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Répression

Des casseurs et des flics

lundi 3 novembre 2014, par admi2

Après la mort de Remi Fraisse et les affrontements lors des manifestations qui s’en sont suivies, il était nécessaire de replacer ces événements dans un contexte global et de rappeler que la mort de Remi n’en est qu’une parmi une longue série.

Nous publions deux textes qui analysent le sens des répressions mises en œuvre par l’Etat. Pour faire face à la surenchère d’appels à la répression contre « les casseurs » au nom de l’Union nationale à laquelle se livrent tous les partis il est bon de rappeler que cette offensive policière n’est qu’un aspect de l’offensive que le patronat et la classe dominante livrent contre les classes dangereuses.

C’est évidemment cet aspect que veulent cacher tous les « dénonciateurs ». Et en particulier les écologiste d’EELV. Il aura suffit qu’on les gronde pour qu’ils se mettent au garde-à-vous.

Après avoir été vertement – et injustement ! – villipendés par le gouvernement après la mort de Remi Fraisse au Testet, les écologistes de cour ont fait assaut d’allégeance au système non seulement en se désolidarisant à l’avance des "casseurs" puis en les dénonçant et en réclamant qu’ils soient punis après les manifestations de Nantes et de Toulouse ! Les termes utilisés ne le dispute en rien à ceux utilisés par tous les ministres de l’intérieur depuis 40 ans en remettant sur le tapis le fantasme des casseurs venus d’ailleurs.

On peut très bien avoir une divergence tactique (pas aujourd’hui), voire stratégique (pas en ce moment) ou même idéologique (non violence) avec ce genre de manifestation. Mais ce n’est pas ça qu’ils ont exprimé. Ils ont crié à la face de tous et toutes "nous sommes du côté du pouvoir et de ses flics". Nous sommes des gens respectables, respectueux des institutions en général y compris policières.

Ce qui est insupportable dans le positionnement d’EELV c’est que dans la façon dont ils se sont exprimés vis-à-vis des manifestations, de Sivens d’abord, puis de Nantes et de Toulouse c’est qu’ils parlent d’abord au pouvoir.


 Mathieu Rigouste : {« LA MORT DE RÉMI N'EST PAS UNE BAVURE, C'EST UN MEURTRE D'ÉTAT »}

Mathieu Rigouste, militant, chercheur en sciences sociales, travaille à disloquer les mécanismes de domination. Dans La Domination policière (2013), il avance que « la violence policière est rationnellement produite et régulée par l’État ». Selon lui, les zadistes du Testet sont face à une « contre-insurrection policière », qui peut dériver en « guerre de basse intensité ». Il distille une lecture iconoclaste des événements qui ont conduit à la mort de Rémi Fraisse.

Entretien.

____

Aparté.com : Place du Capitole, lors du premier hommage à Rémi Fraisse, on lisait « la police assassine » sur une banderole. Comment caractérisez-vous la mort de Rémi Fraisse ?

Mathieu Rigouste : Cette banderole disait « Zied et Bouna (27 oct 2005), Timothée Lake (17 oct 2014), Rémi Fraisse (26 oct 2014), RIP, La police assassine, Ni oubli ni pardon ! ». Parce que ce 27 octobre, c’était l’anniversaire de la mort de Zied et Bouna à Clichy-sous-Bois en fuyant la police, qui déclencha la grande révolte des quartiers populaires de 2005. Parce qu’une semaine avant le meurtre de Rémi, le 17 octobre, c’est Thimothée Lake qui a été tué par la BAC à St-Cyprien (Toulouse), dans une supérette et dans l’indifférence quasi-générale.

« La police distribue la férocité des classes dominantes »

C’était exactement 53 ans après le massacre policier du 17 octobre 1961, durant lequel la police parisienne tua plusieurs dizaines d’Algériens en lutte pour la libération de leur peuple. La propagande de l’État et des médias dominants produisent une histoire « nationale » et officielle qui permet de légitimer le fonctionnement de cette violence industrielle.

Dans le cas de Rémi, La Dépêche du midi a ouvert le bal des mythomanes en publiant cette histoire de corps retrouvé dans la forêt, laissant planer l’idée que la police n’avait rien à voir là-dedans, voire même qu’elle l’avait recueilli. Mais nous pouvons démontrer collectivement, par la contre-enquête populaire et des contre-médias auto-organisés que la police assassine régulièrement, que sa violence est systémique, systématique et portée par des structures politiques, économiques et sociales. La police distribue la férocité des classes dominantes..

La mort de Rémi constitue-t-elle un événement isolé, ou trahit-elle une logique plus générale de la violence policière ?

Il faut replacer le meurtre de Rémi dans une histoire longue où la police apparaît très clairement pour ce qu’elle est : un appareil d’État chargé de maintenir l’ordre économique, politique et social (capitaliste, raciste et patriarcal) par l’usage de la violence.

« Face aux ZAD, les polices occidentales expérimentent de nouveaux dispositifs de contre-insurrection »

La police sait reconnaître ses maîtres, et distribue différents degrés et formes de violence selon la classe, la race et le genre des personnes qu’elle contrôle. Elle a ainsi toujours brutalisé, mutilé et tué certaines parties de la « population » de la ville capitaliste (misérables, marginaux, prostituées…). Elle entretient, dans toutes les puissances impérialistes, un rapport particulier avec les quartiers et les classes populaires les plus pauvres, avec les parties du prolétariat les plus ségréguées et les plus exploitées, généralement issues de l’immigration et de la colonisation. Elle est chargée de dominer, bannir et soumettre les couches sociales qui auraient le plus intérêt à se débarrasser de ce système parce qu’elles en bénéficient le moins.

« La police tue entre 10 et 15 habitants des quartiers populaires par an en moyenne »

La police tue ainsi entre 10 et 15 habitants des quartiers populaires par an en moyenne. Avec la prison et le système de harcèlement et d’occupation policière de la rue, il s’agit d’une véritable entreprise de « nettoyage social » et d’écrasement de toutes formes d’autonomie populaire.

Parallèlement, depuis le début du XXe siècle, la gestion policière des « mouvements sociaux » avait tendance à réduire au maximum les risques de tuer les strates supérieures des classes populaires, les aristocraties ouvrières, les classes moyennes et les petites-bourgeoisies précarisées et radicalisées.

Le meurtre policier de « militants » reste jusqu’aujourd’hui exceptionnel face à l’industrie des meurtres policiers des non-blancs pauvres. Mais les figures de Carlos Giuliani tué par la police à Gênes en 2001 et d’Alexis Grigoropoulos, tué à Athènes en 2008, montrent que l’assassinat policier de « militants » tend à se développer à mesure que la restructuration néolibérale et sécuritaire du capitalisme opère.

Comme tous les crimes policiers dans les quartiers, le meurtre de Rémi n’est pas une « bavure », pas un dysfonctionnement, mais bien le produit de mécaniques instituées, de formations rationnelles, de tactiques et de stratégies légitimées et justifiées du haut de l’appareil d’État jusque dans les gestes des exécutants policiers, c’est un meurtre d’État, prémédité par la mise en œuvre des structures qui l’ont rendu possible, un assassinat.

Au Testet, CRS et gendarmes sont quasi-omniprésents. Comment comprenez-vous le rôle de la police sur le site du barrage de Sivens ?

La police applique des tactiques et des stratégies établies à l’intersection des pouvoirs politiques, économiques et sociaux. Tant que les industriels et les gouvernants qui investissent dans ce projet de barrage considèrent que « ça vaut le coût » de continuer, malgré la diversification et la montée en puissance des résistances collectives, la police augmente l’intensité répressive.

« Les polices occidentales sont capables de passer instantanément de la répression policière à la guerre de basse intensité »

Face aux ZAD et à leurs formes de reterritorialisations des luttes urbaines et rurales,, les polices occidentales expérimentent aussi de nouveaux dispositifs de contre-insurrection hybrides et modulables, c’est-à-dire où la dimension militaro-policière du quadrillage, de l’enfermement et de la provocation est centrée sur un théâtre d’opération rural et forestier mais est aussi capable de passer rapidement voire simultanément en mode « Azur » (action en zone urbaine). Capable de passer instantanément du « maintien de l’ordre » au « contrôle des foules », de la répression policière à la guerre de basse intensité.

C’est l’occasion d’expérimenter ces dispositifs mais aussi de les mettre « en valeur » médiatiquement, c’est-à-dire de faire d’une expérience de répression, la vitrine d’une « excellence » du « savoir-faire français » en direction du marché international de la sécurité et du maintien de l’ordre. L’hybridité des doctrines, des matériels et des personnels constitue une valeur ajoutée très forte sur le marché de la défense et de la sécurité.

« Au Testet comme dans les quartiers populaires, la police est chargée de soumettre tout ce qui résiste »

La contre-insurrection repose aussi sur des méthodes d’action psychologique, parmi lesquelles des protocoles visant à diviser les résistances en désignant des « ennemis intérieurs » dont il faudrait se méfier voire purger. En l’occurrence, la figure des « casseurs » et des « violents » (« le braqueur furieux » dans le cas de Timothée Lake) permet de diaboliser les actions directes non conventionnelles, de masquer la violence structurelle du pouvoir et de promouvoir face à cela des mobilisations inoffensives et facilement gérables.

Les doctrines de contre-insurrection appellent ce mécanisme « schismo-genèse » : développer un schisme, une séparation dans la « population » résistante. Cette forme d’« action psychologique » rénovée repose sur l’existence de caisses de résonance pour cette propagande dans les médias dominants et parmi les appareils politiques et syndicaux supplétifs.

Au Testet comme dans les quartiers populaires, la police est chargée de soumettre tout ce qui résiste à l’expansion du système impérialiste. Elle doit balayer tout ce qui gène le mouvement de conquêtes ainsi que les programmes de déplacements et de dépossession des territoires et de leurs habitant.e.s, que le capitalisme met en œuvre pour se restructurer.

Propos recueillis par Paul Conge

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DE LA CONTINUITÉ ENTRE LE MAINTIEN DE L'ORDRE <br>ET LA RÉPRESSION MILITAIRE

Publié par Oulianov le 30 oct 2014

Nous avons déjà présenté deux modèles de maintien de l’ordre, le modèle allemand basé sur l’intimidation et la pression policière et le modèle français, basé sur la délégation d’une partie du travail de police aux organisateurs de manifestations et sur une répression à posteriori. Ces dernières années, ces modèles se sont durcis de plus en plus, avec l’introduction de nouvelles armes comme les grenades offensives dont l’utilisation par les gendarmes à provoqué la mort de Rémi Fraisse à la Zad du Testet le 25 octobre 2014, mais aussi de nouvelles méthodes, inspirées de la contre insurrection militaire…

Un durcissement du maintien de l’ordre à l’échelle européenne

Cela a commencé avec le mouvement altermondialiste. Celui-ci a été l’occasion pour les manifestants de l’Europe entière de se rencontrer et de lutter ensemble, voire d’affronter la police. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il a aussi été l’occasion pour les différentes polices de collaborer étroitement et de mettre en place de nouvelles méthodes de maintien de l’ordre.

Ainsi, les mobilisations altermondialistes furent le prétexte à l’introduction de moyens de fichages et de quadrillages inédits, mais aussi à une collaboration à l’échelle européenne des forces de police. Ce sont des contrôles aux frontières permettant d’empêcher des militants d’accéder aux lieux de manifestation. C’est aussi le blocage de zones urbaines entières comme par exemple au contre-sommet de l’OTAN de Strasbourg où l’autoroute menant à la ville et de larges portions du centre-ville furent bloqués par la police.

Ce durcissement du maintien de l’ordre est plus global, il ne concerne pas que les contre- sommets altermondialistes. Par exemple, en Angleterre, à partir des années 1980, sous le gouvernement de Margaret Thatcher, dans un contexte de conflits sociaux exacerbés (grèves des mineurs, émeutes contre la Poll tax …), le maintien de l’ordre se durcit et va se militariser. On constate l’apparition d’unités ayant une culture du conflit et du maintien de l’ordre très dures tels que les SPG (special police groups).

En France, il est possible d’observer un durcissement similaire. Ainsi, Hacène Belmessous explique notamment dans son livre « Opération Banlieue » qu’il y a une hybridation entre militaire et policier dans le maintien de l’ordre dans les cités et quartier populaires. Mathieu Rigouste trace de son côté dans son livre « L’ennemi intérieur » un parallèle entre les méthodes de la guerre contre-insurrectionnelle mises en œuvre au cours des guerres de décolonisation et les récentes mutations du maintien de l’ordre dans les Zones Urbaines sensibles. Les populations sont perçues comme susceptibles d’héberger un ennemi intérieur et traitées en conséquence, selon un modèle inspiré des guerres coloniales.

De nouvelles armes et de nouvelles lois

En France, les lois encadrant le maintien de l’ordre a été changée pour permettre ce durcissement. C’est le sens de la refonte du Code de la Sécurité Intérieure en 2011, et surtout du décret n° 2011-794 du 30 juin 2011.
Il permet l’utilisation d’armes à feu par la police sans qu’il n’y ait de situation de légitime défense. Cela veut dire qu’il permet à la police de tirer légalement à balles réelles sur les manifestants, ce qui peut être utile à la répression dans un contexte insurrectionnel, mais n’est pas appliqué de nos jours.
Par contre, il légitime et banalise l’usage d’armes à feu dites « non létales » (c’est à dire sensée ne pas provoquer la mort) : flashball et autre dérivés, ainsi que les grenades de désencerclement et grenades offensives (celles dont l’utilisation à provoqué le décès de Rémi Fraisse.)

L’introduction et la banalisation de ces armes de maintien de l’ordre est la conséquence de la nouvelle doctrine contre-insurrectionnelle du maintien de l’ordre. Elles sont toujours « non-létales », c’est-à-dire qu’elles ne sont pas conçues pour tuer, même si elles peuvent le faire. Par contre, elles sont beaucoup plus dévastatrices pour leurs victimes.
On peut citer le flashball, qui tire des balles en caoutchouc très puissantes, les grenades de « désencerclement », qui ont le même effet que le flashball et saturent une zone d’éclats de flashball et qui ne font vraiment pas dans la dentelle. Enfin, il y a les grenades offensives ou à effet de souffle qui assourdissent, désorientent et qui, à courte portée, peuvent causer beaucoup de dommages.

Du maintien de l’ordre classique à la répression de type militaire :
pas de rupture, mais une continuité.

La conséquence de ces évolutions est la création d’une zone grise entre maintien de l’ordre classique et répression militaire, d’une continuité entre « non-létal » et mortel.

Le résultat direct de la mise en place de ce nouveau maintien de l’ordre a été une brutalité policière accrue. Les mutilations sont devenues plus fréquentes et on ne compte plus les yeux perdus à cause de tirs de flashball, (Lien manifeste flashball libération). A l’heure où nous écrivons ces lignes, c’est Rémi Fraisse qui a perdu la vie à cause d’une grenade offensive sur la ZAD du Testet.

Ces nouvelles lois sont la matérialisation d’une militarisation du maintien de l’ordre ou plutôt d’une hybridation entre policier et militaire. Par ailleurs, l’armée est aussi formée au contrôle des foules, ce qui lui permet de faire du maintien de l’ordre à l’étranger (par exemple au Kosovo). Cela leur permet aussi de pouvoir intervenir en France comme le permet la loi, depuis le Décret 2007-586 du 24 avril 2007, ce qui fait froid dans le dos…

« En dernier ressort, elles peuvent être requises pour des opérations de force nécessitant des mesures de sûreté exceptionnelles »

Ce durcissement a plusieurs conséquences. La première est à notre désavantage : la répression est beaucoup plus dure. Le fait de risquer de perdre un œil, voire la vie en allant manifester peut en décourager plus d’un ou une, ce qui est très compréhensible.
D’un autre côté, une des tactiques du pouvoir a été de diviser manifestants violents et non-violents. C’est beaucoup plus difficile à faire lorsque n’importe quel manifestant peut perdre un œil. De plus vis-à-vis de l’opinion publique, il est beaucoup plus difficile de délégitimer des « casseurs » qui jettent des pierres qui ne blessent pas les CRS, lorsque « les casseurs » repartent avec des blessés et des morts dans leurs rangs.
Enfin, une brutalité policière accrue risque d’avoir un effet inverse : elle peut pousser des personnes qui, au départ n’auraient pas fait le choix de la violence à rejoindre les rangs de ceux qui résistent de manière plus dure.

En tous cas, la balle est dans notre camp.

source : http://www.tantquil.net/2014/10/30/...

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2 Messages

  • Lettre ouverte à la mère de Rémi

    3 novembre 2014 12:50

    Publié le 3 novembre 2014

     

    La lettre qui suit est adressée par Farid El Yamni, frère de Wissam - assassiné par la police le 1er janvier 2012 - à la mère de Rémi Fraisse. Il a voulu qu’elle soit rendue publique, mais elle sera également envoyée dés que possible à l’adresse des parents de Rémi Fraisse.

     

    À l’heure où sur Paris on condamne les manifestations violentes et où on loue les sit-in pacifiques, je vous écris cette lettre.

    J’ai perdu mon frère dans des conditions très proches de celles dans lesquelles vous avez perdu votre fils. Mon frère qui prenait tant soin de ma mère nous a quitté, il ne reviendra plus. La perte de mon frère était sur le coup une douleur immense que je ressens à chaque fois que l’État assassine à nouveau. « Là où croît le danger croît aussi ce qui sauve » disait quelqu’un. À chaque fois que l’État assassine on a aussi l’opportunité de l’arrêter, de le contraindre à changer et de rendre la dignité perdue à tous les autres.

    Par la mort de Rémi se noue beaucoup plus que l’histoire d’une vie, il se noue notre vie à tous, individuellement et collectivement. La criminalisation qui a été opérée est terrible, ça a été la même chose pour nous. J’ai compris plus tard qu’elle était voulue. Je ne voulais qu’une chose, que la Justice fasse la vérité et rende la dignité que méritait mon frère, dans le calme, et que cette histoire profite à tous, à nous les gouvernés pour mieux nous aimer et à la police pour la réconcilier avec la nation. Je pensais que la police ne pouvait accepter dans ses rangs des assassins, je ne la connaissais à l’époque pas assez. Je me trompais. Les quartiers ont brûlé, on a appelé au calme : chaque voiture ou chaque poubelle brûlée était vécue comme une insulte, comme une épine en plein cœur, une épine sur laquelle on appuyait.

    Puis le temps est passé, on nous a promis la vérité, mais on n’a eu que des mensonges, que des fausses promesses, comme tant d’autres avant nous. On nous avait prévenu, mais on n’y croyait pas. François Hollande, lui-même, avait pris ma mère dans ses bras et lui avait promis qu’il nous aiderait à faire la lumière sur la mort de son fils. Sans la justice et la vérité, on vivait le temps qui passait comme une condamnation. Nous étions toujours en prison, à suffoquer et à appeler la Justice à l’aide.

    Et puis on a compris que notre cas n’était pas isolé, que tant d’autres familles vivaient et vivent la même chose. Il y a tant d’humiliations et de mutilations commises consciemment par la police et couvertes par la justice, tant !

    On a aussi découvert la manière de penser des policiers, ça fait froid dans le dos. Voici un exemple : Mercredi dernier, suite à la manifestation sur Paris, un des policiers m’a dit « 1-0 » devant ses autres collègues au commissariat, qui ricanaient lorsqu’ils me voyaient arborer le tee-shirt « Urgence Notre Police Assassine ». Aucun ne l’a repris, aucun… Des exemples de ce genre, tant de français en vivent quotidiennement, ils n’en peuvent plus de cette police et n’en voient pas le bout.

    Je comprends l’appel au calme, on l’a également fait. Comprenez également que de nombreuses personnes ne croient plus en ce système qui donne une impunité de facto à la police. Comprenez que l’on ne peut concevoir la non-violence qu’à condition de supposer que le camp d’en face est capable de se remettre en cause : ils en sont humainement incapables, parce qu’ils considèrent que remettre en cause la police, ce serait remettre en cause l’État. Depuis 40 ans, la police tue impunément, à répétition. Depuis 40 ans, on assiste à la même démarche pour noyer les meurtres de l’État, malgré les vidéos, les témoins, les évidences. Depuis 40 ans, il y a des sit-in, des manifestations, des livres, des prises de positions d’hommes politiques, des tribunes adressées au ministre de l’intérieur. Depuis 40 ans, ça ne fonctionne pas.

    Voici comment ça se passe : dépêche AFP, mensonge du procureur, enquête de mauvaise qualité et tronquée pour aboutir sur une condamnation ridicule après de nombreuses années, voire à une absence de condamnation. Le pire, c’est que ceux qui vont enterrer l’affaire auront des promotions et ceux qui ont tué nos frères, nos fils ou amis, eux seront traités comme des champions par leurs collègues. Telle est la réalité que vous vivrez vous aussi.

    Manuel Valls dit que les violences sont des insultes à la mémoire de Rémi, mais sachez que Manuel Valls, par son inaction à combattre l’impunité policière, est le premier meurtrier de votre fils. C’est un criminel récidiviste. Il est venu à Clermont-Ferrand une semaine avant le rendu du rapport de contre-autopsie bidon dont il connaissait les aboutissants, et il n’a parlé de l’affaire que pour mieux condamner les violences de ceux que la mise à mort de mon frère révoltait.

    Madame, les gens se battent pour Rémi, pour leur dignité et pour leurs idéaux. Ils se battent pour vous, pour nous tous, pour que la fraternité soit effective. Ceux qui se battent connaissent assez la malveillance de nos gouvernants pour comprendre qu’on tente de nous fait croire que nous sommes dans un État de droit, alors que nous sommes dans un État de devoir. L’État ne respecte pas la loi qu’il demande qu’on respecte. Il se joue de notre corps, de notre confiance, de notre argent et de notre dignité. Il nous demande d’être à genoux, c’est un impératif catégorique.

    Je vous ai écrit cette lettre à vous comme à tous ceux qui me liront pour vous faire savoir que je comprends aujourd’hui plus que jamais combien la non-violence dans les affaires de crimes d’État a ses limites. La non-violence, par son impuissance, est parfois plus condamnable, plus meurtrière que la violence elle-même. Les gens qui nous gouvernent sont malveillants, arrivistes, sadiques et récidivistes. Ils doivent partir par tous les moyens nécessaires.

    Farid El Yamni, frère de Wissam El Yamni, assassiné par la police le 1er janvier 2012 à Clermont Ferrand.

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    • à propos de la militarisation de la police 8 novembre 2014 13:41, par gg

      Formellement la gendarmerie mobile fait partie de l’armée, contrairement aux CRS qui faisaient partie de la police, jusqu’à la fusion réalisée sous Sarko police-gendarmerie. Donc la militarisation de la répression a toujours existé, modulée selon les circonstances...

      L’exemple de la répression de la grande grève des mineurs du Nord en 47 par l’armée, même si elle date, démontre que l’Etat n’hésite jamais, si les enjeux l’exigent, à lâcher la troupe contre sa propre population... Souvenons nous de la révolte des vignerons du midi et des "braves piou-pious du 17eme" qui avaient refusé de tirer sur les habitants de la région dont ils étaient originaires ; ce qui a amené ensuite l’Etat à déplacer les conscrits de leur région d’origine pour casser la collusion et la fraternisation entre populations et troupes.

      C’est donc moins la militarisation qu’un haut standard de répression ("tolérance zéro" à l’américaine, façon Reagan, carte blanche aux flics et bavures automatiques) qui est nouveau, avec la volonté politique de verrouiller l’espace de la rue, potentiellement trop explosif pour les tensions sociales annoncées au vu des régressions sociales et de la guerre de classe en cours.

      D’ailleurs les robocops carapaçonnés sont apparus après la manif historique des pêcheurs à Rennes en 94, pour la visite de Balladur et Pasqua, où les flics avaient essuyé des tirs de fusées lance-amarre, qui avaient causé aux flics des "blessures de guerre"dixit Pasqua. Cela légitimait donc leur surarmement actuel, que le gouvernement Jospin ne s’est pas fait faute de réaliser, en bon héritier de Jules Moch...

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