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“ Augmentez les salaires, embauchez les intérimaires ! ” : A PSA Aulnay comme ailleurs, “ la force des travailleurs c’est la grève ”

dimanche 13 mai 2007, par Courant Alternatif

Le 28 février, des travailleurs et des travailleuses de l’usine Citroën d’Aulnay-sous-Bois (93) se sont mis en grève. Ils réclamaient 300 euros d’augmentation, l’embauche des intérimaires, un salaire minimum à 1500 euros ainsi que la retraite à 55 ans et le paiement des jours de grève. S’ajoutaient aussi quelques revendications spécifiques aux conditions de travail. Si la direction avait cédé sur les revendications, ça aurait été un précédent majeur pour tous les travailleurs de France et les luttes à suivre. Toutefois cette grève de six semaines n’est pas un échec mais un premier pas fondamental dans notre conflit face au capital.


La considération à l’égard de tous les disparus et de leurs proches rend indécente la volonté de donner une échelle de valeur associée à la puissance dévastatrice de ces drames. La catastrophe d’AZF reste certes tragique mais néanmoins relative sur le plan des dégâts physiques, moraux et environnementaux. Ils sont incomparables aux effets destructeurs, permanents, mondiaux, de la société capitaliste, de la société militaro-industrielle, aux effets dévastateurs de l’exploitation de l’homme, du vivant et de la planète. Ces deux derniers siècles, l’activité industrielle dite en situation d’exploitation normale compte à son actif un lot trop important de pertes humaines. Devons-nous rappeler à la mémoire collective toutes les morts, tous ces cancers et autres maladies environnementales, toutes ces nécroses radio-induites ou induites par la chimie ? Tous les décès dus à l’amiante, à l’exploitation du charbon ou de l’uranium … Toutes les proies de la production guerrière, des armes explosives, des gaz de combat et du mortel phosgène, fabriqués à Toulouse. Tous les sacrifiés sur l’autel du profit.

Droit des victimes ou victimes du droit ?

Le contrôle des réactions populaires, des turbulences sociales est la condition sine qua non d’une bonne gestion de catastrophe. Une politique fondée sur deux logiques complémentaires : l’usage du bâton, l’occupation militaire préventive de la zone touchée, la chape de plomb de la désinformation, l’individualisation, le traitement psychologique de la colère, la main-mise des organisations politiques citoyennistes sur la lutte des populations … et l’utilisation de la carotte, sous forme de compassion/compensations pécuniaires.
Hormis pour les Toulousains qui l’ont vécu dans leur chair, une fois médiatisée, cette explosion n’est plus apparue que comme un sujet d’actualité, un événement spectaculaire alimentant la causerie ; une nouvelle source d’angoisse et de charité, un objet de consommation télévisuelle. De la violence, du sang, des larmes, des lamentations, du recueillement et des prières, de la haine, du désir de vengeance, une foule de questions, de suspicions … de mises en accusation réclamant la mise en pâture de boucs émissaires. De la matière première vivante, du justiciable, coupable ou même pas, pain béni quotidien des administrations vampires, des organes répressifs de l’Etat, de la Justice en particulier. L’indépendante Justice des hommes, celle qui juge en toute intégrité et condamne en notre nom, au nom du peuple et des victimes en particulier. L’état de victime estampillée donnant droit à une légitimité pour régler des comptes … mais attention, pas de vindicte rageuse, non, plutôt de la sacro-sainte justice se posant en rempart, en arbitre. N’acceptant de mécontentement que de la part de victimes reconnues. Des associations de victimes en colère réclamant justice. Des associations au pouvoir renforcé, agréées par l’Etat, qui seules peuvent prétendre à la légitimité institutionnelle pour déposer une plainte recevable, qui seules ont accès aux dossiers. Finalement des associations gestionnaires et garantes du bon déroulement des mécanismes judiciaires institués. Des associations qui confinent le règlement du conflit au cadre fixé par la Loi.
Peut-être parce que cette explosion était, elle aussi, tout à fait légale. Le risque n’était-il pas connu, contrôlé, légiféré, inévitable et accepté ? Tous les Toulousains vous l’auraient dit : "un jour ça va péter".
N’est-il pas incohérent de faire appel à la justice pour déterminer si cette explosion fut un traumatisme légal ou pas ? Pourquoi semble-t-il si vital de pointer du doigt un suspect ? Pour l’exemple, pour que finalement il soit reconnu responsable mais pas coupable d’un système d’exploitation dangereux mais légal ?
Quoiqu’il en soit, les victimes associées font donc appel à la justice pour régler leurs dédommagements, pour les assurances mais aussi et surtout pour châtier un coupable. La punition infligée serait expiatoire pour l’accusé. On suppose que pour les plaignants, le jugement rendu prend une dimension rédemptrice et les soulage de la douleur ressentie, leur apporte une reconnaissance officielle. Ils savent pourtant que jamais les représailles ne répareront le tympan crevé ni ne ramènera à la vie la personne perdue.
La justice évalue donc la gravité des faits pour punir le coupable et indemniser la victime selon des codes en vigueur. En fonction des situations, elle regroupe ou isole les accusés. Elle fait de même pour les victimes.

Désigner des coupables pour protéger les responsables

PSA Aulnay

A Aulnay, on assemble des voitures (la C2 et la C3) avec des pièces fabriquées par les différents sous traitants. Avec ses 3400 ouvriers, l’usine est de taille moyenne (par rapport aux 10000 de Citroën Rennes ou de Peugeot Poissy). Grâce aux grandes qualités de management de la direction ( !) et surtout aux conditions particulières d’exploitation des travailleurs, l’usine est la 2ème plus rentable du groupe PSA (+ 25% de productivité en 20 ans). Bien que la plupart des salariés de la boîte ne gagnent que 1000 à 1500 euros net, le groupe, lui, dégage d’énormes bénéfices (plus de 9 Milliards cumulés ces dernières années, affirme un membre du comité de grève).
Le site est en lointaine banlieue, dans une zone industrielle isolée de toute forme de vie. D’après un camarade de l’usine, “ près de 22000 jeunes sont passés sur les chaînes de fabrication de l’usine d’Aulnay et c’est avec un certain cynisme qu’une DRH de l’usine avait prétendu que l’entreprise avait écumé la totalité de la jeunesse du 93 ”… Ici, la CGT est majoritaire. Ce syndicat n’a pas signé l’accord de négociation à la rentrée (augmentation de 1.6% du salaire, soit 26 euros brut !!) contrairement aux autres syndicats. Notons que dans cette boîte, c’est FO qui fait office de syndicat des patrons, ceux-ci ayant carrément osé s’opposer au mouvement de grève. Il y a aussi quelques adhérents à SUD. Des camarades communistes et libertaires sont présents dans l’usine. Ce site de production a un passif en matière de luttes sociales. Mais, au fur et à mesure que les anciens militants partaient en retraite, la conscience de la lutte s’est difficilement transmise. La boîte a connu une longue période de 20 ans sans lutte sociale (1).
La lutte a cependant repris en 2004, chez certains sous traitants pour des augmentations de salaire. La direction a tout fait pour réprimer ces mouvements sociaux : harcèlements, menaces, licenciements, embauche de jaunes ou agression furent de mise. A Citroën Aulnay, il y a eu une grève victorieuse en 2005, pour le paiement des jours de chômage technique. Lors de cette lutte, un comité de grève s’était déjà mis en place.

La sous-traitance et l’intérim Une des difficultés majeures pour les luttes dans le secteur automobile est que la production est parcellisée et les travailleurs sont atomisés.
D’une part, l’usine mère ne fait plus que de l’assemblage, la fabrication étant assurée par des boîtes de sous traitance (souvent des entreprises revendues par le groupe PSA). Lorsque les ouvriers de la sous traitance réclament une augmentation de salaire, leur direction leur fait comprendre que l’entreprise est elle-même sous la pression de PSA (alors que PSA intervient dans les négociations salariales).
Réciproquement, PSA fait pression sur le facteur travail en fixant elle-même les tarifs auxquels elle paye les sous traitants. Ainsi elle ne s’embarrasse pas avec des syndicats plus puissants, des DP, des conventions collectives et surtout de la menace que représentent beaucoup de travailleurs réunis sur le même site.
L’autre conséquence est évidement que les travailleurs sont une nouvelle fois divisés (entre différentes entreprises, entre différents statuts) alors qu’ils participent tous à la même production et surtout, à la même plus value pour les actionnaires.
Le recours à des travailleurs intérimaires est aussi un avantage majeur pour Citroën. En effet, le facteur travail devient beaucoup plus “ flexible ”, modulable. Ils sont de plus en plus nombreux à ne jamais être embauché. Cela divise une nouvelle fois les travailleurs entre ceux et celles qui restent dans la boîte et les autres qui n’ont pas forcement la sensation d’avoir des raisons de lutter puisqu’ils peuvent penser, par exemple, qu’ils ne bénéficieront pas des avantages obtenus. Cela est à mettre en rapport avec les conditions de précarité que peuvent connaître les intérimaires, ce qui les freine pour lutter : perte de salaire, peur de ne pas être repris, d‘être grilleé auprès de son agence, etc.

Le début de la grève Chez le sous-traitant MAGNETO, les ouvriers ont obtenu 100 euro d’augmentation ainsi que 5 jours de congés supplémentaires et l’embauche de 10 des 40 intérimaires de l’atelier, en 3 jours de grève seulement fin février ! C‘est certainement grâce au tract, informant de cette victoire, distribué par les militants CGT, que des ouvriers de l’équipe du matin ont débrayé à Aulnay.
“ Une dizaine de salariés circulaient sur les lignes de montages pour faire sortir leurs camarades, on comptait vers 17 heures 200 ouvriers de fabrication en grève dont des moniteurs et des intérimaires Puis ce fut au tour de l’équipe de nuit de se mettre en grève avant de voir le lendemain l’équipe du matin rentrer dans la danse. La production de C2 C3 était alors complètement arrêtée”, raconte un membre du comité de grève. C’est grâce à des débrayages spontanés qu’a pu démarrer la lutte. Les acquis de la grève de 2005 ont permis au mouvement de se structurer et s’organiser rapidement. La direction n’a pas attendu pour mettre en place la répression, en faisant surtout pression sur les non titulaires. Ajoutons que l’inspection du travail a condamné la boîte pour avoir embauché illégalement des intérimaires pendant la grève. Aussi, ils ont fait venir des jaunes depuis d’autres sites, en leur proposant un peu d’argent…

Le déroulement de la lutte Deux fois par jour, une centaine de personne se réunissait en comité de grève et les décisions étaient ensuite votées en AG. Environ 500 personnes ont participé activement à la grève. Les autres salariés étaient nombreux à soutenir le mouvement : débrayages de 2H, signature de pétitions, don à la caisse de grève, etc. pour plus de mille d’entre eux. Les grévistes ont rapidement voulu populariser le mouvement. Ils ont diffé des tracts dans d’autres usines du groupe, manifesté avec d’autres grévistes ou devant le siège de PSA, etc. Ils ont aussi accueilli la “ bravitude ” des candidats au spectacle électoral venus les visiter (ou leur faire la leçon, comme Ségo !).
L’intersyndicale a soutenu le mouvement. Le Grand patron de la CGT est venu les voir avec un petit chèque de 10000 _. La caisse de grève a été alimentée par les collectes de soutien et des dons de la part de certaines d’Unions Locales. Le Conseil Général de Seine St Denis a voté une aide 20000 euros aux grévistes (2) et plusieurs mairies PC ont aussi apporté un soutien financier. Cette aide à caractère politique n’aurait probablement pas eu lieu en dehors du contexte de la chasse aux voix ou si la grève n’avait pas plu aux bureaucrates réformistes du PC. Il y a eu des débrayages sur plusieurs sites (3), notamment chez Lear qui fabrique les sièges. Les voitures étaient donc montées à Aulnay…sans les sièges ! Finalement, la reprise du travail a été votée durant la sixième semaine de grève. Le rapport de force n’augmentait plus et la fiche de paye de mars commençait à être dure à digérer. Toute fois cette grève n’est pas une défaite, c’est un premier pas. Les ouvriers de l’usine ont appris à s’organiser, à mieux se connaître et on acquis une bonne expérience.

Les enseignements de la grève Un des points forts de cette grève est que les obstacles à la lutte de classe tendent à être combattus. La lutte a dépassé un enjeu purement économique et d’entreprise pour arriver à des revendications de classe et sur la base d’une lutte pour le secteur en entier. La revendication des 300 euros rejoint la volonté des 1500 euros du SMIC. Pour cela, les politiques ne valent rien : d’abord, ils ne promettent le SMIC que dans plusieurs années (avec l’inflation) alors que seule la lutte permettrait de l’obtenir tout de suite. Aussi, cette revendication n’est en rien extraordinaire mais est simplement une nécessité exprimée par les conditions de vie de la “ la France qui travaille ” trop !
L’autre obstacle qui tend à être surmonté est celui de la division des travailleurs. Ce mouvement est une grande avancée puisqu’il a fait naître une solidarité entre les salariés de Aulnay et ceux des autres entreprises de PSA et des sous traitants. On a vu qu’il peut y avoir des solidarités et des luttes menées collectivement entre précaires et titulaires et, surtout, que leurs intérêts sont convergents.
Les grévistes ont aussi participé au fait qu’il puisse renaître un front de classe, unissant les travailleurs de tous les secteurs, pour être plus fort face aux intérêts capitalistes. Ils ont manifesté avec d’autres secteurs en lutte, on popularisé leur lutte auprès des habitants de la région. Le problème fondamental dans cette grève n’est pas tant que les salariés de l’usine solidaires de la grève n’aient pu (ou osé ?) rejoindre le mouvement. Plutôt, il faut voir qu’aucune forme d’organisation des travailleurs du pays n’a été là pour appeler et faire naître une grève, dans d’autres entreprises, dans tous les secteurs, afin que ces revendications, qui concernent toute la classe ouvrière, puissent être satisfaites. Ce n’est pas être utopiste ou gauchiste que de poser cette question car c’est bien cela le fond du problème : les travailleurs n’ont pas encore aujourd’hui les moyens d’inverser globalement le rapport de force.

Les questions politiques Les premiers syndicalistes de la CGT ou les militants des IWW (4), au début du siècle dernier, se posaient la question de comment dépasser le syndicalisme de métier (de corporation) pour favoriser l’organisation de tous les travailleurs. Aujourd’hui, il nous faut notamment poser la question de comment dépasser le syndicalisme d’entreprise pour réunir les travailleurs d’une même production (salariés ou non de l’entreprise donneuse d’ordre, titulaires ou non, etc.) et créer la solidarité entre les travailleurs en lutte dans tous les secteurs. Et cela, aucun parti politique ni aucune fédération syndicale n’envisage concrètement de le faire.
Finalement, ce mouvement social n’a fait qu’aborder brièvement ces questions politiques. A priori, les liens créés, avec le comité de grève notamment, vont permettre de construire le rapport de force quotidien à PSA Aulnay. Mais il aurait aussi fallu que les solidarités construites avec des salariés d’autres entreprises puissent être maintenues.
Enfin, on aurait pu espérer que les grévistes aient remis en cause leur travail lui-même : est t il vraiment envisageable de réclamer que la production automobile puisse continuer, avec tous les désastres qu’elle engendre : pollution, défiguration des villes et des campagnes, désastre social, etc. ? Malheureusement, pour le moment, la majorité des travailleurs a surtout une chose en tête : finir le mois sans trop creuser son découvert…

Seba, OCL Paris le 26 avril

Un site Web sur la grève avec un Forum, http://phoenixx1.free.fr, est à visiter impérativement !
Sources : L’Huma, le figaro, le parisien, Nouvel Obs.com, indymedia et discussions avec des travailleurs d’Aulnay.

(1) “ Il y a eu une grande grève en 1982, où les travailleurs immigrés avaient gagné la “ dignité ” et le droit de se syndiquer à la CGT et non au syndicat maison, puis en 1984 face aux licenciements ” (L‘Huma.).
(2) La droite et la direction s’en sont offusquées mais aucun d’eux n’a rappelé les 269 millions d’euros offerts à PSA…par la région Île de France !
(3) Lear à Lagny-le-Sec, quatre jours de gève ; Gefco à Survilllers, trois semaines ; Lajous, deux jours de grève ; Seidoux.
(4) Industrial Workers of the World. Ils avaient pour slogan : “ ONE BIG UNION OF ALL THE WORKERS ”

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