en particulier, les professionnels ont toujours été largement divisés, non pas seulement en fonction de l’observation « scientifique » du « terrain », mais en fonction de leurs choix idéologiques. Et la profession a connu largement plus d’ « enfermeur » et de « totalitaires » que de « libertaires ».
Enfin, une question. Existe-t-il des sanctions qui réparent ? Lesquelles et qui réparent quoi ?
Poser toutes ces questions implique, me semble-t-il, un soutien à celles et ceux qui refusent de travailler en EPM. Le meilleur soutien est celui qui s’engouffre dans la critique.
JPD

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1 Message

  • 1 suicide 2 évasion : bilan des EPM

    6 février 2008 18:30, par GD 44

    EPM d’ORVAULT :
    Communiqué de presse n° 2

    Les EPM sont dangereux, les EPM doivent fermer.

    Alors que les premiers jeunes arrivent ce mardi 5 février dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs d’Orvault (44) nous apprenons le suicide d’un jeune de 16 ans par pendaison à l’EPM de Meyzieu le samedi 2 février, et l’évasion de deux autres adolescents de l’EPM de Marseille le lundi 4 février.
    Suicide et évasions viennent confirmer que les EPM sont bien des prisons, quel que soit le vernis éducatif dont on veut les parer.
    Cette sordide actualité montre bien l’impasse dans laquelle on confine la jeunesse en rupture avec ces nouvelles prisons pour enfants. Elle vient confirmer le bien fondé de notre refus de participer à cette politique d’enfermement de la jeunesse, qui ne peut déboucher que sur la mort, physique ou sociale.
    « La place des enfants n’est pas en prison, nous ne travaillerons pas en EPM ! »

    La collecte des signatures se poursuit, en attendant d’autres actions.

    Contacts et signatures : emancipationgd44@no-log.org
    Groupe départemental de l’Emancipation c/o FSU
    8 place de la Gare de l’Etat
    44276 Nantes cedex 2
    Signature en ligne http://pays-de-la-loire.emancipation.fr

    Le Groupe départemental 44
    de l’Emancipation syndicale et pédagogique.

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