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Courant Alternatif 288 mars 2019

Françafrique

dimanche 17 mars 2019, par OCL Reims


En arrivant aux affaires, Macron avait tenu un certain nombre de propos (à Alger et à Ouagadougou) pour faire croire à une rupture avec l’héritage colonial de la France en Afrique. Mais cette tentative de ravalement de façade (cf. la Françafrique relookée, CA de février 2018) sombre dans la caricature, symbolisée par les escapades françafricaines de Benalla. Le système françafricain fait eau de toutes parts mais les gouvernants comme Macron sont bien incapables de le réformer, au prix d’une aggravation des crises actuelles et à venir dans les différents pays africains où la France exerce sa tutelle.

Faire du neuf avec du vieux : l’instrumentalisation de la restitution des œuvres d’art africaines pillées pendant la période coloniale.
Dans la lignée du discours de Ouagadougou, où il avait annoncé « des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique », Macron a chargé deux personnalités, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, d’une mission chargée de rédiger un rapport sur la faisabilité de cette mesure. Les deux sont des universitaires, l’une est française, l’autre est sénégalais. Le second est l’auteur d’un essai « Afrotopia » qui a été un succès de librairie, que l’on peut trouver sympathique dans la lignée de la pensée postcoloniale qui réclame une remise en cause des concepts imposés à l’Afrique par l’Occident au nom de la « mission civilisatrice » coloniale, puis du « développement » après les indépendances... Fort bien, sauf que l’on n’y trouve guère de réponses concrètes par rapport aux problèmes politiques et économiques notamment qui se posent de nos jours aux Africains. Ici aussi, cette histoire de restitution des œuvres d’art africains, même si, au passage, cela a engendré une polémique — ce qui montre qu’en France, dans le milieu des conservateurs de musées la nostalgie impériale est toujours bien présente —, apparaît un peu comme une sorte de diversion, pour ne pas dire un os à ronger que l’on donne à l’intelligentsia africaine alors que, pour le reste, rien n’est remis en cause. Ainsi on peut s’étonner (ou ne pas s’étonner !) que le même Felwine Sarr, qui est aussi économiste et qui tenait des propos carrément hostiles au maintien du franc CFA (« L’Afrique n’est toujours pas décolonisée » cf interview à Jeune Afrique, 8 mars 2016) alors que le franc CFA fait encore plus débat ces dernières semaines, semble nettement plus discret sur le sujet...

Le franc CFA : la France de plus en plus isolée pour le maintien de sa « monnaie coloniale »
Le franc CFA est clairement issu de la colonisation. Nul ne peut le nier. Il implique une tutelle monétaire sur les pays qui font partie de cette zone, avec notamment l’obligation de déposer la moitié des réserves de change sur un compte d’opération auprès du Trésor français et surtout qui empêche les Etats de la zone franc d’avoir un taux de change correspondant à leurs économies réelles (voir l’ouvrage de Fanny Pigeaud et Ndongo Sylla, Le franc CFA, l’arme secrète de la Françafrique). C’est une situation qui n’existe nulle part ailleurs. C’est pourquoi, fait inédit aussi, des responsables d’un parti au pouvoir dans un autre Etat membre de l’Union européenne se sont permis de critiquer avec un certain sens de la provocation, cet état de fait : le vice-président du Conseil italien Luigi de Maio a accusé la France de « n’avoir jamais cessé de coloniser des dizaines de pays africains », ce qui expliquerait le blocage du développement économique et les migrations vers l’Europe. Un député du « Cinq étoiles » Di Battista a même déchiré en public un billet de 10 000 F CFA. Le problème évidemment avec cette prise de position, c’est que le parti Cinq Etoiles est dans un gouvernement en alliance avec l’extrême-droite de Salvini qui a fait de son discours anti-migrants une réalité en interdisant l’accès à ses ports des bateaux qui leur portent secours. Et de plus, le lien entre le CFA et la migration ne peut pas être direct, contrairement aux interventions militaires menées par les Occidentaux qui ont pu favoriser des crises humanitaires comme ça a été le cas en Libye. Il y a donc ici un problème quand on se prétend avoir inspiré de tels actes ou de tels propos en se présentant comme un militant africain de la cause anti-CFA comme Semi Kaba le fait. Mais, un autre enseignement qui apparaît, c’est le splendide isolement de la France. Un des arguments superficiels utilisés pour dire que le franc CFA n’est plus une monnaie coloniale, c’est que désormais c’est à l’euro et non plus au franc que le CFA est relié. Mais n’eût été la volonté de la France, le CFA n’aurait pas été rattaché à l’euro. Et d’ailleurs on n’a pas pris la peine de consulter les Etats africains, lors du passage du franc français à l’euro, comme cela aurait dû être formellement le cas... Or, aujourd’hui, on voit qu’aucun Etat, aucune autorité européenne n’est venue en renfort de l’Etat français à l’occasion de cette charge anti-CFA par des représentants de l’Etat italien, comme si finalement, à part la France, personne dans la zone euro ne tenait au maintien du rattachement du franc CFA.

En fait, la question n’est donc pas tant si le CFA doit disparaître : à terme, sans doute d’ici quelques années, voire une décennie, il finira par disparaître, en tout cas sous sa forme actuelle. Donc les vraies questions à se poser c’est plutôt de quelle manière on va mettre fin au CFA et par quoi on va le remplacer. S’agit-il pour chaque pays africain d’avoir chacun sa propre monnaie en se concurrençant par des dévaluations compétitives ? S’agit-il de répliquer la zone euro, par exemple au sein d’un projet de monnaie unique pour les pays d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) où les plus faibles devront s’aligner sur les plus forts, ce qui aboutira à un scénario similaire à la crise de la zone euro qui perdure depuis une décennie ? Qui plus est, en Afrique, l’intégration économique a d’autres priorités, à commencer par les voies de communication qui sont toujours un héritage de la colonisation, destinées à drainer les ressources minières et agricoles vers les ports et non à relier les différents territoires. Mais en attendant, sur cette question qui a aussi une dimension symbolique, ce ne sera pas avec Macron qu’il faut s’attendre à du changement, tellement ce pouvoir manque de perspectives à plus long terme.
Mais c’est dans un autre domaine où la politique française s’enfonce encore plus dans le sable et où l’échec est encore plus patent : celui de l’autre pilier principal de la Françafrique, celui de l’interventionnisme militaire.

L’enlisement des interventions françaises (et occidentales) en Afrique.
En février 2018, un collectif de chercheurs a signé un appel pour remettre en cause « le primat (qui) a été donné à la lutte antiterroriste » au Mali (Le Monde du 21 février 2018). En effet, plus de cinq ans après l’intervention française (Serval puis Barkhane), les groupes armés n’opèrent plus seulement au sud mais aussi au centre du pays. Les opérations d’éliminations physiques plus ou moins ciblées sur de présumés « jihadistes », l’utilisation de certains groupes armés contre d’autres en suivant des lignes de clivages claniques ou ethniques (selon une tactique déjà éprouvée dans les guerres coloniales), ont eu pour résultat de multiplier les vocations combattantes, voire les candidats à des opérations kamikaze. La perspective d’une guerre sans fin est bien là.
Le pays voisin, le Burkina Faso, est en train de prendre le même chemin. Les attaques se multiplient contre les représentants de l’Etat, qu’ils soient civils ou militaires. On commence à y voir aussi des massacres à caractère ethnique en représailles à des communautés associés à tort ou à raison au phénomène jihadiste (comme les Peuls au nord du pays). Mais il n’est pas question de remettre en cause cette stratégie. Le G5 Sahel, qui devait faire reposer les opérations de « sécurité » sur les Etats africains (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger Tchad), ne prend pas vraiment le relais. Il a été symboliquement visé par un attentat suicide en mai dernier. Il apparaît surtout comme une initiative de la France et n’arrive pas vraiment à fonctionner.

Le retour de l’interventionnisme militaire direct de la France en Afrique qui s’est produit au début de la décennie (Licorne en Côte d’Ivoire en 2011, Serval au Mali et Sangaris en Centrafrique en 2013) a pu faire illusion quelque temps. Mais de manière significative, dans ce dernier pays dont la France avait fait une sorte de protectorat militaire après l’éviction de Bokassa en 1979, bloquant toute évolution vers une « transition démocratique » au début des années 1990, l’armée française a plié bagages et les négociations de paix entre le régime et les groupes armés qui tiennent une partie importante du pays se déroulent à Khartoum, au Soudan, tandis que la coopération militaire russe a pris le relais de celle des Français. Quand les militaires français quittent un pays comme la Centrafrique, c’est aussi souvent parce qu’il ne présente plus d’intérêt stratégique et aussi parce que la guerre civile y est apparue et s’y est installée après des décennies de corruption et de violences gouvernementales sur les populations. Un exemple à méditer lorsqu’on voit tout le soutien que l’Etat français continue d’apporter au régime criminel d’Idriss Déby, au nom de son implication dans la lutte contre le jihadisme.

Macron et Benalla au Tchad : une caricature françafricaine
Début décembre, selon la Lettre du Continent, Alexandre Benalla accompagné par Philippe Hababou Salomon, un affairiste françafricain notoire, s’est rendu à N’djamena où il a rencontré le frère d’Idriss Déby (ou le chef de l’Etat lui-même, selon les versions). Quelque temps après, lorsque Macron s’est rendu aussi au Tchad, la succession de ces deux visites est devenu un sujet médiatique avec l’utilisation des différents passeports diplomatiques de Benalla. Lorsqu’il a été interrogé par la commission d’enquête du Sénat, le ministre des affaires étrangères, Le Drian a prétendu qu’il n’avait pas été informé par son ambassadeur. Ce n’est vraisemblablement qu’un mensonge de plus de la part de gens perchés au sommet de l’appareil d’Etat, qui peuvent prêter serment devant une assemblée parlementaire et raconter quelques minutes après des histoires à dormir debout ou qui se contredisent entre elles. Mais qu’allait faire Benalla au Tchad comme au Congo-Brazzaville ou au Cameroun ? Evidemment, de la diplomatie barbouzarde comme tous ces intermédiaires interlopes qui agissent au nom d’une diplomatie parallèle mais surtout pour leurs propres intérêts. Mais la question, c’est pourquoi avoir laissé le jeune prodige Benalla, encore sous le feu de l’actualité médiatique, se lancer si vite dans ce type d’activités ? C’est sans doute un indice du niveau de décomposition françafricain au sommet de l’Etat macronien, qui ruine désormais tous les efforts de communication pour donner l’image d’une présidence « moderne » qui aurait rompu les amarres avec l’héritage colonial.
En ce qui concerne le Tchad, Idriss Deby et son clan, après avoir siphonné l’argent du pétrole pendant des années, a conduit son pays à la banqueroute, si bien qu’il n’arrivait plus à payer ses fonctionnaires ce qui lui a valu une grève générale de grande ampleur en 2018. Aussi, en décembre dernier, la France est venue apporter une rallonge qui lui a permis de payer les fonctionnaires tchadiens. Plus encore, au nom du soutien à ce régime « ami », pilier de la lutte « anti-terroriste », on va, comme au début du mois de février, bombarder les colonnes de rebelles de l’Union des forces de la résistance (UFR), qui sont eux-mêmes des militaires liés à un clan, ayant fait défection il y a une dizaine d’années. En fait, la base sociale du régime Déby est extrêmement faible et il ne peut subsister qu’au moyen d’une politique de terreur criminelle bien connue, et évidemment grâce au soutien inconditionnel de l’armée française. Lorsque le régime Deby prendra fin un jour, d’une manière ou d’une autre, ce sera un autre pilier sécuritaire de la Françafrique qui tombera avec peut-être un nouveau scénario du chaos à la centrafricaine...

La Françafrique en voie de déliquescence
En attendant, les autres piliers de cette Françafrique sont aussi de plus en plus branlants. Le Gabon est dirigé par un Ali Bongo dont l’état de santé fait l’objet de toutes les supputations et qui a été le prétexte d’une tentative de coup d’Etat. Le Cameroun de Paul Biya, est un pays encore plus dans la tourmente avec au nord l’activité de Boko Haram et l’entrée en rébellion armée de partisans de l’Ambazonie, dans la partie anglophone du pays, et pour terminer avec l’arrestation du leader de l’opposition Maurice Kamto qui revendique la victoire aux dernières élections.
La Côte d’Ivoire n’est toujours pas vraiment sortie des conséquences de la crise de succession de Houphouët-Boigny dans les années 1990 et de la guerre civile dans les années 2000. L’année dernière, ce sont des militaires qui sont entrés en rébellion pour obtenir des espèces sonnantes et trébuchantes. Mais pour conforter son pouvoir, Alassane Ouattara, fort de l’appui des Français, a depuis des années cherché à verrouiller toute opposition en créant une sorte de nouveau parti unique, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et pour la paix (RHDP). Mais, son projet tend à fédérer contre lui toutes les oppositions, celles de Bédié son vieux rival à la succession d’Houphouët, mais aussi de son jeune rival Soro, l’ancien rebelle du Nord et ancien président de l’Assemblée nationale, et peut-être de Gbagbo dont l’acquittement vient d’être prononcé à la CPI. Là aussi, le scénario d’un nouveau rebondissement de la crise ivoirienne n’est pas exclu.

Le reflux de la vague « démocratique » en Afrique
Même dans les pays francophones, l’alternance au pouvoir quand elle a eu lieu ne signifie pas du tout qu’il y a une « institutionnalisation » de la démocratie, même au sens limité de la démocratie représentative. D’une part parce que, plus qu’ailleurs, les élections en Afrique se sont avérées des élections « sans choix », au sens où notamment les politiques économiques et sociales sont préemptées par les institutions financières internationales et l’ajustement structurel qu’elles continuent d’appliquer ; à cela s’ajoute, dans le cas françafricain, l’alignement diplomatique sur la France qui est une figure imposée de ces jeux politiciens. Cela se révèle notamment par le « deux poids, deux mesures » vis-à-vis de la régularité des élections : lorsqu’il s’agit de potentats françafricains comme Déby ou Biya, la France reconnaît les yeux fermés les résultats, alors que lorsque on est en présence d’un Etat qui se situe en dehors de cette orbite française, en s’appuyant notamment sur des puissances rivales comme la Chine ou la Russie, alors la France remet en cause plus facilement le résultat des élections, comme cela s’est passé dans le cas de la République démocratique du Congo, avec l’inénarrable Le Drian qui, par ailleurs, a qualifié Idriss Déby d’« ami personnel », lors de sa dernière investiture contestée en 2016.
Même dans les cas où l’alternance s’est bien produite, les anciens opposants ne tardent pas aussi à adopter des attitudes françafricaines en débauchant leurs adversaires ou en les mettant hors jeu, en instrumentalisant la justice pour éliminer les candidatures qui peuvent remettre en cause leur réélection. C’est le cas notamment au Sénégal, où l’actuel président qui cajole les intérêts français encore plus que son prédécesseur Abdoulaye Wade et qui, d’une part par le jeu d’un système de parrainages et, d’autre part, avec l’élimination de deux candidats du fait de condamnations judiciaires (Karim Wade, le fils de l’ancien président et Khalifa Sall, le maire de Dakar), se retrouve avec seulement quatre adversaires. L’objectif de la manœuvre est d’être élu dès le premier tour et d’éviter de se retrouver au second tour face à une coalition des autres candidats en faveur du mieux placé, ce qui s’était produit pour Abdoulaye Wade, battu en 2012.

Conclusion : la Françafrique fait naufrage de toutes parts mais elle n’en finit pas pour autant. Il n ’y a évidemment rien à attendre des dirigeants de l’Etat français (Macron comme les autres) qui se sont succédé depuis décennies en faisant croire que l’Afrique de papa, c’est fini... alors qu’ils ont continué à utiliser toujours les mêmes ficelles pour préserver leur pré carré, soit dans le cadre d’une stratégie d’influence et de présence maintenue, soit aussi parce qu’il y a des intérêts privés de type mafieux qui prospèrent et dont finalement on s’accommode ou avec lesquels on s’acoquine d’une manière ou d’une autre. La classe politique de droite comme de gauche et maintenant la Macronie continuent au fond à user la même corde comme s’il y avait une sorte de fatalité, voire une nécessité à traiter les Africains de la sorte. Mais peut-être qu’un jour viendra où le discrédit des Français déjà bien sensible en Afrique, se transformera en une aversion systématique comme les « Yankis » en Amérique Latine... Et cela, la France ne l’aura pas volé !

Pascal, le 19-02

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