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Extrait de CA n°253

Une chance pour le capitalisme en Europe

Dossier "Réfugiés"

mercredi 21 octobre 2015, par ocl-lyon

Le ministre de l’économie, un certain Macron, l’a dit : l’afflux de réfugiés peut constituer une « opportunité économique ». Le président du Medef, un certain Pierre Gattaz, a écrit une tribune dans « Le Monde » intitulée « les migrants sont un atout pour la France ». La quasi-totalité des économistes proclament que cette crise des migrants est une chance pour l’Europe…


{{La réalité sociale des migrants sur les routes et les mers}}

Il est maintenant admis que les migrants venant d’Asie ou d’Afrique qui arrivent en Europe sont issus des classes moyennes voire supérieures de leurs pays d’origine. Effectivement pour passer des frontières fermées, des détroits, des murs, des mers, il faut payer des passeurs. Comme le dit si bien William Lacy Swing, directeur général de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) : « Les personnes qui arrivent en Europe sur des bateaux de fortune ont de l’argent. S’ils n’en ont pas, ils n’arrivent jamais en Libye ! Ce ne sont pas les plus pauvres qui partent, mais ceux qui ont des possibilités, et quelque chose à offrir » (1). Rappelons que ce trafic d’êtres humains qui à grande échelle est géré par des réseaux mafieux n’est qu’une conséquence de la fermeture des frontières de la soi-disant forteresse Europe qui prend aujourd’hui l’eau. Aznavour, de son refuge en Suisse…, ne se lasse pas d’affirmer par exemple que sur les routes, il y a toutes les professions de l’électricien à l’ingénieur, de l’infirmière au médecin… Quant aux autres, les pauvres, les sans formation, … Ils n’ont pas d’autres choix que de rester sur place ou d’être parqués dans des camps dans un Etat limitrophe. Ils sont ainsi aujourd’hui plus de 20 millions dans ces camps (2).
Dans une enquête menée à Calais une journaliste de Libération (18 août 2015), Stéphanie Maurice, connue pour faire correctement son travail, a décortiqué les différents types de passages où les tarifs des passeurs varient en fonction du risque encouru par le migrant. Pour ceux qui ont réussi à rejoindre Calais mais qui ont tout dépensé, ce sera évidemment la traversée de la Manche sans passeurs et « sans passeur à Calais, on risque sa vie ». Le plus courant à Calais reste le forfait de 500 euros mais il faut encore les avoir en poche lorsqu’on est parti d’Afghanistan, d’Irak ou de la corne d’Afrique (Soudan, Ethiopie, Erythrée, Somalie)… plusieurs mois auparavant. Avec ces 500 euros on a accès à un parking où des camions en transit stationnent pour la nuit. La personne qui veut passer de l’autre côté a droit à 3 ou 4 tentatives par nuit pendant une semaine. Les passeurs sont très souvent des « gagne-petit » qui réinvestissent le plus souvent leur argent dans leur pays d’origine en vue de leur retour et sont bien souvent de la même classe sociale que ceux et celles qu’ils tentent de faire passer. Bien sûr ces passages se font à l’insu du chauffeur de camion.
Puis, pour tenter de rejoindre l’Angleterre, il existe aussi la prestation appelée dans la jungle « passage garanti » qui coûte entre 1 000 euros et 1 500 euros par personne. Elle exige la complicité du chauffeur, « la mule », qui sera rétribué le plus souvent 500 euros par passage. Les candidats se voient notifier un rendez-vous dans un endroit anodin, loin des plateformes habituelles d’embarquement clandestin.
Et enfin, il existe la prestation sécurisée haut de gamme qui se monnaye entre 6 000 et 10 000 euros par personne. Ces migrants riches ne dorment pas dans les jungles ni dans un squat mais bien dans un hôtel à Calais ! A Calais, ils sont pris en charge par un réseau mafieux qui vient les chercher avant de les héberger au campement de Tétegheim (près de Dunkerque) où la vie est décente. On y retrouve là des ingénieurs, des médecins, des cadres venus de Syrie, d’Irak, ... De là, les réseaux mafieux emmènent ce beau monde par paquet soit à Ouistreham (près de Caen) soit à Zeebruges en Belgique où les ports sont plus tranquilles. Un réseau de 6 personnes a été arrêté début août ; en 2 mois et demi son chiffre d’affaires a été estimé par la police spécialisée à 2 millions d’euros pour tout de même 255 migrants qui n’étaient pas des crève la faim et dont l’accueil était prévu de l’autre côté de la Manche.

{{La chance pour le capitalisme dans l'UE}}

L’UE est entrée dans une grande période d’immigration qui va se poursuivre « jusqu’au moins 2050, quand la population mondiale se stabilisera autour de 9 milliards ou 10 milliards. Les migrations sont inévitables pour plusieurs raisons : le déficit démographique dans le Nord et la population jeune et sans emploi dans le Sud ; les crises humanitaires de l’Afrique occidentale à l’Asie ; le manque de candidats dans les pays développés pour les jobs considérés comme difficiles ; la dégradation de l’environnement et le changement climatique ; la révolution numérique. Les migrations sont nécessaires si on veut que les emplois soient pourvus, que l’économie prospère. Elles sont hautement souhaitables si on dispose des bonnes politiques, avec une approche qui va au-delà des seules questions sécuritaires et englobe toute la dimension humaine »(1). En fait, fondamentalement il n’y a historiquement rien de bien nouveau ! Aujourd’hui, ces réfugiés sont considérés par le capital, ses serviteurs et ses défenseurs éclairés comme étant la chance pour le capitalisme en Europe et sa croissance en panne ! Bien sûr, nous ne parlons pas ici des xénophobes, des politiciens de droite comme de gauche qui ont peur pour leur fonction sociale et leurs mandats électifs…

{{En France}}

Cette question démographique ne se pose pas encore (mais des indicateurs montrent que cela peut changer à moyen terme) car son indice de fécondité est légèrement supérieur à 2 (2,01 enfants par femme). Quant à son taux de chômage il est encore bien trop élevé (un peu plus de 10%) pour nécessiter un afflux de travailleurs étrangers, excepté dans quelques secteurs comme la santé. D’ailleurs le ministre de l’économie, Macron, ne s’en n’est pas caché : « Si nous savons collectivement nous organiser et les intégrer, (...) il est clair qu’ils peuvent être une opportunité pour notre économie et qu’ils peuvent tout à fait, dans certains endroits, dans certaines filières, combler des besoins, que ce soit pour des ouvriers spécialisés ou que ce soit pour des qualifications libérales, sur lesquelles on a des besoins identifiés. » Son « stock » actuel de sans-papiers permet de satisfaire en grande partie les boulots de merde payés des clopinettes dans le nettoyage, l’aide à la personne … et bien sûr dans l’agriculture et ses boulots saisonniers. Les migrants sur les routes et les mers le savent : En France, il y a très peu de travail et en plus l’accueil de l’Etat et ses services sont exécrables. C’est ainsi que quand l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et l’OFII (office français de l’immigration et de l’intégration) se déplacent en Bavière pour recruter des réfugiés, ils ont toutes les peines du monde pour en récupérer 200. Ce ne sont pas 24 000 réfugiés en 2 ans (ce que la Bavière a accueilli en 2 jours, les 5 et 6 septembre) qui vont changer notre marché de l’emploi d’autant plus que leurs diplômes et leurs formations ne sont en général pas reconnus ici. Par contre et les patrons le savent, cette population est bien souvent très motivée… pour s’adapter à l’offre. De plus d’après une étude de l’OCDE, les nouveaux arrivants comblent des besoins dans les secteurs sans perspectives délaissés par les natifs comme les commerces de proximité, l’artisanat … Bien évidemment, ces réfugiés sont devenus une occasion supplémentaire pour le Medef pour demander la continuité des « réformes économiques pour mieux accueillir » (citation tirée de la dernière Université d’été du Medef). C’est ainsi que début septembre, quatre grands groupes privés français, Air Liquide, Michelin, Sodexo et Total se sont engagés à venir en aide aux réfugiés « par des actions concrètes liées à leurs domaines d’activités, à leur savoir-faire, à leurs compétences et aux moyens opérationnels dont elles disposent. »

{{La situation au Royaume-Uni}}

Elle est bien différente : un indice de fécondité plus faible à 1,92 et surtout un taux de chômage à 5,6 %. De l’autre côté de la Manche, il y a effectivement du travail, les migrants à Calais le savent de par le fait que des membres de leur famille y sont installés. Bien sûr, il s’agit d’emplois difficiles dans un Droit du travail complètement dégradé où la flexibilité domine dans les créations d’emplois. C’est ainsi que la Grande-Bretagne compte un million de travailleurs précaires employés via des contrats « zéro heure ». Ces contrats, qui ne stipulent pas le nombre d’heures effectuées par les salariés, permettent aux entreprises de recourir à des employés uniquement lorsqu’elles en ont besoin. Néanmoins d’avril 2014 à mars 2015, 636.000 immigrants se sont installés en Grande-Bretagne, a annoncé jeudi 27 août l’Office for National Statistics (ONS). En déduisant les personnes qui ont quitté le pays durant cette période, l’immigration nette a atteint 330.000 personnes en douze mois, soit environ 100.000 de plus qu’un an plus tôt. D’après l’ONS, la Grande-Bretagne enregistre désormais 8,3 millions de résidents nés à l’étranger (de nationalité britannique ou non), contre 5,7 millions en France. 

{{Le cas particulier de l'Allemagne}}

Maintenant, reste à étudier la situation en Allemagne. Son investissement actuel dans l’accueil de réfugiés ne s’explique pas par une quelconque générosité de cet Etat. Notons tout de même la mobilisation sans précédent d’une partie non négligeable de sa population pour participer concrètement à l’accueil de ces centaines de milliers de réfugiés qui affluent.
L’Allemagne a un taux de fécondité de 1,4, elle perd ainsi 200 000 habitants par an. Sa population est vieillissante avec la plus petite proportion de jeunes du Monde : 13% de la population a moins de 15 ans et seulement 22% a moins de 25 ans. Les conséquences pour l’Allemagne sont et seront importantes au niveau de son marché du travail, de ses capacités productives et du poids des dépenses publiques de retraite qui ne font qu’augmenter. L’âge de départ à la retraite est à 67 ans et ce seuil devrait prochainement augmenter. Son taux de chômage est de 4,6% et les migrants savent qu’en Allemagne le travail est assuré y compris pour les travailleurs qualifiés. Cela fait quelques années déjà que l’Allemagne s’est convertie aux vertus de l’immigration pour répondre aux besoins de main-d’œuvre, qualifiée ou non, sur son marché du travail. Le patronat allemand vient de monter au créneau pour réclamer l’ouverture du marché du travail « sans aucune contrainte » au gouvernement Merkel qui a déjà commencé à assouplir la législation. Jusqu’en 2013, l’Allemagne a attiré de plus en plus de grecs, d’espagnols, de portugais et d’italiens. En 2012, 130 000 européens du Sud ont migré en Allemagne. Même chose en 2013. Mais, c’était nettement insuffisant car cela freinait seulement son déclin démographique. Mi 2013, l’Allemagne a lancé un programme « Make it in Germany » devant attirer une main d’œuvre qualifiée étrangère. Ce fut un fiasco total car seulement 170 candidats non-européens ont répondu à l’appel en 1 an. Alors, aujourd’hui, on comprend mieux la position de l’Allemagne désirant accueillir ces centaines de milliers de réfugiés en 2015, mais il faut tout de même un peu de temps pour assumer structurellement ce flot, d’où la fermeture toute relative de ses frontières ces derniers jours. L’Allemagne ne fait pas fondamentalement de distinction entre l’immigration économique dont elle a besoin et les réfugiés qui fuient la guerre, au grand dam de ces imbéciles de socialos français. Le cas des Albanais est à cet égard symptomatique. En France, c’est la 4ème nationalité présente dans les centres de rétention et tous les réseaux mafieux ne peuvent être constitués que … d’albanais. Pour la France, l’Albanie est un pays sûr et aucun de ses ressortissants ne peut obtenir le statut de réfugiés. Par contre, l’Allemagne a accueilli sans sourciller ces travailleurs albanais qualifiés qui émigraient sur son sol.

{{Les vrais et les faux réfugiés}}

C’est le leitmotiv de tous les dirigeants politiques en France depuis une quarantaine d’années. Rappelons que la Convention de Genève relative au statut des réfugiés date du 28 juillet 1951. Elle fut appliquée au départ principalement à ceux qui fuyaient les régimes de l’Europe de l’Est. A cette époque la quête du « vrai réfugié » aurait interdit à la France et à l’Allemagne de l’Ouest d’accueillir par exemple les Allemands de l’Est car ceux-ci avaient naturellement aussi un intérêt économique dans leur exil. Faire le choix de quitter son pays est bien souvent un mélange de motivations et d’instinct de survie dont l’argument économique figure évidemment et tout naturellement en bonne place. D’ailleurs quel que soit le régime politique, l’exploitation économique et la persécution politique sont toujours inextricablement mêlées. Dans les « hot spots » qui vont s’ouvrir au moins en Grèce et en Italie, on imagine que le tri entre les vrais et les faux va se faire essentiellement suivant la nationalité du demandeur… Les Syriens ont toutes leurs chances d’être retenus !

Denis, le 17 septembre 2015

(1) cf. libération du 21 août 2015
(2) voir l’article sur la politique des camps dans ce numéro

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