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Edito 177 Février 2008

lundi 4 février 2008, par Courant Alternatif


Sous l’Ancien Régime, la lettre de cachet permettait au roi de maintenir emprisonnée indéfiniment toute personne gênant le pouvoir royal. Le mois dernier, députés et sénateurs de notre belle république ont voté une loi dite de rétention de sûreté : elle permettra de maintenir en détention une fois la peine accomplie tout détenu présentant une présomption de dangerosité ! Le bon vouloir royal est réactualisé par la science de l’expertise psychiatrique. Inquiétant...
Les candides rétorqueront que cette présomption de dangerosité concerne uniquement les pédophiles, auteurs des crimes les plus réprouvés par la morale officielle, et non l’écrasante majorité des honnêtes gens. Une mesure récente était aussi réservée à l’origine aux pédophiles, le fichage ADN des empreintes génétiques. Elle s’est rapidement appliquée à d’autres crimes, puis délits et simples larcins ou situations administratives irrégulières. Aujourd’hui le fichage ADN tend à s’exercer sur l’ensemble de la population, coupables ou non, victimes ou témoins, jeunes ou vieux, pêle-mêle...
Le pouvoir politique se donne ainsi le moyen légal d’effacer à grande échelle toute opposition irréductible à son règne. Bien sûr, les services de l’Etat bafouaient déjà épisodiquement les lois. Mais aujourd’hui grâce notamment à la législation anti-terroriste, à cette rétention de sûreté déjà testée sur les étrangers (article sur la rétention administrative p. 15), ou encore à l’enfermement des mineurs (texte sur les E.PM. p. 13), l’Etat français se place sur un terrain balisé par les hôpitaux psychiatriques biélorusses et les geôles étatsuniennes de Guantanamo.
Cette législation répressive française arrive justement quand l’harmonie du capitalisme mondial risque de connaître un sérieux coup de torchon. Si l’on tient rigueur à un chômeur pour quelques indemnités trop perçues, ou un locataire pour des retards de loyers, les banquiers eux présentent leurs excuses pour des milliards envolés, comme le directeur de la Société Générale le 23 janvier. La crise financière, qui n’en finit pas d’enfler avec la déconfiture des crédits immobiliers hypothécaires US entamée dés 2005, semble maintenant tellement incontournable qu’elle pourrait remettre en cause le modèle de consommation des pays occidentaux et notamment nord-américain, bâti sur les crédits à la consommation (lire l’article sur le pouvoir d’achat p.12). Les banques centrales injectent 400 milliards de dollars en août dernier, Bush remet fin janvier 140 milliards pour soutenir la consommation des Américains les plus riches, mais le capitalisme financier mondial émet toujours de sinistres craquements, car aucun rentier ne veut renoncer à sucer les marges bénéficiaires maximales !
Les classes sociales les plus pauvres vont être les premières frappées par le ralentissement économique induit par baisse du crédit et de l’activité industrielle. Or, dans l’Hexagone ces populations sont déjà la cible des mesures prises par le gouvernement français au nom du réalisme économique. Retraites, soins médicaux, logement, études, précarité du contrat de travail, impôts indirects renforcées (franchise médicale, ou TVA et CSG dans le rapport Attali). Il est difficile de trouver un aspect du quotidien des classes populaires qui ne passe pas à l’écrémage financier du gouvernement Fillon.
Pour résister à pareille menace, les derniers mouvements sociaux semblent un peu faibles. Depuis cet automne 2007, les cortèges syndicaux font encore plus pour ne pas se rencontrer, comme dans un ballet bien réglé : "Après vous !", "Je vous en prie", "Passez donc les premiers !", "Trop aimables"... En ce début d’année électriciens, fonctionnaires ou pêcheurs manifestent encore une fois séparément. Avec le 24 janvier, troisième journée d’action intersyndicale depuis septembre, les confédérations syndicales qui ont négocié avec le MEDEF les futures conditions de travail et la flexsécurité à la française (instaurant de fait un Contrat première embauche élargi à toutes les tranches d’âges !) sont arrivées à démontrer une chose : elles veulent d’abord s’intégrer dans le futur plan de financement des syndicats, prôné par le pouvoir, au lieu de s’intéresser aux revenus des salariés (voir l’article sur le financement des syndicats p. 4). Plus que jamais, des structures de lutte inter-corporatistes ouvertes à tous les salariés, scolarisés et précaires sont à (ré-)inventer pour élaborer collectivement des perspectives politiques et sociales qui échappent aux bureaucrates syndicaux et autres professionnels du renoncement. Le poids de la nécessité fait que certains y travaillent localement (voir l’interview de l’USM-CGT de St-Nazaire p. 7).
Les plus optimistes retiendront que la grève du 24 a rempli un rôle de grève par procuration, puisque près de 57% de la population approuvaient ses objectifs centrés sur les salaires. Mais avec pareille conscientisation, nous restons loin du nouveau Mai 68 que d’aucuns appellent de leurs vœux, et ne font que commémorer en attendant. (voir p. 24).
Toute cette chape de plomb donnerait raison à la LCR de choisir ce moment pour lancer son initiative de Nouveau Parti Anti Capitaliste, voulant regrouper radicaux, antilibéraux, révolutionnaires et autres déçus de la gauche (lire l’article p. 17). Le PC tétanisé par sa descente aux enfers électoraux de 2007, le PS empêtré dans ses guerres intestines et son social libéralisme, sont autant d’éléments qui font que la LCR trouvera peut-être un espace politique à investir. Il semble déjà qu’avec le facteur de Neuilly, même les médias ne soient pas mécontents de retrouver enfin quelque chose qui ressemble à une opposition un peu vivace, ce qui n’est pas la moindre des chausse-trappes ! Nous verrons sur le terrain des luttes si ce NPAC vérifie son anti-capitalisme revendiqué, ou s’il finira satellisé dans l’orbite électorale de la galaxie politicienne.

OCL
Nantes & Saint-Nazaire,
le 28/01/08

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