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Lutte

La Redoute, un an après : l’éclatement social au profit de la « modernisation » capitaliste

samedi 25 avril 2015, par ocl-lyon

Voilà plus d’un an que la lutte à la Redoute (voir CA n° 239-avril 2014) s’est achevée par l’amère trahison de la CFDT qui a signé un plan de licenciements de 1 178 personnes d’ici 2018 alors même que le rapport de force s’était ancré dans l’entreprise entre le siège social à Roubaix et le site industriel de la Martinoire à Wattrelos grâce à l’action des Redoutables, majoritairement des ouvrier-es syndiqués ou non. Un an après, les départs en pré-retraite et « volontaires » ont commencé en attendant les licenciements secs et une nouvelle Martinoire ultra-moderne est en construction. Chez les ouvrier-es, les solidarités sont éclatées et on règle les comptes entre syndicats. Revenir un an après pour faire un bilan, c’est continuer de suivre des camarades de lutte mais aussi tenter de tirer des leçons de ce que sont devenues la plupart des luttes d’entreprises aujourd’hui. Loin d’être un récit d’échec, c’est prendre conscience que seule la lutte paie !


Un an après, entre colère et augmentation des cadences

Ali et Maxime (1), deux Redoutables, se rappellent avec une joie non dissimulée des grèves de l’année dernière et notamment des blocages devant le site industriel de la Martinoire qui ont su « foutre le bordel » et paniquer la direction de Balla et Courteille, les patrons actuels mais aussi Pinault, ancien propriétaire de la Redoute reconverti aujourd’hui dans le luxe avec son groupe Kering (Puma, Gucci, Saint Laurent, etc) et 6eme fortune française. Mais très vite, le même constat se fait entendre : il aurait fallu en faire plus, bloquer davantage, occuper l’usine et pas seulement ses portes d’entrée : « on connaît par cœur la Martinoire, pour nous déloger faut se lever tôt, ya plein de planques, c’est un vrai labyrinthe pour la sécurité (…. privée gérée par Véritas) et les flics » « il fallait tenir plusieurs jours et ne pas écouter certains délégués qui nous disaient d’arrêter sinon on se prenait des amendes. Pour les payer, il y aurait eu la solidarité du moment ... ». Mais la lutte s’est terminée, les Redoutables n’ont obtenu que 20 000 euros pour les primes de départ contre les 40 000 demandés et aujourd’hui l’humeur oscille entre un « c’est fini, les gens ne se bougeront plus, tout le monde veut se barrer » et un « ça va repartir un jour car leur plan de restructuration nous promet encore pas mal de merdes »

Et en effet, pendant ce temps, le plan de programme volontaire et de pré-retraites se déroule en attendant les licenciements secs. A la Martinoire, les départs sont importants et logiquement les cadences augmentent : « Dans les stocks, 3 personnes sont parties, on se retrouve à 17 au lieu de 20 pour le même boulot » déplore Maxime lui même sur le départ, « On bosse plus pour pareil, les chefs foutent la pression, le moral d’après lutte en prend un coup ». Il y a encore heureusement la camaraderie mais se font aussi sentir les dégâts collatéraux : les arrêts maladie pour dépression, la picole, les difficultés financières, etc.

Partir de l'entreprise, mais à quel prix ? Bientôt les licenciements

Depuis mi-2014, les départs de la Redoute se font soit par les pré-retraite (prioritaires !) soit par les départs volontaires. Pour obtenir ce dernier, il faut constituer un dossier de reconversion professionnelle transmis à la BPI-Group, une société privée spécialisée dans la RH qui donne un avis et enfin le projet doit être validé par une commission mixte (employeur-syndicats). C’est déjà un parcours du combattant en soi mais jusque là, c’était plutôt facile de partir, la direction avait volontairement ouvert les vannes et on pouvait partir avec un « petit projet », une formation de 15 jours à Pôle emploi suffisait pour que le dossier soit constitué et validé. Le candidat part alors avec sa prime de 20 000 euros plus son ancienneté plus le financement de la formation ce qui représente environ 30 000 à 40 000 euros. De quoi tenir 1 ou 2 ans sans boulot or on connaît aujourd’hui la non inversion de la courbe du chômage et faut-il préciser aussi que les employés de la Redoute sont plus proches de la cinquantaine que de la vingtaine. Bref, on ne roule pas sur l’or en partant de la Redoute.

Mais depuis février, les conditions de départ se sont subitement durcies avec la signature par les syndicats d’un avenant qui modifie « l’accord social » initial. « Aujourd’hui, le dossier doit être béton, il faut une formation minimum de 1 ou 2 mois + deux promesses d’embauche !? » certifie Maxime qui a réussi à partir in extremis. Pour ceux qui projetaient de partir plus tard, « on se sent lésés car ça devient compliqué de sortir » En fait, La direction a réalisé que tout le monde voulait se barrer et décide entre les lignes un gel des départs volontaires en 2015 et 2016 avant de procéder aux vrais licenciements en 2017. En regardant les chiffes, on se rend plus compte de la tendance. Fin février, 553 personnes ont quitté la Redoute, en majorité des AO (= des ouvrier-es de la Martinoire ou du service clientèle à Roubaix). Jusque 2017, il ne resterait que 230 départs volontaires. Or la nouvelle Martinoire fonctionnera fin 2016 avec seulement 550 ouvrier-es. Il faut donc déjà prévoir des centaines de licenciements. Quelles seront alors les conditions ? Tout reste flou et nécessitera un nouveau rapport de force.

Les bisbilles syndicales …. vivement l'organisation de base

La fin d’un mouvement correspond aussi aux règlements de comptes, en particulier syndicaux. Avec les dernières élections professionnelles, la CFDT s’est prise logiquement une déculottée chez les ouvriers qui ont alors formé une section FO tandis que Sud a disparu des radars car inefficace et quasiment invisible lors des grèves. Reste la CGT, trustée à sa tête par des militants politiques de Lutte Ouvrière qui ont sonné trop rapidement la fin de la partie après la signature du 24 mars. Le constat est amer pour les anciens redoutables qui ont choisi alors plusieurs voies : les ¾ d’entre eux ont pris le large, dégoûtés de ce qui s’est passé ; quelques uns sont entrés dans les syndicats pour aller à la pêche aux informations mais aussi pour tenter de radicaliser les organisations. Chose très difficile.

Aujourd’hui, CGT et FO se tirent dans les pattes prenant à partie des syndiqués de base, souvent sincères, dans des guerres d’influence. FO voulait aller aux prud’hommes pour contester le plan de licenciement, CGT refuse de se battre juridiquement. Mi-Février, la maintenance de la Martinoire qui va disparaître se met en grève pour obtenir de meilleurs conditions de départ, la CGT soutient et parle aux médias tandis que FO se retire de la lutte jugée trop catégorielle et aussi par ressentiment car l’année dernière la maintenance ne s’était pas bougée pour tout le monde. Dernier psycho-drame, la démission des élus CFE-CGC (syndicats des cadres majoritaire au siège social de Roubaix) du Comité d’Entreprise qui ont porté plainte contre des membres de FO pour abus de confiance. Tout ceci devient un véritable panier de crabe et clive un peu plus les salarié-es entre eux.

Loin de vouloir juger les syndiqués de base, on remarque toutefois deux choses : LO n’est pas dans une logique de soutien des luttes, ils veulent uniquement entretenir leur influence et leur place et recruter des militants pour on-ne-sait-plus-trop-quoi-vraiment tant le rapport de classe est disproportionné et aussi les organisations syndicales actuelles sont plus des freins à la lutte que des facilitateurs.

La nouvelle Redoute, vers un monde redouté !

Les agences de comm’ se sont bien camées pour trouver le nom de la nouvelle Redoute alias le Groupe New R, « pour une nouvelle R ». Brochures sur papier glacé et présentation chronométrée ont été réalisées pour vendre un projet d’entreprise qui nage en plein délire 2.0.
Récemment, l’ensemble des employés ont reçu un bulletin de souscription pour des actions New R ! « Prenez part au futur de votre entreprise en participant à l’opération d’actionnariat salarié » annonce le courrier avant de préciser : « il est important de noter que la valeur de votre investissement est étroitement liée à la valeur de l’action New R et donc à la situation financière du groupe ». Avec cette novlangue, l’employé doit être un collaborateur-actionnaire et en guise de remerciement on lui ouvre le capital de l’entreprise à hauteur de …. 16%. Bah oui, il ne faut pas pousser non plus, le reste continue à appartenir aux managers, Balla et Courteille en tête (55% à eux deux). Les ouvrier-es rient jaune à cette supercherie boursière. La direction ne recule devant rien et veut reprendre le dessus, tout est fait pour individualiser et réduire les actions collectives, on a jamais vu des actionnaires faire grève ….

Plus sérieusement, la nouvelle R s’accompagne surtout d’une nouvelle Martinoire, un nouveau centre logistique annoncé comme le plus moderne en Europe qui n’emploiera plus que 550 ouvrier-es sur 1 250 avant. Dans les présentations vidéos (2), tout devient automatisé, les articles seront informatisés, rangés puis sélectionnés par des navettes automatiques. L’emballage sera aussi mécanisé, les ouvrier-es ne seront là que pour charger et décharger les camions et aussi surveiller les machines. Les conditions de travail seront d’autant plus exécrables que les rendements demandés deviennent de plus en plus hallucinants. Avec ce nouvel outil de production, le colis doit être préparé dans un délai de 2 heures et expédié le jour même pour une livraison le lendemain !

Dernier projet mégalo et en lien avec la Redoute, le « Projet Blanchemaille » qui verrait le jour dans des locaux laissés vacants par le groupe à Roubaix. Celui-ci est porté par le maire de la ville, Guy Delbar (UMP) mais aussi Euratechnologies qui est le centre des nouvelles technologies à Lille en hébergeant entre autre Microsoft, IBM, etc. L’objectif est de créer un pôle régional pour le e-commerce pour attirer des géants du secteur comme Vente-privée.com ou Showroomprivé. Amazon n’a plus qu’à bien se tenir, la concurrence arrive mais partage tous ensemble les pires conditions de boulot qui soit : contrat merdique, flexibilité à en crever, managering totalitaire. Nous voilà prévenus et plus que jamais, il faut tirer les leçons de nos défaites pour un jour espérer renverser la machine et le monde qui va avec.

Fabien

Notes :

1 - Les prénoms ont été modifiés

2 - A voir pour se rendre compte de l’ampleur de la mécanisation : https://www.youtube.com/watch?v=Tik...
https://www.youtube.com/watch?v=Tik... et https://www.youtube.com/watch?v=Luv...

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