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CA 226 janvier 2013. Articles en ligne

La politique africaine de Hollande : un trompe l’œil.. jusqu’à quand ?

lundi 21 janvier 2013, par Courant Alternatif


La politique africaine de Hollande : un trompe l'œil.. jusqu'à quand ?

Cela fait plus de six mois que les socialistes et leurs alliés verts se sont installés dans leurs fauteuils ministériels. Parmi les promesses affichées de politiques différentes par rapport à celle menée par la droite figurait celle d’une remise à plat des relations franco-africaines. Or, en dépit de quelques déclarations et de quelques gestes symboliques, on ne peut que constater que rien de décisif ne semble devoir changer dans cette politique.

La fin de la Françafrique, une histoire qui bégaie...

Pour ceux qui l’auraient oublié, les discours de « rupture » avec la politique françafricaine n’ont rien d’inédit. Cela fait à peu près 30 ans que les nouveaux promus au pouvoir en France ont tenu de tels propos. Ce fut d’abord avec Jean Pierre Cot au ministère de la Coopération et du Développement après la victoire de la gauche en mais 1981 qui avait dû démissionner en décembre 1982 pour avoir tenté de faire de ce ministère néocolonial, autre chose qu’un des piliers du « pré carré » de la France en Afrique ( à une époque où le terme de Françafrique n’était pas encore utilisé). Plus près de nous, en août 2007, peu après l’arrivée de Sarkozy qui avait affirmé sa volonté de « rupture » avec « les réseaux d’un autre temps », on a encore en mémoire l’épisode tragicomique de l’éjection de Bockel du secrétariat d’Etat à la Coopération après avoir prétendu proclamer « l’acte de décès de la Françafrique ». Même le gouvernement Jospin arrivé au pouvoir en 1997 n’a rien fait de plus que des réformes de détail comme celle d’un système de coopération en plein déclin dans les années 1990 ou encore la réduction de la présence militaire avec la fermeture de deux bases en Centrafrique tandis que des socialistes comme Quilès, à la tête de la commission d’information sur le Rwanda en 1998, n’ont eu de cesse de faire l’impasse sur les complicités françaises dans le génocide des Tutsis.

Des promesses de rupture
à géométrie variable...

Dans les mois qui ont précédé l’élection de Hollande, on a pu lire un certain nombre de contributions de la part d’ « experts » du PS sur la question de la politique africaine à venir. Parmi les points de rupture annoncés avec le système françafricain, on trouvait notamment certaines questions-clés : celle de la présence militaire permanente (avec le maintien des bases françaises en Afrique ou encore du dispositif Epervier au Tchad en place depuis 1986), celle de la zone franc (qui implique un système de changes fixe et un renoncement à la souveraineté monétaire pour les Etats africains) ou encore celle du montant et du contenu de l’aide publique au développement.
Durant la campagne présidentielle, c’est Koffi Yamgnane qui était chargé de porter ce discours de rupture. Il annonçait le programme suivant après l’election de mai 2012 :
« Faire un bilan sans complaisance des 50 ans de relations ambiguës, illustrées par la Françafrique ; lancer une opération vérité sur la politique de l’aide publique française au développement ; refonder les relations avec l’Afrique sur des bases saines (…) ; prendre en compte l’impératif démocratique sur le continent ; participer au renforcement de le sécurité collective en Afrique même si la définition de l’architecture de défense du continent revient d’abord aux organisations régionales et sous-régionales africaines. » De son côté, le candidat du PS avait annoncé le 11 mars devant la presse qu’il mettrait en oeuvre « une coopération débarrassée des formes anciennes héritées de la période post-coloniale ».
On peut déjà noter que ces différentes prises de position ont surtout visé à se démarquer de la gestion de l’héritage françafricain de Sarkozy et qu’elles restaient dans le flou quand il s’agissait de définir les contours précis d’une autre politique.

Des gestes symboliques qui n’ont pas été
jusqu’au bout...

Après l’élection de Hollande, le premier chef d’Etat africain reçu a été Yayi Boni à la tête du Bénin qui préside aussi l’Union africaine. Contrastant avec les discours de campagne du PS de rupture avec la Françafrique, Hollande s’est contenté de plaider pour la « bonne gouvernance, la croissance et du développement économique et de la stabilité et la sécurité ».
Par ailleurs, si la réception de Yayi Boni est apparue conforme aux promesses de campagne de ne plus recevoir à l’Elysée de dictateurs françafricains ou de leur rendre visite, on a vu par la suite ce que valait cette promesse avec la réception d’Ali Bongo à l’Elysée le 5 juillet.
Ensuite, au mois d’octobre, le premier voyage africain de Hollande semble avoir été conçu pour redonner une certaine crédibilité à ce souci de se démarquer de la gestion françafricaine de ses prédecesseurs. Il a choisi de s’arrêter à Dakar avant de se rendre au sommet de la francophonie à Kinshasa. Cette première escale a permis de rendre hommage à un « pays-modèle » pour avoir réussi pour la deuxième fois une « alternance démocratique », d’évoquer le passé colonial de la France avec la promesse d’ouvrir les archives concernant le massacre de Thiaroye et surtout de prendre le contrepied du fameux discours de Dakar de Sarkozy en 2007.
A Kinshasa où il s’est rendu le 13 octobre pour le sommet de la francophonie, Hollande a aussi reçu le leader historique de l’opposition Etienne Tshisekedi et a rendu hommage à la mémoire de Floribert Chebeya, un militant des droits de l’Homme, assassiné par les sécurocrates du régime de Kabila.
Mais cette mise en scène sur l’engagement en faveur des droits de l’Homme en Afrique a montré ses limites début décembre lorsque Hollande, après quelques tergiversations, a finalement reçu très officiellement Idriss Deby dont le pouvoir s’est caractérisé depuis plus de deux décennies, par des violations répétées des droits de l’Homme comme en témoigne l’enlèvement et la disparition en 2008 de Ibni Oumar Mahatma Saleh par les hommes de sa garde présidentielle.
Cette politique du « deux poids, deux mesures », apparaît encore plus nettement dans l’attitude du ministre des Affaires étrangères, Fabius, qui lors de son premier voyage en Afrique à la fin du mois de juillet s’est d’abord rendu au Sénégal où il a même rencontré le collectif "Y’en a marre" qui a été le fer de lance de la contestation contre l’ancien président Wade, pour ensuite aller légitimer deux dictateurs françafricains, Blaise Compaoré du Burkina Faso et Idriss Deby du Tchad.
Dans sa suite, il a même entraîné dans ce voyage François Loncle un parlementaire socialiste « ami » du régime Compaoré, et Pascal Canfin le ministre « vert » délégué au Développement. Ce dernier restera-t-il plus longtemps que ces prédécesseurs, Cot et Bockel, ou préférera-t-il démissionner plutôt que d’avaler d’autres couleuvres françafricaines. En attendant, alors qu’il annonce une aide publique au développement « plus transparente » et « plus efficace », on peut remarquer que le budget de son ministère est en baisse relative et que le niveau de l’APD devrait atteindre pour 2015 seulement 0,48% du PIB soit bien en dessous du seuil de 0,7%, le seuil fixé en 1992 au sommet de Rio (source : Oxfam-France).

UNE RELATION
FONDAMENTALEMENT
INCHANGÉE ET DE MOINS
EN MOINS OPÉRATOIRE

Ce qui se dessine au delà de quelques gestes et propos symboliques encore contradictoires, notamment concernant le passé colonial de la France (comme on a pu le voir avec l’épisode récent de la visite de Hollande en Algérie), c’est encore une fois, un maintien du statu quo, faute d’une réelle volonté de rupture qui passerait notamment pour les socialistes par une remise en cause de la figure tutélaire de Mitterrand qui porte une lourde responsabilité dans la perpétuation de ce système françafricain et de ses pires conséquences comme la complicité avec les génocidaires hutus du Rwanda en 1994. En outre, on peut voir que cette reconnaissance (relative) du passé colonial semble toujours lié à un certain rapport de force international et aux arrières-pensées de la « diplomatie économique » (un euphémisme pour ne pas dire « au service de grandes entreprises françaises »). Pour le reste, les Africains qui font la queue pour un visa au guichet des consulats français ne se font sans doute guère d’illusion sur ce changement de personnel politique à la tête de l’Etat français.
Or, ce système de relations franco-africaines est durablement en crise. On le perçoit sur le plan économique avec la concurrence de pays émergents qui pénétrent les marchés et investissent progressivement dans les pays de la zone franc malgré la présence toujours essentielle de grandes firmes françaises notamment dans le secteur des infrastructures (Bolloré, Eiffage, Orange etc.).
On le constate encore plus ouvertement avec les crises politico-militaires qui secouent le « pré carré » francophone : en Centrafrique, en Côte d’Ivoire et surtout au Mali. La France est intervenue directement en Côte d’Ivoire en 2010 pour imposer à coups de canon un « vainqueur » aux élections mais on voit que deux ans plus tard, la situation est loin de s’être normalisée. Au Mali, la reconquête du Nord par une opération militaire menée par des forces de la CEDEAO appuyée par la France est renvoyée de plus en plus aux calendes grecques. Une telle difficulté à intervenir s’explique par la réticence de certains Etats voisins comme l’Algérie mais signale aussi la nature profonde du dispositif militaire français en Afrique : servir à maintenir au pouvoir (ou à renverser) des chefs d’Etats africains plutôt qu’à venir au secours de populations africaines tombés sous la coupe de quelques centaines de combattants islamistes...

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