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Hôstérité dans la santé

mardi 21 octobre 2014, par ocl-lyon

En avril 2014, le Premier ministre, Manuel Valls a présenté son plan d’économies sur les dépenses publiques de 2015 et 2017. Sans surprise, il poursuit les politiques de ses prédécesseurs : réduire le déficit public.


Le contexte politique et économique

Sur les 50 milliards d’euros d’économies prévues par Matignon, 20 milliards devront être réalisées sur le budget de la sécurité sociale. Dont 10 milliards d’euros d’économie dans la branche Santé, déjà fortement sous contrainte budgétaire. « Les hôpitaux devront dégager au moins 3 milliards d’économies d’ici à 2017 », a annoncé la ministre de la Santé, Marisol Touraine.

La FHF en renfort

La Fédération hospitalière de France (1) présente un plan à 5 milliards d’économies en cinq ans : des réformes de structures, des fermetures et regroupements d’hôpitaux et la réduction de la masse salariale (personnels) etc. La FHF emboîte le pas du Medef dans la croisade contre les RTT... elle stigmatise les conflits en cours dans les hôpitaux et les syndicats combatifs.
« Il faut permettre aux établissements de déroger au carcan des 35heures [...] Je ne demande pas le retour des 39 heures à l’hôpital mais le retour de la souplesse, de l’intelligence collective, de l’adaptabilité » déclare le président de la FHF, Frédéric Valletoux. Il poursuit vouloir : « refondre le dispositif actuel des 35 heures à l’hôpital [...] en soutenant les directions hospitalières dans leur révision locale des protocoles d’aménagement de la réduction du temps de travail actés en 2002 ». Son idée, aligner l’ensemble des hôpitaux sur un plafond annuel de 15 jours de RTT. Le gain ainsi chiffré avoisinerait les 640 000 journées de travail par an, soit 3 200 équivalents temps plein (TP) économisés, autrement dit 413 millions d’euros (M€). Le président de la FHF avance comme impact des 35 heures les 67 M€ de dépenses aux sociétés d’intérim de 2011 (+23% par rapport à 2010), les 69 M€ inhérents à la durée du travail de nuit (32 heures 30 hebdomadaire), ou encore les 78 M€ de surcoût lié au droit à des jours de RTT en congé maternité ».
Tout est dit. Ces mesures d’économies sont dictées par la politique d’austérité qui consiste à subventionner les entreprises en ponctionnant l’argent nécessaire sur les dépenses de santé et de la protection sociale.
Pour autant, ce travail de renégociation des protocoles RTT se complique, vu le tollé suscité par de telles initiatives dans plusieurs établissements : Villejuif, Caen, Rennes...etc. « La mise en place des 35 heures, c’est vu comme un gain de jours de congés supplémentaires. Pour les soignants, l’idée d’avoir moins de RTT, même si c’est sur l’argument de la prise en charge des patients, est un sujet compliqué », ajoute Cécile Kanitzer, conseillère paramédicale à la FHF, plaidant pour davantage de souplesse réglementaire dans les horaires pour accroître la présence sur des pics de charge en soins. Mais de rappeler aussi que les cadres de santé de proximité, « complètement noyés par la planification du temps de travail », sont aussi « pris dans un étau de chantage par les organisations syndicales, que s’ils touchent à la question du temps de travail et à l’organisation, ils sont critiqués même dans leur compétence gestionnaire, managériale, voire menacés d’absentéisme parce qu’il faut pouvoir préserver le nombre de jours dit de droit à congé qu’a créé dans l’état d’esprit des soignants l’ARTT ».

L'hôpital psychiatrique de Caen comme point de départ

Depuis juin 2013 les salarié-es de l’EPSM(2) de Caen, ont empêché l’application de ce type de plan, d’abord appelé plan de « redressement », puis plan de « modernisation », c’est plus soft ! Dans un premier temps, ce plan prévoit la suppression de 5 RTT pour tout le personnel, donc la suppression de 30 emplois. Ensuite des regroupements de services, des changements de temps de travail... permettraient de supprimer 20 postes supplémentaires. Face au refus et à la mobilisation des salarié-es, la direction et l’Agence Régionale de Santé (ARS) répondent en envoyant la police déloger les grévistes en décembre 2013, puis le 9 et 16 septembre 2014 devant les locaux de l’ARS, où devait se tenir le Comité Technique d’Établissement.

La justice au secours des directeurs d'hôpitaux

En avril dernier, la direction fait condamner les syndicats Sud et Cgt au Tribunal Administratif pour « empêchement de tenue d’instance » Le jugement, « enjoint » le syndicat SUD et la CGT de l’EPSM et "toutes personnes de leur chef" à lever les consignes de blocage des locaux, de « s’abstenir de faire obstacle, de quelque manière que ce soit, à l’accès aux locaux et, notamment, à la tenue des réunions de ses instances consultatives ». A défaut, l’EPSM pourra faire procéder d’office à l’évacuation des bâtiments et de leurs abords avec le concours de la force publique. Par ailleurs,Tout acte ou document contraire aux injonctions du tribunal donnera lieu à une astreinte de 500 euros par jour à la charge de toute personne contrevenante.

Ce 19 septembre, après huit jours de grève, l’administration fait de nouveau appel à la justice. L’arrêté du jugement, est sensiblement le même. Il contraint tout personne de s’abstenir d’occuper irrégulièrement les locaux et de faire obstacle de quelque manière que ce soit à l’admission de patients et au libre accès de l’établissement. A défaut d’exécution, tout acte ou document contraire aux injonctions donnera lieu cette fois ci à une astreinte de 1000 euros par jour à toute personne contrevenante. SUD et CGT verseront chacune 1000 euros à l’administration de l’EPSM au titre de frais.

Ces décisions politiques de justice condamnent le personnel de l’établissement et les organisations syndicales Sud et Cgt à ne plus « occuper », à l’avenir, les locaux de l’EPSM. C’est toute l’action revendicative qui est mise en cause et la légitimité d’expression des salariés cadenassée.

Pendant l'été la mobilisations continue

Si le mot d’ordre « d’action le jeudi tous les 15 jours » a été diversement suivi, les hospitaliers ont poursuivi la lutte. A Évry, pour l’arrivée du Tour de France, à l’hôpital psy P. Guiraud de Villejuif la grève continue à ce jour (plus de 110 jours !) malgré la démission en catimini du directeur le lendemain du passage en force de son plan d’austérité et la répression juridique qui les frappe. A
G. Régnier de Rennes, plus de 400 grévistes ont à nouveau envahi le conseil de Surveillance, le 16 septembre, pour exiger le retrait des mesures d’économies publiées précipitamment par le directeur le 8 juillet

A l’EPSM de Caen, le 3 juillet les salarié-es dissimulé-es sous une grande tente blanche et masqué-es, pour ne pas tomber sous le coup de l’amende de 500 euros, ont une nouvelle fois empêché la tenue du CTE . Celui-ci se tiendra ailleurs, à l’ARS le 9 septembre sous forte présence policière. Le personnel très mobilisé, organise un piquet de grève et filtre les entrées de patients, depuis ce 9 septembre. Le 16, un nouveau CTE, toujours à l’ARS, protégée par toujours plus de forces policières. Dans l’établissement, le personnel investit : bureaux, salle de réunions et couloir de la direction et décide « d’un changement de direction » à l’EPSM. A noter que ces bureaux sont vides, pas de directeurs à l’hôpital ! Les grévistes indiqueront dans un communiqué de presse que le personnel gère désormais l’établissement.
Le directeur répond médiatiquement qu’il « ne désespère pas de voir Sud et CGT participer à la table des négociations. Il se dit ouvert à la discussion tant que leurs propositions ne rejettent pas les économies envisagées, précise-t-il. »

La CFDT, fidèle collaboratrice de la direction a fait le choix de participer au CTE. Elle acquiesce au plan de l’administration, dénonce l’inutilité de la lutte et rappelle, « qu’il faut prendre des mesures au regard de la situation financière de l’EPSM dont le déficit devrait atteindre les 2,2 millions d’euros en fin d’année. »

La pression contre les gréviste monte. La directrice générale de l’ARS, indique se préoccuper essentiellement de la sécurité des patients. En effet, les admissions sont bloquées en partie, voire presque totalement maintenant depuis neuf jours. Une situation qui conduit "à des tensions importantes sur l’ensemble du département et de la région". Elle demande aussi la levée du blocage des admissions qui risque de plus en plus de mettre la sécurité des patients en danger. La situation est très tendue, souligne-t-elle, "le dialogue social doit reprendre !".

Mais pendant qu’ils se lamentent médiatiquement, appellent à leur secours la justice pour nous contraindre à évacuer les locaux.

 Où en est le mouvement ?

La lutte des personnels de l’EPSM de Caen devenue symbole d’une résistance possible, a abouti à une convergence des hôpitaux en lutte contre « l’hôstérité »(3). Dans ce cadre, les 2 précédentes assemblées générales le 4 Avril à Caen, puis le 22 Mai à Nanterre, ont permis aux participant d’une cinquantaine d’hosto de l’hexagone, de « témoigner du ras-le-bol des personnels hospitaliers considérés comme simple variable d’ajustement. Ils ont évoqué la souffrance des salariés dans les hôpitaux : précarité de l’emploi, dégradation des conditions de travail et de vie privée des personnels et son impact sur les conditions de soins donnés aux patients, déréglementation des horaires, sous effectifs, externalisations, vétusté des locaux… » et exigé « l’annulation de la dette, l’abrogation de la loi HPST, la suppression de la Tarification à l’Activité, l’augmentation des salaires, la titularisation des contractuels, l’embauche de personnels… »

Le 18 juin après la manifestation de solidarité (appelée nationalement) dans les rues de Caen, pour les 200 délégué-es (3) présents à l’AG : « il est urgent de coordonner nos actions, nos luttes, afin d’organiser une riposte nationale contre un gouvernement qui n’entend pas la souffrance des hospitaliers, qui détruit notre système de santé et notre sécurité sociale. » La convergence des hôpitaux en lutte appelle alors à une manifestation nationale devant le ministère de la santé le 23 septembre, à partir de 11h. Cette date n’est pas choisie au hasard ; c’est en effet trois semaines avant les débats sur le Plan de financement de la Sécurité Sociale, qui déterminera les moyens alloués au secteur sanitaire et médico-social privé et public, pour l’année suivante. Des « convergences » avec les établissements du social et du médico-social et les comités de défense des hôpitaux de proximité sont souhaités et tentés.

Partout en France des hôpitaux entrent dans la lutte contre ces plans d’austérité qui veulent détruire le service public au profit de la marchandisation de la santé. Des réactions, des luttes, des assemblées générales voient le jour et des hôpitaux rejoignent « la convergence contre l’Hôstérité ». L’appel à la manifestation le 23 septembre à Paris participe à consolider cette dynamique collective, ce désir de mouvement. Certes le chemin est long et semé d’embûches : administratives, répression policière et judiciaire mais aussi indifférence et hostilité syndicale. C’est pourtant, de cette solidarité collective et du rapport de force qui la portera que les mesures gouvernementales seront rejetées.

Psych’O, Caen le 20 09 2014.

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Notes :

1- Elle regroupe les responsables d’établissements publics de santé et des structures médicaux sociales soit, Plus de 1000 établissements publics et privés : hôpitaux et maison de retraites diverses. Puissant cercle d’analyse et de pensée qui participe à de nombreuses commissions et conseils de la fonction publique. Lobby incontournable, partenaire social sans légitimité électorale, la FHF défend les valeurs de l’hôpital public mais version ultra-libérale. Elle se veut apolitique puisque parmi ses dirigeants les plus célèbres figuraient : J.Leguen (PSU/PS), G. Larcher (RPR/UMP), J. Léonetti (UDI/UMP)...

2 - EPSM : Établissement Public de Santé Mentale

3 - voir article « L’été sera chaud dans les hostos » de Courant Alternatif, été 2014

4 - Les 200 délégué-es représentaient 54 hôpitaux, dont 7 CHU ; 6 établissements du social ; 4 syndicats (SUD, CGT, UFAS, USP, plus des ex-CFDT de l’hôpital Paul Guiraud de Villejuif), la coordination des hôpitaux et maternités de proximité.

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