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Crevettes et Touristes, responsables des conséquences du Tsunami (1)

dimanche 1er mai 2005, par Courant Alternatif

Les conséquences de ce Tsunami, auraient-elles été aussi importantes si les écosystèmes littoraux avaient été préservés depuis 1 siècle ? Que sont devenus ces écosystèmes de l’océan Indien qui constituaient une double barrière de protection à l’égard des grandes vagues ? (2)


La région d’Asie du Sud Est déjà touchée dans son histoire par des Tsunamis, n’avait pas connu autant de victimes parce que les côtes étaient protégées par un système de défense naturel, composé par les récifs coralliens et les mangroves. Les Palétuviers Rouges au port arbustif constituent la première bande de défense. Leurs longues branches flexibles s’érigent telles des échasses à même le sol et sous la surface de la mer, absorbent les premières ondes de choc des lames des Tsunamis. Un deuxième zonage et occupé par les forêts de Palétuviers Blancs et Noirs aux ports arborés typique des forêts pluviales. Ces derniers contribuent à absorber l’intensité des vagues. C’est au sein de cette Mangrove que traditionnellement se sont installées les populations locales indigènes trouvant protection et subsistance dans un écosystème riche et nourricier.
Des dizaines de milliers de kms de Mangrove couvraient le littoral. Elle protégeait la côte de l’érosion, offrait un milieu exceptionnel Les populations de crustacés et de poissons dont dépendaient les peuples indigènes pour leur subsistance-autonomie (protéines ; matériaux de construction ; plantes médicinales et alimentaires).
Dans l’océan indien, le Sri Lanka et le Sud de l’Inde, la plupart des forêts pluviales de type mangrove ont disparu. Cette situation touche aussi la zone Caraïbe ( Haïti ; République- Dominicaine ; Jamaïque, le Madagascar comme la côte Est de l’Afrique. L’archipel des Philippines a perdu 4/5 de la mangrove initiale depuis les années 1960. En Asie du Sud Est, 70% des mangroves ont disparu au profit de l’industrie de la crevette et du tourisme de masse.
En 1960, un Tsunami qui a frappé la côte du Bengladesh, à un endroit où la mangrove était intacte, n’a pas fait de victimes. Mais depuis leurs destructions, et leurs substitutions par les industries de la crevette, les Tsunamis d’intensité identique produisent des effets dévastateurs. Ainsi en 1991, des milliers de personnes sont disparues sous les flots dans la même région. Le 26 décembre 2004, plusieurs villages au Sud de l’Inde et même l’Ile de Nias proche de Sumatra en Indonésie ( épicentre du Tsunami ) ont connu beaucoup moins de victimes car leur territoire ont conservé les mangroves.

Disparition des mangroves – effets cumulatifs et réactions en chaîne sur les massifs coralliens.

Dans ces régions du monde à très forte diversité biologique, les trois quarts des espèces de poissons passent une partie de leur vie dans la mangrove. La perte de ces milieux naturels a eu pour conséquence de réduire les espèces disponibles pour les populations locales et a (contribué à leurs déplacements vers les métropoles dans les bas fonds des économies nationales. Par ailleurs, durant les décennies de déforestations l’érosion des sols littoraux et forestiers, les flux d’acides humiques et les substances chimiques liées à la décomposition des bois ( tannins et terpènes) se sont répandus dans l’océan. La dégradation des barrières de corail était ainsi amorcée et le voile de sédiments et d’effluents forestiers déposés sur les coraux a perturbé le fonctionnement de la photosynthèse de ces écosystèmes. De plus, l’industrie de la crevette qui utilise de façon massive pesticides, fertilisants et antibiotiques, contribue avec ces flux polluants à une forte dégradation des massifs coralliens. La dégradation des milieux de vie auxquels étaient intégrés les populations locales se répercute sur les pratiques de pêche qui s’apparentent à des exactions irréversibles pour les populations de poissons (halieutiques). Le pillage pour la pêche, s’opère à la dynamite, à l’explosif ou au cyanure employé par des centaines d’enfants esclaves qui écument les récifs. Ces derniers sont souvent victimes d’espèces venimeuses ou blessés par des espèces carnivores.

Dégradations irréversibles ! ?

Avec les forêts pluviales, les mangroves, les récifs coralliens constituent les écosystèmes où la diversité biologique est la plus importante de la terre. On dit qu’ils constituent le « Creuset » de l’émergence de la vie terrestre il y a 3 Milliards d’années, ils sont
aussi qualifiés de Forêt Tropicales Pluviales des océans.(2)
Pour les 109 pays concernés par les barrières de corail qui s’élèvent à plus de 100 000 Km, ils constituent des éléments majeurs de leur patrimoine. Pourtant ni les états, ni les industriels ne les respectent à leur mesure, pas plus qu’ils ne respectent leurs populations. Seul les populations autochtones, indigènes sont en mesure d’habiter et de respecter ces milieux. Partout où les récifs ont régressé, les conditions de vie des populations ont régressé parallèlement. Ainsi, en Afrique de l’Ouest, la Tanzanie connaît une érosion du littoral de 5 mètres par an. Les conditions de vie des populations de pêcheurs se sont du même coup profondément altérées.

Diversité biologique, ethnique et linguistique… ressources en sursis !

Les populations traditionnelles des côtes et des îles du pacifique de l’Asie du Sud Est de l’Afrique Orientale tirent plus de 90% de leurs protéines animales des poissons des récifs coralliens. Un récif en pleine santé renferme de 10 à 100 fois plus de poissons par unité de surface qu’en pleine mer. Le récif est vivant et mouvant. Il résulte de l’association d’un Polype qu’on pourrait rapprocher de la méduse sédentaire et d’une algue nommée Zooxanthelles. Les différentes colonies de coraux ressemblent à des têtes, des branches, ou encore à des feuilles. Une seule colonie va atteindre la taille d’une balle de golfe, et après des siècles de croissance une taille de 5 à 10 mètres. Les coraux édifient des structures apparentées à un squelette constitué du calcaire qu’ils sécrètent. La clé de leur existence est liée à la lumière solaire qui permet aux millions d’algues microscopiques (zooxanthelles) de vivre. En échange d’un abri protecteur, elles offrent la nourriture et l’oxygène nécessaires aux coraux. Les populations halieutiques (poissons) vivent en étroite dépendance de ces vastes milieux. On estime à 4 à 8 millions de tonnes par ans les prises de pêche annuelles. Les petits pêcheurs, qui ne travaillent pas en pleine mer et pratiquent une pêche de subsistance s’élèvent à près de 4 millions , soit 8 fois plus que les pêcheurs de l’industrie. Alors que mille mètres carrés de récif en pleine santé peuvent nourrir 800 personnes, la même superficie, une fois dégradée ne pourra en nourrir à peine le quart. C’est dans l’Archipel des Philippines qu’on trouve la plus grande diversité biologique avec par exemple plus de 1500 espèces de poissons dont 3 – 400 espèces coralliennes. Pour comparaison, en Tanzanie on descend à 192 espèces dont 52 coralliennes et au Koweit 85 et 23 espèces coralliennes ( depuis le stationnement de l’armada US dans le golfe, les barrières ne risquent pas de s’améliorer.)
Selon l’Atlas mondial des récifs coralliens, 1/3 des massifs dans le monde sont situés en Asie du sud est, 70% des récifs mondiaux ont été détruits, et 80% des récifs indonésiens sont en danger. Dans cette région du monde, 70% de la population vit sur les côtes.
Diversité biologique rime la plupart du temps avec une prodigieuse diversité culturelle ethnique et linguistique. Géodisio Castillo, indien Kuna du Panama : « Là où il y a des forêts, on trouve des peuples indigènes, et là où il y a des peuples indigènes, on trouve des forêts ». Les habitats les plus diversifiés de la terre abritent généralement les cultures en péril. Les massifs forestiers qui subsistent sont très largement ceux qui sont protégés par les populations tribales. Diversités culturelles et linguistiques sont également patentes à l’étude des statistiques mondiales ! Ainsi, neuf pays comptent à eux seuls 60% des langues parlées dans le monde, classés sur la liste des pays à méga diversité biologique, c’est à dire où on trouve un nombre exceptionnel d’espèces végétales et animales, se sont les pays où sont parlées plus de 100 langes. En Papouasie Nouvelle Guinée, en 1990, on estimait à 850 langues parlées, 650 en Indonésie, 410 au Nigéria, 380 en Inde, 250 en Australie.

L’Industrie de l’élevage de la crevette.

Après la dégradation d’écosystèmes majeurs, le déplacement des populations, la fin de l’autosubsistance pour beaucoup dans ces régions du monde, l’industrie mondiale de la crevette survient comme un pillage colonial de plus, au même titre que les différentes vagues du sucre de Canne, de l’Evéa, des bois tropicaux et du pétrole. Après avoir anéanti les possibilités d’autonomie des peuples autochtones il s’agit de pressuriser un peu plus les ultimes ressources. Les multinationales basées en occident se sont implantées en Asie du Sud Est et produisent près de 99% des crevettes d’élevage. Mais la plupart sont expédiées aux Etats-Unis, en Europe de l’Ouest et au Japon où leur consommation a augmenté de 300% dans les dix dernières années. Aujourd’hui, la production mondiale pèse 9 milliards et représente 800 000 tonnes et 72% des crevettes d’élevage viennent d’Asie. Des centaines d’organisations, d’associations s’opposent aux niveaux local, national et international à ces industries destructrices. Les élevages industriels ont eu pour conséquences de déplacer des communautés entières, d’exacerber des conflits, de réduire la qualité et la quantité d’eau potable et ont décimé les poissons sur lesquels les populations comptaient pour vivre. Les populations ont fini par vivre sur la côte sans la protection des mangroves.

Si l’aquaculture industrielle et le tourisme ont eu la possibilité de détruire ainsi les vastes milieux en Asie du sud est, c’est que les Etats et le système capitaliste ont favorisé les multinationales et le marché, sacrifiant les populations comme les écosystèmes. Cette situation a été renforcée par l’OMC car les multinationales se sont appuyées sur ces directives pour infléchir les politiques locales qui parfois pouvaient s’opposer à leurs implantations.
Le désastre du Tsunami de décembre 2004 s’est engouffré dans une vaste zone consacrée aux rizières et à l’élevage industriel de crevette à Banda Aceh. Les images satellites démontrent cette absence de barrières naturelles tout comme sur le site du complexe touristique de Phuket. Tant que le système économique prédateur perdurera, les désastres de cette intensité se reproduiront. Certes il n’est pas concevable d’agir sur la tectonique des plaques ni leur mobilité, mais il est nécessaire de prendre en compte à la fois ce que les écosystèmes ont mis en œuvre sur des temps géologiques de même que l’adaptation des populations humaines à ces derniers. L’idéologie du marché, du progrès, de la vitesse, du pillage des ressources et de l’esclavage marque le pas face aux humeurs de la terre et à la facture climatique.

Sur la Radio Primitive à l’Egrégore, en avril … Trame et décryptage, Denis. Réa, pistage, recherches doc Jean Noël .

(1) De Mohammed Mesbahi et Dr Angela Paine 26 février 2000.

(2) L’état de la planète lester Brown 1993, revivifier les récifs coralliens par Peter Weber.


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Encarts

L’Australie

L’Australie qui a créé un vaste parc de 350 000 Km2 sur la grande barrière de corail avait sectorisé différentes zones en fonction des activités de tourisme, de recherche et de pêche. 4 à 5 des barrières étaient réellement protégées. Ce qui s’averre insuffisant face à la progression de la dégradation de cet espace . En mars 2004 se sont 33,3 % de la barrière qui sera protégée, et interdites de pêche, de même qu’à la circulation de la navigation. car les phénomènes de pollutions liées au continent lui-même et au dérèglement climatique désormais avéré risquent de faire disparaître la grande barrière à l’horizon 2050 et du même coup d’un point de vue mercantile les ressources de 4,5 milliards de dollars liées à un millions de visiteurs par an !
Thaïlande 16 janvier 2005.

Nettoyer les récifs coralliens des débris et décombres afin de redonner vie aux récifs qui recouverts de sédiments sont condamnés. Des centaines de plongeurs dégagent des tonnes de détritus arrachés au littoral de Phuket.
Des chercheurs qui se réveillent ! 26 février 05

1336 scientifiques de 19 pays lancent un appel d’urgence afin de mieux garantir la protection des barrières de corail dans le monde éléments majeurs des océans dont l’âge et estimé à 100 millions d’années. Ils estiment à près d’un million d’espèces de poisson vivant autour des récifs. Dénoncent comme responsables de leur dégradations, les pollutions, les techniques de pêche et les essaies nucléaires dans le pacifique aux effets dévastateurs durables. Ils soulignent aussi les apports précieux fait par les dizaines de médicaments issus des coraux tout comme un substitut osseux créé avec le corail et utilisé pour la reconstruction des os de la face ( d’hominidé).
Le Projet MAP…Mangrove Action Project.
Des communautés villageoises forestières ont fait le pari de vivre à la fois dans les écosystèmes forestiers de mangrove et de créer de micro élevages intégrés dans cette forêt. Les surfaces n’ont aucune commune mesure avec la table rase des élevages industriels, ils s’inspirent à la fois de techniques et de connaissances ancestrales mais aussi de connaissances et découvertes récentes.

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