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Courant Alternatif juin 2018

Une expérience d’observation de lutte à Reims

Lutte à la SNCF

jeudi 14 juin 2018, par OCL Reims

Dans le numéro précédent de Courant Alternatif (n°280 Remarques sur le mouvement en cours), nous nous interrogions sur le mouvement social en cours en nous arrêtant plus particulièrement sur les grèves à la SNCF.


Notre constat était plutôt pessimiste. Ce que nous observions c’est ce qui était en train de se dérouler reproduisaient les shemas des mobilisations précédentes tant sur la forme (manif ballon, merguez party, intersyndicale et négociations au ministère) que sur le fond (défense du service public, décomposition/recomposition de la gôche, Mélanchon en embuscade). Nous concédions toutefois deux tares à notre analyse. La première consistait en notre relative extériorité à ce mouvement et à son animation, nous ne sommes pas en grève, nous ne sommes pas cheminots, nous ne sommes pas à la CGT (mais ça va quand même hein !). Cette extériorité nous oblige évidemment à une certaine humilité dans nos analyses. La seconde chose c’est qu’en tant que groupe politique nous souffrons de nos propres représentations des choses, évidemment nous n’attendons pas bougon sur notre colline LE mouvement social révolutionnaire dument validée qui imposera les conseils ouvriers, mais nous sommes tributaires de nos propres préjugés et stéréotypes(1). Il ne s’agit pas de faire par ce propos acte de contrition, mais d’établir un nécessaire préalable à toute discussion ou réflexion honnête et serieuse.(2)

Une expérience d’observation de lutte à Reims

Donc partir du concret et du réel avec notre pratique comme base. Nous disposons pour cela c’est notre expérience du suivi de la mobilisation d’un groupe de cheminots de notre ville. Nous avons développé dans les luttes passées une camaraderie avec le syndicat CGT cheminots. Quelques uns d’entre eux ne cachent pas un intérêt personnel pour les idées communistes libertaire.
Cela nous vaut de la part de ceux-ci un accueil chaleureux, des discussions et une confiance qui se concrétise par une ouverture peu commune. ils nous permettent d’assister aux AG de syndiqués comme à celles des grévistes où la parole nous est offerte. Nous sommes également inviter à accompagner les tournées des animateurs de la grève lors des journées de mobilisations.
Le collectif d’animation du syndicat est composé de 5/6 cheminots (pas beaucoup de femmes aux syndicats encore moins à sa direction) d’une quarantaine d’ années repartis entre aiguilleur et conducteur de TER. Il fait vivre le syndicat de manière dynamique en mélangeant le syndicalisme de service et de cogestion des organismes paritaires (la maitrise des règlements intérieurs et du droit relève quasiment de l’expertise) et une fraternité qui se décline en une solidarité matérielle réelle et concrète sur tous les plans de la vie pour les membres du syndicats. Les vocations de ces animateurs ne sont pas seulement issues des héritages familiaux (il y a peu de fils de cheminots et/ou de militants), l’adhésion au syndicat résulte avant tout d’un vécu ordinaire et d’une expérience du passé (certains ont travaillé dans le privé). Avant d’être un combat idéologique l’engagement au syndicat est avant tout le résultat d’un rapport de classe subi par des agents occupant des positions marqués socialement dans le travail (exécution, traction, contrôle, maintenance etc.) et dans la société. Le syndicat est donc tout à la fois un espace de socialisation comme d’expression politique mais si la politisatisation est de fait, elle ne s’incarne pas dans des engagements spécifiques type encartages politique alors que les cheminots sont régulièrement courtisés par l’ensemble des chapelles gauchistes de la ville, ce qui provoque un certain dédain et une goguenardise par rapport aux militants extérieurs.
Ce « rapport » a la chose politique est largement entretenu par la hiérarchie de la CGT qui vilipende régulièrement les « intellectuels » de LO ou « les milices d’ultragauches » motivés par la possibilité de foute le « bordel »(3).
Factuellement le site compte un peu plus de cinq cent travailleurs dont 470 cheminots environ, il héberge les locaux de la direction régionale et donc un certain nombre de cadres supérieurs.
La surveillance et l’intervention de la direction est donc permanente, soit forme directe, soit par l’intermédiaire d’un huissier remplissant son petit boulot de gratte papier.
Les cheminots sont très largement syndiqués. Pour prés du quart d’entre eux à la CGT, le reste se répartissant entre CFDT et UNSA, SUD rail est lui très faible et souffre d’une mauvaises réputation. Historiquement sa fondation a été perçu comme un acte d’opportunisme de la part de la majorité des autres syndiqués.
Sur le terrain la grève suscite l’adhésion, ainsi à la traction (chez les conducteurs pour faire simple) les taux de grévistes ne sont jamais descendus en dessous de 60 %. Evidemment l’impact de la grève sur le service a été fortement limité par la capacité de la direction à absorber le choc de la grève. Le service minimum matérialisé par les déclarations individuelles d’intentions (les fameuses D2I) permet à l’encadrement de mettre la pression sur les cheminots, de prévoir à l’avance les trains qui manque et donc de s’organiser en conséquence. Il y un donc un vrai écart entre la mobilisation et ses conséquences. Cet écart se manifeste également dans la réalité du mouvement et dans son affirmation.

Des capacités non exploitées.

Alors que la mobilisation d’un point de vue statistique relève d’un aspect inédit par son ampleur et sa durée, que la participation aux AG est loin d’être négligeable et que la colère est palpable les cheminots ne parviennent pas à transformer ce potentiel en force réelle. Pourquoi ?
Premièrement : La stratégie de grève planifiée est un obstacle à l’auto-organisation des cheminot-e-s et semble un pis aller pour contenter tout le monde (faire grève un peu beaucoup mais pas trop non plus). Il aura fallu attendre six semaines de conflits avant de voir l’apparition des premiers piquets visant à bloquer l’accès au lieu. Il aura fallu attendre un mois de mobilisation pour que de timides actions seront tentées à l’extérieur. Les rassemblements devant la gare n’auront été que faiblard et c’est au prix d’une initiative individuelle qu’un TGV sera bloqué au cours de l’un d’entre eux. Il ne faut pas voir ici qu’un manque de bonne volonté confronté à une éducation syndicale qui met l’accent sur l’expertise, la contre proposition (le rapport ensemble pour le fer par exemple) les travailleurs n’ont plus de référence pour la lutte. Certes les anciens les serinent avec 1995 et leurs faits d’armes, ils évoquent moins souvent les coordinations de 86 ou les grandes grèves du passée comme celle de 1920 qui aboutit à la révocation de 15 000 cheminots et à la scission de la CGT.
C’est donc tout un imaginaire subversif qu’il reste à mobiliser.
Mais un imaginaire qui se base sur ses propres références par exemple la lutte pour la bataille de l’opinion publique n’est pas négative en soi si elle participe d’une interrogation de ce concept (qui forme ce concept ?, à qui est-il destiné ?, et l’opinion de classe ?). Poser la question des droits que nous possédons, c’est se poser la question de comment nous les avons obtenu et ce qu’ils impliquent. La question de la sous traitante ou les différents statuts de travailleurs dans la SNCF comme le statut de contractuel pour les travailleurs étrangers (le fameux PS25 qui a permis la discrimination des chibanis par exemple) permet d’exploser les mythes de l’entreprise publique pour la ramener à sa vrai réalité, celle d’une exploitation entre d’un coté des capitalistes et de l’autre des prolétaires. C’est à partir de ce constat qu’une convergence des exploités est possible et que nous pouvons justifier notre présence aux cotés des cheminots en lutte.

C’est en tout cas donc à partir de ces axes que nous articulons notre intervention, ce que cela donnera, on verra bien, gardons le pessimisme pour des jours meilleurs !

Mouloud Hollywood

(1) « la production des idées des représentations et de la conscience est d’abord directement et intimement mêlée à l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes […et des femmes ndjm]. Elle est le langage de la vie réelle. Karl MARX l’idéologie allemande.
(2) A ce sujet nous recommandons le numéro de nos camarades de la Mouette enragée dont le dernier numéro traite de la question de l’enquête ouvrière.
(3) Spéciale dédicace à André G.

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