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Courant alternatif 268 -avril 2017

60 jours de lutte à la Fnac Champs-Elysées

mardi 18 avril 2017, par admi2

Ouverte 7 jours sur 7, sur des amplitudes de travail allant de 7h à minuit, la Fnac des Champs-Élysées est devenue l’emblème des dérives du travail de nuit et dominical au sein de l’enseigne. Champs-Élysées c’est le caillou dans la chaussure d’une direction qui a été trop loin sur les sujets de santé au travail, de discriminations, de harcèlement, d’iniquité salariale, et de licenciements crapuleux. C’est aussi le caillou dans la chaussure des syndicats FNAC qui ont laissé faire et nous ont condamnés de par leur passivité, voire même pour certains de leur collaboration. 


Le ras le bol  

À force de tirer sur la corde elle a fini par lâcher. En 2014, nous avons la preuve que les autres FNAC avaient une compensation dominicale deux fois plus importante que la nôtre, alors que nous faisions 10 fois plus de dimanche qu’eux dans l’année. On se lance dans une grosse investigation sur nos fiches de paye et on se rend compte des erreurs à gogo : non-respect de la convention collective, minimums de rémunération non respectés, majorations non payées, accidents de travail et congés maternités rémunérés à 60-70% au lieu de 100 %.

Du coup c’est parti. On communique aux salariés et dans toutes les instances pour sensibiliser les syndiqués des autres Fnac. C’est l’abandon le plus total. Dogmatiquement, ils sont contre le travail du dimanche : si on a accepté de travailler le dimanche et la nuit, c’est notre problème. Pour nous ça ne tient pas. On sait pourquoi les salariés aujourd’hui sont contraints de faire des horaires décalés, de voir moins leur famille pour la faire vivre ; pourquoi ils se pourrissent la santé pour tenter de vivre un peu mieux pour moins longtemps. Ce n’est pas le moment de jouer à cache-cache syndicat mais bien de prendre le problème à bras le corps. On décide de mener une action prud’homale. 60% des employés nous suivent. 5 ans de fiches de paye épluchées. En 2015, de premiers débrayages instaurent un rapport de force qui nous permet d’obtenir gain de cause sur des points de non-respect du droit du travail.

En 2016, les problèmes concernant les conditions de travail, la santé au travail et les salaires continuent. En même temps, un management de plus en plus répressif se met en place. On prévient la direction toute l’année : si rien ne change, Noël sera sous les banderoles ! Ils savent qu’on est des "lâche-rien" mais il n’y a pas eu de grève depuis 15 ans, et pour eux nous sommes isolés. Selon eux on s’épuisera sans rien obtenir. Nous on a qu’une idée en tête : lutter jusqu’au bout.

La grève

Le 3 décembre, première journée de grève. Un noyau dur de permanents, en tout une cinquantaine de personnes, débrayeront d’un moment à l’autre. On est donc une grève minoritaire. Dans l’année il y a eu 7 licenciements rien que sur notre magasin. La pression de la direction sur les salariés est importante, les lavages de cerveau des responsables, plus ou moins discrets, plus ou moins stupides, sont récurrents ("tu viens d’avoir un CDI tu n’as pas honte de faire grève ?"...). Le rapport de force se met en place : présence constantes d’huissiers (jusqu’à 4), responsable RH du magasin, directeur, responsables de régions, responsables nationaux en mode "œil de Sauron" . On ne perd pas la face. Relever la tête est une nécessité.

Le 10 et 11 la grève reprend. Toujours pas de syndicats. On demande une audience à la direction, on l’a. Blablabla… Rien ne change. La semaine d’après on obtient une audience informelle avec la direction régionale et nationale, et un seul gréviste. Le même jour, 5 grévistes reçoivent la visite d’un huissier qui leur délivre une assignation à comparaître en référé au TGI de Paris. Chantage à peine dissimulé au rendez-vous, les 3 directeurs annoncent leur proposition : "on sait qu’il y a des problèmes sur Champs Élysées, si vous arrêtez la grève on pensera à vous et on abandonne les poursuites". Notre réaction est unanime, c’est non. En retour, la direction fait passer le message aux salariés qu’une « super proposition » a été faite aux grévistes et qu’ils l’ont refusée. Leçon retenue, on ne fera plus jamais l’erreur du rendez-vous informel. 

Les 17 et 18 décembre, 3 jours avant le TGI, accueil de la garde prétorienne au piquet. Une petite vingtaine d’agents de sécurité privés externes filtrent l’entrée avec des barrières, et tentent de nous faire comprendre qu’aujourd’hui c’est mort il n’y aura pas grève. Personne ne se démonte ; au contraire ça nous met encore plus la rage. On monte le piquet. Là s’est parti : on se fait bousculer dès que c’est possible, le DRH France vient arracher lui-même les banderoles. Ça dégénère : les banderoles sont arrachées de tous les côtés, on s’y accroche, un de nos collègue passe par-dessus une barrière repart avec les pompiers. Au final, il aura 10 jours d’ITT. Il y a peu de femme mais dès qu’elles sont seules les agents les poussent, et arrachent les draps où sont inscrites nos revendications. Pendant deux jours, la tension est très forte. Les agissements de la direction sont à vomir. Mais au lieu de nous faire peur, cela nous soude, on fait front. 

Reconductible  

Le noyau dur décide de poursuivre sur une grève reconductible. C’est un piquet 7 jours sur 7 de 14h à 20h minimum. En A.G on demande aux salariés de faire ce qu’ils peuvent pour nous soutenir que ce soit pendant leur pause ou sur leur jour de repos.

Arrive l’audience au TGI. Après avoir eu l’ambition de briser la grève en nous cassant la figure, ce n’est plus l’abus de droit de grève qui nous est reproché, mais seulement de gêner la libre circulation des clients. Nous sommes condamnés à ne pas bloquer, ni filtrer l’entrée, sous astreinte de 100 euros par infraction constatée par les huissiers payés par la Fnac.

 La direction ferme le dialogue. Nous, on fait notre piquet jour après jour.. On parle beaucoup aux gens dans la rue : le travail dominical, les inégalités, les maternités, les accidents de travail, Darty, et les syndicats pourquoi ils ne sont pas là ? C’était à nous de justifier leur absence. Ils se reconnaissent en nous, le « sans étiquette » délie les langues et tous ces encouragements font du bien. Les syndicats Fnac se décident enfin à venir en délégation pendant une heure devant le magasin pour se révolter contre l’agression de notre collègue et l’affront fait au droit de grève. Puis, ils repartent…

On se rend aussi vite compte qu’énormément de salariés des champs Élysées galèrent de façon similaire. On échange plusieurs fois avec les salariés de Nike, on les encourage à mener des actions, ça se sait. Quelques jours plus tard, ils viennent nous annoncer que notre grève leur a permis de débloquer des situations de conflits chez eux ! Le bonheur !

La convergence  

On a eu beaucoup de syndiqués qui se sont arrêtés qui nous ont parlé de leur propre expérience, qui ne comprenaient pas où étaient leurs camarades sur notre piquet, et qui ont pris nos numéros. Un seul nous a rappelé, B. :un postier, il a affiché la couleur direct : il veut nous aider. Il est revenu avec une collègue à lui, M., et on a fini la soirée avec un projet de rassemblement et une caisse de grève. Deux paramètres nouveaux pour nous : solidarité externe et convergence. 100 personnes deux semaines après au rassemblement du 11 janvier. Résultat immédiat : proposition de réunion de sortie de crise de la part de la direction. À la table les grévistes, les syndicats, et une proposition misérable. On ne lâche pas. 

Deuxième rassemblement, suivi d’une petite visite à la Fnac de Saint-Lazare. La direction n’aime pas du tout et nous le fait savoir. Deuxième réunion, et cette fois-ci les syndicats s’invitent eux même à la table. Proposition toujours pas convenable. Les syndiqués du magasin attachés à leur fédération qui ont fait grève une heure sur dix, nous recommande d’accepter, « les gens sont fatigués, il est temps de dire stop »...MAIS LES GENS C’EST NOUS ! Oui on est fatigué mais on est déterminé et personne à part les salariés concernés qui se battent depuis le début n’a le droit de nous dire d’arrêter ! Fédération ou pas fédération, direction ou pas direction. Ils se désolidarisent officiellement, tous les trois... La direction communique que c’était la dernière fois qu’ils se mettait autour de la table, qu’il n’y aura plus jamais de proposition.

On continue. On annonce un black-out d’une heure un dimanche après-midi, tout le monde est invité à quitter son poste en même temps. Les pressions de la direction s’intensifient, avec menaces ouvertes en briefing le matin même. Échec stratégique de leur part, 85% des employés suivent et leur prouvent une chose difficile à encaisser : ne pas faire grève ça ne veut pas dire ne pas soutenir le mouvement ! Silence radio des patrons pendant plusieurs semaines. De notre côté, on refuse de se laisser abattre. On multiplie les actions avec les cheminots en grève, les postiers etc. Nous rencontrons beaucoup de soutiens, des médias alternatifs nous aident, et la caisse de grève monte. Au troisième rassemblement de convergence externe, la direction n’est même plus là. On se décide à demander audience de nouveau. Après plusieurs discussions on obtient un rendez-vous avec la direction et sans syndicats. Aujourd’hui c’est avec des salariés en gréve que la direction est obligée de négocier, et pour nous c’est déjà une victoire. On trouve un accord… Enfin… On signe. La grève est finie mais la lutte continue.

Si B. ne s’était pas arrêté, on serait peut-être encore sur le piquet. C’est important pour nous de le dire pour encourager ce type d’initiative individuelle car chaque action de solidarité peut mener bien plus loin qu’on ne l’avait prévu. On n’a pas obtenu satisfaction sur l’ensemble de nos revendications, mais on a réinstauré un rapport de force localement, qui oblige la direction au « dialogue social ». Son expérience et celle de tous les gens qu’il nous a permis de rencontrer a popularisé notre grève, dans les milieux militants ou pas, et c’est cette convergence et son spectre qui a fait plier la direction !

Pour la plupart d’entre nous, nous ne sommes pas des militants chevronnés, juste des salariés qui ont décidé de ne pas la fermer. On est une des preuves que l’auto-organisation peut être victorieuse, que dans le privé et le contexte actuel on peut tenter des actions qui aboutissent. On a pour ambition de poursuivre dans cette voie à la Fnac et ailleurs car la divergence des opinions ne doit pas empêcher la convergence des luttes. À eux le vice et la lâcheté, à nous le courage et l’honnêteté. Ils veulent nous diviser pour mieux régner, on va se rassembler pour mieux lutter. 

On remercie de tout cœur toutes les personnes qui ont été présentes de quelque façon que ce soit. C’est une victoire pour tous.
Nous serons toujours, d’une manière ou d’une autre, solidaires de toute les luttes sociales, qu’elles soient salariées ou dans la rue. 
Chaque fois qu’il y aura de l’autogestion et de l’indépendance, des dents grinceront et nous chanterons. 
Faire front commun sans cesse. 

L’actualité des luttes nous a donné la parole :
http://actualitedesluttes.info/?m=2...
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Collectif des salariés Fnac Champs Elysées, le 21/03/17

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