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Une critique/réflexion publiée sur zones subversives à propos de

10 questions à propos de l’anarchisme

de Guillaume Davranche (Libertalia)

dimanche 23 février 2020, par admi2


Actualité de l’anarchisme
publié le 13 février dans zone subversive http://www.zones-subversives.com/

L’anarchisme reste un courant encore méconnu et caricaturé. Pourtant, durant les moments de lutte sociale, des pratiques libertaires surgissent. Loin de se réduire à un simple refus, l’anarchisme porte un véritable projet de société.

Le courant anarchiste reste encore mal connu. L’image médiatique du Black bloc contribue à sa popularité dans les mouvements sociaux actuels. Mais l’anarchisme propose surtout une critique précise du capitalisme et de l’Etat pour développer un projet de société alternatif. Il semble également important d’actualiser la pensée anarchiste pour prendre en compte les nouveaux enjeux.

Guillaume Davranche, fin connaisseur du mouvement ouvrier et anarchiste, propose un petit livre de présentation. Militant de l’Union communiste libertaire (UCL), il tente une synthèse ouverte et non partisane. L’anarchisme comprend différents courants et reste traversé par de nombreux débats. Guillaume Davranche s’attache à présenter ses fondamentaux idéologiques dans ses Dix questions sur l’anarchisme.

Doctrine anarchiste

L’anarchisme se structure entre 1876 et 1880. Il est considéré comme un courant du mouvement ouvrier. La Première Internationale est créée en 1865. Avec Karl Marx et Michel Bakounine, elle propose la propriété collective des moyens de production. L’anarchiste Bakounine s’appuie sur l’action clandestine et l’insurrection. Mais il défend progressivement la construction de vastes organisations de lutte ouvrière.

Les bakouninistes s’opposent aux marxistes. Ils critiquent l’Etat et les élections. Une scission éclate en 1872. La Fédération jurassienne puis Pierre Kropotkine précisent la théorie anarchiste. Le collectivisme, puis le communisme, s’oppose à la propriété privée. La fédération des groupes de producteurs remplace le gouvernement.

Après l’échec des émeutes et des attentats, les anarchistes français se tournent vers le syndicalisme révolutionnaire. Le renversement de la société passe désormais par la grève générale. Les anarchistes dominent la CGT de 1901 à 1913.

L’anarchisme s’oppose au capitalisme. Il propose une socialisation de l’économie. Les infrastructures de production et d’échange sont contrôlées par l’ensemble de la société. L’autogestion propose une autre organisation du travail. La spécialisation et la hiérarchie entre travailleurs intellectuels et manuels est abolie. Les choix d’organisation de la société sont débattus de manière démocratique. Le communisme libertaire remplace le collectivisme. Ce n’est plus la quantification du travail mais la satisfaction des besoins qui prédomine. Mais aujourd’hui, les enjeux écologistes imposent une régulation des besoins.

Les anarchistes proposent la destruction de l’Etat remplacé par un autogouvernement fédéral. L’organisation s’appuie sur l’échelon local qui n’est pas contrôlé par un échelon supérieur. Les communautés de base se fédèrent pour organiser la société de bas en haut. Les élus et délégués sont contrôlés par un mandat impératif limité dans le temps et révocable.

L’anarchisme reste attaché au combat féministe. Bakounine s’oppose à la misogynie de Proudhon. Les anarchistes revendiquent l’égalité des droits entre hommes et femmes. Emma Goldmann et Voltairine de Cleyre développent un anarchisme clairement féministe. La liberté sexuelle, la contraception et l’union libre sont défendus par les syndicalistes révolutionnaires de la CGT. La dépendance économique de la femme est également mise en cause. Dans les années 1968, la libre disposition des corps devient le combat central. L’anarchisme propose également la destruction du patriarcat.

Pratiques de lutte

Les anarchistes ne partagent pas les mêmes stratégies d’action pour changer la société. L’historien Gaetano Manfredonia propose une classification qui relie les discours et les pratiques. L’insurrectionnalisme reste la manifestation la plus visible de l’anarchisme. Pendant les grands moments révolutionnaires, des émeutes éclatent. Dans la période actuelle, le black bloc qui attaque les symboles du capitalisme comme les banques incarne cette stratégie. Néanmoins, cette pratique de lutte doit s’inscrire dans un contexte de conflictualité sociale pour ne pas se marginaliser.

La stratégie syndicaliste doit permettre de mobiliser les exploités, quelles que soient leurs idées politiques, à travers des revendications immédiates. Une grève générale insurrectionnelle doit permettre l’appropriation collective des moyens de production. L’auto-organisation peut également émerger des assemblées autonomes par rapport aux syndicats. Les anarchistes doivent y intervenir pour dénoncer la délégation de pouvoir et porter une perspective de rupture avec le capitalisme. Cette stratégie syndicaliste dépend de l’intensité de la lutte des classes. Les anarchistes risquent de se laisser absorber par un appareil syndical légaliste et routinier.

La stratégie de type éducationniste-réalisateur insiste sur le changement des mentalités. Les anarchistes défendent l’éducation populaire mais aussi l’alternative en actes. Les coopératives, les pédagogies libertaires, les zones à défendre (ZAD) et les modes de vie communautaires visent à expérimenter un nouveau mode de vie. Aujourd’hui, les alternatives s’inscrivent dans une stratégie de transition écologiste. Mais ces expériences peuvent se couper des mouvements sociaux. Elles sombrent alors dans la marginalité sectaire. Les alternatives peuvent aussi se fondre dans la logique marchande, à l’image des coopératives.

Les anarchistes peuvent s’organiser de manière différente. L’organisation informelle se structure uniquement pendant les moments de lutte. L’action directe prime sur le formalisme organisationnel. Le réseau peut également permettre d’échanger des informations et de mener des actions communes. Néanmoins, l’absence de structures peut aussi masquer des hiérarchies informelles.

L’anarcho-syndicalisme repose sur une organisation syndicale qui porte une idéologie anarchiste. Cette forme permet d’affirmer un caractère de classe. Néanmoins, si le syndicat ne cherche à recruter que des anarchistes, ses effectifs restent limités. Au contraire, le développement de l’organisation peut l’éloigner des pratiques libertaires. La CNT espagnole reste le modèle de l’anarcho-syndicalisme.

Le plateformisme insiste sur l’implication dans les mouvements sociaux. L’organisation repose sur une orientation politique clairement définie. Néanmoins, le plateformisme risque de déboucher vers des organisations rigides voire autoritaires. Le spécifisme reprend la même démarche, mais se divise en fronts de lutte. Ce qui provoque un fractionnement des mouvements sociaux et empêche une perspective globale. Le synthésisme propose la cohabitation des individualistes et des communistes libertaires. Mais l’organisation repose sur le consensus mou et fuit le débat pour maintenir une unité de façade.

L’action des anarchistes pendant les révoltes historiques n’est pas vraiment triomphante. Dans l’Espagne de 1936, un soulèvement spontané permet une auto-organisation à la base. Mais les anarchistes de la CNT rejoignent le gouvernement. Surtout, ils font confiance aux staliniens qui finissent par massacrer les communautés libertaires. Pendant la révolution russe de 1917, les anarchistes défendent les soviets dans les usines pour permettre une réorganisation de l’économie. Mais ils agissent avec les bolcheviks qui finissent par les massacrer après avoir pris le contrôle des soviets. Les anarchistes participent à la révolution mexicaine de 1910, incarnés par Ricardo Flores Magon. Mais ils sont vaincus avant de pouvoir réaliser leur projet de collectivisation des terres.

Limites de l’anarchisme

Guillaume Davranche propose une présentation précieuse du courant anarchiste. Ce livre peut devenir un outil majeur pour ouvrir des débats dans les mouvements sociaux. Dans un contexte de dégoût pour la vieille gauche institutionnelle, l’anarchisme ouvre une autre piste. Ce courant fait d’ailleurs l’objet d’attaques virulentes de la part des intellectuels organiques de la vieille gauche réformiste et autoritaire. Frédéric Lordon s’acharne à discréditer l’anarchisme dont il propose une vision caricaturale. Le livre de Guillaume Davranche peut apporter quelques précisions indispensables sur ce courant politique. Cette présentation courte et accessible ne masque pas les débats et les clivages qui traversent le mouvement libertaire. Mais l’anarchisme de Guillaume Davranche comporte également quelques limites.

La partie doctrinale reste importante. L’anarchisme ne se réduit pas à un refus et à un désir de destruction. C’est surtout un véritable projet de société alternatif. Guillaume Davranche dresse les grandes lignes de l’utopie libertaire. Cette démarche permet d’apporter des clarifications indispensables face aux caricatures colportées par la gauche et les médias. Surtout, Guillaume Davranche assume la perspective d’une réorganisation de la société depuis la base. Alors que les communisateurs et les appellistes estiment que le communisme doit surgir de manière magique, Guillaume Davranche insiste sur la nécessité de se doter de quelques perspectives.

Néanmoins, ce projet anarchiste reste limité. Il peut sembler à la fois trop précis et rigide, mais comporte également des aspects un peu flous. Guillaume Davranche propose un projet clair et rassurant. Mais il semble important de prendre en compte les aléas de l’histoire. Le projet de société libertaire sera avant tout ce que les exploités en lutte décideront de construire. Il semble important d’affirmer une part d’expérimentation et de spontanéité pour ne pas sombrer dans la rigidité doctrinale.

Mais Guillaume Davranche reste également flou. La démocratie directe et l’autogestion restent des concepts creux. Ce sont des formes vides sans véritables contenus politiques. Un projet révolutionnaire doit avant tout exprimer des refus. Le travail, la marchandise, la valeur doit être clairement abolie. Sinon, l’anarchisme risque de sombrer dans une autogestion du capital et dans une auto-exploitation. La libre association des producteurs libres doit au contraire reposer sur le plaisir et sur la liberté plutôt que sur la contrainte et la comptabilité.

Guillaume Davranche présente également les diverses stratégies de lutte et formes d’organisation. Il montre bien les apports et les limites de chaque démarche. Mais son anarchisme reste imprégné d’un vieux fond d’avant-gardisme. Guillaume Davranche semble considérer que ce sont les anarchistes qui vont changer la société et faire la révolution. Pourtant, ce courant sympathique reste condamné à la marginalité. Des groupes minoritaires ne sont pas capables d’entraîner un soulèvement de masse. Et heureusement.

Guillaume Davranche a raison d’insister sur les débats stratégiques. Il semble important de réfléchir à la manière de changer le monde et de proposer des perspectives de lutte. Néanmoins, ce débat stratégique ne doit pas concerner uniquement les anarchistes. Les controverses au sein des sectes et des groupuscules n’ont que peu d’intérêt, en dehors du plaisir de la querelle doctrinale. Le débat stratégique doit être posé à l’échelle des luttes qui concernent l’ensemble des exploités.

Au contraire, la démarche de l’autonomie ouvrière vise à agir à partir des luttes existantes et non d"une idéologie. C’est uniquement des révoltes sociales que peut surgir une société communiste libertaire. Il faut donc s’appuyer uniquement sur les luttes sociales. Ces mouvements doivent s’organiser par eux-mêmes, en dehors des partis et des syndicats, pour débattre de leurs perspectives. C’est uniquement cette démarche qui peut déboucher vers une rupture avec l’Etat et le capitalisme. Les structures d’auto-organisation créent par les révoltes massives doivent devenir les bases pour réorganiser la société.

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