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Vers la casse des régimes spéciaux des retraites

samedi 9 juin 2007, par Courant Alternatif

Le refus de la remise en cause du régime des retraites des cheminots était déjà l’un des points principaux de la grève des cheminots en novembre /décembre 1995 (1). 12 ans après, pour le pouvoir nouvellement élu, la remise en cause des régimes spéciaux est une de ses priorités (2) avec entre autres le “ service minimum ”. Avant même ces présidentielles, les patrons de la SNCF et le gouvernement ont tenté de faire passer un projet (externalisation en dehors de la SNCF de la caisse de prévoyance et de retraites ) qui s’avère être la première marche avant la casse définitive du régime des retraites des cheminots.

Nous avons interviewé, fin avril, un cheminot – Christian – lors de l’une des émissions de l’Egrégore (groupe OCL/Reims).


Egrégore : La remise en cause de votre Caisse de Prévoyance et Retraite (C.P.R.) semble avoir commencé par la transformation de ce qui est encore aujourd’hui un service à part entière de la SNCF en une caisse autonome. Peux-tu-nous en dire plus ?

Christian : Cela a débuté en pleine campagne électorale pour les présidentielles. Cette première attaque va avoir des conséquences rapides pour les cheminots qui dépassent le corporatisme. C’est en fait la deuxième partie de la loi Fillon sur les retraites (2003) qui prévoyait, à partir de 2008, la remise en cause de l’ensemble des régimes spéciaux dont celui de la SNCF. Les travailleurs vont cotiser plus et plus longtemps pour avoir une pension à taux plein. Ensuite l’ensemble des régimes sera concerné pour s’harmoniser sur les autres pays européens en particulier Allemagne ou Angleterre …
Partir à 67 voir 70 ans si on veut une retraite à taux plein ou adhérer à des fonds de pension si on a les moyens pour ne pas avoir une pension de misère.

Egrégore : Cette sortie de la C.P.R. du giron de la SNCF est faite ?(3).

Christian : On en parle depuis plusieurs mois mais finalement ce n’est pas encore fait car le décret n’est pas encore paru. Cela devait se faire en catimini avec la chape de plomb des élections présidentielles. Mais deux organisations syndicales - SUD-Rail et UNSA, 2e et 3eaux dernières élections – s’opposent à ce projet d’autonomie de la C.P.R.. (rejointes depuis peu par la fédération FO)

Egrégore : Comment est justifiée cette autonomisation ?

Christian : Depuis quelques années, les financiers décident des règles du jeu. Ils veulent mettre en place des normes comptables identiques dans toutes les entreprises. Des entreprises comme la SNCF veulent participer au grand jeu de monopoly : Rachat d’entreprises étrangères qu’elles privatisent (comme ce qui s’est passé récemment en Pologne), emprunts sur les marchés financiers internationaux. Elles sont donc contraintes d’appliquer les mêmes normes comptables internationales. Et il y a des représentants des salariés au Conseil d’Administration qui votent pour ce monopoly.
Des scandales financiers aux USA ont accéléré ce changement dans la comptabilité. C’est ainsi qu’il faut provisionner dans les comptes toutes les dépenses prévisibles, y compris les pensions qui seront versées aux retraités jusqu’à leur mort. Cela remet en cause notre système de retraite par répartition qui veut que les pensions soient payées grâce aux cotisations sociales du moment. C’est comme si on demandait aux parents de mettre dans leur compte bancaire la totalité des dépenses futures de leurs enfants jusqu’à l’âge de 25 ans. La SNCF a ainsi calculé la somme à provisionner. Dans un premier temps, c’était 8 milliards d’euros, somme intégrable dans ses comptes. Puis, sans modifier grand chose, les comptables ont recommencé leurs calculs … et ils ont trouvé 111 milliards d’euros (voire 114 maintenant !) à provisionner. Ce n’est plus possible … Par un jeu d’écriture comptable, le gouvernement et la SNCF ont donc trouvé un prétexte pour sortir notre C.P.R. de la SNCF.
La SNCF et le ministère des transports prétendent qu’une gestion autonome de cette caisse ne changera rien pour les cheminots, ils présentent cela comme une simple mesure technique. C’est faux ! L’objectif est de préparer la remise en cause des régimes spéciaux. Ils veulent réduire les cotisations patronales pour les retraites de la SNCF qui sont actuellement plus élevées que dans le régime général. C’est une remise en cause de dizaines d’années de luttes et d’acquis sociaux des générations précédentes car la création de cette C.P.R.date de 1910. Le patronat et le gouvernement à son service veulent abattre les remparts afin d’aller jusqu’aux 45 annuités pour tous ! Dès 2008, les 40 annuités augmenteront d’1 trimestre/an. Dans certains pays européens, on atteint d’ores et déjà le taux maximum de pension après 45 ans de cotisations. La France a pris du retard grâce aux mouvements sociaux de 1995. Il s’agit donc aussi de faire tomber ce symbole de 1995 où les cheminots s’étaient aussi battus pour tous !

Egrégore : Le pouvoir vous fait apparaître comme des privilégiés. Il ne parle jamais des régimes spéciaux des militaires ni .. des députés. Qu’est ce que ce régime spécial qui tient tant à cœur des cheminots ?

Christian : Parlons des avantages : Pour les agents de conduite (les roulants) c’est la retraite à 50 ans. Mais cela ne concerne que 17000 agents sur les 162 000 cheminots. Pour les autres, la retraite est à 55 ans.
Les inconvénients : Les cheminots sont relativement moins bien payés que l’ensemble des autres salariés. Ils cotisent plus que dans le privé. Au final leur retraite est moindre car ils cotisent moins longtemps. Les cheminots reçoivent au maximum 67% de leur salaire brut comme retraite (75 % chez les fonctionnaires et jusqu’à 84 % dans le privé). La moyenne des pensions à la SNCF est de l’ordre de 1500 euros (mais 3000 cheminots ou femme de cheminots décédés touchent environ 1000 euros/mois) pour 1713 euros dans le privé.
La C.P.R. des cheminots a toujours été viable, d’autant plus que leur durée de vie est plus faible que la moyenne nationale à cause des horaires de travail décalés.

Egrégore : Quelle est la position de la CGT, premier syndicat à la SNCF ?

Christian : Il faut distinguer la base de la CGT et sa direction.
La direction de ce syndicat accompagne le projet en affirmant que c’est la moins mauvaise solution.
Quant à la base, beaucoup refusent ce projet d’autonomisation de la C.P.R.. Ca bouge à l’intérieur de la CGT et certains en viennent à dénoncer publiquement (dans un texte : “ Où va la CGT ? ”) la cogestion de leur fédération avec la direction. Ils estiment qu’ “ un front commun des cheminots est nécessaire pour faire reculer la direction et le gouvernement ” et proclament : “ c’est à nous cheminots de décider de notre avenir … et non à une poignée de responsables ”.

Egrégore : Comment expliques-tu ce positionnement des bureaucrates de la fédération CGT-cheminots ?

Christian : On les achète par des postes d’administrateurs au nouveau Conseil d’Administration de cette caisse autonome. En se référant aux résultats des élections précédentes, la CGT va récolter 3 nouveaux administrateurs.
Une autre explication : A chaque fois que le pouvoir veut faire avaler une couleuvre à la CGT, il ressort une casserole juridique où la direction de la CGT est impliquée. C’est ainsi qu’on reparle de la gestion du comité d’entreprise d’EDF (pactole de 1 milliard d’euros/an) par la CGT qui est loin d’être limpide. Ce n’est pas un hasard si le gouvernement brandit cette épée de Damoclès au-dessus de la tête de la CGT à chaque fois qu’il a un projet important de remise en cause des régimes de retraite.
Une troisième explication : Au niveau de la fédération CGT et de la confédération, il y a des enjeux importants au niveau européen. La CGT est adhérente à la C.E.S. (Confédération Européenne des Syndicats) qui est elle-même affiliée à une confédération de syndicats au niveau mondial. Ce sont des bureaucrates qui accompagnent toutes les réformes du capitalisme et dans cette histoire, la CGT veut y faire son trou. Il y a des milliers de permanents en jeu, des sommes colossales. Pour la CGT, accompagner une grande réforme sur les retraites c’est quelque chose d’important pour prouver sa légitimité au sein de la C.E.S.. On peut citer le penseur de la CGT d’aujourd’hui, un certain Le Guigou, qui avait dit en 2003 : “ pour sauver la retraite à 60 ans en 2008, il faut accepter la fin des régimes spéciaux ”.

Egrégore : Quelles sont les prochaines échéances ?

Christian : Le fameux décret entraînant l’autonomie de la C.P.R. n’est, à ce jour, toujours pas paru. SUD-Rail revendique un large débat dans l’entreprise puis un référendum sur ce projet d’autonomisation de notre Caisse de Prévoyance et de Retraite car ce n’est pas un problème technique comme le disent les autres fédérations cheminotes (excepté l’UNSA) et les cadres.

(1) Voir à ce propos le Hors série n°11 de C.A..
(2) A noter, qu’avec le P.S. au pouvoir, l’ordre du jour aurait été très certainement le même si l’on en croit les dernières déclarations de S. Royal entre les deux tours.
(3) Les décrets ont été signés le lendemain de l’élection de Sarkozy par l’ancien Premier ministre De Villepin, malgré cela la mobilisation continue (voir le précédent du CPE) ainsi que la demande d’un référendum sur ce sujet. Car le régime particulier des cheminots fait partie de l’identité forte des cheminot(e)s . C’est l’un des critères qui fait choisir la SNCF plutôt qu’une autre entreprise même si globalement les salaires sont relativement bas.

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