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Edito 155 Janvier 2006

dimanche 1er janvier 2006, par Courant Alternatif


La duperie électorale

Il n’est pas un soubresaut dans la société française, aussi minime soit-il, qui ne soit immédiatement instrumentalisé en vue des prochaines présidentielles de 2007 et ce, par tous les partis sans exception.
Par les grandes formations bien entendu. Les primaires à l’UMP et les manœuvres de synthèse au PS (qui enterreront une fois de plus le “ vieux socialisme ”, pourtant déjà mis en touche depuis des lustres, au profit d’un “ social libéralisme assumé ”) tentent de remettre en selle des politiques largement rejetées et méprisées par les électeurs comme par les abstentionnistes. Les banlieues, le logement, le chômage, la croissance, la sécurité sont déjà l’occasion de tirer à eux la couverture à propos de questions vis-à-vis desquelles ils ne se différencient guère, comme on a pu le constater en pleines émeutes banlieusardes !

Les syndicats ne sont pas en reste : La CFDT poursuit sa politique de syndicat patronal, la CGT soigne son image de partenaire social plus que raisonnable (voir p.10),

La proximité des présidentielles laisse aussi son emprunte dans le secteur dit “ alternatif ” : des scissions internes menacent ou se réalisent à AC ! (voir p. 13), à ATTAC, à SUD comme dans tous les “ petits syndicats ”. Partout la pression est grande pour soient dictées les orientations stratégiques des uns et des autres en fonction d’une victoire de la gauche, et par conséquent d’alliances avec le parti socialiste.
Ces préoccupations électoralistes figent par avance les mobilisations et mouvements qui voudraient démarrer. Une chape de plomb est retombée sur les banlieues : le couvercle soulevé durant une douzaine de jours par une partie de ses habitants s’est refermée sur elles et ses exclu-e-s. Une campagne d’inscription sur les listes électorales a depuis été lancée dans certaines municipalités pour aller à la pêche aux voix : Besancenot, Joey Starr, Djamel Debbouze ou Jean-Pierre Bacri, qui s’activent dans ce cadre, assènent aux “ émeutiers ” : Hors les élections, no future ! La LCR y gagnera peut-être quelques militants dans un secteur où elle n’en a guère, mais le taux d’abstention restera heureusement le même !

Les critiques du style “ Il ne faut pas brûler les voitures ” qu’ont adressées aux “ émeutiers ” la droite mais aussi la gauche (voir l’article “ Punir les pauvres ” p.7) sous-entendent que les autres luttes seraient, à l’inverse, dénuées de défaut : contrairement aux autres mouvements sociaux, l’explosion dans les cités devrait donc être politiquement “ irréprochable ” pour pouvoir bénéficier d’un soutien ? Pourtant, dans un contexte d’émeute, les personnes qui entrent en mouvement et celles qui les soutiennent ne s’arrêtent pas aux dégâts matériels : en Mai 68, qui, en dehors de leurs adversaires, reprochait aux étudiants de brûler des bagnoles ?.

Tout débat ou discussion est menacé par les anathèmes de proximité idéologique avec l’extrême droite (comme pendant la campagne autour du référendum sur la Constitution européenne…) dont les représentants sont multiples, de Le Pen (père et fille) à Sarkozy en passant par de Villiers. Le PS va utiliser cette donne pour se remettre en selle. Toute la nébuleuse “ bourge de gauche ” a l’habitude de crier “ Sus au facho ” dès qu’un problème, un doute ou une interrogation, sont exprimés par rapport au politiquement correct. Cependant, dans le contexte préélectoral, l’accent va être mis à la fois contre Le Pen, comme d’habitude, mais aussi contre Sarkozy, dont l’attitude provocatrice est propre à indigner suffisamment de gens pour les mettre en action contre lui — au risque, par cette personnification de l’Ennemi, de faitre l’autruche sur les mesures sécuritaires déjà en place. Une défaite de Sarkozy aurait essentiellement une valeur symbolique, une victoire qui servirait les tenants du système en place… et il y a fort à parier que ses successeurs, de droite ou de gauche, sèmeront là où il a labouré. Quand l’état d’urgence a été décrété, le PS n’a pas réagi, et il s’abstient de dénoncer autrement que du bout des lèvres une évolution politique très autoritaire. Il n’est pas seul : les milieux “ alternatifs ” ont également été remarquablement absents, ou du moins aussi faibles sur la mobilisation pendant les dernières nuits chaudes en banlieue que sur la solidarité à l’instauration de l’état d’urgence et par rapport aux procès en cours. A présent, la répression est dure ; les flics, qui ont le vent en poupe, n’hésitent pas à cogner (voir par exemple la remise en liberté de ceux qui ont été filmés en train de tabasser un jeune — “ Big Brother ”, p. 17). La comparution immédiate en flagrant délit devient la règle, et les peines distribuées s’apparentent à une justice d’abattage.

La polarisation Sarko-Facho risque fort de servir de programme à tous les tenants d’une néo-union de la gauche et de d’extrême gauche. Les milieux libertaires sauront-ils se tenir à l’écart de cette duperie et se maintenir du côté de la critique globale du système en place sans céder aux sirènes de la défense de la démocratie et du citoyennisme ?

Face à cela, les conditions d’une large mobilisation ne sont pas réunies comme en 1995 ou en 2003, où des fractions de salarié-e-s en lutte — à la SNCF ou dans l’Education nationale — ont ouvert des espaces de contestation et entraîné avec elles de nombreuses personnes prêtes à se révolter. La tendance est plutôt à rentrer la tête dans les épaules en espérant que la misère ou la répression tombent sur quelqu’un d’autre, et/ou à attendre des jours meilleurs. Effectivement tout se passe comme si des millions de gens qui se sont manifestés lors des mouvements de ces dernières années, lors du référendum, ou dans des sondages indiquant le rejet du capitalisme, laissaient passer l’orage, guettant l’occasion de relever la tête. Ce sont bien ces occasions que les partis et les syndciats redoutent et tentent de conjurer par les grandes manœuvres électorales longtemps préparées à l’avance.

OCL Poitou, janvier 2006

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