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Expulsions massives à Mayotte

jeudi 1er décembre 2005, par Courant Alternatif

A 10 000 kilomètres de Paris, Mayotte est ainsi devenue une porte, dérobée, de l’Europe. La disparité énorme entre les conditions économiques de cette île soutenue par la métropole (la France y injecte plus de 160 millions d’euros par an) et les autres de l’archipel distantes de moins de 70 km attire chaque année au moins une dizaine de milliers de clandestins dans de frêles embarcations appelées "Kwasa Kwasa". Mayotte est la plus grosse maternité de France avec 7 000 naissances annuelles, 75 % de ces naissances seraient issues de l’immigration clandestine (désormais les soins à la maternité sont payants). Selon l’Insee, sur une population de 160 000 habitants, l’île compterait 55 000 clandestins, venus essentiellement des Comores mais également de Madagascar et d’Afrique continentale. Ils forment l’essentiel de la main-d’œuvre dans l’agriculture, la pêche, le bâtiment, la restauration. Les immigrés sont également domestiques chez les "m’zoungous", les Blancs métropolitains, ou les riches Mahorais. Les salaires varient entre 100 et 500 euros par mois pour des horaires évidemment illimités.


Mayotte en tant que département détient un quadruple record : une fécondité africaine (la moitié de la population a moins de seize ans) ; une scolarisation presque achevée, avec un analphabétisme encore important ; une économie entièrement dépendante (l’île importe cinquante fois plus qu’elle n’exporte) ; enfin, la première place en France, devant la Guyane, pour le nombre d’expulsions d’étrangers - ce sont pour l’essentiel des Comoriens, venus surtout de l’île d’Anjouan.
Depuis les déclarations de François Baroin, ministre de l’Outre-mer, en septembre dernier, qui, se basant sur ces constations, insistait sur le fait qu’il fallait revoir la notion de "droit du sol" pour obtenir la nationalité française, notamment à Mayotte, la situation s’est terriblement dégradée.

Selon les informations en notre possession des camions de l’armée des français ont été chargés à bloc - c’est un euphémisme - de personnes indésirables à Mayotte (Kavani Mandzarsoa, bordure de Mamoudzou). Le "contenu" des dits camions a été déposé en zone d’attente et expulsé manu militari par avion. Les gens qui ont montré leur permis de séjour ont eu la surprise de les voir réduits en miettes par les préposés aux expulsions sur le lieu même où ils ont été embarqués.
Dans plusieurs communes de la côte sud-ouest (Bouéni, Moinatindri, Poroani etc...) des comoriens ont été chassés par la population et contraints de partir (comme ils sont venus) en barque vers Anjouan. Leurs enfants scolarisés depuis au moins quatre ans ont été retirés des écoles, en pleine classe, et renvoyés.
Des communes organisent des réunions dans chaque village pour décider de la conduite à suivre dans les prochaines semaines. Les maires ou des conseillers municipaux des communes de la côte ouest de l’île ont exigé des comoriens en situation irrégulière qu’ils quittent immédiatement leurs maisons, sans s’encombrer de leurs affaires. Les enfants ont à nouveau été interdits dans les écoles. On a exigé de tous les clandestins qu’ils quittent l’île à la fin du ramadan au plus tard. Seul le maire de Kougou (Nord Est) a refusé de procéder aux expulsions.
Les populations expulsées de l’ouest se sont en partie retrouvées dans la capitale et dans la commune de Koungou. Une pétition haineuse circule - distribuée aux mahorais exlusivement ! - d’un "collectif pour la défense des mahorais", qui se termine ainsi, après des injures et des menaces abominables lancées contre diverses personnes : "devant l’absence de l’Etat, armons nous et défendons nous".

Des anjouanais ont été battus à mort dans le nord (commune de M’Tsamboro dont le maire est au front national), leurs cadavres jetés dans la mangrove. Quatre cents personnes en situation irrégulière, originaires de l’île voisine des Comores, ont exprimé leur ras-le-bol. Un représentant des Comoriens a affirmé : "Là-bas, aux Comores, c’est la misère. Là, on nous exploite comme des bêtes. Maintenant on va nous demander de partir, nous sommes prêts. Que l’on nous donne un bateau."

Après la manifestation qui a rassemblé plusieurs milliers de Mahorais à Mamoudzou (pour répliquer à celle des Comoriens, on a pu voir aux infos les images surprenantes du président du conseil général manifestant avec les habitants de sa commune dans les quartiers habités par des clandestins, le poing levé, sous des banderoles “les Anjouanais dehors”. Dans la foulée, une réunion au conseil général a rassemblé les maires, le préfet, et la population. Le préfet s’est fait huer lorsqu’il a fait l’exposé de tout ce que faisait déjà l’Etat pour lutter contre l’immigration clandestine (32 barques confisquées et détruites depuis le début de l’année, (?) reconduites à la frontière - à ce propos, comme il n’y a plus de bateau et un seul avion minuscule, celui-ci ne transporte pratiquement plus de passagers “normaux”, mais ne sert quasiment qu’aux reconduites à la frontières !) Il a donc dû promettre l’intensification de cette lutte d’ici la mi-novembre. Cela signifie la mise en place de plusieurs super-radars chargés de repérer l’arrivée des kwassa-kwassa, des arrestations massives de clandestins et donc la remise en place d’un bateau pour assurer un nombre plus important de reconduites à la frontière. D’autre part, les Mahorais ont réclamé la tenue d’un référendum sur le plan de lutte contre l’immigration clandestine, et se sont engagés, la main levée, à renvoyer les clandestins qu’ils embauchent ou à qui ils louent des chambres.

Le mercredi 2 novembre, une immense opération de contrôles d’identité a mobilisé près de 200 gendarmes, policiers nationaux et municipaux à Mamoudzou, provoquant des bouchons monstres entre 9 heures et 11 h 30, alors que l’affluence du côté du marché était importante. Le but était d’arrêter les personnes en situation irrégulière. Un cordon de gendarmes a bloqué toutes les issues du marché sur le terre-plein de la douane. Des bateaux attendaient pour acheminer les sans-papiers vers le centre de rétention, en Petite Terre.
Nicolas Sarkozy a estimé le 20 octobre sur France 2 qu’on ne pouvait "pas continuer avec exactement la même législation dans un territoire comme la Guyane, comme Mayotte". "Je ne sais pas s’il faut revenir sur le droit du sol ou pas. Je dis simplement qu’on ne fait pas appliquer une législation de la même façon lorsqu’on est aux portes des Comores qu’ailleurs".

Camille, OCL Reims, le 7 novembre 2005

Brève histoire de Mayotte

25 mars 1841 : Établissement d’un protectorat qui est ratifié le 13 juin 1843. Mayotte dépend administrativement du Gouverneur de la Réunion.
30 mars 1896 : Le protectorat s’étend sur l’ensemble de l’archipel, Mamoudzou en est la capitale.
25 juillet 1912 : Annexion par la France ; l’ensemble de l’archipel est sous dépendance administrative de Madagascar.
Décembre 1974 : C’est la seule île de l’archipel à voter aux référendums pour conserver ses liens avec la France. Les autres îles déclarent leur indépendance. Le vote est de 63,8% en faveur de la conservation de ce lien, alors qu’il n’est que de 0,6% dans les autres îles (soit 99,4% contre). La société mahoraise, plus encore que celles des autres îles des Comores, est alors très peu influencée par le mode de vie occidentale et vit au rythme de la vie musulmane traditionnelle.
Depuis 1975, l’île est toujours revendiquée par l’Union des Comores et l’Union africaine reconnaît ce territoire comme occupé par une puissance étrangère.
En 1976, La République Fédérale Islamique des Comores a saisi le Conseil de sécurité des Nations Unies qui ont reconnu par 14 voix sur quinze sa souveraineté sur Mayotte.
24 décembre 1976 : Mayotte confirme son premier vote et devient un collectivité territoriale. Si le droit français s’applique, le droit traditionnel musulman peut également y être appliqué au gré des justiciables par les tribunaux locaux présidés par les cadis. À partir des années 1990, on note un fort investissement économique français et un profond changement de la société mahoraise, ce qui ne va pas sans créer un certain malaise. Pourtant la volonté de modernité ne faillit pas.
11 juillet 2001 : Suite à une élection dont le résultat ne laisse aucun doute sur la volonté des Mahorais de rester Français (73%), le statut de l’île change pour un statut assez proche de celui des départements d’outre-mer : une collectivité départementale d’outre mer.
En 2004, la France a opposé son droit de véto contre une autre résolution. Durant ce temps, les élus de Mayotte, fortement poussés par la population, tentent d’obtenir de la France, pour l’île, le statut de département afin d’assurer un ancrage définitif au sein de la République française.

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