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Lutte contre les licenciements à La Redoute

vendredi 21 février 2014, par WXYZ


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Depuis le début du mois de février, la lutte des ouvrier-ères de la Redoute s’intensifie. Après les premiers débrayages et les manifestations qui ont suivi l’annonce du PSE (plan de suppression des emplois et non de « sauvegarde ») début janvier, les actions tendent à se radicaliser comme lors du blocage du site logistique de la Martinoire à Wattrelos, lundi 3 février. Les « Redoutables » comme s’appellent eux-mêmes les salarié-es luttent contre la suppression de 1 178 emplois d’ici 4 ans.

Jadis premier employeur de la région lilloise, la Redoute fait les frais du virage internet et de « l’amazonification » de la vente par correspondance. L’entreprise reste néanmoins première dans le secteur de l’habillement et de la maison mais au nom de la compétitivité, ce plan imposé par le milliardaire Pinault et la nouvelle direction se veut inéluctable comme la progression de la fortune personnelle de la famille Pinault [1]. Mais certain-es refusent cette résignation et se battent contre la misère annoncée.

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La 6eme fortune française braque la ville {« la plus pauvre de France »}

La route est longue depuis 1837 et la création des Filatures de la famille Pollet, rue de la Redoute à Roubaix. La ville est alors la capitale industrielle du textile, des grandes familles bourgeoises y font fortune tandis qu’une main d’œuvre nombreuse afflue dans cet ancien bourg qui voit sa population exploser. A Roubaix-Tourcoing, tout tourne autour de ces usines et de leur patron, les quartiers ont été construits en fonction de l’implantation et des besoins des filatures. En 1922, pour faire face aux débuts de la crise du textile et pour écouler les stocks, la Redoute comme d’autres (les 3 Suisses, Phildar) décide de vendre directement au consommateur. Bientôt sort le premier catalogue, la vente par correspondance est née. Dès lors, la Redoute veut s’adapter aux nouveaux modes de consommation : la vente par crédit en 1969, le minitel en 1984 et enfin internet et l’émergence du e-commerce depuis 1994. Pendant ce temps, les dernières usines ferment et laissent la place à des friches qui balafrent des quartiers et des populations comme celle de la Lainière à Roubaix, fermée en 2000. Aujourd’hui, Roubaix est classée « ville la plus pauvre de France » avec 45% des personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté (977 euros/mois)[2]

En 1992, François Pinault prend le contrôle de l’entreprise et fonde le groupe PPR (Pinault-Printemps-La Redoute) présidé par son fils François-Henri. En bon capitaliste, Pinault fait fructifier ses avoirs en organisant les premières restructurations à la FNAC, Conforama, Vertbaudet, etc. Mais la vente ne rapporte plus assez et il décide d’investir dans ce qui ne connaît jamais la crise : le luxe et le lifestyle (Gucci, Yves Saint Laurent, Puma, etc.). Pour symboliser ce changement, le groupe PPR change d’identité et devient Kering en 2011. Aussi, les cessions débutent : Le Printemps, Conforama, une partie de la Fnac, Verbaudet et maintenant la Redoute. Déjà en 2008, un premier gros plan de licenciements est organisé, 672 personnes se retrouvent sur le carreau, à cela s’ajoute une politique de départ volontaire à la retraite. Résultat : en 1998, il y avait 6.304 salarié-es ; aujourd’hui il y a 2.432 employé-es, et demain avec le PSE, il ne restera plus que la moitié de cet effectif.

Pendant ce temps, 2013 a été une année record depuis 10 ans pour le titre en bourse PPR-Kering[3]. Hausse possible par le transfert de la plus-value de la Redoute dans le secteur du luxe. Un rapport d’expertise[4] commandé par le comité d’entreprise de La Redoute à un cabinet extérieur déclare : «  La Redoute a fortement contribué à la croissance de PPR  qui comptabilise 256 millions d’euros de dividendes et 113 millions d’euros de redevance de marques versées par La Redoute à PPR, puis Kering, entre 1997 et 2012. » De quoi développer le pôle luxe du groupe tandis que les investissements commerciaux pour la Redoute ont diminué de 10 millions d’euros...

Plan de reprise… du chômage

Depuis plusieurs mois, les syndicats préparaient les salarié-es à la nouvelle et tentaient de mobiliser. L’annonce de la vente est faite en octobre 2013 avec déjà à la clé la suppression de 700 postes pour « céder une entreprise saine aux repreneurs » dixit Kering. La reprise est signée début décembre,le futur patron est … l’actuelle patronne de la Redoute : Nathalie Balla associée à un directeur financier du groupe Éric Courteille. On prend les mêmes et on recommence à discuter d’un « plan social » renommé « business plan » pour l’occasion. Le début d’année 2014 est amer, il ne s’agit plus de 700 mais de 1 178 suppressions d’emplois réparties sur 4 ans dont plus de la moitié seront des licenciements secs. A cela s’ajoute 172 licenciements sur 569 salariés à Relais Colis, filiale de la Redoute chargée de livrer les commandes aux clients. Sans parler des retombées aux abords de l’entreprise : des commerçants, des cafés, des sandwicheries n’ont plus qu’à mettre la clé sous la porte.

Tous les secteurs sont touchés, la logistique avec les sites de la Martinoire à Wattrelos et ceux de Tourcoing (Tourcoing 2 et 5) seront les premiers à trinquer mais aussi le service clientèle et commande au siège de Roubaix. Pour ceux qui restent, ce plan de reprise signifie l’aggravation des conditions de travail. Le site de Tourcoing 5 spécialisé dans les meubles va être externalisé à Anzin près de Valenciennes. La logistique va être filialisée ce qui entraînera un changement de la convention collective qui passe de celle de la vente par correspondance à celle des transports, une des pires en termes de droits sociaux. Enfin le site de la Martinoire à Wattrelos doit être reconstruit et modernisé, comprenez automatisé ce qui augure encore des mauvaises nouvelles pour les travailleur-es. Dos au mur, les salarié-es n’ont plus qu’à essayer de se défendre.

 {« Nous sommes des REDOUTABLES et on va le leur montrer »}

C’est sur ce mot d’ordre lancé par un gréviste que, le lundi 3 février, la Martinoire a été bloquée toute la journée (de 5h à 22h) par une bonne centaine de salarié-es. La mobilisation semble marquer le pas à mesure que l’on s’approche de l’échéance fixée par la direction qui table sur mi-avril pour finaliser la cession. Si aucun accord patrons/syndicats n’est trouvé d’ici là, Nathalie Balla menace de jeter l’éponge … tactique habituelle à en croire ce qui se passe à Mory Ducros ou ailleurs.
Les syndicats sont dans tous les cas au centre des enjeux. A la Redoute, la CFDT est majoritaire puis vient Sud, la CGT et la CFE-CGC (le syndicat des cadres). Chacun essaye d’agir en intersyndicale mais après les premières indignations, les frontières et les contradictions se marquent en fonction de la marge de compromis offert à la direction. La CFE-CGC espère minimiser les pertes tout en voulant « rendre l’entreprise profitable », la CFDT propose « que la direction fasse partir entre 500 et 600 personnes en pré-retraite à 55 ans et si ce n’est pas entendu, nous monterons au créneau », Sud n’est pas plus revendicatif, enfin la CGT appelle « à entrer dans le dur en se mobilisant pour faire pression et qu’il y ait le moins de salariés sur le carreau »[5]. De tous, la CGT est la plus combative, c’est aussi le syndicat le plus politisé avec quelques membres chez Lutte Ouvrière.

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Depuis ces déclarations de bonnes intentions, les syndicats sont à la table des négociations et les divergences apparaissent au grand jour, en particulier sur la question centrale des primes de licenciements. La CFE-CGC se met tout de suite hors-jeu par rapport aux ouvrier-ères en dénonçant le blocage du site industriel de la Martinoire qui nuit à la « viabilité économique de l’entreprise ».
« Les cadres s’en foutent des primes pour les ouvriers, eux partent avec plus de 100 000 euros » constate Ali, ouvrier à la Martinoire depuis 15 ans en CDI. Reste la CFDT, Sud et la CGT qui, chacun, avance une revendication différente : « Pour la CFDT, c’est 20 000 euros avec des stages de réinsertion », résume Ali, « pour Sud, c’est dans mon cas seulement 18 mois de salaire (environ 20 000 euros aussi) et aussi des mesures d’accompagnement ; reste la CGT qui avance le chiffre de 100 000 euros chacun. Nous on veut le maximum, histoire d’avoir 10 ans de garanties, c’est rien du tout pour Pinault ! ».
Pour ceux qui restent, il s’agit de garder les acquis c’est-à-dire le 13ème mois, la prime d’ancienneté, les tickets resto et la participation aux bénéfices. Des queues de cerise en comparaison des bénéfices qu’a tirés Pinault de la Redoute (voir rapport d’expertise cité plus haut).

Ainsi dans le climat actuel et sachant ce qui les attend après cette restructuration, personne veut vraiment rester dans la logistique de la Redoute. Sur le terrain mais aussi sur les réseaux sociaux, les Redoutables tentent de s’organiser sans forcément l’aval des syndicats empêtrés dans les négociations qui volontairement n’avancent pas. Mais même si la détermination de certains est intacte, force est de constater qu’il faut se compter pour mener des actions : « il y a environ 150 motivés sur les barrages, sur plus de 2000 salarié-es, c’est pas grand-chose ! Finalement, c’est toujours les mêmes » conclut Ali.

Trois p'tits tours et puis s'en vont, ainsi font font font

<img2605|right>C’est la petite ritournelle que nous ont offert les politiques au sujet de la Redoute. En novembre, les staffs lancent leur campagne de communication. Martine Aubry déplore dans la presse « avoir été baladée par les dirigeants de la Redoute et de Kering » et elle rajoute « c’est irresponsable d’annoncer cela avec une telle brutalité ». De son côté, Pierre de Saintignon, vice-président du Conseil Régional est tout penaud car Nathalie Balla « disait qu’elle nous tiendrait au courant »[6]. Raté. Or Martine Aubry connaît bien la famille Pinault pour avoir accueilli la fondation d’art de François Pinault en 2007-2008 dans le cadre d’une exposition « Lille 3000 » au Tripostal. Cette exposition avait d’ailleurs un titre prophétique « Passage du Temps ». Forte de cette amitié artistique, Martine Aubry va en grande pompe à la rencontre de François-Henri Pinault le 12 novembre 2013, accompagnée d’élus dont Pierre Dubois, maire PS de Roubaix et Dominique Baert, député maire apparenté PS de Wattrelos. Tout ce petit monde ressort rassuré car « le président Pinault nous a dit clairement et je reprends ses termes : la Redoute a un savoir-faire qui permet sa pérennité industrielle ».

Deux mois plus tard avec le plan de reprise de Balla/Courteille, les suppressions d’emplois doublent quasiment. Les politiques se dépêchent de prendre du recul, le dossier la Redoute est devenu trop brûlant pour les campagnes électorales en cours. La social-démocratie préfère passer des pactes de confiance avec le Medef, elle ne sauvera pas les emplois. « De toute manière, on ne se mélange pas avec les politiques, ils nous amènent rien » déclare Ali après avoir rappelé que Martine Aubry avait proposé des places pour le match de foot Lille/Rennes (propriété de Pinault) afin de faire entendre la contestation avant de se rétracter par peur de « débordements ».
Les Redoutables rient jaune. De son côté Kering promet de verser 315 millions pour la « transformation économique et industrielle de l’entreprise » : 50 millions pour reconstruire une Martinoire, 30 millions pour l’informatique et la modernisation de l’entreprise, 157 millions pour éponger les « pertes attendues », 80 millions de fond de roulement. Seule une fiducie (caisse destinée aux mesures sociales) est évoquée pour financer les licenciements et offrir une marge de négociation avec les syndicats. Pour le moment, aucun montant n’est fixé.

Exploitation en Amazonie 2.0

Pour justifier les licenciements, Nathalie Balla et Eric Courteille appellent à la nécessaire adaptation de la Redoute face à des concurrents comme Venteprivée.com ou Amazon toujours plus compétitifs car plus rapides pour préparer les commandes et les envoyer. Actuellement à la Redoute, il faut compter environ 1 jour et demi pour ces opérations, la direction veut réduire drastiquement ce temps en remodelant totalement la logistique, en particulier sur le site de la Martinoire qui devrait être modernisé. Il ne faudrait alors plus que 2h pour expédier les colis. Pour les salarié-es, cela signifie des suppressions d’emplois : de 1250 personnes aujourd’hui à 550 personnes ; et une aggravation des conditions de travail : flexibilité accrue, travail 7j/7, passage à la convention collective des transports beaucoup moins favorable. Comme le résume Fabrice Peeters de la CGT : « ce sera le bagne ».

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Le bagne, il en est déjà question chez Amazon. « Les travailleurs chez Amazon sont loin très loin des progrès du XXIe siècle » écrit J-B Malet dans son livre-enquête En Amazonie. « Les conditions de travail sont dignes du XIXe siècle (au temps de l’exploitation capitaliste la plus brutale). Les entrepôts logistiques sont régis par une organisation du travail très précise qui n’est pas simplement celle du taylorisme ou du fordisme. Elle inclut toutes les potentialités d’Internet et fournit des outils de contrôle de productivité parfaitement inédits. » Et le contrôle des ouvrier-ères par la même occasion. Les préparateurs de commande d’Amazon à Lauwin-Planque près de Douai peuvent en témoigner.

Pour les e-capitalistes, il s’agit de ne pas perdre de temps et certains se repaissent déjà du cadavre fumant de la Redoute. Ainsi Guillaume Delbar, candidat UMP à la mairie de Roubaix, imagine dans les locaux abandonnés par la Redoute, le projet Blanchm@ille qui serait un pôle dédié au e-commerce investi par des start-up[7] . Ce projet est en réalité piloté par Euratechnologies et la société Picom (spécialisée dans le commerce et les innovations) qui appellent de leurs vœux à la formation d’une « VAD [vente à distance] Valley ». D’ores et déjà, le projet a retenu l’attention de la LMCU (Communauté urbaine lilloise) même si celle-ci n’apprécie pas l’annonce prématurée de Guillaume Delbar. Mais cette dernière est déjà pleinement engagée dans la révolution textile avec l’inauguration en 2012 du Centre européen des textiles innovants (CETI) à Tourcoing où on y travaille les textiles intelligents de demain, tissés avec des fibres optiques.

Lutter pour devenir redouté

On le voit le capitalisme et sa restructuration permanente nous amène à des licenciements ou une exploitation salariale de plus en plus forts. Aucune issue n’est possible. Les « Redoutables » l’ont bien compris. La semaine dernière et sans nécessairement l’aval des syndicats, ils se sont organisés et ont mené des actions fortes : lundi 3 février, la Martinoire était totalement bloquée de 5h à 22h, les syndicats ont avoué suivre le mouvement ; Jeudi 6 février malgré la tempête des centaines de Redoutables ont manifesté au côté des salarié-es de Stora-Enzo (une imprimerie qui ferme près de Douai). Au sujet des syndicats, certain-es ont un avis bien tranché depuis le mouvement perdu de 2008 contre 672 licenciements. A l’époque, les syndicats ont signé le PSE mais sont sortis des négociations en mettant en avant le fait qu’ils avaient obtenu une petite hausse des salaires : « il n’y aura plus de smicards à la Redoute » avaient-ils déclaré, depuis la méfiance règne concernant le dialogue social.

Dans les semaines à venir, d’autres actions vont être menées car seule la lutte permettra d’obtenir de l’argent et des garanties. Pour le moment, les grèves sont clairsemées et non-reconductibles. Ali est pourtant clair sur les modalités que doit prendre le futur mouvement : « on se prépare au combat, il faut faire comme à Goodyear, obtenir le plus d’argent possible par la grève et les actions. Mais pour le moment je bosse encore et il (Pinault) se fait du fric sur notre dos ». Tout reste à construire et appelle à notre soutien et à notre mobilisation.

Fabien, le 12/02/2014

  

Post Scriptum

Mise à jour le 21/02/2014

Depuis l’écriture de l’article, il y a eu d’autres mobilisations. Lundi 17 février, un barrage filtrant a été établi à la Martinoire pour tracter et essayer de mobiliser les non-grévistes. Dans la foulée, une AG a été organisée dans le réfectoire réunissant plus de 350 personnes.
Chacun-e a pu prendre la parole, les délégués syndicaux sont restés à l’écart et d’ailleurs certains syndicats sont de plus en plus mal vus par certains (Sud et CFDT en particulier). Suite à cette AG, des idées d’action ont été votées mais elles restent floues à l’heure actuelle.
Vendredi 21 février, le site de la Martinoire a été bloqué à 4h30 par des feux de palette. Puis, les grévistes se sont rendus dans les bureaux de la direction à Roubaix pour perturber les négociations qui ne mènent nulle part. Cette semaine aussi, des salarié-es ont été convoqués dans les bureaux des RH pour « envisager des sanctions disciplinaires suite aux blocages ». A chaque fois, il y a des débrayages de soutien.

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Notes

[1] 6eme fortune française d’après la revue Challenges. En 2012, sa fortune personnelle est estimée à 6,3 milliards d’euros, en 2013 : 11 milliards d’euros.
[2] Chiffres INSEE, 2011-2012.
[3] BFM Business, février 2013.
[4] Cité dans L’Humanité du 5 décembre 2013.
[5] Prises de paroles des différents délégués syndicaux dans la presse (Voix du Nord, janvier 2013).
[6] Voix du Nord, 12 et 13 novembre 2013
[7] Voix du Nord, 02/02/2014.

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