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Courant alternatif 284 novembre 2018

Psychiatrie : mobilisée pour gagner

mardi 4 décembre 2018, par admi2

Dans son allocution sur le plan santé, E. Macron n’a pas évoqué la psychiatrie. Cependant la feuille de route de 37 mesures présentée le 28 juin 2018 par la ministre de la Santé Agnès Buzyn se décline autour de 3 axes : promouvoir le bien-être mental, prévenir et repérer précocement la souffrance psychique et prévenir le suicide – garantir des parcours de soins coordonnés et soutenus par une offre en psychiatrie accessible, diversifiée et de qualité – améliorer les conditions de vie et d’inclusion sociale et la citoyenneté des personnes en situation de handicap psychique.


{{Psychiatrie : mobilisée pour gagner

Dans son allocution sur le plan santé, E. Macron n’a pas évoqué la psychiatrie. Cependant la feuille de route de 37 mesures présentée le 28 juin 2018 par la ministre de la Santé Agnès Buzyn se décline autour de 3 axes : promouvoir le bien-être mental, prévenir et repérer précocement la souffrance psychique et prévenir le suicide – garantir des parcours de soins coordonnés et soutenus par une offre en psychiatrie accessible, diversifiée et de qualité – améliorer les conditions de vie et d’inclusion sociale et la citoyenneté des personnes en situation de handicap psychique.

Pas d’espoir que les patient-e-s soient mieux soignés

Déclarant sans rire qu’elle veut « promouvoir une psychiatrie qui ne soit plus le parent pauvre de la médecine », A. Buzyn prévoit seulement de ne pas diminuer le budget de la psychiatrie. Ouf, on a eu peur !
Rien dans ces 37 mesures pour donner des moyens humains, permettant de mieux prendre en charge les patient-e-s au plus près de chez eux, comme le prévoit la psychiatrie de secteur. D’un côté, ce service public de santé mentale déployé sur tout le territoire est en partie rendu impossible, les structures dotées de personnel n’existant pas ou plus ; les politiques d’austérité et de privatisation des différents gouvernements ont obligé les personnels à se recentrer sur l’hôpital. Ajoutons que le recours à l’hospitalisation dans cette société précarisée est de plus en plus fréquent. D’un autre côté, on ferme des unités de soins : comme à l’hôpital Pinel, à Amiens, où la responsable de l’Agence régionale de santé (ARS) justifie la fermeture de quatre services, pour obliger à prendre en charge à l’extérieur de l’hôpital les malades qui doivent être insérés dans la société. Tout cela à moyens constants, et si l’hôpital public n’y arrive pas, la concurrence du privé est déjà en place. En application des textes de l’Union européenne se met en place une gouvernance public-privé qui a pour finalité de réserver les protections sociales et les services publics aux plus démunis, et que les autres se tournent vers des assurances et des soins privés. Les ARS et la Haute autorité de santé (HAS) (1) mènent cette politique à marche forcée. C’est ça, le parcours de soins coordonnés et soutenus par une offre en psychiatrie accessible, diversifiée et de qualité ! Mais aussi ce qui suit où, indifférente à la question des soins, la ministre parle d’évaluation, de pratiques homogènes et de résultats. Pour cette ministre, médecin universitaire mais aussi ancienne présidente de la HAS, la psychiatrie publique est dépassée, poussiéreuse, archaïque. Elle prétend imposer de manière autoritaire à l’ensemble des soignant-e-s les mêmes « bonnes pratiques ». Elle déclare au Quotidien du médecin : « Tous les établissements de santé mentale seront intégrés aux GHT (2), avec des projets partagés. Je veux favoriser une vision moderne de la psychiatrie. Elle doit répondre aux mêmes types d’évaluation et avoir les mêmes exigences de pratique et de résultats que les autres disciplines. Pour avoir assisté à la certification des établissements de santé mentale, en tant que présidente de la HAS, on voit que les pratiques sont hétérogènes sur le territoire. Ça ne peut plus durer. »
« Une psychiatrie inclusive intégrée au système de santé », plaide la ministre pour qui tout serait réglé si les maladies psychiatriques étaient traitées comme des « maladies comme les autres », comme un dysfonctionnement du cerveau.
Comme tient à le rappeler le Collectif des 39 (3), « la psychiatrie est au carrefour de plusieurs disciplines : médecine, biologie, psychologie, psychanalyse, sociologie, anthropologie, philosophie… C’est la mise en perspective de ces différents champs qui signe la spécificité de la psychiatrie et permet une réelle hospitalité pour la folie. Cette conception nécessite des moyens humains et des formations qui placent la dimension relationnelle au cœur du soin : sans relation, pas de soin psychique ! ».
C’est également le sens des revendications portées par les mobilisations exceptionnelles des personnels de psychiatrie depuis le printemps dernier : du personnel, des moyens et des locaux pour prendre soin correctement des personnes malades ! Certains pays en Europe ont décidé d’abolir la contention ou la tutelle complète, suite aux préconisations du commissaire des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe. La France prend le chemin inverse, avec le retour depuis 2011 d’une tendance généralisée au sécuritaire et à l’enfermement. Le manque chronique de moyens conduit à la dégradation des soins, avec une augmentation et une banalisation des pratiques archaïques de contraintes : contention et isolement, réduction drastique de la liberté de circulation pour les patient-e-s, hypermédication…

Se dire « on peut gagner »
inverse le rapport de force

Après la grève victorieuse de l’hôpital psychiatrique du Rouvray, près de Rouen, plus personne ne peut ignorer les conditions d’accueil dégradées pour les patients, la suroccupation, les lits dans les couloirs ou les chambres d’isolement, l’augmentation du recours à la contrainte, le suivi rendu impossible et les délais d’attente inacceptables pour un RDV. Mais également la souffrance au travail du personnel contraint à des pratiques maltraitantes contraires à son éthique. Les soignant-e-s, subordonné-e-s à une rentabilité gestionnaire, ne peuvent plus accueillir de manière correcte ni assurer une continuité des soins dans le temps. Cela entraîne une perte de sens de leur métier pour les soignant-e-s, ainsi que la détresse des patient-e-s et de leurs familles devant la banalisation des pratiques d’isolement voire de contention, faute de temps pour parler et apaiser.
L’hôpital psychiatrique du Rouvray, avec ses 1 940 salarié-e-s dont 700 soignant-e-s, est le plus grand de France en nombre d’unités d’hospitalisation. Depuis le 22 mars, le personnel de l’hôpital psychiatrique, dénonçant les conditions déplorables de travail et d’accueil des malades, était en conflit avec la direction et l’ARS pour obtenir davantage de moyens. Il aura fallu que sept personnes entament une grève de la faim de dix-neuf jours, geste ultime mettant en jeu leur propre santé, pour qu’enfin on les écoute. Les grévistes ont obtenu, le 8 juin, la création de 30 postes – annoncés comme n’étant pas pris ailleurs – sur les 52 réclamés, l’arrêt des fermetures de services et de dispensaires et l’ouverture de deux unités. Tous et toutes restent très vigilant-e-s sur la mise en place du protocole.
Depuis le 15 juin, le personnel de l’établissement psychiatrique Philippe-Pinel à Amiens est en grève contre la fermeture de services et le départ répété de psychiatres. Depuis l’expulsion des locaux de l’ARS mi-juillet, ils et elles campent jour et nuit devant les grilles de l’hôpital. Pendant la grève de la faim, les personnels du Rouvray évoquaient Pinel pour se dire : « Nous ne sommes pas les seuls. » Et en effet, actuellement il y a des grèves illimitées dans les hôpitaux psychiatriques d’Amiens, Niort, Vierzon, Auch, Saint-Etienne…
Certain-e-s se prennent à rêver d’une lutte commune de tous les services de psychiatrie concernés, au moins par département, mais si possible au niveau national. On ne peut s’empêcher d’évoquer la « Convergence des hôpitaux en lutte contre l’Hôstérité » créée en 2014 et dont certain-e-s se réclament toujours. Le but était alors de montrer que partout les hospitaliers ont les mêmes difficultés et qu’ensemble on est plus fort. Se dire : « On peut gagner », ça inverse les choses et le rapport de force. Comme le dit la banderole des grévistes de Saint-Etienne : « Quand les graines du Rouvray font fleurir les luttes et enracinent l’espoir ».

Psyc’O, 13/10/2018

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