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"Le Grand Paris : gentrification et projets destructeurs", suivi de "Contrer la capitale du Capital"

mercredi 28 janvier 2015, par ocl-lyon

"Le Grand Paris : gentrification et projets destructeurs"

Mise en concurrence des territoires, spéculation foncière et immobilière, gentrification des quartiers populaires, mise en œuvre de projets aberrants, disparition des terres agricoles : voilà quelques-uns des aspects méconnus du Grand Paris. Mettre en évidence cette réalité pour s’y opposer est encore une tâche à mener.


Lancé en 2007 puis entériné par une loi en juin 2010, le « Grand Paris » est un projet d’aménagement de l’Île-de-France qui, selon ses promoteurs, vise à renforcer « l’attractivité » et « la compétitivité » de la « région-capitale », déjà la plus prospère de France, c’est-à-dire de soumettre toujours plus les territoires à la logique de guerre économique mondiale dans une perpétuelle quête de croissance. Naturalisé dans les discours des décideurs, ce processus d’affrontement entre « villes-mondes » est présenté comme un état de fait sans cause identifiable : « [Le Grand Paris] c’est la porte d’accès à la France dans le cadre de la mondialisation. Aujourd’hui, c’est plus le Val-de-Marne, la Seine-Saint-Denis, Paris, les Hauts-de-Seine en rivalité. On est en compétition avec Shanghai, Hambourg, Berlin, Londres, Rome », explique ainsi le président de l’Assemblée nationale , dont les propos résonnent sans fausse note avec ceux de Nicolas Sarkozy lors de son discours sur le Grand Paris d’avril 2009.

Projets mégalos et chambardement administratif

Concrètement, la « métropolisation » francilienne repose sur un ensemble de grands projets dont le plus médiatique reste le « Grand Paris Express », nouveau réseau de transport comprenant 205 km de voies et 72 gares, qui doit voir progressivement le jour entre 2020 et 2030. Elle s’appuie aussi sur un ensemble de contrats de développements territoriaux (CDT) – documents d’aménagement qui privilégient une vingtaine de territoires « stratégiques » en matière de développement économique, social et urbain. Pour autant, tout projet d’aménagement, promu par les mêmes arguments de compétitivité et par les mêmes promesses de création d’emplois, est aisément rattaché à la dynamique du Grand Paris.
Plus récemment, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) a imposé une nouvelle organisation institutionnelle à l’Île-de-France (et à la France) en créant un nouveau type d’intercommunalité, la métropole : à partir du 1er janvier 2016, les communes de Paris et des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne seront regroupées au sein de la « métropole du Grand Paris » qui captera la plupart des compétences supra-communales (logement, aménagement du territoire, politique de la ville, etc). Les communes auront aussi l’obligation de se regrouper dans de nouveaux établissements publiques de coopération intercommunale, d’au moins 300.000 habitants , les « territoires », qui remplaceront les anciennes agglomérations. Sans personnalité juridique, ces « territoires » seront privés de ressources fiscales au profit de la métropole dont le « conseil métropolitain » sera l’organe dirigeant.

Pour qui le Grand Paris ?

Alors qu’officiellement 550.000 ménages étaient encore demandeurs de logement social en décembre 2013 , les experts du Grand Paris envisagent une augmentation de la population régionale pouvant atteindre 1,1 million de personnes d’ici 2030 . La promesse de construire 70.000 logements neufs par an en moyenne n’arrivant pas à être tenue (moins de 40.000 par an sur la décennie 2001-2011), l’État a récemment décidé de s’octroyer « des pouvoirs exceptionnels en matière d’urbanisme » pour accélérer la construction, là où la technocratique « territorialisation de l’offre de logement » l’a décidé – notamment dans les villes-dortoirs où elle propose d’accroître encore la population (éloignée des zones d’emplois, celle-ci pourra alors « bénéficier » des nouvelles lignes de métro pour aller travailler au loin).
Étendant le processus de « gentrification » au delà des limites du périphérique, le Grand Paris encourage les programmes de « rénovation urbaine » et de « lutte contre l’insalubrité », dont le résultat – si ce n’est l’objectif – est l’éviction des classes populaires vers la Grande couronne, voire la périphérie régionale, et leur remplacement par des populations plus solvables et plus appropriées aux activités tertiaires qui y sont développées.
Alors que la région concentre déjà une très forte proportion de professions très qualifiées (31 % de la population active contre 14 % en moyenne dans le reste du pays), la métropole met en avant la création d’emplois de même type jugés essentiels au renforcement de sa compétitivité, qui ne correspondent pas au profil de la population francilienne mais qui attireront les diplômés des autres régions. Les promesses reposent aussi sur un tripatouillage des chiffres quand on y inclut les regroupements d’activités qui ne sont que des déplacements d’emplois.

Terres agricoles menacées

Malgré les beaux discours sur la ville dense, la métropolisation se manifeste aussi dans l’étalement urbain. Plusieurs grands projets nuisibles sont de ce point de vue emblématiques. Tout d’abord, la volonté de créer une « Silicon Valley » française en concentrant sur le plateau de Saclay, au nord de l’Essonne, grandes écoles, centres de recherche et entreprises au sein d’un grand « cluster » techno-scientifique. Le plateau de Saclay et ses environs abritent déjà le CEA, le centre francilien de développement des nanotechnologies (NanoInnov) et un ensemble de grands groupes industriels comme Thalès, EADS ou Renault, le cluster en gestation ayant pour vocation de travailler pour les intérêts de ces derniers .
Le plateau de Saclay est un vaste territoire agricole réputé pour la fertilité de ses sols. Principalement labouré par une agriculture productiviste, il abrite aussi des expériences d’agriculture biologique à taille humaine et de développement de circuits courts d’approvisionnement. La construction du cluster, avec la prévision de 30.000 habitants supplémentaires, urbanisera 400 ha de ces terres. Si les 1300 ha restants sont préservées au sein d’une fumeuse « sanctuarisation », il y a fort à craindre que le développement d’une ligne du Grand Paris Express à travers le plateau n’encourage toujours plus à l’étalement urbain.
Dans le Val d’Oise et à proximité du Grand Roissy, ce sont aussi des terres agricoles qui sont menacées par le béton. Au cœur du Triangle de Gonesse, le groupe Auchan projette de construire « Europa City », le plus grand centre commercial et de loisirs d’Europe qui s’affirme concurrent direct d’EuroDisney. Ce projet aberrant est soutenu par les élus locaux (« ça crée des emplois ») et par l’État qui a autorisé la création au milieu des champs d’une gare du Grand Paris Express, nécessaire à la desserte du projet. Associé à un ensemble d’immobilier de bureaux, Europa City menace 300 des 750 ha de terres agricoles du Triangle et entre aussi en compétition avec des centres commerciaux très proches. Mais peu importe la casse , puisque ce ne sont pas les grands groupes qui la subiront mais les commerçants des nombreuses boutiques de leurs galeries qui leur versent un loyer.
L’opposition au Grand Paris a beaucoup de mal à faire jour face à la propagande véhiculée à longueur de temps. En dehors de quelques critiques institutionnelles, des luttes et des contestations existent localement – contre les projets de rénovation urbaine d’Ivry à Saint-Denis en passant par Montreuil, contre les projets sur le plateau de Saclay, dans le triangle de Gonesse ou à d’autres endroits. Mais une critique globale du Grand Paris et des métropoles, qui puisse fédérer les oppositions locales, n’arrive pas à percer (cf article suivant).

Notes

1. - Claude Bartolone, France 5, 2 février 2014.

2. - Les communes proches de la « Grande couronne » sont elles aussi touchées par des formes similaires de regroupements, directement imposés par le préfet de région.

3. - Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement, Qui demande un logement social en Île-de-France ?, mai 2014.
4. - Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France, Note rapide n°598, juillet 2012.

5. - Dossier de presse du comité interministériel sur le Grand Paris, 13 octobre 2014.

6. - C’est ainsi que, de façon très parlante, Dominique Vernay, ancien directeur de la recherche de Thalès et figure francilienne de la promotion des nanotechnologies, ancien président du pôle de compétitivité Systematic, préside la « fondation de coopération scientifique » qui porte de la projet de campus au cœur du cluster, et est membre du conseil d’administration de l’Établissement public Paris-Saclay qui a pour mission l’aménagement global du projet.

7. - La difficulté des centres commerciaux leur permettent aussi d’obtenir des dérogations pour ouvrir beaucoup plus souvent le dimanche.

"Contrer la capitale du Capital"

Le grand paris : voilà un grand projet qui devrait mobiliser du monde et pourtant la timide mobilisation, née voici maintenant trois ans, continue à se chercher.

Cette difficulté s’explique parce qu’il ne s’agit pas d’un projet mais d’une dizaine ( Europa City , Village nature, Silicon valley, etc...) dans la même région. Il ne s’agit donc pas tant d’un grand projet nuisible que d’un projet global d’aménagement capitaliste du territoire d’une métropole internationale. Deux enjeux se dégagent : le maintien des terres agricoles et la gentrification de la petite couronne. A la fois le Grand Paris et Paris métropole . Du coup, ce ne sont pas les mêmes militants qui se mobilisent sur la grande couronne et qui sont sur les luttes urbaines en petite périphérie. D’un coté des collectifs " citoyens " pour défendre les terres agricoles avec des gens plus âgés, plus installés, et d’un autre côté contre la gentrification des militants radicaux regroupés autour de squats. Cette disparité, l’ampleur de la tâche, les différences générationnelles et sociologiques expliquent la difficulté de construire un mouvement d’ensemble. Cette mise au point est à garder en tête par rapport aux luttes qui existent maintenant depuis trois ans.

2012-2013, naissance d'une résistance

Le premier acte fondateur a lieu en mai 2O12, une réunion organisée par le FRAP contre les nanotechnologies et le projet de Silicon valley sur le plateau de Saclay débouche sur une réunion de coordination des différents sites menacés en Île-de-France. Ce sera la COSTIF qui est plus un bureau de liaison entre différents franciliens qu’un véritable collectif . Ensuite le mouvement autour de Notre Dame des Landes va décoller et poser à l’échelle nationale les questions d’aménagement du territoire. En juillet la COSTIF va d’ailleurs participer au forum contre les grands projets inutiles sur la ZAD. Les expulsions de l’hiver vont provoquer un afflux de nouveaux militants en région parisienne. Un débat est organisé au Lavoir Moderne Parisien et se transforme en une assemblée générale de 2OO personnes sur la question du Grand Paris. Néanmoins la présence d’élus et de membres de partis politiques de la gauche institutionnelles créent frustration et mécontentement des uns et des autres. Comment pourrait-il en être autrement quand ceux-ci participent à la région et à son projet d’aménagement ?! Il faudra attendre ensuite l’hiver pour qu’une initiative d’envergure voit le jour. Les 6, 7 et 8 décembre, dans le cadre d’une journée nationale d’action contre les grands projets nuisibles, un week-end entier de mobilisation est organisé contre le Grand Paris ; le vendredi, une trentaine de personnes construisent une fausse piste de ski à la Défense devant le siège d’Auchan contre le projet Europa City, le samedi plus de 1OO personnes manifestent dans les champs sur le plateau de Saclay et le dimanche 2OO personnes traversent Ivry contre le projet de gentrification. Un bilan plutôt intéressant avec néanmoins cette constante, seules une vingtaine de personnes ont suivi les trois événements, la plupart se polarisant sur leur lutte locale.

2014 : Europa City, symbole de la lutte contre le Grand Paris ?

Rappelons-le ! Europa City est le projet le plus spectaculaire en Île-de-France, le plus grand centre commercial d’Europe doublé d’une piste de ski. Doit-on en faire LE symbole qui va booster les autres luttes ? De fait, cette année la lutte contre Europa City a occupé le devant de la scène avec deux initiatives fortes : le 17 mai 2O14, une manifestation nationale contre les projets d’Auchan se tient à Roubaix sur les terres de la famille Mulliez, détentrice de la multinationale. 5OO personnes défilent du siège social en France à Néchin en Belgique, domicile des sus cités ; Europa City, Ferme des bouillons à Rouen, Decathlon à Orleans , projet dans le Vaucluse, plusieurs collectifs défilent ainsi dans le bonne humeur dont une trentaine de parisiens. Ensuite, les 2O et 21 septembre, Alternatiba ( le salon Marjolaine de l’alternative) s’exporte à Gonesse, constituant une tentative de mobiliser toute l’Île-de-France sur un GPII en plein champ : manif de 2OO personnes dans le village désert, concerts dans la boue, débats traditionnels squelettiques, le festival rate la cible d’imposer un rapport de force conséquent. Les choix politiques des organisateurs par rapport aux subventions et aux institutions auront empêché la constitution d’un mouvement large unifiant toutes les composantes possibles de cette lutte. Au-delà du côté un peu trash et mythique de l’évènement, le week-end aura néanmoins permis de faire sortir de l’anonymat Europa City.

2015 : : lutter contre le Grand Paris en tant que tel

Le Grand Paris avance, et avec lui les débats de promotion : l’occasion pour les opposants de se faire entendre. Du coup, deux initiatives ont eu lieu fin décembre pour mobiliser au centre même du pouvoir contre le Grand Paris au delà des luttes locales :
27 novembre : la ministre de la Recherche est annoncée à la Maison des architectes à l’occasion de l’aménagement du plateau de Saclay et du projet de Silicon valley. Distribution de pommes de terres et interpellation des invités en costumes cravates, " votre futur n’est pas le nôtre"
29 novembre 2014 : Libération organise un grand forum "À nous le Grand Paris" ; une dizaine de personnes avec banderole et tracts vont accueillir Hidalgo, Devedjian et tout le gratin de la bourgeoisie éclairée.

La lutte contre leur Paris en est là : lutter pied à pied contre chaque projet et essayer de s’unifier à la fois au niveau de la Grande Couronne contre les divers projets, à celui de la Petite Couronne contre la gentrication et enfin tous ensemble contre le Grand Paris. Manque encore l’événement fondateur qui permettrait à la lutte de prendre son envol...

jpp

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