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Extrait de Courant Alternatif 257 de février 2016

Etat d’urgence  : l’exceptionnel risque de devenir la règle

samedi 20 février 2016, par ocl-lyon

L’état d’urgence est prolongé et risque de l’être encore … jusqu’aux élections de 2017 à moins que la nouvelle loi antiterroriste révisant la procédure pénale, qui devrait être votée en mars, satisfasse le pouvoir et ses flics. Néanmoins, l’état d’urgence ne sera plus exceptionnel mais une donnée inscrite dans notre constitution (1).


 {{Un bilan transitoire de l'état d'urgence absolument « stupéfiant » }}

Du 14 novembre au 22 janvier, il y a eu 3189 perquisitions administratives dont environ la moitié a eu lieu de nuit  ; autre chiffre significatif traduisant l’activité des flics  : 406 assignations à résidence. Ensuite, le pouvoir s’est gargarisé de chiffres qui pouvaient laisser à penser à l’efficacité de cet état d’urgence au regard de la lutte antiterroriste  : 200 poursuites judiciaires engagées, 382 interpellations dont 332 gardes à vue, 541 armes saisies dont 41 de guerre, etc.. En fait, ces chiffres recouvrent dans leur immense majorité des délits liés au trafic voire la consommation personnelle de drogues (bien souvent du cannabis), à des vols ou recels, à des infractions à la législation des armes, etc.. Nos sécuritaires justifient ces chiffres et défendent ce bilan en avançant la porosité entre radicalisme, terrorisme et économie souterraine. Or, il suffit de prendre connaissance du nombre d’infractions liées au terrorisme pour constater que cette argumentation ne tient pas une seconde  : 25 infractions, seulement, liées au terrorisme ont été relevées dont 21 délits d’apologie du terrorisme (punis par la loi récente de 2014), apologie faite le plus souvent sur les réseaux sociaux. Il reste donc seulement 4 procédures pour terrorisme transmis au parquet antiterroriste de Paris, qui, s’il est surchargé de travail, ne l’est pas grâce à cet état d’urgence. On peut même avancer qu’il n’y avait pas besoin d’état d’urgence pour obtenir ces 4 procédures, l’application des dernières lois sécuritaires devait largement suffire. A ce jour, une seule personne est inculpée pour terrorisme.

Maintenant il est intéressant de constater que ces perquisitions ont été essentiellement menées dans les premières semaines avec une moyenne de 120 par 24 heures, alors que nous en sommes actuellement à moins de 20. D’autre part, la moitié des perquisitions a été menée sur la base d’informations fournies par les services de renseignement. Celles-ci furent effectuées de nuit avec l’appui des forces d’intervention qui n’ont pas hésité à casser, entre autres, les portes d’entrée  ! L’autre moitié des perquisitions a été menée à l’instigation des flics, gendarmes sur des objectifs non prioritaires n’ayant rien à voir avec le djihadisme.

A ce propos, nous apprenons du 2ème rapport de la commission parlementaire de contrôle sur l’application de l’état d’urgence qu’une partie des perquisitions aurait été décidée après exploitation du FSPRT (Fichier de traitement des signalés pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste), un fichier secret, nouveau, créé en mars 2015 et recensant les personnes signalées pour radicalisation. Il ne s’agit donc plus du fameux fichier « S » (voir CA 256) qui a disparu des radars.
Concernant maintenant les contestations en justice des assignations à résidence, les juges administratifs ont prononcé 6 suspensions, une suspension partielle et une annulation. A noter que 17 assignations à résidence contestées en justice administrative ont été abrogées par le ministre de l’Intérieur à la dernière minute avant la décision du tribunal ; l’Etat ayant eu peur de se faire désavouer. 15 affaires ont été portées devant le Conseil d’Etat et pour la première fois depuis la proclamation de l’état d’urgence, le Conseil d’Etat a décidé, le 22 janvier, de suspendre une assignation à résidence et a condamné l’Etat à verser 1500 euros à la personne concernée dans une affaire rocambolesque digne des pieds nickelés. Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, s’en est félicité en déclarant que c’était la preuve que nous étions toujours dans un Etat de droit (administratif  ?)…

 {{La fonction actuelle de l'état d'urgence }}

Alors, l’état d’urgence et sa et ses prolongation(s) futures n’ont pas pour fonction première et principale d’éradiquer le terrorisme. Il est difficile, même si Cazeneuve dit le contraire, de prévenir les actes de terrorisme sur le « modèle » du 13 novembre car « les mesures de sécurité ne sont efficaces qu’après coup, et que le terrorisme est, par définition, une série des premiers coups » (2)
Après un tel bilan, certains, à Gauche, espéraient que l’état d’urgence allait s’arrêter le 26 février. Dès début janvier, JJ Urvoas, député PS, rapporteur de la commission parlementaire, déclarait, à la vue du bilan, que la prolongation de l’état d’urgence ne semblait pas justifiée. Et pourtant, 15 jours après, nous étions sûrs que nous en avions encore pour au moins 3 mois. Il faut dire que Valls a placé la barre très haute en déclarant à la BBC que l’état d’urgence serait prolongé « jusqu’à ce qu’on puisse se débarrasser de Daech  ». Il semble que cet argumentaire soit la base pour justifier l’une des stratégies possibles envisagées par Hollande de prolonger l’état d’urgence jusqu’aux élections de 2017. Dans 3 mois, nous serons à la veille de l’Euro de football… qu’il faudra protéger car, évidemment, ce sera une cible potentielle des djihadistes. De toute façon, la stratégie électoraliste prioritaire d’Hollande est de suivre au plus près l’opinion publique sondée chaque semaine. Nous en sommes encore à 2/3 des citoyens français en âge de voter qui se déclarent favorables à la prolongation. Les grands médias mais aussi les actes individuels de fous de Dieu (ou pas d’ailleurs) ou supposés tel, sont là pour entretenir les braises de la peur. Mais en absence d’actes de terreur nouveaux sur le territoire français, Il est toujours possible que cette peur, justifiée juste après le 13 novembre mais bien entretenue depuis, baisse d’intensité et passe clairement au second plan des préoccupations des français après bien évidemment le chômage. Dans ce cas, Hollande pourra toujours changer de stratégie en s’appuyant sur la nouvelle loi modifiant le code de procédure pénale nous faisant glisser dans un Etat permanent de plus en plus policier.

 {{Future extension des pouvoirs de la police et du Parquet}}

Malgré la succession de lois antiterroristes depuis 20 ans, un projet de loi vient d’être transmis par le gouvernement au Conseil d’Etat pour avis.
Ce projet de modification du code de procédure pénale ne devrait pas être prêt avant le 10 février. Le pouvoir ne parvenant donc pas à le faire adopter avant la fin de l’état d’urgence prévue initialement le 26 février, il semblait évident que cet état d’urgence serait prolongé car la fonction assignée à cette nouvelle loi sera de donner des outils performants au parquet, aux préfets et à la police afin de « réduire la nécessité de l’état d’urgence ».

D’après « Le Monde » qui a pu consulter cet avant-projet, il s’agit de faire passer des procédures qui sont aujourd’hui d’exception dans le droit commun. Un exemple  : les perquisitions de nuit qui pourront être ordonnées par le préfet dès l’enquête préliminaire dans des affaires de terrorisme (ou supposées comme tel  !), y compris dans les logements et seront même possibles de façon préventive lorsqu’il s’agira de « prévenir un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ».

Les flics devraient, à la seule demande d’un préfet, pouvoir fouiller les bagages, les voitures et contrôler l’identité de n’importe qui, n’importe où et à tout moment. Il fallait jusqu’ici une présomption d’infraction ou une autorisation d’un parquet sur un périmètre délimité et une durée limitée. Aujourd’hui, les flics et gendarmes peuvent retenir une personne sans pièce d’identité pendant 4 heures. Cette retenue devrait être étendue à toute personne, même mineure, en possession d’une pièce d’identité et hors la présence d’un avocat. D’autre part, l’utilisation des armes à feu par les pandores devrait dépasser largement l’actuelle « légitime défense ». N’oublions pas non plus la loi
prévoyant de renforcer la sécurité dans les transports publics (voir la rubrique Big Brother de ce numéro).

Nous reviendrons sur ce projet de loi le mois prochain, mais son tempo par rapport au 26 février et la crainte de l’Elysée dans la survenue d’un nouvel attentat explique en partie la prolongation de l’état d’urgence jusqu’au 26 mai.

{{Vers un nouveau mode de gestion de l'Etat ?}}

Il est encore trop tôt pour répondre à cette question. Notons que c’est la première fois qu’un président de la République soit aussi impopulaire battant d’ailleurs son prédécesseur Sarkozy à tel point qu’il ne devrait même pas se qualifier pour le second tour de la présidentielle de 2017  ; une première  ! Pour un homme d’Etat qui voudrait avoir l’envergure d’un Mitterrand, cela en est trop  !

Alors, cela doit expliquer en partie l’état d’urgence, la déchéance de la nationalité, … la répression et le contrôle exercés par l’Etat en général alors que celui-ci n’est pas réellement menacé que ce soit par des mouvements sociaux d’ampleur nationale cruellement absents et même par le terrorisme djihadiste. Malheureusement pour ces « socialistes », assurer la sécurité par une augmentation du pouvoir des flics et de l’administratif n’est pas payant électoralement car le bon peuple préfère toujours l’original – le FN et la Droite dure- que la photocopie socialiste même si en la matière la technologie a fait d’énormes progrès. Les socialistes gèrent toujours l’Etat pour faire ce que la Droite n’aurait pas pu se permettre sans d’importantes mobilisations. Il est certain, dans la période actuelle, que l’Etat a besoin de se légitimer autrement. C’est ainsi que la gestion de l’Etat tend à se faire par la peur et la remise en cause de certains aspects de l’Etat de droit qui glisse vers un Etat de type policier. Mais nous ne vivons pas (encore  ?) dans une démocrature.

Seule la montée de mouvements sociaux sur des bases de classe demeure nécessaire pour reprendre espoir de vivre dans un monde meilleur. Mais, en attendant, même si nous ne faisons pas que d’attendre, nous devons nous mobiliser contre cet état d’urgence et aussi contre la guerre que mène ce qui reste de la puissance à caractère colonial française au Moyen Orient, en Afrique, guerre qui a débuté bien avant les premières attaques de Daech sur le sol français. N’oublions jamais que la plupart de ces guerres (depuis la première guerre du Golfe en 1990) ont été menées par le pouvoir aux mains de ces va-t’en-guerre que sont les « socialistes ».

Denis, Reims le 25 janvier 2016

(1) Nous ne reviendrons pas ici sur la déchéance de la nationalité possible pour les binationaux qui sera prochainement inscrite dans la Constitution, ce thème ayant été traité dans notre numéro 256.

(2) extrait du texte « de l’état de droit à l’état de sécurité  » par Giorgio Agamben publié dans Le Monde du 24 décembre 2015

{{L'état d'urgence encore détourné contre les exilé-e-s à Calais}}

L’état d’urgence avait été détourné une première fois par la préfète du Pas-de-Calais contre les exilé-e-s, par un arrêté du 1er décembre 2015 punissant de 6 mois de prison et 7500 € d’amende le fait de se trouver à pied le long de la rocade menant au port.
Il l’est à nouveau par un arrêté du 19 janvier 2016 permettant l’expulsion d’une partie des habitant-e-s du bidonville sur une bande de 100 mètres le long de la rocade autoroutière et de la route de Gravelines. Selon certaines rumeurs, l’évacuation sur une bande de 100 mètres le long du chemin des Dunes serait prévue par la suite. Rappelons que le lieu où se trouve le bidonville a été vendu aux associations comme un endroit où la présence des exilé-e-s serait tolérée, pour les faire participer à l’évacuation extrajudiciaire des squats et campements qui existaient auparavant.
L’évacuation de cette bande de 100 mètres le long de la rocade et de la route de Gravelines avait été annoncée par la préfète le 8 janvier, sans le moindre début de justification légale. L’arrêté du 19 janvier vient combler ce manque d’apparence et permettre l’expulsion des personnes qui refusent de partir. L’état d’urgence s’avère encore une fois un outil à la disposition des préfets pour légaliser des pratiques arbitraires.
Source  : passeursdhospitalites.wordpress.com

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