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CA 237 février 2014

Ni Fatah, ni Hamas Comment résister quand on est en cage ?

jeudi 27 février 2014, par ocl-lyon


La complicité égyptienne

Depuis 2007, l’occupant israélien a décrété le blocus de Gaza. D’entrée, il a obtenu soutien et compréhension chez les dirigeants occidentaux. On est en plein « choc des civilisations » et dans la « guerre du bien contre le mal ». Le « bien », c’est Israël, un pays occidental, la « seule démocratie du Proche-Orient », celle qui propage la civilisation auprès de la population arriérée de Gaza avec des bombes à fragmentation, du phosphore et de l’uranium appauvri. Le mal, c’est la population de Gaza, forcément obscurantiste, intégriste et terroriste. Celle qui ne se résigne pas à ce statu quo qui l’étouffe et qui le rappelle parfois à coup de roquettes artisanales.

Jamais le blocus n’aurait pu fonctionner sans la complicité égyptienne. Sous Moubarak, la frontière de Rafah entre l’Égypte et la bande de Gaza était régulièrement fermée et Israël surveillait les rares passages. Pour échapper à la famine, les Gazaouis ont construit des tunnels. Moubarak a régulièrement essayé de les détruire sans jamais y parvenir.

Sous Morsi, il y a eu des contacts et même un voyage officiel du président égyptien à Gaza. Il ne faut pas oublier que le Hamas a été au départ la branche palestinienne des Frères Musulmans. La porte sud de la cage s’est entrouverte et la situation à Gaza s’est un peu améliorée.

Depuis le coup d’État en Égypte fin juin 2013, les militaires ont décidé d’en finir avec le Hamas. Morsi risque la peine de mort pour avoir « comploté avec le Hamas, le Hezbollah, les Gardiens de la Révolution, Al Qaïda (!!) et pour avoir entretenu des relations politiques avec le Hamas en tant que chef d’État. Dès le putsch, les militaires égyptiens ont réalisé ce que l’armée israélienne n’avait jamais réussi : détruire la majorité des tunnels et provoquer du coup le chaos économique à Gaza. La frontière de Rafah est en moyenne ouverte deux jours alternant avec deux semaines de fermeture. Il faut une autorisation et de nombreuses heures pour franchir la douane égyptienne, tout étant fait pour humilier les Palestiniens. Entre Le Caire et Rafah, l’armée a installé de nombreux check-points. Elle fait croire qu’il règne dans la région une grande « insécurité » dont le Hamas est responsable.

Crimes de guerre et pénuries

Depuis le début du blocus et sans compter les morts des massacres de décembre/janvier 2008-2009 (Plomb durci, 1400 mort-e-s) et de novembre 2012, les Israéliens ont tué avec leurs drones 650 personnes qualifiées de « terroristes » à Gaza. Ces exécutions extrajudiciaires ont été accompagnées de « dommages collatéraux ». Le jour de mon arrivée à Gaza (24 décembre), les Israéliens ont attaqué en 15 points différents. Un tank a pulvérisé dans un camp de réfugiés une maison de 25 personnes. Une fillette, Hala, 3 ans, a été tuée et plusieurs membres de sa famille blessé-e-s. La famille nous a demandé de filmer le corps à l’hôpital et de témoigner.

Gaza est totalement surpeuplée : 1800000 habitants pour 360 Km2, soit 5000 habitants au Km2. Les terres agricoles représentaient 1/3 de la superficie il y a 6 ans et elles n’en représentent plus qu’1/5 à cause des destructions israéliennes et de la pression démographique. 1/3 de la surface agricole se trouve en bordure de ce que l’occupant appelle la « barrière de sécurité ». Régulièrement l’armée israélienne tire. En 6 ans, 150 paysans et des milliers d’animaux ont été tués. Le 21 décembre, un soldat israélien, probablement désoeuvré, a tué à 800 m de distance un chiffonnier qui recyclait les déchets.

La question de l’eau est cruciale à Gaza. L’eau de l’aquifère vient de Cisjordanie. Au moment du « retrait » imaginé par feu Ariel Sharon, les Israéliens ont creusé tous les 100 m des puits tout le long de la frontière avec la bande de Gaza. Ils captent ainsi 40% de l’eau qui n’est plus suffisante pour l’agriculture. Parce qu’elle se vide, la nappe phréatique est envahie par la mer. L’eau est saumâtre à Gaza et impropre à toute consommation domestique. Il faut acheter de l’eau pour boire.

Il y a 125000 agriculteurs à Gaza, la superficie des terres ne dépassant pas 1/2 hectare par famille. Le territoire est à peu près autosuffisant pour les légumes, les épices et les poulets. Mais il faut importer (d’Israël, rarement d’Égypte) les œufs, la viande rouge, le poisson.

Les Gazaoui-e-s aimeraient bien pouvoir participer au BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) contre Israël, mais leur marché est captif. Acheter israélien est souvent la seule façon de ne pas mourir de faim.

La pêche était une activité traditionnelle à Gaza. Au moment des accords d’Oslo, les pêcheurs avaient l’autorisation d’aller jusqu’à 30 Km de la côte. Désormais, c’est 2 Km, sur une zone où il n’y a pas de poisson. Et encore, les Israéliens violent régulièrement cette « autorisation ». De nombreux pêcheurs ont été tués ou blessés (2 morts début décembre). Leurs bateaux sont confisqués.

On manque de médicaments à Gaza. Les hôpitaux sont dans un état déplorable, faute aussi de médecins qualifiés. On manque de ciment à Gaza même si l’essentiel des reconstructions après « plomb Durci » a été effectué. On manque de matériel scolaire, alors que (c’est une tradition palestinienne), les familles font un effort énorme pour l’éducation. Il n’y a que 5% d’illettrés contre 35% en Égypte. Il y a 100 000 étudiant-e-s à Gaza, mais le chômage massif (la moitié de la population) et la pauvreté touchent aussi massivement les diplômé-e-s.

Pendant l’époque où les tunnels permettaient à la plupart des produits d’arriver, le pétrole venait d’Égypte où l’essence (subventionnée) ne coûte que 12 centimes d’euro le litre. L’essence était alors bon marché. Elle vient à présent d’Israël et coûte 1,7 euro/litre. Résultat, les voitures sont rares et les charrettes les remplacent.

Faute de pétrole, il n’y a que 4 à 6 heures d’électricité par jour. La lampe de poche est indispensable. Prendre l’ascenseur est périlleux, on peut rester bloqué. Les eaux usées ne sont plus traitées, elles sont sommairement stockées. L’usine de dessalement fonctionne au ralenti. Les groupes électrogènes, archaïques, provoquent régulièrement des accidents.

La société civile et la vie politique

L’image de la bande de Gaza soumise à l’intégrisme et aux interdits est fausse. Les signes religieux (barbe islamique, hidjebs) existent, mais il y en a plutôt moins qu’en Égypte. La minorité chrétienne est respectée, Noël est même un jour férié.

Les gens parlent très librement. Il y a des propos qu’on entend régulièrement : « la Palestine n’a ni unité, ni leadership ». « On a deux gouvernements, deux parlements, deux lois. Pourquoi n’y a-t-il pas réunification ? Je me fous des relations Fatah-Hamas ». « Les deux gouvernements palestiniens n’ont plus ni légitimité, ni cadre légal pour exercer le pouvoir ». « Les deux gouvernements profitent de l’occupation pour garder le pouvoir. La division, c’est une honte, ils ne pensent qu’à leurs propres intérêts ». « Si on pouvait voter, le Fatah perdrait à Ramallah et le Hamas perdrait à Gaza. Les Palestiniens sont traités comme des animaux. On n’a même pas le droit de choisir nos dirigeants ». « Rien ne changera avec Abou Mazen ».

Les gens parlent avec regret de l’époque où ils n’étaient pas en cage.
Gaza foisonne d’associations qui permettent à la société de survivre. Il y a des associations apolitiques. Je pense par exemple à l’Union des Femmes Palestiniennes (PWU) dont l’existence remonte à l’occupation égyptienne. Elle a des crèches, des jardins d’enfants, des écoles maternelles et, sans subventions, vient en aide aux familles très pauvres aux orphelins pour leur permettre de suivre des études.

Hors de la confrontation mortifère Fatah/Hamas, il existe une gauche palestinienne. Troisième parti politique, le FPLP a payé un très lourd tribut à la répression israélienne. Son secrétaire général Abou Ali Moustapha a été assassiné par les Israéliens en 2001. En représailles, le FPLP a exécuté un ministre d’extrême droite israélien, Rehavam Zeevi. Aujourd’hui, une partie de la direction du FPLP, dont le secrétaire général Ahmed Saadat, est en prison (à vie). Je pensais rencontrer un parti un peu usé et je découvre une vraie réflexion : « nous venons de renouveler les 2/3 de notre direction. Elle compte désormais 35% de jeunes et 20% de femmes, ce qui n’est pas évident dans notre société ». « Nous songeons à créer un troisième pôle politique en Palestine avec le parti de Moustapha Barghouti et avec le parti communiste ». « Il y a pour nous des questions cruciales : rompre les négociations avec Israël, mettre fin à la division palestinienne qui est très préjudiciable, mettre fin au siège de Gaza et à la colonisation, résoudre la crise économique et sociale à Gaza ».
Beaucoup de militants de gauche font un travail social important : hôpitaux, jardins d’enfants et très logiquement on les retrouve au PCHR (centre palestinien des droits humains). Le PCHR a donné à John Dugard, Richard Goldstone et Richard Falk tous les éléments qui leur ont permis de faire des rapports pour l’ONU accablants sur l’occupant : « ceux qui ont ordonné à leur armée de tirer sur des civils ont violé la convention de Genève. Pourquoi la justice internationale protège-t-elle les criminels de guerre israéliens ? »

Le PCHR recense tous les crimes commis par l’armée israélienne, mais il dénonce aussi les violences interpalestiniennes. Il n’accepte pas le blocus égyptien : « il est clair que l’Égypte est contre nous. Ils prétendent attaquer le Hamas mais ce sont tous les Palestiniens qui en paient les conséquences ». « Notre rêve, c’est un seul État, notre référence, c’est Mandela, mais nos dirigeants sont stupides. Le PCHR travaille avec les comités de prisonniers contre l’isolement et la torture ».

Des militants de gauche animent également le syndicat des comités de travailleurs agricoles (UAWC) qui appartient à Via Campesina. Le syndicat vient en aide aux paysans et aux pêcheurs. Il a fourni des serres après les inondations catastrophiques de décembre. Il donne aux pêcheurs des filets. Il essaie d’organiser une filière d’exportation des fraises vers les Pays-Bas par l’intermédiaire d’une société appartenant à des Palestiniens d’Israël. Mais il voit bien les limites de son action : « sans solution politique, on continuera de manquer d’eau, de terre, de médecins et ça finira par exploser ».

La solidarité internationale

Malgré le blocus, des internationaux viennent à Gaza. Je donnerai une mention particulière à Unadikum. Il s’agit d’un mouvement de type « brigades internationales » dont le principal animateur est un communiste espagnol, Manu Pineda. Unadikum a une action continue de protection des paysan-ne-s dans les champs et des pêcheurs sur les bateaux. Ils font venir de l’étranger de l’aide matérielle, par exemple des médicaments. Dès qu’il y a une agression, ils viennent, enquêtent et témoignent. Leur appartement est très connu dans Gaza, Il sert à des rencontres et des discussions fréquentes. Ils connaissent toutes les forces politiques, associatives ou syndicales de Gaza. Pour eux, il ne faut surtout pas opposer la démarche d’Unadikum au BDS ou à la flottille. Ces formes de solidarité ne s’opposent pas, elles sont complémentaires. Leur présence là-bas est une opportunité pour aller à Gaza malgré les difficultés. L’année 2014 devra celle de la levée de ce blocus infâme.

Pierre Stambul

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