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Le Confédéralisme démocratique, la proposition politique de libération de la gauche kurde

Interview d’un collectif de solidarité

jeudi 19 septembre 2013, par WXYZ


Entretien avec « Solidaridad Kurdistán » (État espagnol)

Le 17 septembre 2013

Cela fait quelques temps que l’on commence à entendre parler du Confédéralisme démocratique au Kurdistan. Il s’agit d’une proposition politico-sociale appliquée au contexte du Moyen-Orient qui ne cherche pas à imposer des États-nations indépendants. Nous avons pris contact avec le blog Solidaridad Kurdistán afin de mieux comprendre ce tournant historique d’un mouvement de libération nationale qui a maintenant 35 années d’existence derrière lui. Dans cette interview, les éléments importants de cette proposition, basée en partie sur les idées de Murray Bookchin sur l’écologie sociale et le municipalisme libertaire, sont longuement exposés.
Cette interview est la première partie d’un entretien beaucoup plus longtemps que nous mettrons à jour la situation (complexe) du peuple kurde dans leurs différents conflits dans lesquels elle est impliquée à la fois. La prochaine interview sera publiée dans quelques semaines (ALB – alasbarricadas.org).

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Le titre de la publication originale de cette interview est ‟Le Confédéralisme démocratique, proposition libertaire du peuple kurde‟. Nous ne l’avons pas repris tel quel car, non seulement ce n’est pas une proposition ‟du” peuple kurde mais d’un courant politique de libération nationale et sociale, important certes, mais qui n’en est qu’une tendance, et que, d’autre part, le terme ‟libertaire”, plus encore en français qu’en espagnol, équivaut à ‟anarchiste”, ce dont il n’est pas question ici, même si l’on y trouve des références évidentes au moins implicites. Pour éviter les querelles sémantiques et idéologiques qui nous semblent très secondaires, nous avons opté pour un qualificatif plus ‟neutre” mais plus ouvert afin, espérons-le, que la proposition politique que ce mouvement désigne comme Confédéralisme démocratique soit d’abord appréhendée pour ce qu’elle est ou veut être, avec son langage, son histoire et contexte, ses références et ses catégories.

Elle mérite en tous cas d’être connue et discutée. Et peut-être pas seulement abstraitement.

Quelle que soit l’appréciation qui peut en être faite ou le degré d’intérêt qu’elle provoque, une chose est sûre : cette proposition portée par la gauche kurde dans le contexte actuel des différents conflits du Moyen-Orient (le conflit syrien, le conflit turco-kurde, et plus généralement la lente mais irrésistible émergence du Kurdistan sur la scène régionale et les fractures que cette onde de choc provoque) apparait bien comme un ensemble d’éléments en rupture salutaire avec l’ordre et les désordres établis, les conceptions traditionnelles de la politique, de la ‟démocratie”, de la nation, le caractère prétendument ‟inéluctable” de l’horizon capitaliste, les États en place, leurs régimes, leurs frontières immuables, tous produits de l’histoire, et singulièrement de l’histoire coloniale, et qui n’ont pas vocation à demeurer figés et congelés dans une histoire qui est, par définition, tout sauf immobile.

L’apport du Confédéralisme démocratique peut donc se lire et s’évaluer sur deux niveaux : le temps long des idées politiques, et singulièrement celles des mouvements d’émancipation nationale et les articulations entre ceux-ci et les aspirations à la libération sociale (en gros les XIXème et XXème siècle), et le temps court, immédiat, de la situation actuelle qui concerne au premier chef les Kurdes et l’espace du Kurdistan, et par voie de conséquence toute la région moyen-orientale.


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ALB.- Qu’est-ce qu’est Solidaridad Kurdistán et pourquoi existe-t-il ?

SK.- Solidaridad Kurdistán est un espace qui a été créé avec l’objectif d’impulser la solidarité et la connaissance de la lutte du peuple kurde pour sa libération et son autodétermination. Notre idée n’est pas seulement d’exprimer notre solidarité avec le Kurdistan comme peuple opprimé, mais aussi de nous solidariser, de donner à connaître et de mettre en avant le mouvement de libération kurde qui lutte actuellement sous le paradigme du ‟Confédéralisme démocratique”.
Comme projet encore relativement nouveau, Solidaridad Kurdistán a commencé son travail de solidarité avec une question que nous considérons fondamentale et d’importance vitale, celle d’informer à la fois sur la situation actuelle et sur le corpus idéologique du mouvement kurde de libération. Pour cela, nous avons créé le blog : solidaridadkurdistan.wordpress.com[1], où les informations, articles, analyses, appels, etc. sont recueillis, traduits et élaborés... Ce n’est là qu’une première étape et nous voulons poursuivre les activités de sensibilisation autour du mouvement kurde et de son projet politique, le Confédéralisme démocratique. Pour cela, nous travaillons à l’organisation de conférences et de débats sur la lutte, les idées et la situation actuelle du peuple kurde. Projet pour lequel nous sommes ouverts de manière désintéressée à toutes les personnes, groupes ou collectifs qui sont intéressés par cela et qui veulent nous contacter.
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Avec cette première phase de réalisation de conférences et de débats, les œuvres majeures qui inspirent idéologiquement le mouvement kurde, principalement les travaux d’Abdullah Öcalan, vont commencer à être diffusées. Et notre désir est de continuer dans cette ligne de solidarité et de consolider un réseau de personnes, de groupes et de collectifs solidaires avec le mouvement de libération kurde dans tout l’État espagnol. Pour que, coordonnés, aussi bien comme Kurdes en exil que comme personnes solidaires avec ce peuple, nous puissions réaliser des activités de solidarité et le travail politique que la société civile et le mouvement démocratique et révolutionnaire dans le monde doivent accomplir. Dans la lutte pour la liberté et la démocratie, nous jouons tous notre rôle et il est primordial de construire des ponts entre les peuples en lutte contre la modernité capitaliste.
Nous espérons que cette interview pourra servir comme un appel à entreprendre ce travail de solidarité internationaliste et nous encourageons toutes les personnes intéressées à travailler et à collaborer avec nous dans cet objectif.

ALB.- Quels sont les autres groupes de solidarité dans l’État espagnol ?

SK.- Dans l’Etat espagnol, il existe une longue histoire de solidarité avec le peuple kurde, dont l’origine tient surtout de la problématique nationale qui existe aussi ici, ce qui a fait que les organisations qui luttent pour la libération des peuples opprimés de l’État espagnol se soient senties proches et solidaires du peuple kurde. C’est pour cela que nous avons une longue histoire d’organisations nationalistes et la solidarité internationaliste qui ont mené et mènent des actions de solidarité et tissent des liens avec les Kurdes. La solidarité entre le Kurdistan et les peuples de l’État espagnol a été traditionnellement porté par une grande variété de regroupements politiques plutôt que par des groupes spécifiques de solidarité avec le peuple kurde. Même avec cela, nous pouvons citer quelques organisations qui ont mené un travail de solidarité internationaliste avec le peuple et la lutte kurde comme le Komite Internazionalistak en Euskal Herria, le Colectivo de Solidaridad con el Kurdistán de Madrid, le groupe féministe Gatamaula[2], qui a organisé récemment une conférence sur les femmes dans mouvement de libération kurde ou encore le regroupement basque Asociación Bihar Euskal Kurdu Elkartea, pour ne citer que ces quelques groupes qui ont travaillé à faire connaître et développer la solidarité avec le Kurdistan .

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Le Confédéralisme démocratique

ALB.- Passons à la question idéologique. Comment définiriez-vous le Confédéralisme démocratique ?

SK.- Le Confédéralisme démocratique (également connu sous le nom de communalisme kurde ou apoïsme) est la proposition du mouvement de libération kurde pour obtenir la libération du Kurdistan, une nation qui est actuellement sous la domination de la Syrie, de l’Irak, de l’Iran et de la Turquie.
Le Confédéralisme démocratique est le système conçu pour créer une nation démocratique au Kurdistan, système par lequel sera obtenu la libération et la démocratisation du peuple kurde, tant dans une perspective nationale / culturelle que sociale.
Ce système ne vise pas la création d’un État-nation kurde, mais la création d’une nation démocratique, dont la base est la société civile organisée de manière autonome et démocratique, dont le centre de l’autogestion politique est constitué par les assemblées des communautés et les conseils ouverts locaux, régis par la démocratie directe. Ceux-ci, librement confédérés et réunis en congrès généraux, avec des fonctions de coordination, formeront la nation démocratique du Kurdistan.
Dans le domaine économique, le Confédéralisme démocratique vise un système qui permette à la fois une répartition juste des ressources et la préservation de l’environnement, et rejette donc le capitalisme, en optant pour un socialisme démocratique où les ressources appartiennent au peuple et où l’économie est axée sur le bien social et non sur l’accumulation du capital et le consumérisme, provoquant autant d’injustices sociales que de grandes dévastations des milieux naturels.
La libération des femmes est un autre pilier du Confédéralisme démocratique, qui vise à créer une société sans sexisme, aussi bien celui qui vient de la société traditionnelle patriarcale, des interprétations religieuses sexistes que celui qui vient de la marchandisation des femmes par la modernité capitaliste.
Par conséquent, contre la modernité capitaliste, dont les trois piliers fondamentaux dit Öcalan sont l’État-nation, le capitalisme et l’industrialisme, le Confédéralisme démocratique représente la modernité démocratique qui libérera le Kurdistan de l’oppression nationale / culturelle, sociale, politique, économique, patriarcale et écologique.
Démocratie, socialisme, écologie et féminisme, sont les concepts clés pour comprendre le Confédéralisme démocratique du mouvement de libération kurde.

ALB.- Pourquoi y a-t-il eu cette évolution du marxisme-léninisme de libération nationale au Confédéralisme démocratique ?

SK.- L’évolution idéologique et stratégique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK)[3], qui est le germe de l’Union des Communautés du Kurdistan (KCK)[4], est un sujet très intéressant et qui nous donne un échantillon de la capacité d’autocritique et véritablement révolutionnaire de ce mouvement. Le PKK, qui a été fondé en 1978, a toujours visé non seulement la libération du point de vue ethnique ou national, mais son objectif avait le projet de libérer et de démocratiser la société. Le PKK avait reconnu le lien qu’il y avait entre la question kurde et la domination globale du système capitaliste moderne, et dans le contexte d’un monde bipolaire, où l’alternative au monde capitaliste et la libération de la société semblait venir du ‟Socialisme Réel”, et où l’influence des mouvements de libération nationale léninistes était très intense, le PKK avait choisi de se battre pour la création d’un Etat socialiste kurde dans le but de libérer le peuple du Kurdistan.
Dans le cours de la lutte et dans celui des projets des État socialistes, le PKK a commencé à reconsidérer ses objectifs, le parti a reconnu être dans une impasse et a compris la nécessité de repenser ses stratégies et objectifs. Même si certains ont voulu voir dans la renonciation à la création d’un Etat socialiste du Kurdistan un signe de recul ou d’affaiblissement, Öcalan a expliqué que ce n’est pas là la cause de cette redéfinition, mais que la raison se trouvait dans l’analyse de ces Etats et dans la compréhension qu’il n’y avait pas eu de changements dans le style et le mode de vie dans les pays du Socialisme Réel par rapport à la vie capitaliste existante dans le reste du monde, et qu’un projet de libération et de démocratisation du Kurdistan et de la société ne pouvait pas provenir d’une solution étatique. De plus, comme l’a souligné également Öcalan, il y avait une contradiction fondamentale : « Bien que le PKK se prétendait en faveur des libertés, nous ne parvenions pas à cesser de penser en termes de hiérarchie ».
La lutte de libération devait être repensée, l’organisation hiérarchique, la recherche du pouvoir institutionnel et l’idéalisation de la lutte armée, ont commencé à céder la place à la démocratisation, à l’organisation communale et assembléaire, et à l’autodéfense. Et c’est ainsi que le mouvement a commencé à avancer dans la voie qui l’amènera au Confédéralisme démocratique.

ALB.- Parlant d’Öcallan, quel rapport Öcalan a-t-il avec le municipalisme libertaire ou l’écologie sociale ? A-t-il eu un contact personnel ou par courrier avec quelqu’un qui défendait ces idées ?

SK.- Comme nous l’avons indiqué dans la réponse à la question précédente, le PKK avait commencé à réorienter sa politique depuis son marxisme-léninisme originel et commençait à se rapprocher de postulats dans lesquels l’organisation démocratique prenait une grande importance, mais sans abandonner le noyau socialiste de ses idées. De cette façon, il a commencé à se rapprocher d’hypothèses et de conclusions similaires à celles du municipalisme libertaire (n’oublions-pas que Murray Bookchin, le père de l’Écologie sociale, est également issu du marxisme). Mais, c’est en 2002, lorsqu’Öcalan a clairement commencé à entreprendre une lecture approfondie de Bookchin, qu’il a recommandé, par l’intermédiaire de ses avocats, aux militants politiques kurdes la lecture de ses livres, notamment Urbanization Without Cities [‟L’urbanisation sans villes”] et L’Écologie de la liberté[5].

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En 2004, comme le relate la compagne de Bookchin, Janet Biehl dans son article ‟Bookchin, Öcalan, and the Dialectics of Democracy”[6], Abdullah Öcalan, par l’intermédiaire de ses avocats, a demandé à prendre contact avec Bookchin, lui envoyant un de ses manuscrits et lui faisant savoir qu’il se considérait comme son disciple et qu’il était prêt à appliquer les idées de l’écologie sociale au Moyen-Orient. Cette possibilité de dialogue a été écourtée du fait de l’âge de Bookchin, qui, à quatre-vingt-trois ans et malade, ne pouvait plus réaliser l’effort et le travail qu’aurait impliqué de maintenir ce contact. Cette année-là, Bookchin envoya un message au peuple kurde : « Mon espoir est que le peuple kurde soit en mesure d’établir un jour une société libre et rationnelle qui permette à son éclat de briller à nouveau. Vous avez la chance d’avoir un chef du talent de monsieur Öcalan pour vous guider ». Ce message a été lu lors de la seconde Assemblée générale de Kongra-Gel.
En 2006, lorsque Bookchin décède, l’assemblée du PKK s’est référée à lui comme « l’un des plus grands spécialistes des sciences sociales du XXe siècle. Il nous a introduit à la pensée de l’écologie sociale et a contribué au développement de la théorie socialiste afin d’aller de l’avant sur une base plus solide. Il montré comment faire d’un nouveau système démocratique une réalité. Il a proposé le concept de Confédéralisme, un modèle que nous pensons créatif et réalisable. Les thèses de Bookchin sur l’État, le pouvoir et la hiérarchie seront mises en œuvre et réalisées dans notre lutte... Nous mettrons cette promesse en pratique comme la première société qui établit un Confédéralisme démocratique tangible. »

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ALB.- Pourquoi Öcalan a-t-il une si grande influence dans le mouvement de libération nationale kurde, jusqu’à quel point suivent-ils ses évolutions idéologiques et stratégiques ?

SK.- Öcalan a été le principal dirigeant du PKK depuis sa fondation, son importance fut déterminante pour la création d’un mouvement qui liait ensemble les aspirations sociales et nationales du peuple kurde. Alors que d’autres dirigeants avaient traité la question kurde selon des perspectives ethniques, oubliant la question sociale, en Turquie, les mouvements socialistes et marxistes ignoraient ou dédaignaient la question kurde. Öcalan commença alors à créer autour de lui un mouvement qui a reformulé les paradigmes de la libération sociale et nationale, en les rassemblant, et créant ainsi le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Le prestige qu’atteignait le PKK allait de pair avec le prestige d’ Öcalan qui a toujours été la tête la plus visible du parti.
Le PKK a été plusieurs fois sur le point de se diviser et de subir des trahisons, mais l’unité et la force du mouvement ont été rendus possibles grâce à Öcalan, qui a travaillé sans relâche pour maintenir cette unité qui a doté le PKK de tant de force et qui a réussi à en faire le mouvement de libération nationale kurde le plus puissant et le plus enraciné en Turquie et dans d’autres parties du Kurdistan. Le rôle d’Öcalan a été la fondamental pour le PKK parce qu’il exerçait une grande activité comme idéologue et comme coordinateur du mouvement.
Avec l’arrestation d’Öcalan, l’État turc croyait pouvoir affaiblir le mouvement, et c’est pourquoi, avec les services secrets d’autres pays comme les États-Unis et Israël, ils ont élaboré un complot international qui s’est conclu par l’arrestation illégale d’Öcalan au Kenya en 1999.
Mais cette arrestation n’a pas eu l’effet escompté et la figure d’Öcalan a même gagné en influence et en prestige, et le PKK, après une brève période de confusion, s’est renforcé et a resserré les rangs autour de celui qu’ils continuent de considérer comme leur chef, et qui, alors même qu’il se trouve derrière les barreaux, continue d’assumer ses responsabilités. C’est au cours de son emprisonnement, et malgré les terribles conditions auxquelles il était soumis, qu’il a doté le mouvement de la grande solidité théorique du Confédéralisme démocratique et qu’il a fait d’innombrables efforts pour la paix, mais aussi en sachant quand était venu le temps de l’auto-défense armée devant l’échec des processus précédents.
Öcalan est l’exemple d’une vie entièrement consacrée à la lutte pour le Kurdistan et un leader qui a su se maintenir à la hauteur des circonstances les plus difficiles, ce qui explique qu’à la fois le mouvement de libération et le peuple kurde en général ont une grande confiance en celui qui, jusqu’à présent, a été en mesure de les guider et de les inspirer dans leur lutte. Cette confiance n’est pas seulement due au fait qu’Öcalan a une grande influence sur le mouvement de libération kurde et que celui-ci suit ses changements stratégiques, mais qu’avec son projet pour obtenir la liberté et la paix du Kurdistan, Öcalan répond aux nécessités du mouvement de libération et du peuple kurde , et c’est pourquoi celui-ci lui répond avec affection, soutien et confiance .

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ALB.- Est-ce que le Confédéralisme démocratique a été le résultat d’un processus collectif, ou est-il né seulement d’une préoccupation d’Öcalan ?

SK . - Le Confédéralisme démocratique nait de la nécessité à laquelle le PKK a été confronté de devoir reformuler ses objectifs et sa stratégie, après avoir observé la réalité du moment, qui démontrait l’inefficacité du projet étatiste et du “Socialisme Réel” pour la libération de la société et des nations. Face à cela, le mouvement commence à rechercher les façons de devenir un mouvement véritablement libérateur et démocratisateur. C’est quelque chose qui a déjà pu être observé lors des derniers congrès que le parti avait organisé, où le PKK reconnaissait être dans un processus de changement nécessaire et dans la recherche de nouvelles voies pour la réalisation de ses objectifs.
Dans ce contexte, Öcalan a commencé à travailler sur la réorientation politique et idéologique du mouvement. Le processus a été brièvement interrompu par son arrestation, mais les effets de ce travail, qui avait déjà été réalisé, sont apparus en pleine lumière notamment avec l’arrivée de cette réclusion. Cette nouvelle situation a provoqué un effet de haut-parleur pour tout ce qu’Öcalan pouvait dire lors de ses procès et il a commencé à préparer sa défense sur la base de ces nouvelles idées. Öcalan parlait de solution politique et de l’autonomie démocratique pour le peuple kurde, et critiquait les perspectives étatistes et les erreurs précédentes du PKK pour s’adapter à ces perspectives.
Nous pouvons considérer le Confédéralisme démocratique comme le fruit d’un processus collectif, car il a surgi de la situation et des contributions du mouvement de libération kurde à ce moment-là, mais c’est Öcalan qui a donné la structure fondamentale et les fondements théoriques solides pour ce nouveau paradigme démocratisateur. Mais pas seulement Öcalan, d’autres militants et figures du mouvement de libération kurde ont continué à travailler dans la ligne du Confédéralisme démocratique et celui-ci fait maintenant l’objet d’études, de débats et de développement dans l’ensemble du mouvement et du peuple kurde.

ALB.- Les organisations qui défendent le Confédéralisme démocratique ont-elles un enracinement dans tout le Kurdistan, ou seulement dans certaines parties ?

SK . - Le Confédéralisme démocratique est né au sein du PKK. Ce fut l’activité et la lutte de celui-ci qui l’a conduit à la nécessité d’élaborer un projet de libération qui dépasse les idées étatistes et hiérarchiques qu’il y avait avant dans le parti, et c’est son leader Abdullah Öcalan qui a développé les principes fondamentaux du Confédéralisme démocratique. Le PKK, même s’il s’est déplacé dans presque tout le Kurdistan, a eu son cadre principal d’action en Turquie, et sa lutte était dirigée contre l’Etat turc. Actuellement, le PKK est le parti confédéraliste démocratique qui agit en Turquie et c’est dans le Kurdistan turc que le Confédéralisme démocratique est le plus enraciné, le PKK y ayant une grande force, ainsi que le BDP, parti légal influencé également par les idées d’Öcalan et qui agit dans l’espace limité que la répression du gouvernement turc autorise, parce que celui-ci a subi une grande répression et compte dans ses rangs plusieurs centaines de prisonniers politiques.

En Iran, la lutte pour la libération du Kurdistan dans le cadre du paradigme du Confédéralisme démocratique est menée par le Parti pour une Vie Libre au Kurdistan (PJAK)[7]. Dans le Kurdistan iranien, le PDKI social-démocrate et le Komala communiste ont été traditionnellement forts, mais avec l’expansion des idées d’Öcalan et l’exemple de la lutte du PKK, les partisans de ces idées et de ce mouvement ont fondé le PJAK en 2004, qui a gagné progressivement beaucoup d’influence et de force parmi les Kurdes d’Iran. Les idées du Confédéralisme démocratique sont de plus en plus enracinées au sein de cette population, et cette proposition politique se présente comme un idéal pour une société multi-ethnique comme l’est celle d’Iran.
La force du PJAK se développe en Iran et la valeur précieuse de ses nouvelles idées, de sa résistance et de son travail d’auto-défense du peuple kurde lui font gagner un prestige que les autres partis kurdes, auparavant prédominants en Iran, sont en train de perdre.

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Au Kurdistan irakien, le peuple kurde bénéficie d’un statut particulier et a créé une nouvelle région semi-autonome d’où est issu le Gouvernement Régional du Kurdistan (KRG) et les Kurdes peuvent jouir pour la première fois de leurs pleins droits culturels en tant que peuple. Mais l’État semi-autonome du Kurdistan irakien est loin d’être un exemple de société organisée sous le paradigme du Confédéralisme démocratique. La corruption et le despotisme dans le domaine politique sont monnaie courante, le Kurdistan irakien est organisé sous des institutions semi-étatiques, et non par des institutions démocratiques autogouvernées par le peuple. De plus, la mise en place d’une économie capitaliste constitue une agression à la fois contre la population et contre la nature.

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Au Kurdistan irakien, le peuple kurde est devenu quasi-indépendant de l’Irak, mais de nouvelles chaînes lui sont tombées dessus, qui le placent sous la domination du système-monde capitaliste, et sous l’influence directe des puissances occidentales qui instrumentalisent à leurs fins cette région semi-autonome. C’est pourquoi la lutte pour la démocratie, la liberté et l’autogouvernement est encore un combat nécessaire dans le Kurdistan irakien. En Irak, on trouve donc l’activité du Parti pour la Solution Démocratique du Kurdistan (PÇDK) qui se bat pour l’objectif du Confédéralisme démocratique. Ce parti doit souvent faire face à la répression exercée par le KRG [le gouvernement régional du Kurdistan]. Le soutien dont il bénéficie n’a pas été très important jusque-là, car les partis qui se sont traditionnellement imposés au Kurdistan irakien peuvent compter sur un grand pouvoir et conservent encore un certain prestige issu de la lutte armée qu’ils ont mené. Mais la politique actuelle dévoile dans quel paradigme ces partis se meuvent et surtout, chez les jeunes, les idées d’Öcalan se répandent et prennent de l’importance.
Par ailleurs, il convient de noter que c’est dans les montagnes du Kurdistan irakien que se trouvent les bases du PKK et où donc l’influence du parti est énorme. Le communalisme kurde y est profondément enraciné et nous nous trouvons ainsi avec des zones où l’organisation en assemblées communales est une réalité.

En ce qui concerne le Kurdistan syrien, l’influence du PKK a toujours été très forte, le parti a été nourri par les nombreux guérilleros originaires de Rojava [Kurdistan de Syrie] et Öcalan a passé une grande partie de sa vie en Syrie, où il a exercé les tâches de direction de l’organisation. C’est pourquoi l’influence du mouvement de libération kurde a toujours été forte et le Confédéralisme démocratique a réussi à s’enraciner parmi ces Kurdes. Le mouvement apoïste en Syrie est regroupé sous le TEV-DEM (Mouvement pour la Société Démocratique), à laquelle est relié le Parti de l’Union Démocratique (PYD)[8], qui est le parti kurde défendant les idées du Confédéralisme démocratique en Syrie. Fondé en 2003, il a effectué un gros travail politique qui peut se constater à l’accroissement de son influence politique et de la diffusion de ses idées. Mais, ce fut dès le début de la révolution en Syrie que ce parti a gagné une importance particulière et est devenu le parti kurde le plus important et le plus influent qui œuvre pour l’autonomie du peuple kurde en Syrie.

Toutes ces organisations reconnaissent Abdullah Öcalan comme leur leader et, comme parlement légitime du peuple kurde, le Kongra-Gel, l’assemblée de l’Union des Communautés du Kurdistan (KCK).

ALB.- Tous les partis de la KCK se définissent comme confédéralistes démocratiques ? Y a-t-il des courants internes avec d’autres idéologies et tendances ?

SK.- Certains ont parfois voulu parler de différentes tendances au sein de la KCK, de factions plus ‟dures” ou plus ‟douces”. En ce qui concerne ces opinions, les membres du KCK ont exprimé à de nombreuses reprises que parler de factions au sein du mouvement est une erreur qui vise à donner l’impression d’une faiblesse ou d’une division. La KCK lutte pour un objectif qui est bien défini dans le concept du Confédéralisme démocratique
Il est vrai que l’évolution idéologique a été une question difficile et qu’elle a provoqué certaines dissensions dans le PKK, mais ceux qui n’ont pas accepté la nouvelle voie vers la libération et restent toujours accrochés aux vieux paradigmes qui se sont révélés inutiles pour la libération ont abandonné le mouvement, ce qui pas affaibli mais renforcé le PKK. Aujourd’hui, ceux qui continuent dans le PKK ou qui s’unissent à lui (ou aux autres groupes de la KCK) savent qu’ils luttent pour l’objectif clair du Confédéralisme démocratique, les déclarations d’Öcalan, les résolutions des assemblées de Kongra-Gel, les opinions des hauts responsables, et les stratégies et les actions du mouvement, et n’ont aucun doute là-dessus.

ALB.- Dans la définition du Confédéralisme démocratique, il est précisé que la société locale et les municipalités sont le noyau de la nouvelle société kurde. Á parti de là, les localités commencent à se fédérer et à se confédérer. Les populations non-kurdes s’incluent-elles dans ce schéma ? Que faire si une partie des Kurdes ne souhaite pas se fédérer avec le reste ? N’oublions pas que dans le Kurdistan, il y a de nombreux partis politiques qui ne défendent pas le Confédéralisme démocratique.

SK. - Le Confédéralisme démocratique est la proposition que le mouvement de libération kurde a conçue pour la libération du Kurdistan, mais ce n’est une organisation sociale et politique uniquement applicable à celui-ci. Öcalan a souligné l’importance du Confédéralisme démocratique pour surmonter les grands problèmes du Moyen-Orient, et a indiqué l’applicabilité et le potentiel de l’organisation confédéraliste pour des peuples concrets comme les peuples arabe, turc et turkmène, pour l’Iran multi-ethnique, le peuple arménien, le peuple juif. Par conséquent, le Confédéralisme démocratique n’est pas une proposition fermée et réservée au seul peuple kurde, mais c’est une solution qui s’inscrit dans la lutte pour la démocratie de tous les peuples.

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L’objectif du Confédéralisme démocratique est très éloigné du paradigme de l’État-nation, dont le but est l’assimilation des différences ; la nation démocratique que le Confédéralisme démocratique créé est une nation flexible, multiculturelle et multi-ethnique. On ne cherche pas à créer des frontières, et au contraire l’idée de nation du Confédéralisme démocratique est ouverte et traverse les frontières. Le Confédéralisme démocratique ne se présente pas seulement comme forme d’organisation pour les Kurdes, mais pour tous ceux qui cherchent leur libération. Au sein de la nation démocratique du Kurdistan, les minorités d’autres peuples pourront s’organiser de manière autonome par le biais des institutions démocratiques d’autogouvernement créées par le Confédéralisme démocratique et pourront choisir leurs relations avec les autres peuples.

Le Confédéralisme démocratique est un système où le pouvoir émane d’en bas, celui du peuple organisé en assemblées, c’est un système de pouvoir décentralisé, c’est ainsi le seul moyen de parvenir à la démocratisation et non à la domination. Dans ce schéma donc, personne n’est obligé de se placer sous quelque pouvoir que ce soit, et ceux qui ne veulent pas entrer dans l’organisation du Confédéralisme démocratique n’ont pas à le faire, et n’y sont pas obligés. Le peuple organisé dans le Confédéralisme démocratique fera usage de la violence uniquement pour s’auto-défendre contre ceux qui ne respectent pas la légitimité de la nation démocratique créée par la confédération du peuple.
Les problèmes avec les autres groupes kurdes ne viendront pas de la question du Confédéralisme démocratique, car il s’agit d’un système souple et ouvert, où chaque groupe social, politique, ethnique ou religieux, peut s’autogouverner de manière autonome s’il le désire ainsi. Le problème avec les groupes kurdes qui préconisant un modèle différent que le Confédéralisme démocratique viendra du fait qu’ils avancent comme projet politique un système qui vise à s’imposer sur les communautés kurdes libres, organisées sous le Confédéralisme démocratique, comme peut le réaliser la création d’un Etat kurde ou d’une région fédérale paraétatique sous la domination d’un autre Etat.
Ainsi, le responsable des problèmes ne sera pas le Confédéralisme démocratique, mais ceux qui cherchent des solutions politiques fondées sur la domination et la hiérarchisation.

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ALB.- Nous avons vu le récent appel d’un haut responsable de la KCK (Cemil Bayik) aux Kurdes exilés à l’étranger ou qui vivent dans les villes de repeupler les villages vides du Kurdistan. Selon ce schéma, le village semble fondamental. Est-ce là le modèle social prôné par le Confédéralisme démocratique ? Cet appel est lancé en suivant un fondement écologique – en tant que les villes ne sont pas soutenables écologiquement – ou sur un base ethnique – que les Kurdes ont toujours vécu dans les villages ?

SK.- Cemil Bayik, fondateur du PKK et actuel co-président du Conseil exécutif de la KCK a lancé cet appel au peuple kurde à revenir dans les villages dans un article pour le quotidien kurde Azadiya Welat, appel impliquant une demande légitime et nécessaire du peuple kurde et une critique radicale de la modernité capitaliste .
En premier lieu, il faut prendre en compte un problème majeur, qui est que les Kurdes qui ont fui leurs villages ne l’ont pas fait volontairement, même pas à cause des conditions économiques imposées par le capitalisme, mais que beaucoup d’entre eux ont été expulsés directement par l’armée turque, dans le cadre de sa politique de destruction de l’identité kurde. Pour détruire les racines profondes de la tradition et de la culture kurde, et le grand soutien et l’implantation dont disposaient le PKK dans les zones rurales, l’armée turque a détruit des villages kurdes et provoqué des millions de déplacés. Il est important de prendre en compte cette donnée, comme vous l’indiquiez dans la question « les Kurdes ont toujours vécu dans les villages », et il en est ainsi ; quitter ce mode de vie n’a pas été une décision volontaire mais forcée par l’armée et l’Etat turcs.

Nous pourrions rappeler pourquoi effectivement, il y a une base ethnique dans cet appel (« les Kurdes ont toujours vécu dans les villages ») et que l’abandon de ce mode de vie n’a pas été une décision volontaire. Mais laisser cette question sur ce seul aspect serait simplifier la vision intégrale du changement de vie qu’apporte le Confédéralisme démocratique et la profonde critique de la modernité capitaliste qu’implique l’appel de Cemil Bayik.

Dans son article, Bayik parle de comment les villes ont été utilisés pour détruire l’identité kurde, les condamnant à la précarité et l’instabilité de l’emploi. Le capitalisme s’est implanté dans le peuple kurde par la force, en l’expulsant de ses villages ; comme Bayik nous le dit, ils ont été condamnés à vivre « une vie à moitié morte dans les périphéries urbaines créées par le capitalisme en Turquie. »
D’autre part, même si Bayik n’en parle pas explicitement dans son appel, nous ne pouvons pas écarter, comme vous l’indiquiez dans la question, la problématique de l’environnement. Le mouvement a toujours lutté contre les méga-constructions que le gouvernement a essayé de bâtir dans le Kurdistan ; défendre l’environnement est un enjeu majeur. L’industrialisme est, avec l’Etat-nation et le capitalisme, l’un des piliers de la modernité capitaliste que le mouvement cherche à combattre. Les grandes villes sont une attaque contre la terre du Kurdistan que le mouvement de libération du Kurdistan ne peut pas permettre.

Le retour vers les villages est une question fondamentale pour la récupération de l’identité du peuple kurde et c’est le cadre idéal pour le développement de la démocratie et des communes économiques et écologiques. Ce retour du peuple kurde permettra le développement de l’autogestion et, comme le signale Bayik, il est essentiel que le retour de la population permette l’épanouissement de l’agriculture et de l’élevage. Öcalan l’exprime ainsi, « Á aucun autre moment de l’histoire, l’humanité n’a été aussi éloignée de la nature, de la vie et de la sociabilité. » Le retour aux villages kurdes et la régénération de la vie rurale et villageoise au Kurdistan est une question fondamentale pour la création de la nation démocratique. Pour Bayik, le retour dans les villages kurdes signifie « la construction d’une société démocratique et d’une vie démocratique-socialiste basée sur le développement de la vie sociale. »

ALB.- Quel genre de socialisme propose le Confédéralisme démocratique ?

SK.- Comme nous l’avons déjà abordé, le PKK a commencé dans le marxisme-léninisme, de telle sorte que l’influence socialiste a été présente dès le début dans l’idéologie du mouvement de libération kurde. En reformulant les références idéologiques et en adoptant le Confédéralisme démocratique, le mouvement a abandonné le “socialisme réel” et l’a critiqué, et il s’est engagé à la place en faveur du socialisme démocratique. Le Confédéralisme démocratique nécessite une alternative économique pour atteindre ses objectifs de démocratisation, de libération, d’égalité et de respect de l’environnement ; cette économie, c’est le socialisme, la seule façon de contrecarrer les problèmes produits par la recherche continue de l’accumulation du capital imposée par la modernité capitaliste. Dans le socialisme du Confédéralisme démocratique, les ressources de la société ne sont pas détenues par l’État, mais elles sont placées dans les mains du peuple, l’économie est destinée à être au service de la société et l’autogestion sera recherchée.
Lors de sa dernière Assemblée générale, le Kongra-Gel a souligné l’importance de développer des assemblées communales et les coopératives, les institutions de base du socialisme pour lequel a opté le mouvement.

ALB.- Passons à une autre question importante : quel est le rôle des femmes dans le processus révolutionnaire du peuple kurde ?

SK.- Traditionnellement, dans le peuple kurde, les femmes ont été beaucoup plus reconnues, valorisées et ont bénéficié de davantage d’autorité et de liberté que chez d’autres peuples du Moyen-Orient. Mais malgré cela, les femmes kurdes n’ont pas pu échapper à l’influence du patriarcat et, dans la société kurde les abus contre les femmes ont existé, comme les soi-disant « crimes d’honneur », aux côtés d’autres attitudes et pratiques machistes. En outre, dans certaines parties du Kurdistan, elles subissent de manière encore plus intense les interprétations sexistes de l’Islam qui ont souvent été imposées par les autorités étatiques et religieuses. Á tout cela, il faut ajouter le sexisme institutionnalisé et la marchandisation des femmes que la modernité capitaliste a imposée aux peuples placés sous son joug.

Dans cette situation, nous devons considérer que, si ce qui est recherché est un projet de libération nationale et sociale, alors la libération des femmes est une question fondamentale. C’est ainsi qu’Öcalan l’a compris, qui a indiqué que l’on peut considérer les femmes comme une nation exploitée en tant que telle et dont la libération est encore plus importante que celle de la classe ou nationale. Öcalan a désigné le sexisme comme l’un des piliers idéologiques de l’État-nation et a critiqué les projets du socialisme réel qui avaient compris la question du genre comme secondaire. Ainsi, la liberté et les droits des femmes sont une question essentielle dans la lutte pour la démocratie et la liberté au Kurdistan, « sans femme libre, il ne peut y avoir un Kurdistan libre ».
Ces idées profondes concernant la libération des femmes sont devenues manifestes et évidentes dans l’organisation du mouvement de libération.
Parmi les fondateurs du PKK, il y avait une femme, Sakine Cansız[9], assassinée à Paris et dont le crime n’a pas été élucidé. La présence des femmes dans le mouvement a augmenté progressivement et celles-ci ont formé leur propre organisation au sein du parti.

Avec les changements successifs qui se sont opérés dans le parti, le regroupement des femmes a été la réorganisé et renommé, jusqu’à atteindre la forme organisationnelle que les femmes ont aujourd’hui au sein du PKK (lui-même intégré dans la KCK). Les femmes dans le mouvement de libération kurde qui agit en Turquie s’organisent dans trois organisations féminines : PAJK, le mouvement idéologique des femmes, YJA, le mouvement social des femmes et YJA-Star, la force d’auto-défense des femmes. Ces trois organisations sont coordonnées dans le cadre de l’organisation qui les chapeaute, KJB (le Haut conseil des femmes).
En Iran, le mouvement de libération kurde regroupé autour du PJAK, a sa propre organisation autonome des femmes appelé YRK. Le sexisme institutionnel imposé par les interprétations sexistes de l’Islam, de manière si intense en Iran, rend particulièrement importante la lutte des femmes kurdes en Iran, doublement dominées, comme kurdes et comme femmes.
Les femmes kurdes en Syrie ont également créé leur organisation, l’Union-Star [Yekitiya], liée à la TEV-DEM et au PYD. Cette organisation a été créée en 2005 et a « comme objectif la construction d’une société démocratique et écologique. Son désir est d’abolir les constructions sociales de genre en tant que base de l’inégalité et d’obtenir la libération des femmes des contraintes et de l’injustice ».

En outre, en raison de la forte présence des femmes et de l’importance des questions relatives aux femmes dans les YPG [Unités de Protection du Peuple], la guérilla organisée par les partis kurdes syriens pour l’auto-défense, il a été décidé de créer sa propre section féminine dans ce cadre, les YPJ [Unités de Protection des Femmes].

En dressant un aperçu global du mouvement, nous constatons une grande importance de la question des femmes dans le mouvement, une activité continue contre le sexisme et une énorme présence féminine. Dans la KCK, on trouve un système de co-présidence pour les postes de responsabilité, où l’on retrouve une femme et un homme pour chacun d’eux. Et dans de nombreuses plateformes comme la TEV-DEM et le PYD, les responsables élus sont à 40% de présence masculine, 40% de présence féminine et les 20% restant sont laissés à un choix neutre. Les femmes, aussi bien dans les assemblées des organisations que dans celles des zones libérées où ont été mises en place des assemblées communales, participent en toute indépendance et égalité avec les hommes. Depuis le mouvement, un intense travail est mené dans toute la société pour lutter contre les mentalités patriarcales implantés tant chez les femmes, sous forme de soumission, que chez les hommes, sous forme de domination.
Comme nous le voyons, et il ne peut pas en être autrement dans un mouvement véritablement libérateur, l’importance et la présence des femmes dans le processus révolutionnaire kurde est essentiel et la question de leur libération est aussi fondamentale que la question nationale ou sociale.

ALB.- Le Confédéralisme démocratique a-t-il d’autres sources d’inspiration que l’écologie sociale appliquée au peuple kurde ?

SK.- Tout d’abord, comme nous l’avons déjà indiqué tout au long de l’interview, la première cause de l’émergence du Confédéralisme démocratique a été la capacité d’autocritique et d’analyse des réalités du moment, questions qui ont conduit à l’élaboration d’une idéologie éloignée du paradigme classique de la libération nationale liée à la création d’un État-nation. Ainsi, c’est l’expérience de la lutte, la capacité d’autocritique et les apports théoriques et pratiques des militants du PKK en premier lieu, et des autres mouvements de la KCK ensuite, qui sont la source principale où s’est abreuvé le Confédéralisme démocratique et qui a permis l’émergence de cette proposition de libération du Kurdistan, exemple pour le Moyen-Orient et les peuples du monde.
Une influence, qui est essentielle pour comprendre le Confédéralisme démocratique, est celle de la tradition, de l’histoire et de la culture des Kurdes et du Moyen-Orient ; comme l’a indiqué Öcalan : « La démocratisation n’est pas un phénomène qui apparaît avec la modernité européenne, c’est une préoccupation qui vient de loin. Les tendances démocratiques ont toujours fait partie des sociétés. »
Le Confédéralisme démocratique n’est pas un nouveau paradigme pour la libération, mais découle de l’histoire des peuples en lutte pour leur liberté. Öcalan a signalé l’existence de l’organisation assembléaire des premiers Sumériens, ou la conception de la patrie et l’organisation décentralisée des clans et des tribus, comme exemples historiques et issus de la tradition qui font partie du Confédéralisme démocratique.
Quant aux intellectuels qui ont été identifiés comme importants dans la formation de la pensée du Confédéralisme démocratique, nous avons Immanuel Wallerstein, dont l’analyse du système capitaliste et ses critiques envers le mode d’agir de ce qu’il a appelé les mouvements anti-systémiques (socialistes et nationalistes) ont exercé une influence importante dans l’élaboration de l’analyse et les activités du mouvement de libération kurde. Comme l’a souligné Wallerstein, l’une des grandes erreurs des mouvements anti-systémiques a été celle de « faire de la prise du pouvoir d’État l’axe des activités du mouvement », quelque chose que la KCK a compris et a appliqué à sa stratégie et à ses objectifs. L’analyse de ce sociologue sur le sexisme et le racisme dans le système-monde capitaliste sont des questions d’un grand intérêt et ont pu enrichir la vision de ces problèmes qu’avait le mouvement de libération kurde. L’influence de Wallerstein s’est fait sentir à un point tel qu’il a préfacé un des ouvrages d’Öcalan.

Une autre influence que nous ne pouvons pas oublier est celle du marxisme. Comme nous l’avons déjà noté, cette idéologie constituait le noyau des idées du mouvement à l’époque de sa fondation. Le mouvement de libération kurde n’a pas rompu avec le marxisme, mais plutôt, qu’à partir d’une ouverture de perspective et une autocritique, il a évolué vers le genre de socialisme démocratique incarné par le Confédéralisme démocratique. Dans ‟La révolution industrielle et le socialisme scientifique”[10], Öcalan exprime quelle est sa position sur le marxisme ou socialisme scientifique : « Au lieu de penser le socialisme scientifique comme ayant été vaincu par le capitalisme, il est plus approprié et significatif de le considérer comme ayant besoin d’être achevé, parce qu’il a eu des succès importants à son actif. Ce dont il a besoin est une explication et de mettre un terme à ses défauts. Mes tentatives inclinent dans cette voie. En tous cas, une nouvelle approche critique et plus saine doit être poursuivie. C’est ce que je suis en train d’essayer ».

Au-delà de ce qui a été théoriquement défini par Öcalan, le Confédéralisme démocratique ou communalisme kurde, dans la lutte duquel sont impliqués tant la guérilla qu’une grande partie de la société civile, est enrichi et influencé par des mouvements comme le néo-zapatisme, par des intellectuels comme Foucault , et en général par les lectures féministes, (néo)anarchistes, communistes libertaires, communalistes et les écologistes sociaux comme Ercan , un militant impliqué dans les luttes environnementales et le communalisme kurde tel qu’il le rapporte dans l’interview à Janet Bielh, “Kurdish communalism”[11].
Toutefois, il faut rappeler la pierre angulaire qu’est Öcalan qui a su être un pionnier en son temps pour unir la question nationale kurde et la question sociale, et qui a été capable, le moment venu, de faire une autocritique nécessaire pour avancer vers le Confédéralisme démocratique, en réunissant les diverses influences que nous avons citées, ses idées et ses apports personnels, ceux de la tradition kurde et du mouvement kurde en général.


La VO est : ici

Traduction : XYZ / OCLibertaire

___

Notes

[1] Solidaridad Kurdistán
[2] Gatamaula
[3] PKK
[4] Voir : http://www.agencebretagnepresse.com/fetch.php?id=30901 et http://en.wikipedia.org/wiki/Koma_Civak%C3%AAn_Kurdistan
[5] Urbanization Without Cities : The Rise and Decline of Citizenship, 1996, non traduit en français. Une société à refaire : vers une écologie de la liberté, Montréal, Les éditions Écosociété, 300 p., 1993.
[6] ‟Bookchin, Öcalan, and the Dialectics of Democracy”
[7] PJAK
[8] PYD
[9] Sur Sakine Cansız, on peut consulter : http://en.wikipedia.org/wiki/Sakine_Cans%C4%B1z et aussi : http://www.institutkurde.org/info/justice-pour-les-trois-militantes-kurdes-1232550711.html et encore : http://www.amitieskurdesdebretagne.eu/spip.php?rubrique40
[10] ‟The Industrial Revolution and Scientific Socialism” : ici
[11] Une traduction française de l’interview ‟Kurdish communalism” se trouve ici


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