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B.G.V et autoroutes de la mer : derrière l’alternative, un projet du capital

vendredi 1er juin 2007, par Courant Alternatif

Le projet d’autoroutes maritimes n’est que la partie visible, ici, sur le littoral de la Manche, d’une (ré)organisation globale et permanente de l’espace physique et économique par et pour le capital européen. Le projet de B.G.V s’inscrit dans cette logique de colonisation de l’espace et du temps par la marchandise ; une vrai fausse alternative que nous ne souhaitons pas accompagner avec critique et vigilance mais dénoncer clairement pour ce qu’elle est.


En regard des dernières annonces faites localement, on pourrait douter de la faisabilité de ce projet auquel s’accroche la C.C.I (Chambre de Commerce et d’Industrie) de Boulogne/mer. Les déclarations contradictoires et de dernières minutes opacifient le dessein et sèment le doute. On évoque maintenant une classique liaison transmanche chargée dans un premier temps d’assurer la promotion du B.GV avant son hypothétique accostage... Tout cela laisse songeur, à ce point que, certains envisagent déjà le dossier B.G.V comme une entreprise de captation de fonds publics permettant à quelques financiers de capitaliser une opération finalement bien éloignée du projet initial - une de plus, serions nous tentés d’ajouter... Il est un fait avéré que les projets d’aménagement de grande échelle mettent en circulation des fonds importants. Il est tout aussi vrai que ces mannes juteuses profitent pour une part et à l’échéance d’un parcours souvent sinueux, à de très inattendus bénéficiaires. A titre d’exemple, citons les propos éclairant de ce président de la C.C.I de la ville basque de Pasaia qui, dans la presse et en termes limpides, commentait ainsi un projet d’aménagement portuaire - une recommandation elle aussi de l’Union Européenne : “ Je ne connais pas le contenu du projet, peut -être que le port est nécessaire, peut être pas, mais il sera financièrement intéressant ” (1). Nul besoin d’être devin pour comprendre que l’intérêt en question n’est que celui des sociétés de transport et de l’industrie automobile locale ; l’une comme l’autre appelant de leurs vœux la mise en travaux du chantier. Alors certes, la question du financement est à poser, mais le faire de façon formelle en revient à rester au milieu du chemin, donc à accepter qu’elle garde en elle toutes ses contradictions. S’en tenir au contrôle du “ financement public ”, l’os à ronger des “ citoyennistes ”, ces fidèles un peu borgnes d’un “ État garant de l’intérêt général ” qu’ils opposent au libéralisme (2), oblitère le lien indissociable qui unit État et capital. Cette posture inter-classiste trouve aujourd’hui un écho auprès des étatistes ayant troqué tout projet de rupture avec le capital contre une lénifiante “ défense des services publics ” (3). Ne pas considérer l’Etat et ses finances comme “ l’autre moi-même ” du capital, c’est refuser de voir que ce que l’Etat investit lui revient, intérêts bien compris, dans des délais sans doutes variables mais certains (4). Pour en terminer et quel que soit le crédit que l’on puisse accorder à ce scénario, au demeurant tout à fait concevable, le projet n’en demeure pas moins indispensable à ceux qui le réclament. Par conséquent, poser localement la question du financement : “ qui paiera, dans l’intérêt de qui et pourquoi ” ne saurait soustraire le sens même de ce projet : la circulation de la marchandise à une critique plus large, inscrite celle ci, dans une lutte globale contre le capitalisme.

Du “ Livre blanc ”... au “ Cercle pour l’Optimodalité ”...

Avant tout chose, il peut être utile de rappeler qui décide et comment, des projets d’aménagement du territoire de l’Union Européenne. Périodiquement, des listes de projets prioritaires sont élaborées et publiées sous la forme de “ Livres verts ” et de “ livres blancs ”. Dans le domaine des transports, ces publications repèrent les zones de faiblesses préalablement cartographiées, baptisées “ Chaînon Manquant ” afin de les doter d’infrastructures permettant une circulation toujours plus importante et rapide de la marchandise. C’est ainsi que s’est élaboré au fil des chantiers, un réseau unique, une chaîne logistique baptisée “ TEN - Transeuropean Network ”. Dans le chapitre d’un de ces livres blancs, figure le programme “ Marco Polo ” qui établit le cadre de la réalisation des “ autoroutes maritimes ” à venir. Ce n’est donc pas d’une éminence grise siégeant à la CCI de Boulogne qu’émane l’idée de “ plate-forme multimodal ”, mais de groupes de recherches sous influence pressés d’alléger les contraintes physiques et matérielles d’un secteur qui représente plus de 1000 milliards d’euros, soit 10 % du P.I.B de l’Union(5). Depuis le début des années 80, “ Table Ronde des Industriels-E.RT ” (6) définit et impulse les principaux chantiers. Ce groupe de pression réunit les 45 plus grosses sociétés de l’U.E et travaille à la promotion de ses intérêts propres auprès de la commission européenne. Dans le cadre de réunions privées les membres de l’E.R.T, dont certains furent commissaires européens, rencontrent les plus hauts responsables politiques avec lesquels ils entretiennent une étroite collaboration. De cette manière, l’E.R.T a obtenu de l’U.E l’extension des réseaux d’autoroutes qui permirent le développement jusqu’à saturation du fret routier. Régulièrement, l’E.R.T intervient dans tous les domaines où son influence lui permet d’engager les fameuses “ réformes ” qui la positionneront au mieux sur le marché mondial, puisque là est sa raison d’être. A titre d’exemple, depuis la fin des années 90 elle travaille à casser les systèmes publics de retraite en trouvant des interlocuteurs attentifs, citons entre autre l’homme de gauche italien Romano Prodi, ancien président de la commission européenne. Si depuis quelques temps, l’E.R.T se montre plus discrète, elle n’est pas moins active, elle change juste de façon de faire. Elle a redéployé ses activités sous la forme de groupes paravent qui s’annoncent comme indépendant et interviennent sur des points spécifiques. Dans cet esprit, la création en mars 2007 du “ Cercle pour l’optimodalité en Europe ”, une officine composée des principaux patrons des sociétés de transports, de banques et d’entreprises de constructions (7) s’annonce comme la locomotive du prochain programme. La société “ B.G.V- France ” membre de ce regroupement en publie la charte sur son site (8).

Après le mythe
du progrès voici celui de ... l’alternative !

Annoncée comme une alternative à la route, attendue d’abord dans les zones saturées autour du Golf de Gascogne, l’autoroute de la mer séduit naturellement les collectifs mobilisés contre la logique du tout camion (9). Il faut avouer que le concept est suffisamment flou pour qu’on le présente pour ce qu’il ne sera pas. Nous affirmions dans un précédent texte que les autoroutes maritimes prolongeraient sur mer la circulation à flux tendus de marchandises, que le souci des patrons n’était pas de trouver une alternative “ écologique ” au délire routier mais bien de s’approprier de nouveaux espaces afin d’augmenter les quantités transportées et diminuer les temps d’acheminement. Confirmation a été apportée lors de la signature de la fameuse charte : “ Il semble qu’un vent nouveau ait soufflé. On ne parle plus de mode “ alternatif ” à la route, mais de mode “ complémentaire ” à la route ”. Cette fois, les choses sont dites pour ce qu’elles sont...On sait dorénavant que l’autoroute maritime ne sera qu’un moment et un espace soumis à l’unique règle du temps marchand, un tronçon autoroutier sur mer, qu’à son contact les ports compteront pour des gares de péage supplémentaires. La dynamique du capital repose sur l’accumulation et sa croissance sans limite, alors, envisager ne serait-ce qu’un aménagement partiel de la chaîne qui, au surplus, entrerait en contradiction avec cette logique, relève d’un doux rêve, à fortiori quand “ Il est prévu un doublement du trafic dans tout l’espace européen et un accroissement du transport de marchandises de 300% par rapport à 1990, pour la seule Europe du Sud ” (10). Par contre, il est évident que dans les temps à venir, le pouvoir, État et capital ensemble, sous la pression de nouvelles contraintes liées au réchauffement climatique et à la dilapidation des ressources naturelles, va recourir plus encore à ces formes de la manipulation. Le renversement du discours par le pouvoir n’est pas nouveau ; durant les décennies écoulées, il a vendu le nucléaire pour le progrès, l’automobile pour la liberté et aujourd’hui la “ grande vitesse ” pour l’écologie.

Se positionner clairement et politiquement contre ces projets.

Peu importe alors que les “ Bateaux à Grande Vitesse ” accostent demain à Boulogne / mer ou ailleurs, que dans la valse des subventions, telle enseigne les rafle à son concurrent. Aujourd’hui on ne peut avoir qu’une certitude : les patrons se donneront toujours les moyens nécessaires d’accumuler du capital, si les B.G.V en sont un, les B.G.V circuleront tôt ou tard, ici ou ailleurs. C’est un des traits essentiels de la période, que la nécessité pour le capital de mettre en circulation accélérée la marchandise, c’est donc et d’abord en rapport à la production de ces instruments et infrastructures indispensables à sa reproduction qu’il convient de prendre position. Corollairement à cela, jamais les populations ne sont conviées à se prononcer sur le bien fondé de tels projets, simplement parce que ces projets ne sont pas les leurs. On les mobilisera en recourant systématiquement au chantage à l’emploi, particulièrement efficace dans les zones socialement laminées mais pour des résultats dérisoires et à court terme en comparaison de la demande sociale qui restera, elle, non satisfaite. Systématiquement, les bénéficiaires immédiats se trouvent être les petites mains des chambres économiques, chargées de porter dans les instances régionales et locales ces projets au nom d’un bien commode “ Intérêt général ”. Sur le terrain, les groupes de construction et de B.T.P. accentuent la précarité et la flexibilité profitant au maximum de la mise en concurrence des travailleurs et dont les effets se font rapidement ressentir sur l’ensemble du bassin d’emploi. Les B.G.V seront un des instruments de la longue chaîne d’un modèle productiviste, énergétivore et hiérarchique qui repose sur une articulation faussement schizophrène de la distribution . A ce sujet, constatons qu’à mesure de la destruction/inclusion des productions locales aux normes du marché mondial, de l’augmentation des distances parcourues entre la production et la consommation des marchandises, se développe en contre point, un discours certifiant et labellisant des savoirs-faire dorénavant dissociés de leur communauté de production d’origine le plus souvent préalablement désintégrées sous les coups de boutoir du capital. Le travail demeurant la question centrale, celle sans laquelle on ne peut établir qu’une critique partielle de ces projets, c’est donc en terme de : pour qui, comment, dans quelles conditions sociales et écologiques et pour satisfaire quels besoins voulons nous produire et travailler.

Alors que faire ...

Il est évident que s’il se concrétise, ce programme à l’inverse d’autres en d’autres lieux, ne touchera pas directement la population boulonnaise dans son quotidien. De nombreux projets à grande vitesse - autoroutes, T.G.V, tunnels...- ont rencontré ces dernières années des oppositions fermes de la part des populations. D’importantes luttes, dans différents pays européens et ailleurs se sont parfois terminées par des victoires, il est toujours important de le rappeler. Si ici, la configuration est différente, dans un premier temps une campagne d’information peut être menée à l’échelon local dans le but d’informer, et de débattre largement de ces projets puisque : “ La lutte contre les grandes infrastructures de transport est indissolublement liée à la lutte pour la transformation radicale du modèle économique et social, auquel elles sont nécessaires et dont elles sont la conséquence ” (11)

Xavier, Boulogne / mer le 17/06/07.

(1) in : "El puorto exterior de pasaia" : Otro proyecto gigantesco e innecesario.
(2) Des citoyennistes qui, soit dit au passage, sont le plus souvent liés d’une manière ou d’une autre au fonctionnement de cet État et trouvent en son sein des intérêts très “ particuliers ” ; que ce soit en terme de carrière professionnelle ou de représentation politique, parfois les deux à la fois...
(3) Un horizon mystifié et borné par l’Etat, héritage du compromis fordiste de l’après guerre ; autant dire en référence à un temps très court de l’histoire du capitalisme.
(4) L’Etat et le capital : l’exemple français. Tom Thomas. éd L’Albatroz.
(5) http://europa.eu/scadplus/
leg/fr/lvb/l24007.htm - révisé ensuite : Révision du Livre blanc sur les transports : http://www.europe-international.equ...
(6) E.R.T : lire in : “ Chronique internationale ” de l’IRES n° 72-septembre 2001.Etienne Davignon l’actuel président de l’E.R.T fut vice-président de la commission européenne de 1981 à 1985. Président de la Société générale de Belgique, Union Minière. Vice président dAccor, Arbed, Tractebel, Fortis Belgique, membre du conseil de surveillance de Anglo American Mining, Gilead, ICI, Pechiney, Foamex, Kissinger Associates, Fiat, Suez, BASF, Solvay, Sofina, Recticel, CMB.Membre du directoire du think tank Centre for European Policy Studies.[1] Ainsi que Président de Les Amis de l’Europe/Friends of Europe, un proéminent think tank.
(7) : Pour les banques : Dexia, CDC, HSBC... ; les constructeurs : Alstom, Eiffage, Lohr Les transporteurs : CMA-CGM, Fedex, Ports Maritimes, SNCF
(8) : http://www.hsc-bgv.com/IMG / pdf/COE_Mars_2007.pdf.
(9) Association Contre le Tunnel Inutile dans les Vallées d’Ailleurs et du Lavedan - ACTIVAL se réfère aux autoroutes de la mer qu’elle propose en remplacement d’un nouveau tunnel pyrénéen. : http://www.actival.org/-Le- Cabotage- .html
(10) Transport et capitalisme mis en question. in “
http://www.mrafundazioa-alda.org/ar... ”.
(11) ibd.

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4 Messages

  • Ne t’inquiète pas quant à la réalisation de ce projet. Ayant évolué 7 mois au sein de BGV France, je peux te dire que leur entreprise ne fait que capter des subventions (fonds européeens et fiancements privés - type Véolia transport ou Transmediterranea Espagne) à des fins privées. Il en est de même à La Ciotat (BGV Innovation). Les patrons de ces deux entités sont de vrais guignols, qui utilisent une forme de vitrine pour capter des fonds ... et c’est tout. L’activité d’ingénérie (horaires de vacanciers !), les éudes de business plan de tout projet industriel digne de ce nom en sont à quelques menus balutiements. J’ai du quitter une entrprise qui me semblait gérer comme un casino niçois ... G.Glonard
    P.S : si tu as besoin de plus d’infos. je me ferai un plaisir de t’en fournir ...

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    • N’y aurait-il pas moyen de mettre ces guignols au placard ?
      Et de leur faire rendre les fruits de leur arnaque ...
      Yannick

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    • Ne t’inquiète pas quant à la réalisation de ce projet. Ayant évolué 7 mois au sein de BGV France, je peux te dire que leur entreprise ne fait que capter des subventions (fonds européeens et financements privés - type Véolia transport ou Transmediterranea Espagne / Exaa banque ...) à des fins personnelles. Il en est de même à La Ciotat (BGV Innovation). Les patrons de ces deux entités sont de vrais guignols, qui utilisent une forme de vitrine pour capter des fonds ... et c’est tout. L’activité d’ingénérie (horaires de vacanciers !), les éudes de business plan de tout projet industriel digne de ce nom n’en sont qu’à quelques menus balutiements. J’ai du quitter une entrprise qui me semblait gérée comme un casino niçois ... G.Lonard
      P.S : si tu as besoin de plus d’infos. je me ferai un plaisir de t’en fournir ...

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