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CA 238 mars 2014

Faut-il une origine au 8 mars ? Casser le mythe pour se réapproprier nos luttes

mercredi 26 mars 2014, par ocl-lyon

Le mythe des origines n’a pas épargné cette journée symbolique qui, devenue mondiale du fait de son institutionnalisation en 1977 par l’ONU, célèbre les luttes des femmes ou bien rend hommage à la femme, vénère le passé ou se pose dans le présent des droits des femmes.


 {{La date du 8 mars}}

La première fois que l’on a célébré le 8 mars comme Journée internationale des femmes, c’est à Lénine qu’on le doit, c’était le 8 mars 1921. Il décrète ce jour férié en hommage aux femmes de Petrograd qui font grève et descendent dans la rue, le dernier dimanche de février 1917 pour réclamer du pain et la paix ! C’était le 23 février du calendrier russe ce qui équivaut au 8 mars du calendrier grégorien et cette journée de 1917 a marqué le début de la révolution russe puisque quatre jours plus tard c’est l’abdication du tsar et ensuite le gouvernement provisoire accorde le droit de vote aux femmes. Avant ce jour de 1921, l’idée d’une journée des femmes a bien été émise mais pas à la date du 8 mars.

De fait, la première "Journée internationale des femmes" a été célébrée le 3 mai 1908, à Chicago. Puis, en 1909 les femmes socialistes américaines décident d’une journée nationale pour l’égalité des droits civiques, à organiser chaque année le dernier dimanche de février. Quand la deuxième Conférence internationale des femmes socialistes en 1910 à Copenhague décide de célébrer chaque année une journée internationale des femmes, à l’initiative de Clara Zetkin, la date proposée est au moment des fêtes de mai. La journée internationale des femmes est célébrée l’année suivante, le 19 mars 1911 pour revendiquer le droit de vote des femmes, le droit au travail et la fin des discriminations au travail. Plus d’un million de personnes y participent en Allemagne, en Autriche, au Danemark et en Suisse. C’est la même année, le 25 mars 1911, que se déroule la tragédie de Shirtwaist à New York où 140 ouvrières périrent dans l’incendie de l’atelier de textile où travaillait une majorité d’immigrantes d’Italie et d’Europe de l’Est, jeunes pour la plupart de 16 à 30 ans. Cet évènement lié à l’exploitation des femmes ouvrières sera commémoré à l’occasion des journées internationales des femmes et permet de faire le lien entre la lutte des femmes et le mouvement ouvrier. Sauf à Paris, où il n’y a pas eu de manifestation avant 1914 ; en Europe, en 1913 et 1914, des femmes organisent des rassemblements contre la guerre, dans le cadre du mouvement pacifiste, fin février ou début mars. A Londres, le 10 mars 1914, Mary Richardson lacère de coups de couteau le tableau de Vélasquez, La Vénus au miroir, et déclare vouloir "détruire le portrait de Vénus, la plus belle femme de l’histoire mythologique, pour protester contre le gouvernement qui détruit Miss Pankhurst, le plus beau caractère de l’histoire moderne". Elle exprime ainsi son soutien à Emmeline Pankhurst, femme politique britannique féministe, luttant pour le droit de vote des femmes qui fut arrêtée cinq fois entre 1912 et 1917 et libérée en 1920 à cause des nombreuses manifestations qu’elle organise comme s’enchaîner aux lampadaires, provoquer des incendies dans des immeubles, faire la grève de la faim ou bien encore couper les fils des télégraphes. Ce geste de solidarité provoque indignation à la National Gallery, qui ferme ses portes suite à cet outrage, qualifiant Mary Richardson de suffragette, militante activiste notoire qui a mutilé « le tableau avec un petit hachoir à la lame longue et aiguisée semblable à celle des instruments utilisés par les bouchers, et en quelques secondes, elle lui a infligé des blessures aussi graves qu’irréparables ». La journée internationale des femmes fut célébrée pour la première fois en France, le 9 mars 1914 lors d’un meeting organisé par le Groupe De Femmes Socialistes (GDFS) dont Madeleine Pelletier disait : « Je crains, que le groupe des femmes socialistes ne soit que la petite classe du parti socialiste et qu’on y laisse de côté le féminisme pour complaire aux hommes du parti. » De son côté, Alexandra Kollontaï, exilée russe en Norvège, organise à Christiana près d’Oslo, une manifestation des femmes contre la guerre. 

Les 8 mars successifs seront autant de sollicitations (ou d’injonctions) aux femmes de protester contre la guerre du Maroc ou de Syrie, de soutenir la République espagnole, les mouvements antifascistes italiens - mais peu de choses y seront dites quant à leurs luttes propres. Ainsi, en 1925, on appelle les femmes à lutter contre le colonialisme et en 1932/1933 à se révolter contre le fascisme ; ou encore on les convie à envier le sort des femmes soviétiques, libérées par la Révolution d’Octobre. En 1924, la Journée des Femmes est célébrée en Chine. En 1946, les pays de l’Est célèbrent la journée des droits des femmes.

Le 8 mars 1947, Léon Blum salue la place importante des femmes dans la Résistance.

Après la guerre, à partir de 1946, c’est de plus en plus aux mères que l’on s’adresse, comme cet appel du 8 mars 1949, dans le journal l’Humanité "aux Mères de famille, travailleuses, défendre la paix, c’est réclamer que tout soit mis en œuvre pour l’amélioration du sort des familles et des travailleurs". Le 8 mars 1948, 100 000 femmes défilent à Paris, de la République à la statue de Jeanne d’Arc, place des Pyramides (30 000 à Marseille, 12 000 à Lille, 5 000 à Lyon) répondant à l’appel du PC et de la CGT qui les encouragent à déposer des « cahiers revendicatifs auprès des patrons et des pouvoirs publics ».

Ainsi avec le temps c’est le 8 mars qui est retenu comme journée internationale des droits des femmes mais c’est sur la référence originelle de cette date que le mythe va se construire.

8 mars 1857, l'élaboration d'un mythe

« Ce sont les Américaines qui ont commencé, lit-on dans Antoinette (n° 1, mars 1964), c’était le 8 mars 1857 pour réclamer la journée de 10 heures, elles ont envahi les rues de New York ». En fait la légende du 8 mars 1857 apparaît le 5 mars 1955 dans l’Humanité. « La journée internationale des femmes continue la tradition de lutte des ouvrières de l’habillement de New York qui, en 1857, le 8 mars, manifestèrent pour la suppression des mauvaises conditions de travail, la journée de 10 heures, la reconnaissance de l’égalité du travail des femmes. Cette manifestation produisit une grande impression et fut recommencée en 1909, toujours par les femmes de New York ». La légende s’enrichit de détails au fur et à mesure de sa diffusion : « II était donc une fois, à New York, en 1857, des ouvrières de l’habillement. Elles travaillaient dix heures par jour dans des conditions effroyables, pour des salaires de famine. De leur colère, de leur misère, naquit une manifestation » dans L’Humanité-Dimanche du 13 mars 1955 ; « Les ouvrières de l’habillement (…) s’en allèrent défiler dans les rues, comme des hommes, portant pancartes et banderoles ». Le journal Antoinette ajoute en mars 1968 : « il s’agit du 8 mars1857 et les ouvrières en grève réclamaient déjà la réduction du temps de travail, l’augmentation des salaires et leur égalité pour un travail égal, des crèches et le respect de leur dignité. La police charge ce jour-là un long cortège misérablement vêtu ». Et rien n’arrête le développement du mythe des origines, en mars 1975, les Pétroleuses fixent aussi l’origine du 8 mars au 8 mars 1857, et précisent que c’est « une des premières grèves de femmes, opposant les ouvrières du textile à la police de New York, qui charge, tire et tue ».

Le problème est qu’on ne trouve aucune trace de cet évènement que ce soit dans les sources américaines de l’époque où les journaux de mars 1857 ne mentionnent aucune manifestation ou grève de femmes le 8 mars, pas plus dans les histoires du mouvement ouvrier aux États-Unis ou dans les histoires du féminisme ; elle n’est pas référencée par les dirigeantes du mouvement féminin socialiste international pourtant à l’origine de cette célébration. On ne la voit apparaître dans la presse communiste française que dans les années 1950. L’idée serait de Madeleine Colin, féministe et secrétaire confédérale de la CGT qui, en créant cette origine symbolique, voulait l’éloigner de l’histoire soviétique et la rendre politiquement correcte avec un évènement qui a les qualités requises : international, antérieur au bolchévisme, basé sur une lutte spontanée et non une décision du congrès de Copenhague. Pour finir de démolir le mythe, il faut aussi préciser que ce n’est pas la première manifestation de femmes ouvrières. On peut citer entre autres grèves ou manifestations celles de décembre 1828 dans les filatures de Cochech Mill, des couturières de New York en 1834, la manifestation de femmes pendant la grève mixte dans l’industrie de la chaussure à Lynn (Mass.) le 7 mars 1880 et bien d’autres dans le monde.

La lutte féministe ne date pas des années 70

Alors, peu importe le mythe, reste la lutte des femmes portée dès la Révolution par Olympe de Gouges qui pose la question de l’égalité entre les hommes et les femmes. Elle sera suivie par Flora Tristan, Louise Michel, André Léo et Hubertine Auclert, et tant d’autres pendant un près d’un siècle de 1789 à 1879. Ce court rappel pour situer la lutte féministe qui a aussi connu des moments mouvementés à l’époque de celles qu’on appelées les suffragettes manifestant avec énergie pour réclamer le droit de vote qui sera donné aux femmes de Nouvelle Zélande en 1893 bien avant celles de France en 1944 !

Dans les années 1970, le courant féministe fera du 8 mars le symbole des luttes contre le patriarcat. 1975 est proclamée « Année internationale de la femme » et c’est à cette occasion que l’Organisation des Nations Unies commence à célébrer la Journée internationale de la femme le 8 mars. Deux ans plus tard, en décembre 1977, l’Assemblée générale adopte une résolution proclamant la Journée des Nations Unies pour les droits de la femme et la paix internationale à observer n’importe quel jour de l’année par les États Membres, conformément à leurs traditions historiques et nationales. On retrouve ici l’appellation en français « de LA femme » dans tous les intitulés alors qu’en anglais International Women’s Day signifie journée internationale des femmes. Cette récupération institutionnelle sera dénoncée par le MLF (Mouvement de Libération des Femmes) tant sur le fond d’instrumentalisation des luttes que sur la forme grammaticale, toute essentialiste. Malgré cela, le gouvernement socialiste français suit exactement le même modèle et renomme le 8 mars « Journée de LA femme » en 1982. Et depuis, s’est largement diffusée dans l’opinion l’idée que cette journée permet aux femmes « de ne pas faire la vaisselle… Une sorte de 1er mai pour des travailleuses non rémunérées… Et la lutte est passée par les trous de l’évier » comme le disent si bien Les Poupées en Pantalon de Strasbourg.

D’autres 8 mars ont vu des femmes manifester pour revendiquer la possibilité de circuler la nuit tranquillement, rebaptiser les rues de la ville en les féminisant, se solidariser avec toutes les femmes dans le monde qui subissent une oppression, revendiquer leurs droits légitimes d’être traitées en égales avec les hommes, de choisir leur sexualité, d’être libres de sa propre vie. Et aujourd’hui il est urgent de réagir face à la régression généralisée des droits des femmes ici en Europe, à la montée d’idéologies réactionnaires qui mettent en cause les acquis des luttes féministes. Un 8 mars n’y suffira pas !

Chantal, OCL - Toulouse

Sources :

Liliane Kandel et Françoise Picq, Le mythe des origines, à propos de la journée internationale des femmes in La Revue d’En face, n° 12, automne 1982
http://sisyphe.org/article.php3?id_... -

Micheline Dumont, historienne et professeure émérite, Université de Sherbrooke, 5 mars 2012

La Gazette des Femmes, La véritable origine du 8 mars, Josée Bernard et Françoise Gagnon, 1er mars 2008
http://www.journeedelafemme.com/his...

Journée internationale des femmes, à la poursuite d’un mythe, Françoise Picq in Travail, Genre et Sociétés n°3, mars 2000.

José Contreras, Anny Desreumaux, Christine Fauré, Liliane Kandel, Françoise Picq, Une commémoration peut en cacher une autre : à propos de la Journée Internationale des Femmes. Histoire d’Elles, n°0, 8 mars 1977.

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