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Cages partout !

mercredi 16 janvier 2008, par Courant Alternatif

Le rôle de l’habitat dans l’intégration sociale de la classe ouvrière débouche sur des problématiques de pouvoir économique bien plus que sur des questions qui aborderaient les conceptions urbaines partant du vécu des habitant-e-s…


Bien que le terme de classe ouvrière décrié aujourd’hui ne signifie plus grand-chose aux yeux du grand capitalisme mondial et de ses média, son empreinte indélébile à profondément modifié l’aspect structurel des cités urbaines.
Le projet de Pinçon à Nantes par exemple où il existe une société anonyme d’HLM est à ce sujet significatif car elle prouve le caractère utopien de telles réalisations. En effet, la société en question entreprend dans les années 70 la construction d’un bâtiment de plus de 2000 logements disposés sous la forme d’un “ avion ”. Au centre, une énorme tour de 15 étages. Le nombre d’étages des ailes adjacentes diminue progressivement pour ne plus atteindre que 4 ou 5 niveaux. Le but était de mêler les populations, mais les faits ont eu tort de ce projet puisqu’il s’avéra que la population “ chique ” constituée de cadres hospitaliers s’appropriait les logements des extrémités. Tandis que, dans la tour centrale le pourcentage d’ouvriers augmentait avec en plus des effets intermédiaires entre les différents étages visant au regroupement par nationalité. Ces espaces intermédiaires (cages d’escaliers, locaux de sous-sol) sont investis par la classe ouvrière et au bout du compte la population logée au bout des ailes vit son attitude individualiste croître avec l’augmentation d’un sentiment d’insécurité qu’engendre une dépossession des lieux. La ségrégation de l’espace renvoyait à des modes de vie différents. Même si le projet n’avait rien de ségrégatif au départ, une ségrégation de fait s’est établie pour constituer une nouvelle redistribution spatiale des modes de vie.
Une seconde raison, qui n’est pas des moindre, motive ces tentatives d’intégration de la classe ouvrière en essayant de la mélanger - “ habitativement ” - aux autres catégories sociales. Pour preuve, la dissolution d’une classe sociale réputée pour poser de nombreux problèmes se réalise ou tente de se réaliser aux travers de projets similaires à celui de Nantes et ceci dans l’objectif de prévenir d’éventuels déferlements révolutionnaires. Toutefois il faut souligner que cette intégration rencontre une certaine résistance qui réfute la théorie qui pensait amalgamer des milieux sociaux antagoniques mais qui se traduit par l’émergence de certains heurts pouvant atteindre des degrés de violence assez élevés. La capacité de regroupement restant sa seule arme, ce fondement a entraîné l’espacement des colonies ouvrières en zones périphériques ce qui inclut des loyers devenus exorbitants dans les centres utilisés au bénéfice du tertiaire (banques-bureaux administratifs…) l’expulsion des ouvriers vers les faubourgs où la valeur du sol est restée moindre. C’est pourquoi on trouve sur le territoire une multitude de zones banlieusardes du type de celle qu’on rencontre en prenant la bretelle autoroutière de Bagnolet, à hauteur de Romainville et qui s’étend jusqu’aux confins de la plaine de France. Encore abasourdi par l’amoncellement des verticalités démesurées de la Porte et le regard canalisé par les murs “ antibruit ” arrêtez-vous, contemplez et réfléchissez à ce que des hommes et des femmes ont fait à d’autres personnes : un semis à la volée de tours stupides, d’incohérentes répétitivités hachent l’horizon de Rosny à Bondy. Plus besoin d’enfer pour effrayer les petits enfants indisciplinés de la province car si vous les y menez et que vous menacez de les y enfermer ils seront sages leur vie entière ! Mais ceux d’ici sont contraints d’y vivre dans d’énormes boîtes qui enferment le client piégé ou le salarié enchaîné. Nappes bitumées et pylônes EDF constituent un bien triste paysage.
Ces cités de type “ quatre mille ” ou “ trois mille ” si foisonnantes durant les années 60 ont été édifiées à l’origine par le mépris des membres cultivés de la bourgeoisie vis-à-vis de la classe prolétarienne. Au sujet des locataires, il s’agit d’une main-d’œuvre payée au SMIC, entassée dans des logements SMIC, mise bout à bout dans une organisation SMIC pour qu’elle aille produire de la plus-value dans les zones industrielles. Leurs logements conçus idéalement sont absolument identiques pour se dissoudre dans une égalité parfaite des formes pour marquer un ordre social de théorie. La juxtaposition de ces logements dépouillés d’esthétisme et de sophistication permettait d’en confier la construction à des gens “ simples ”, à la formation peu coûteuse pour permettre d’économiser la réflexion du concepteur qui peut ainsi disposer d’un temps précieux pour investir dans d’autres domaines de la “ création artistique ” (“ yachting, bouffing, baising… ”).

Plus précisément dans le domaine architectural

L’habitat ouvrier révèle donc de nombreux conflits sécrétés par une hiérarchie et une répression qui s’inscrivent physiquement dans la ville sous la forme de géométries simplistes et rectilignes. Il est intéressant de resituer cette tendance dans l’état d’esprit architectural en décelant quelques uns de ses promoteurs.
Au début du XXème siècle en Europe apparaissent des architectes décidés à s’identifier au siècle technologique. Le “ Werkbund ” en Allemagne avec Gropius et le Bauhaus utilisent et maîtrisent de nouveaux matériaux comme le béton, le verre ou l’acier. La nouvelle mise en évidence de la structure du bâtiment passe par la réfutation des décors factices. Les formes nettes, sobres et dépouillées et les géométries simples sont prônées par les nouvelles écoles d’architectures. Le Bauhaus utilise la standardisation pour diffuser de modèles parfaits d’art “ pauvre ”. Son modèle d’urbanisme s’est imposé à l’architecture mondiale. Il a servi de base physique à la généralisation d’un mode de vie unique : celui de la société de “ consommation ”. Guilio Carlo Argan prétend, dans Walter Gropius et le Bauhaus que “ l’architecture internationale ne sera pas seulement un nivellement de techniques et de formes, mais en même temps l’instrument et l’image d’une nouvelle organisation sociale ”.
En France, Le Corbusier diffuse dans sa Charte d’Athènes les idées qui sont prévalues à l’édification de ces banlieues de l’urbanisation d’après-guerre dont on a tant parlé. Bien que le modèle corbuséen ait été dépouillé de tous ses suppléments esthétiques, il n’en reste pas moins que les ZUP (Zones à Urbaniser en Priorité) sont l’exacte application du zonage, de la séparation des fonctions habiter-travailler-circuler, de se divertir, de la ségrégation des villes, de la standardisation des formes du logement, de la barre, de la tour, du quartier, du culte de la ligne droite et de l’angle droit. La simplification qui en a été faite provient peut-être du résumé qu’en fit le ministère de la reconstruction de Raoul Dautry en 1948 et qui fut distribué à tous ses fonctionnaires chargés de la reconstruction. La “ Cité Radieuse ” apporte un nouveau vocabulaire à l’architecture : le plan libre, les fenêtres en largeur, les transparences de rez-de-chaussée et les toits terrasses en constituent la trame principale.
En opposition à ces constructions massives de grands ensembles destinés à loger le maximum de gens (appartenant plus spécifiquement à la classe ouvrière), il subsiste néanmoins encore certaines cités jardins (pour ouvrier-e-s) chères aux thèmes hygiénistes d’espace, de verdure et de confort. Les hauteurs modérées et une alternance entre le collectif et le pavillonnaire témoignent d’un habitat social qui vit sans trop de “ béquilles ” sociologiques et ceci en diversifiant les formes et en modérant l’hyper entassement à l’inverse des cités HLM. On en trouve certains restes à Mulhouse par exemple pour lesquels Stephan Jonas défend dans la Revue de sociologie de la France de l’Est la sauvegarde et la diffusion. Mais le droit à la verdure ne semble pas s’octroyer l’apanage unique de la population ouvrière. Pour ce qui est de certaines grandes villes ce serait un “ luxe ” qui s’opposerait au concept de rentabilité. Mulhouse pourrait bien être un exemple… A Strasbourg également subsistent encore quelques logements identiques à ceux des HLM en barre. Ils sont situés dans d’anciennes maisons de deux ou trois étages le long du canal à hauteur de la rue de Palerme et de la rue de Grenoble ou au fond du Neuhof. Il est à souhaiter qu’elles ne seront pas frappées du joug de l’expropriation…

Pour ne pas conclure

Si le problème n’est pas résolu et par là les tentatives d’intégration sociale de la classe ouvrière au travers de ses “ habités ”, il ne reste pas moins que l’exposé nous aura permis de mieux cerner certaines stratégies ségrégatives de l’urbanisme. Alors est-ce que l’on doit parler d’intégration sociale quand on parle d’individus qui se ou qui sont regroupés sur des surfaces limitées ?
Pour que nous puissions réellement parler de cette intégration sociale, il faudrait que la population concernée participe pleinement à son vécu et ceci n’est possible qu’à la condition et à la possibilité de vivre une existence désaliénée. Alain Touraine dans la Société post-industrielle est frappé de la faible importance de loisirs dans les préoccupations des ouvriers. Le travail et la vie familiale occupent pratiquement toute leur vie. Il remarque en outre également que ceux-ci sont nettement moins intéressés par des groupements associatifs autre que les syndicats. Cela n’est pas sans soulever le problème de la récupération de la force de travail qui incarnerait la seule possibilité d’intégration sociale participante si elle était annihilée grâce à des tâches moins astreignantes. Ce n’est pas en “ parquant ” une classe sociale dans des ghettos ou en la laissant s’y parquer d’elle-même qu’on pourra parler de véritable intégration sociale. Par les aspects négatifs et positifs de l’habitat ouvrier, nous avons vu que son rôle n’est pas des moindres surtout lorsqu’il témoigne culturellement d’un appauvrissement certain qui pourrait avoir de sérieuses répercutions.
Il faudra désormais compter sur le jeu d’une véritable conception artistique en matière de logement si on accepte de tendre à une meilleure intégrité de la personnalité humaine.
Peut-être faut-il alors envisager détruire et ne pas reconstruire ?

Cavaillès, Strasbourg,
le 27 décembre 2007

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