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Luttes

La radio comme bien commun

Grève inédite à Radio-France - L’exemple France bleu Pays Basque.

lundi 18 mai 2015, par ocl-lyon

Plan social et approche manageriale de la Radio de service public ont déclenché un mouvement de grève inédit à Radio France. Défense de l’emploi, de la richesse et de la qualité d’une radio en dehors des critères marchands ont unifié les salarié-es en lutte. Une mobilisation remarquable également dans les stations locales de Radio France. Comme à France Bleu Pays Basque avec un mouvement pour une certaine idée de la radio de proximité, bilingue, et de service public, qui a su dépasser les clivages professionnels et syndicaux.


Du jamais entendu, ni à Paris ni à Bayonne ou Sainte-Engrâce (petit village dans la province de Soule ). Autant de messages diffusés, durant 29 jours, signifiant laconiquement qu’en « raison d’un mouvement de grève à l’appel de plusieurs organisations syndicales portant sur les difficultés budgétaires et la défense de l’emploi à Radio France, nous [n’étions] pas en mesure de diffuser l’intégralité de nos programmes ». Du 19 mars au 16 avril, le message s’achevait invariablement par une prière à l’auditrice et à l’auditeur pour qu’il nous en excuse, au lieu de faire appel à sa compréhension et l’en remercier — comme cela est d’usage poli pour tout chantier de travaux publics.

Que s’est il passé ? Quand il ne s’en prenait pas aux grévistes par les dessins de Plantu et par son éditorial, Le Monde a parlé de grève baroque. Oui. Beaucoup de choses ont été dites et faites durant ce mois de grève inédit dans l’histoire de Radio France. A la Maison Ronde (1) mais aussi dans les stations locales comme celle de France Bleu Pays Basque.

Le mouvement de grève illimitée lancé par la CFDT, la CGT, FO, SUD et UNSA a révélé et porté une réelle inquiétude, devenue colère, sur les évolutions en cours à Radio France. Les salarié-es de Bayonne s’en sont saisis.
Un mouvement précédé par deux journées de grèves (les 11 février et 12 mars), par l’annonce d’un exercice déficitaire pour la première fois de l’histoire de Radio France (21 millions d’euros), par un Etat qui n’a pas honoré de 87 millions d’euros les dotations promises entre 2010 et 2014, par l’envolée des coûts du chantier pharaonique de réhabilitation de la Maison de la Radio qui doublent (à près de 600 millions d’euros) et par les échos dans la presse que la direction envisage de réduire la masse salariale,…

Un plan de suppression de 380 postes, confirmé durant le mouvement et baptisé par la direction « plan de départ volontaire, et de mesures d’âge ». Des mesures qui juraient quelque peu avec les révélations distillées au même moment par Le Canard enchaîné sur le train de vie professionnel du pédégé : les désormais fameuses boiseries en palissandre du bureau à 100.000 euros, ou les services d’un conseiller com’ à 90.000 euros par an (l’ancien trotskiste Denis Pingaud) extérieur à Radio France qui en dispose de nombreux en CDI...

Grève tournante

Quatre préavis différents (2) ont été déposés ce qui permettait techniquement de rentrer en grève, d’en sortir, puis de se remettre en grève sur un autre préavis (3). Ce qui a tout de suite été compris et interprété par les salarié-es comme le signe que l’on s’engageait sur un mouvement long. En tout cas à Bayonne.

L’appel à la grève n’étant parvenu que quatre jours plus tôt à France Bleu Pays Basque, personne ne s’est mis en grève le premier jour. C’est à partir du lendemain, avec la première assemblée générale des personnels, que le mouvement s’est organisé. Une assemblée générale qui n’est pas courante dans ces murs et qui, là, réunit des collègues de tous métiers (journalistes, animateurs/trices, technicien-nes, chargées d’accueil, titulaires et précaires). La station bayonnaise compte une trentaine de salarié-es. Et comme dans toutes les stations locales (et a fortiori à la Maison de la Radio), les relations de travail sont très segmentées. Chaque métier entretient des rapports plus ou moins compliqués avec les autres (souvent enkystés par des complexes d’infériorité et de supériorité). Première vertu du mouvement : les collègues se (re)parlent !

On s’interroge sur le travail que l’on fait, sur les conditions de travail des un-es et des autres, sur le type de radio de proximité que l’on propose, sur la nature du service public que l’on veut incarner, et sur les moyens nécessaires (ou plutôt sur leur absence). Des discussions et une action collective qui s’organise par delà les appartenances syndicales (ou non) de chacun, y compris avec des collègues affiliés à des syndicats n’appelant pas à la grève — comme le SNJ (4).

Dans la perspective d’une grève longue, le mouvement s’organise de façon pratique afin de perturber l’antenne un maximum avec un minimum de grévistes. Une sorte de grève tournante (ce qui est interdit dans les services publics) se met progressivement en place. Les salarié-es aux postes clés (présentateurs et techniciens) sont en première ligne pour perturber l’antenne dans les matinales (moment du plus fort taux d’écoute des radios). Et pour éviter que l’effort financier ne soit porté que par quelques-un-es, une formule de parrainage est mis en place entre collègues. Un tel dont la cessation de travail aurait un moindre impact ne se met pas en grève mais paye une demi-journée de grève au collègue dont l’absence se fera plus sentir sur les ondes.

Une perturbation dosée. L’assemblée générale décide ainsi de ne pas perturber les deux soirées électorales du 1er et 2e tour des élections départementales. Déjà que la campagne électorale, sur consignes nationales, avait été traitée a minima, les collègues se voyaient mal rabougrir encore ce qu’ils déploraient. Idem pour les « extérieurs ». Les installations d’un studio provisoire de France Bleu Pays Basque au coeur d’une manifestation se raréfiant, celle de la Foire au Jambon à Bayonne ou au Biltzar (Assemblée) des écrivains du Pays Basque à Sare n’ont pas été affectées. Au bout de la troisième semaine de grève, les salarié-es n’ont plus eu de scrupules pour perturber l’antenne toute la journée si possible.

A Bayonne, sur la trentaine de salarié-es, à quelques rares exceptions près, tout le monde a participé à un moment ou un autre, d’une manière ou d’une autre, à la grève. Ce qui rend un peu ridicule ou insignifiant les statistiques sur le nombre de grévistes avancées par la direction, et parfois reprises, pour (dis)qualifier le mouvement comme très minoritaire. Il y a bien un souci partagé, presque unanime, pour défendre l’outil de production radiophonique menacé.

Refus de la syndication

Autre avantage de la longue durée : elle donne le temps nécessaire pour s’approprier le mouvement et élaborer ses propres revendications. Et comme pour les autres stations locales, l’accent est mis sur les suppressions d’emplois et la mise en place de la « syndication ». L’idée de la direction est de faire programme commun entre les stations d’une même délégation régionale. En l’occurrence, à la rentrée, de 13h à 16h, l’émission serait, par exemple, réalisée à Bordeaux puis diffusée en même temps à Bayonne, Périgueux, Mont de Marsan et Toulouse. En termes de programme de proximité, il y a mieux.

Déjà que « Paris » prend les rênes du programme de toutes les stations locales de 12h à 13h30, cette éventuelle syndication généralisée (elle est pratiquée en période estivale) est vécue comme une amputation supplémentaire. Le sentiment que l’on touche à l’ADN de la radio, la proximité, et qu’on la dépouille un peu plus de ses moyens de production et de diffusion.

C’est que les mesures de restrictions budgétaires ne datent pas d’aujourd’hui, en particulier dans les stations locales. Comparées aux chaînes nationales de Radio France, les France Bleu sont des petites structures avec bien moins de moyens (humains et techniques). Les conditions de travail y sont incomparables. Les équipes sont déjà à flux tendus — un-e journaliste par exemple effectue des reportages sur deux voire trois sujets par jour. Les premières coupes budgétaires ont déjà frappé les enveloppes pour le recrutement de pigistes et de CDD (comme dans les autres secteurs économiques, les premiers à déguster sont les intérimaires). Moins 25% l’an dernier. Du coup les remplacements de collègues ne sont pas toujours faits. Dès lors, la suppression d’un seul poste dans une radio locale a des effets immédiats sur la production et les conditions de travail. D’où, certainement, l’idée de la direction de faire moins d’émissions….

Emploi et syndication donc, mais aussi refus de création de toute nouvelle station de France Bleu (il en est envisagé à Lyon et en Midi-Pyrénées) à effectifs constants sur le réseau. Jusqu’à présent, on déshabillait Paul pour habiller Pierre. Ça s’appelle le « redéploiement ».

L’inquiétude à Bayonne porte aussi sur un poste vacant toujours pas pourvu, sur les possibles conséquences aux dépens de la présence de la langue basque à l’antenne,… C’est que les stations locales sont le laboratoire d’une production radiophonique low cost. Ce qui n’empêche pas forcément des émissions de qualité, mais se fait au prix d’un investissement particulièrement intense du salarié. Ajoutons à cela que, depuis plusieurs années, la direction tente de forcer (plus ou moins délicatement) les salarié-es d’effectuer des tâches supplémentaires pour alimenter le site Internet et les réseaux sociaux. Dans les autres chaînes du groupe (Inter, Info,…), des équipes spéciales ont été créées pour enrichir l’offre sur le web. Dans les stations locales, le travail doit se faire sans moyens supplémentaires. Et quand on sait que l’Internet est le dada de Mathieu Gallet, les 44 stations du réseau Bleu, maillons faibles et isolés de Radio France, ont de quoi frémir.

Mouvement de grève qui produit aussi de l’intelligence collective. A Bayonne, les grévistes se baptisent Fronde Bleu Pays Basque. Le logo de la station est détourné et les réseaux sociaux sont investis. Une idée qui fait tache d’huile. Une dizaine de stations locales en lutte deviennent des Fronde Bleu (Loire-Océan, Vaucluse, Corse, Roussillon,…). Des comptes twitter et facebook Fronde Bleu PB sont créés, et sont particulièrement actifs. L’accent est mis, et le lien fait, avec les autres services publics frappés par les mesures austéritaires (écoles, hôpital,…). Une rencontre est organisée avec les salarié-es d’un établissement de soin d’Itxassou que l’Ugecam (la sécurité sociale) veut fermer et transférer sur la Côte. Des rencontres avec les auditeurs et auditrices sont provoquées, à la Foire au jambon de Bayonne notamment. Des auditeurs/trices qui ignorent la plupart du temps que Radio France ce n’est pas la fonction publique, que ça tourne avec un nombre important de précaires (le mouvement aura servi aussi à mettre au jour cette réalité-là), que ça ne pèse pas lourd sur les impôts de chacun (5), que c’est un service public de proximité qui est menacé, et quand on explique que les émissions de France Bleu Pays Basque seront faites par les Bordelais ou les Béarnais, le succès est garanti….

Plus classiquement, les parlementaires ont également été rencontrés — qui, pour la plupart, ont relayé sur Paris les inquiétudes des salarié-es, mais aussi la leur sur le niveau local qui fait en premier les frais des restrictions budgétaires à l’image de ce qui se passe à France 3 —, les maires des 159 communes du Pays Basque interpellés.
Le point d’orgue aura été la participation à la journée de grève interprofessionnelle du 9 avril, avec un cortège remarqué, suivi d’un apéro rencontre avec 200 auditeurs/manifestant-es devant les locaux de la station à Bayonne. Une caisse de soutien permettra de récolter de quoi financer et les agapes et quelques demi-journées de grèves…

Parmi les regrets, peut être, celui de n’avoir pas obtenu que l’on parle de la grève, du point de vue des salarié-es, à l’antenne. L’heure n’était pas à faire fonctionner l’outil de travail pour notre propre compte. Des collègues ont pu cependant profiter du micro, sans être gréviste à ce moment-là, pour faire passer quelques arguments auprès des auditeurs/trices sur les risques pesant sur leur radio. Un représentant de Fronde Bleu Pays Basque sera bien invité à l’antenne, suivi d’une ligne ouverte aux auditeurs, mais ce sera après la levée de la grève. A Montpellier ou Orléans, cela a pu se faire pendant le mouvement. A Paris, les producteurs réunis dans le SPARF (société de producteurs de Radio France) ont réalisé des émissions dédiées à la question de la radio publique ; après refus de la direction, les deux émissions ont été diffusées sur Internet.

Si l’essentiel du mouvement de grève à Radio France s’est déroulé et décidé à Paris, l’inscription dans la durée a permis de faire émerger et de faire partager des revendications et modes d’action propres aux stations locales de France Bleu, qui représentent un bon quart des effectifs. Une bonne moitié des 44 stations a été fortement perturbée par la grève, d’autres pratiquement pas. A la dizaine de Fronde Bleu créées, la demande aux directions syndicales et à l’assemblée générale parisienne de ne pas sacrifier les France Bleu a été constante.

Trahison des directions syndicales ?

Le sentiment que les stations locales allaient faire les frais d’un compromis entre direction et intersyndicale était réel. Depuis le début. Pas forcément fondé. Il est à souligner que la direction de Radio France a reculé assez rapidement sur la plupart des revendications des préavis. Sauf sur les suppressions d’emplois (elle avait le soutien du gouvernement qui nuançait en indiquant que « ce ne [devait] pas être la seule variable ») et sur la syndication des France Bleu. Et l’intersyndicale a tenu bon, y compris après la remise du texte par le médiateur nommé par le gouvernement. A l’assemblée générale du lundi 13 avril, au 26e jour de grève, après l’ultimatum du médiateur, tout le monde (à l’exception de l’UNSA) juge les propositions du médiateur insuffisantes ; toujours sur les même points d’achoppement. Et pour une fois, l’AG parisienne vote l’après midi, en ayant eu les remontées des AG du matin dans les stations locales. Et le mardi, patatras. Après une visite lundi soir de la ministre de la Culture à la Maison de la Radio, les syndicats se prononcent pour l’arrêt de la grève, contre l’avis de la majorité des 400 grévistes présents à l’AG ! L’intersyndicale éclate. Seule la CGT épaule la poursuite d’un mouvement qui se réduit à peau de chagrin, pour s’achever deux jours plus tard. L’exercice laissera certainement des traces.

Un syndicat seul n’avait manifestement pas la capacité de poursuivre le mouvement. La tendance était globalement et en pratique à la reprise, les AG clairsemées. La poursuite de la grève à Bayonne devenait en tout état de cause difficile à soutenir financièrement.

Après pratiquement un mois de grève, les avancées tangibles sont les mêmes que celles obtenues après deux semaines de mouvement (maintien des orchestres, arrêt de l’externalisation,…). Rien sur les suppressions d’emplois, ni sur les hauts salaires (6) ou la résorption de la précarité. Des ambiguïtés sur la syndication dans les France Bleu. Pour autant, les avancées sont réelles dans l’auto organisation des salarié-es, en particulier en vue de coordonner les Fronde Bleu. De nouveaux modes d’actions sont envisagés comme la grève du zèle, le refus de réaliser des reportages locaux commandés par les rédactions nationales, le refus de contribuer à Internet, ou encore la mise sur pied d’une association avec les auditeurs et auditrices de la station.

Une direction affaiblie sera-t-elle revancharde et passera-t-elle par « l’affirmation du management » (dixit le projet stratégique de Mathieu Gallet) pour imposer la syndication à la rentrée ? Les salarié-es des France Bleu qui ont gagné en combativité lui promettent du fil à retordre.

Pays Basque, le 19 avril 2015

(1) Le site, toujours consultable, le meilleur des ondes, a mis en ligne de formidables témoignages et interventions dans les AG fournies du studio 105.
France Bleu Pays Basque est la première radio du Pays Basque avec 46.000 auditeurs quotidiens.

(2) Préavis contre l’externalisation de services (en particulier celui du nettoyage) ; pour la défense des orchestres ; contre la verticalisation de la production (subordonnant davantage les producteurs au donneur d’ordre) ; et pour le maintien de l’emploi et des programmes dans les France Bleu.

(3) L’usage veut qu’à Radio France il ne soit pas admis d’arrêter puis de se remettre en grève sur un même préavis. Ce qui ne s’appuie sur aucune base légale, mais est entretenu y compris par des organisations syndicales. Autre usage, celui qui veut que les CDD et les pigistes ne fassent pas grève. On comprend bien que le/la précaire s’expose à un risque potentiel. Il est bien entendu absolument illégal de sanctionner quelqu’un pour fait de grève, mais paradoxalement, les syndicats, en déconseillant aux précaires de faire grève, entérinent ce fait. Nous n’avons pas connaissance du cas d’un CDD qui n’aurait pas eu d’autres contrats ou ne se serait pas fait titulariser parce qu’il aurait fait grève. Cela étant, les collègues précaires ont pu participer au mouvement (aux AG, aux manifestations ou encore en investissant l’internet).

(4) Principal syndicat chez les journalistes de Radio France, le SNJ ne s’est pas associé au mouvement de grève, jugé prématuré et catégoriel. Le SNJ a toutefois appelé à une grève de 24h le 3 avril. A la fin de la grève, des recrutements supplémentaires de journalistes ont été officialisés dans certaines France Bleu, négociés par le SNJ… La palme schizophrénique revenant au SNJ-FO. Ce dernier n’a pas participé au mouvement, à la différence de… FO. SNJ-FO qui a indiqué au lendemain de la fin de la grève que la priorité était de négocier un accord sur le multimédia pour les journalistes (sur les conditions de contribution à internet).

(5) 26 euros par an par foyer fiscal s’acquittant de la redevance, pour financer 6 chaînes de radio (France Inter, France Info, France Culture, France Musique, FIP, Mouv’), 44 stations locales France Bleu, 2 orchestres, et 2 chœurs. Ce n’est pas ruineux. Les choix de la direction le sont bien davantage.

(6) Que Villa et Zapata nous pardonnent, mais la direction de Radio France, c’est l’armée mexicaine. Qui plus est, et c’est une des rares vertus du rapport de la cour des comptes, les salaires des cadres ont augmenté de plus de 50% en 10 ans ; et les 198 cadres dirigeants représentent 12% de la masse salariale (sur 4.600 salarié-es). Sans parler des émoluments des « célébrités » cathodiques extérieures recrutées par la direction.

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