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État d’urgence

État sécuritaire renforcé

dimanche 27 décembre 2015, par ocl-lyon

A la quasi-unanimité, le Parlement et le Sénat ont voté une loi instaurant l’Etat d’urgence pendant 3 mois renouvelables sur tout le territoire de l’Etat français. Quelles sont les grandes lignes de son contenu ? Leurs conséquences ?
Le 1er ministre Valls a demandé aux sénateurs de ne pas saisir le Conseil Constitutionnel. Ils n’ont pas bronché. Les « guignols » du Front de Gauche ont voté pour car ils auraient obtenu un « contrôle parlementaire » alors qu’il ne s’agit ni plus, ni moins d’une information à l’Assemblée nationale des mesures prises par le Gouvernement (article 4-1 de la loi).


 {{Les précédents}}

La loi relative à l’état d’urgence date du 3 avril 1955. Cette loi faisait suite à une vague d’attentats revendiqués par le Front de libération nationale algérien (FLN) dès novembre 1954 (« Toussaint rouge »). Les présidents du Conseil des ministres successifs, Pierre Mendés France puis Edgar Faure, souhaitaient éviter la proclamation de l’état de siège, qui aurait transféré la totalité des pouvoirs à l’armée, armée française qui était loin d’avoir la confiance du pouvoir politique. L’état d’urgence est prolongé pour six mois le 7 août 1955.
Le 17 mai 1958, après le coup d’Etat du 13 mai 1958 à Alger, l’état d’urgence est déclaré pour trois mois sur l’ensemble du territoire métropolitain.
Après le putsch des généraux à Alger, l’état d’urgence est appliqué à partir du 23 avril 1961 par le général De Gaulle. Il sera prolongé jusqu’au 31 mai 1963, soit pendant plus de 2 ans. Son application porte sur tous les départements du territoire.
En décembre 1984, le Premier ministre français Laurent Fabius et son gouvernement décrètent l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie où les Kanaks demandent l’indépendance. Il est suivi d’une loi transférant au haut-commissaire de la République (Edgard Pisani) jusqu’au 30 juin 1985 les pouvoirs du préfet. En réponse à cette action, le parti politique de droite, le RPR, dans l’opposition, avait saisi le Conseil constitutionnel sur la base que la Constitution de 1958 ne prévoit pas l’état d’urgence. Le Conseil constitutionnel a rejeté le recours sur la base du fait que la loi de 1955 n’était pas contraire à la Constitution.
Le 8 novembre 2005, pour mettre fin aux révoltes de 2005 dans les banlieues, le président de la République française Jacques Chirac décrète, en conseil des ministres, l’état d’urgence, permettant ainsi aux préfets des zones concernées de déclarer des couvre-feux. Le décret rend applicable la loi dans tout ou partie de vingt-cinq départements, parmi lesquels la totalité de l’Ile-de-France.
Le 15 et le 16 novembre 2005 l’Assemblée nationale puis le Sénat votent le projet de loi du gouvernement de proroger l’état d’urgence pour une durée maximale de trois mois, à compter du 21 novembre ; l’état d’urgence est donc maintenu, alors que les violences ont cessé. Début décembre, 74 professeurs et maîtres de conférences de droit avaient saisi le Conseil d’Etat pour obliger le gouvernement à suspendre ce régime d’exception. Le Conseil d’Etat a jugé que, bien que la situation eût « sensiblement évolué », le maintien de l’état d’urgence n’était pas une « illégalité manifeste ». Le 2 janvier 2006, après les fêtes de fin d’année, le président de la République Jacques Chirac déclare qu’il « mettra fin à l’état d’urgence à compter du 4 janvier ».

 {{Les perquisitions administratives}}

C’est la mesure la plus visible de cet état d’urgence. Ces perquisitions sont faites de jour comme de nuit, en quasiment tout lieu. Les seules exceptions sont les lieux affectés à l’exercice d’un mandat parlementaire, à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes. Elles sont ordonnées par les autorités administratives : préfets et ministère de l’Intérieur. Du 13 au 19 novembre, 611 descentes de police ont eu lieu pour 93 armes saisies, 94 interpellations dont 80 gardes à vue. Des milliers de perquisitions devraient avoir lieu d’ici fin février. En cas de garde à vue, le dossier bascule de l’administratif au judiciaire. Ces perquisitions qui ne touchent pas que les grandes villes et les quartiers dits difficiles, permettent de ratisser large au risque évident de taper à côté avec toutes les conséquences physiques et matérielles que l’on peut imaginer. Les lieux de vie de supposés islamistes radicaux ne sont pas, et de très loin, les seuls visés. En fait, elles permettent à la police de se passer de l’autorisation d’un juge pour pénétrer n’importe où et de prendre une copie de toutes les données informatiques des ordinateurs et smartphones, sans oublier les données des téléphones portables rencontrés.

 {{Les assignations à résidence}}

Le ministère de l’Intérieur peut prononcer l’assignation à résidence « de toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics » (extrait de l’article 6). L’assignation peut imposer à une personne simplement soupçonnée des horaires de couvre-feu obligatoires ou des obligations de pointage au commissariat « dans la limite de 3 présentations par jour » ! L’assignation peut se faire au domicile de la personne ou dans un autre lieu choisi par les autorités. Par amendements, les députés ont permis qu’une personne soit contrainte à rester chez elle durant 12 heures d’affilée. « Lorsque la personne assignée à résidence a été condamnée à une peine privative de liberté pour un crime qualifié d’acte de terrorisme… et à fini l’exécution de sa peine depuis moins de 8 ans, le ministère de l’intérieur peut également ordonner qu’elle soit placée sous surveillance électronique mobile. »

 {{Le Fichier S}}

Si l’on croît les commentateurs, ces mesures d’assignations à résidence pourraient concerner les personnes « fichées S »… Des politiciens de droite ont proposé qu’elles s’appliquent automatiquement à toutes les personnes figurant dans ce fichier S. C’est ainsi qu’un certain Laurent Wauquiez propose de créer des « centres d’internement » pour ces personnes ; quant à Sarkozy, il souhaite les assigner à résidence avec un bracelet électronique. Heureusement, cet état d’urgence exclut « la création de camps »… mais le cas des « fichés S » sera très prochainement porté devant le Conseil d’Etat pour avis.
Les fiches S sont une des sous catégories du fichier des personnes recherchées (FPR), qui regroupe aussi le fichier M (mineurs fugueurs), le fichier V (évadés) ou encore T (débiteurs du Trésor). Au total, 400 000 personnes figurent dans ce FPR qui a été créé en 1969. Les fiches S recensent autour de 10 500 personnes suspectées de faire partie de groupes pouvant porter atteinte à la sécurité de l’Etat. Contrairement à ce qu’on peut croire, les potentiels djihadistes (fiches S14) représentent moins de 10% de ces fiches S. Certains activistes d’extrême droite y figurent, de même des militants d’extrême gauche, d’ultra-gauche, des zadistes, des membres supposés des blacks blocs, … La fiche S peut déclencher des moyens de surveillance (filature, écoutes) mais, en avoir une à son nom, n’est pas (encore ?) une preuve de culpabilité.

 {{Le mouvement social visé !}}

Cette loi sur l’état d’urgence fait une seule fois référence au terrorisme (fin de l’article 6). Par contre, la notion floue d’« atteinte grave à l’ordre public » est la référence. C’est donc plus large que la menace terroriste et permet à l’Etat de s’en prendre au mouvement social. C’est ainsi que les manifs contre la COP 21 sont interdites ainsi que toutes les manifs de solidarité avec les exilé-e-s. Le ministre de l’intérieur et les préfets peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion. « Peuvent être également interdites, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre » (article 8) et les préfets peuvent interdire sous forme de couvre-feu la circulation des personnes ou des véhicules dans des lieux précis et à des heures fixées par arrêté.
Alors que faire ? Maintenir les manifestations malgré leur interdiction comme celle du 22 novembre à Paris où plusieurs centaines de manifestants ont défilé aux cris de « Etat d’urgence ! Solidarité avec les réfugiés ! »,« Etat d’urgence, état policier, vous ne nous empêcherez pas de manifester ! » et « De l’air, de l’air, ouvrez les frontières ! ».
Mais attention à la répression car la loi sur l’état d’urgence prévoit 6 mois d’emprisonnement et 7500 euros d’amende (article 13) pour ceux et celles qui ne respecteraient pas les interdictions.

 {{D'autres mesures}}

Depuis la loi antiterroriste de novembre 2014, le blocage administratif, sans passer par la justice, de sites Web accusés de faire l’apologie du terrorisme est possible. C’est ainsi que depuis février 2015, 87 sites ont été bloqués. Avec cet état d’urgence, c’est l’accès à Internet qui peut être interdit pour les personnes assignées à résidence ou qui l’ont été. Le contrôle d’Internet dépasse le cadre de cette loi car les censures sur Facebook, par exemple, se multiplient et ne concernent pas une quelconque propagande djihadiste (solidarité avec la Palestine, avec les Kurdes, ...). Plus largement, les commentaires sur les sites d’informations ne rentrant pas dans le cadre de l’unité nationale peuvent être censurés pendant que ceux qui ont manifestement un caractère raciste restent en ligne.
Le centre de déradicalisation est encore à l’étude. Il en va de même de la possibilité de la déchéance de la nationalité qui risque, à terme, de mettre à mal la notion du droit du sol.
De plus, une note officielle, publiée le 19 novembre par le directeur général de la police nationale, autorise tous les policiers à être armés en permanence, y compris en dehors de leurs heures de service. Il s’agit d’un régime dérogatoire temporaire (pendant la durée de l’état d’urgence) basé sur le volontariat des flics. A noter que les conditions dans lesquelles les flics peuvent faire usage de leur arme vont être revues ; leurs règles de légitime défense vont donc être assouplies.

{{Révision constitutionnelle prochaine}}

La loi encadrant l’état d’urgence, préparée en moins de 72 heures, est la première étape avant la révision de la Constitution. Quant on veut limiter les libertés fondamentales, il faut forcément réviser la Constitution d’autant plus que tout indique que cet état d’urgence ne s’arrêtera pas le 26 février 2016.
A suivre dans un prochain article.

Denis, OCL-Reims le 22 novembre 2015

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