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Courant Alternatif 288 mars 2019

Le mouvement des Gilets Jaunes, une actualité dérangeante pour le pouvoir

dimanche 17 mars 2019, par OCL Reims


La question du gouvernement n’est pas comment répondre aux revendications des Gilets Jaunes mais tout simplement comment arrêter ce mouvement. Et pour cela il use de tous les stratèges dont le fameux « 10 milliards sur la table » dont bien peu d’entre nous ont vu la couleur. Diviser, dénigrer, chercher des têtes et/ou des collaborateurs, dénoncer les dérives, en faire un mouvement réactionnaire, violent ; tout cela pour ne rien céder sur l’essentiel : la redistribution des richesses.
Et bien sûr jouer la diversion et le temps avec un grand débat national qui devrait s’achever devant les urnes européennes.

Il s’agit d’abord de continuer à dégrader l’image du mouvement GJ chez les démocrates à gauche et à droite, intellectuels et journalistes sur le mode "y’a pas de fumée sans feu", après la violence sur les braves flics, la casse des petits et grands commerces, du tourisme parisien et de l’économie de notre beau pays, l’incapacité à se comporter "rationnellement" en désignant des porte-paroles, des candidats aux élections et des revendications chiffrables, discutables ou simplement raisonnables, le mépris de nos institutions (Champs Elysées, Arc de Triomphe, Soldat Inconnu, Assemblée nationale) dont la plus sacrée qui est la personne du président, voici le "marteau pilon" du fascisme islamique et de l’antisémitisme - abomination morale ultime et délit de notre république des droits de l’homme (qui a beaucoup à faire oublier sur ce chapitre).Cette dernière accusation a vu le jour de façon tonitruante, lors de l’incident, diffusé en boucle sur certaines chaînes de télé, des propos insultants de quelques individus, en marge de la manif du 16 février, à l’adresse de Finkelkraut.

Le gouvernement, relayé par la plupart des médias, tombe à bras raccourcis sur les GJ, leur reprochant de laisser faire, voire d’alimenter les violences et appelant à ce qu’ils arrêtent leur mouvement.

Même si, comme le serinent à l’envi les médias, les manifestations sont effectivement moins fournies, tout au moins dans les grandes cités qui sont sous le feu des projecteurs, il n’empêche que partout elles se poursuivent, jusque dans les petites villes. Et la répression n’en finit pas de s’abattre, avec des interpellations, des GAV et des inculpations massives, et des blessés graves. Sans compter le projet d’une loi "anti-casseurs" qui restreint toujours plus les libertés. Le gouvernement en est bien conscient : la force du mouvement ne réside pas tant dans le nombre que dans la détermination de ses acteurs.trices et dans le soutien de l’opinion. Et c’est cette détermination dans la durée et ce soutien que le pouvoir veut saper, pour mieux étouffer le mouvement. D’où l’intention de maintenir un bras de fer, de diviser, de désigner des éléments perturbateurs et de multiplier les condamnations judiciaires.
Même s’il a un peu repris la main à force de matraquer le mouvement des GJ dans tous les sens du terme, Macron est loin d’être sorti de la crise politico-sociale dans laquelle l’a plongé, entre autres, ce mouvement.

Le « grand débat »
Un vaste leurre organisé par le pouvoir pour tenter de reprendre la main : invoquant le terme très à la mode de la libération de la parole, Macron prétend offrir des espaces pour qu’elle s’exprime alors que les GJ l’ont prise, la parole, sans qu’ils aient eu besoin de la moindre autorisation et ont annoncé depuis belle lurette quels étaient leurs axes de lutte : tous sur le thème de l’égalité avec un meilleur partage des richesses, des mesures concrètes de justice sociale, et plus de démocratie directe. Le « grand débat » donc, un moyen pour le gouvernement non seulement de faire croire qu’il s’est intéressé subitement à la contestation sociale, mais surtout une tactique pour la canaliser et l’affaiblir. Mais là, il ne joue pas le jeu car il existe déjà une Commission Nationale du Débat Public (CNDP), autorité administrative indépendante de 25 membres. Elle a pour rôle de mettre en place des procédures de démocratie participative, de faire s’exprimer les citoyens sur les projets et politiques publics à fort impact socio-économique et environnemental. Macron s’en passe et nomme deux ministres en charge de son débat, membres du gouvernement, juges et parties, le cadre est posé et les questions déjà listées, circulez il n’y a rien d’autre à dire !

Ainsi, il essaie de démontrer qu’il y a les bons citoyens qui se prêtent au cadre que l’Etat impose et les séditieux et violents qui manifestent dans les rues. Le gouvernement et les médias cherchent à créer des clivages au sein des classes populaires qui montrent, dans le mouvement des GJ, qu’elles ont un sens du collectif, un fort sentiment d’appartenance au groupe.
Un moyen aussi pour Macron de faire son "grand oral", son cinéma, en bras de chemise, comme un meneur de jeux ou un bateleur de foire, devant un public sage et déjà quasi conquis. C’est lui qui mène les choses, laissant parler ou questionner son auditoire et répondant ensuite, sans laisser place à la moindre discussion (et encore moins à la délibération) et en montrant qu’il maîtrise tout, ce qui est d’autant plus aisé que les questions ont été transmises à l’avance. Un très long monologue, en quelque sorte, en guise de débat. De toute façon, si les règles du jeu n’ont pas été formulées au départ (et restent encore très nébuleuses alors qu’on approche de la date limite du 15 mars), à savoir ce que vont devenir tous ces échanges, toutes ces revendications ... et comment ils seront traduits en actes, une chose était affichée d’emblée clairement : c’est le gouvernement et lui seul qui tranchera et il ne changera pas de cap quant à sa stratégie économique et sociale. Aucune mesure de redistribution ne sera prise. Rien ne bougera sur le terrain du SMIC, de l’ISF (qui coûte 4,6 milliards/an), du CICE (environ 40 milliards d’aide aux patrons), du pouvoir d’achat, de la justice fiscale, des retraites, autant de thèmes pourtant très souvent invoquées dès les premières semaines du mouvement ; et on peut s’attendre à des modifications minimes par exemple sur la limitation de vitesse à 80 km/h, et sur quelques matières institutionnelles qui étaient déjà dans les cartons du président (vote blanc, réduction du nombre de députés, vote obligatoire, …).

La propagande tend à faire croire qu’il y a une grande participation aux débats, mais il y a des différences entre débats officiels organisés en ville avec sécurité policière renforcée et réunion dans des salles municipales en Province ; quand on compare avec les AG des GJ départementales qui réunissent 100 à 200 personnes, le compte n’y est pas du côté du débat gouvernemental ! De plus, très peu de jeunes participent à ces réunions, et elles se déroulent bien plus dans les villes, là où se concentre la population, que dans les villages ou bourgs ruraux. Sont absents aussi les habitant.es, jeunes et moins jeunes, des quartiers populaires. Les GJ ne sont pas dupes ; le sentiment général est que ce débat est une mascarade, que Macron cherche juste à protéger sa ligne de conduite et les mesures engagées et celles qu’il compte mettre en place, une manière de faire disparaître les GJ et d’étouffer leurs voix.

D’autant que, dans le temps du "débat", on apprend des hausses de tarifs de toutes sortes (denrées alimentaires, autoroutes, électricité, assurances, mutuelles...), qui ne font qu’entamer toujours plus le pouvoir d’achat. De plus, le gouvernement poursuit le rythme de ses réformes et de sa politique : privatisations -aéroport de Paris, Française des jeux- ; bouleversements dans l’éducation – après parcoursup et la réforme des lycées et du bac, l’"école de la confiance" dans le cycle primaire-secondaire ; réforme de l’hôpital avec le Plan Santé ; économies sur les allocations chômage ; suppressions de postes, salaires au mérite et recours accru aux vacataires dans la fonction publique ; projet de l’instauration d’une retraite par points... Tout ceci, bien entendu, sans le moindre souci de justice sociale.

Les mobilisations des GJ.
Toujours autant de diversité de situations. Mais, pour beaucoup reste la conscience que l’action doit continuer, malgré parfois la fatigue et une tendance à vouloir se doter de lieux fixes pour pouvoir se retrouver et s’organiser ; d’autant que les occupations des ronds-points ont été balayées par flics ou gendarmes, que des cabanes ont été construites ou des bâtiments squattés parfois dans des endroits manquant de visibilité. Un cheminement vers une structuration, une communication entre les groupes, qui se fait au rythme de chacun. Et pour donner un nouveau souffle à la contestation, il y a cette volonté que la dynamique s’élargisse, que des liens se créent avec des salarié.es en lutte sur leur lieu de travail. Des tentatives ont lieu pour mener des actions en semaine, entre autres avec l’appel à la grève du 5 février, ce qui a permis d’une façon plus générale d’entreprendre des actions communes dans la rue, sur le temps de travail, aux côtés de syndicats. Cependant on est très loin d’une dynamique suffisante pour enclencher la grève générale illimitée souhaitée. Faire grève est très difficile quand on vit dans la précarité, qu’on travaille dans des petites entreprises et qu’on a épuisé son compte en banque avant la fin du mois. La convergence des luttes pour le moment ne prend pas globalement. Et des réticences à ce qu’elle se concrétise existent du côté de certains syndicats et de certains GJ. Mais des solidarités concrètes existent à l’échelon local, avec des actions et échanges entre salarié-es des hôpitaux comme à Foix, St Girons et ailleurs pour soutenir leurs revendications ; face au manque de personnel, aux menaces de fermeture, partout on trouvera des Gilets Jaunes ; ce sont parfois les mêmes qui manifestent le samedi depuis trois mois et aussi des proches car toutes et tous sont concerné.es par le délitement des services publics notamment dans le secteur de la Santé.
La solidarité avec les personnes inculpées est aussi une réalité avec des manifestations qui font un détour devant la prison ou le commissariat pour dénoncer la répression ; des tracts partout en France sont distribués lors des grandes manifestations du samedi pour donner des conseils en cas d’arrestation et des concerts de soutien ont lieu pour collecter de l’argent afin d’aider les personnes condamnées. Par ailleurs, certain.es mettent l’accent sur la revendication du RIC, portée en particulier par les marcheurs.ses parti.es des Pyrénées-Orientales (Boulou), puis de Marseille, Nîmes, Avignon, ... depuis le 16 février pour rejoindre Paris le 17 mars, par étapes de 25 à 35km avec accueil par des GJ tout au long du parcours. Le RIC ne semble pas être la seule revendication si l’on en croit la déclaration d’une des marcheuses : « Nous voulons un RIC sans restriction. Nous nous battons pour une justice fiscale et sociale, l’écologie, et pour apporter notre soutien aux manifestant.es victimes de violences policières et de décisions de justice abusives ».

Il faudrait aussi savoir répondre aux différentes accusations mensongères comme le fait que ce ne sont pas du tout les GJ qui ont fait baisser le chiffre d’affaire des commerces par suite des manifs du samedi en centre ville ou dans les zones commerciales, mais simplement la baisse du moral des ménages, perceptible dès février 2018, au plus bas en septembre, qui laissait prévoir un coup de frein en fin d’année alors que le gouvernement tablait sur une remontée de ce même moral avec l’exonération de cotisations des salariés du privé et la baisse de la taxe d’habitation prévue en octobre, ainsi que les commerçants qui constituaient des stocks pour un noël en fanfare...(in Le monde, suppl. Eco-Entreprises 22/02/2019).

Evolution du mouvement
Le mouvement des GJ est un mouvement très politique, une réappropriation du politique (repolitisation de son quotidien, sa vie) en même temps qu’une disqualification de la politique officielle, institutionnelle. Etre solidaires avec les GJ, c’est agir avec eux.elles dans le sens de la justice et de l’émancipation, en étant conscient.es que des forces sont à l’oeuvre pour entraîner vers une évolution inverse au bénéfice de l’extrême-droite. L’objectif est que le mouvement continue à vivre : qu’il aille vers plus de mobilisations, plus d’actions, vers la grève... plutôt que vers le RIC, la participation au "grand débat", les élections européennes. Avec tout ce potentiel de gens en mouvement, toute cette énergie collective, des actions de solidarité pourraient être mises en pratique sur les thèmes du logement, du chômage (actions sur Pôle emploi, comme à Rennes et ailleurs), des migrants ; il pourrait y avoir, comme cela a été fait dans des entreprises en lutte ou pas, des marques de solidarité avec les salarié.es. Quand il y a des blocages d’entreprises ou de dépôts, les salarié.es sur place sont ravi.es de gagner quelques heures de suspension de travail ainsi "forcé", d’autant que les GJ dégagent toujours un potentiel important de sympathie. Une proposition à avancer pourrait être autour de la gratuité : on arrête de payer le gaz, l’électricité, les transports collectifs ... De plus, le patronat reste globalement ménagé et à l’écart de la vindicte des GJ, avec néanmoins quelques exceptions : banques, grande distribution, sociétés d’autoroutes, quelques multinationales comme Amazon. La subordination des salarié.es dans l’entreprise, la lutte contre l’exploitation salariale et la remise en cause de la propriété des moyens de production ne sont pas à l’ordre du jour... mais peuvent très bien y être discutées.
Une stratégie intéressante a été celle entamée à Commercy (Meuse), avec l’appel à une AG des AG qui a réuni une centaine de délégations de GJ fin janvier et une invitation à se retrouver les 6,7,8 avril à St Nazaire pour discuter de leurs revendications et de leurs actions (cf. CR dans ce numéro) Cette initiative permet de lutter contre les tentatives de division du mouvement, de lister tout ce qui nous rassemble et de poursuivre ce mouvement solidaire.

Quant à la force des GJ, elle réside dans le besoin et la nécessité de rester un mouvement sans chef, de tenir des réunions publiques avec un souci de démocratie réelle, de discuter de toutes les actions et le refus de se faire enfermer dans des cases politiciennes.
CJ Sud-Ouest
23/02/2019

Le mouvement des GJ, "c’est une révolte de notre temps. Ce n’est pas une simple protestation contre la pauvreté ou la dureté des conditions d’existence, c’est une protestation contre l’imposture d’une société où le discours moral est omniprésent mais qui ne semble révérer que l’argent, la réussite, la compétition, organisés par des pouvoir dont les grands mots ne dissimulent plus leur incapacité d’agir sur les choses" ( F. Sureau, avocat et écrivain, proche de Macron, Le Monde du 5.02)

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1 Message

  • J’habite en Suisse où les infos concernant le mouvement des gilets jaunes dépendent des médias, donc sont tronquées et c’est frustrant. Heureusement il y a une exception notable : le Courrier, édité à Genève.
    Je vous remercie donc infiniment pour votre article qui remet, si bien, les pendules à l’heure et me permet de mieux comprendre ce qui se passe pour les manifestants.
    Cordialement, Chantal.

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