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Elections 2007 : La victoire de la bourgeoisie

vendredi 1er juin 2007, par Courant Alternatif

“ Si les élections servaient à quelque chose, elles seraient interdites ” peut-on lire sur des affiches anti-électoralistes (anarchistes) collées ici ou là au gré des campagnes électorales.
Or, si elles perdurent et sont régulièrement mises en spectacle par la bourgeoisie, c’est que cette dernière y trouve une nécessaire utilité.


LA PEUR ET
LE MOINS PIRE.

La présidentielle de 2007 (comme les précédentes) démontre à quel point la bourgeoisie à besoin de cet outil contre la classe ouvrière. Outil d’intégration, d’aliénation de ses valeurs dans le cadre d’une démocratie bourgeoise et parlementaire au service du capital.

Les différents clans de la bourgeoisie qui s’affrontaient dans la joute électorale de Mai 2007 ont pu se réjouir de son succès démocratique par la participation électorale. Celle-ci a dépassé leurs espérances au regard des derniers scrutins qui avaient été plus ou moins désertés. Le taux de participation a atteint des records de civisme citoyen. Il rejoint presque celui de 1965 : année de l’instauration du suffrage universel pour une présidentielle. Cette élection lui sert de faire valoir pour son système démocratique. Auto-célébration, c’est un plébiscite qui rassure tous les partis (vainqueurs et vaincus), au delà de leur différents et de leurs différences idéologiques.

C’est Mitterrand qui en son temps, avait favorisé l’ascension électorale et politique de Le Pen et du front national dans les années 1980/90. Ce président socialiste et sa cour lui permettront même par l’instauration d’une dose de proportionnelle aux législatives d’obtenir et de constituer un groupe de députés à l’assemblée nationale. Ainsi pendant que les anti-fascistes gesticulaient dans la rue, la bourgeoisie de gauche qu’ils avaient électoralement soutenue en 1981 contre Giscard “ pour le moins pire ”, instrumentalisait le front national afin d’affaiblir la droite chiraquienne, de lui mettre un peu plus les bâtons dans les roues et de freiner son retour au pouvoir.

Aux élections de 2002, après cinq années de cohabitation, de gestion de gauche plurielle, Jospin affronte Chirac. Il est éliminé dès le premier tour. Pour le triomphe de la démocratie et la sauvegarde des valeurs de la république, la gauche, les altermondialistes et les anticapitalistes appellent à voter Chirac. Le taux de participation sera de plus de 80%. Cette forte mobilisation devait barrer la route au candidat Le Pen et à l’extrême droite. La diabolisation de l’épouvantail Le Pen avait permis une “ union sacrée ”, y compris avec des franges anarchisantes, autour du candidat le moins pire de la bourgeoisie : J. Chirac. Rappelons à tous ceux qui participèrent à cette union sacrée que, dans ce moindre mal se tenait déjà en coulisse N. Sarkozy, qui deviendra plus tard ministre de l’économie peu de temps, puis ministre de l’intérieur.
Chirac élu, ce sera cinq années de “ moins pire ”, pendant lesquelles les attaques contre les travailleurs n’ont cessé d’être portées. Régimes des retraites mis à mal. Protection sociale et santé dégradée. Dérèglement du code du travail. Précarités et répressions policières. Chasse et expulsions d’ immigrés etc.

Ce n’est pas nouveau dans l’histoire, de voir la social-démocratie et des révolutionnaires, y compris anarchistes, servir de marche-pieds aux forces réactionnaires de droite, pour sauver la démocratie, en enrôlant les travailleurs derrière la bourgeoisie dans une union sacrée. Historiquement, la social-démocratie s’est toujours rangée dans le camp du capital contre les travailleurs et l’émancipation de la classe ouvrière

LES ELECTIONS :
UN AFFRONTEMENT entre FRACTIONS
BOURGEOISES.

La mondialisation de l’économie entraîne une guerre sans merci : rachats, fusions, démantèlements, délocalisations… Subsister, s’implanter et dominer sans partage le marché économique au mépris de toute vie humaine et de son lot de misères infligées aux travailleurs. Dans cette guerre permanente, les patrons sans états d’âme rognent toujours plus sur les marges sociales pour dégager encore plus de plus values et de bénéfices pour leurs actionnaires insatiables.

Les élections sont un moment d’affrontement entre fractions bourgeoises pour la prise de pouvoir politique et la gestion du capital national.
Les élections qui viennent de s’achever n’échappent pas à cette règle. La social-démocratie de droite ou de gauche, a eu son temps de gestion du capital. C’est sous l’ère Mitterrandienne et les gouvernements de gauche plurielle (PS, PC, Verts) que le chômage à pris son essor, qu’ont vu le jour les grands plans de licenciements, ou la mise en place des 35 heures avec une généralisation de la flexibilité. C’est avec son livre blanc sur les retraites que Rocard ouvre la voie pour les gouvernements Juppé, Raffarin, de Villepin. C’est toujours sous ce règne qu’apparaît la CSG (contribution Sociale Généralisée). C’est même un ministre communiste qui instaura le forfait hospitalier etc. Avec la cohabitation chiraquienne, sont prises les mesures contre les chômeurs, les multiples stages parkings et les “ économies ” contre les dépenses de santé, pour compenser le fameux et fumeux trou de la sécu. Jamais il n’y eu autant de privatisations que sous le gouvernement Jospin. “ L’état ne peut pas tout ” dira-t-il lors de la fermeture d’une usine Renault en Belgique. La politique amorcée par la gauche va allègrement continuer sous les présidences Chirac et les coups portés contre les travailleurs se multiplier.

La crise et la guerre économique s’accentuant, patrons du CAC 40 et actionnaires, pour des besoins de compétitivité et de profits ne veulent plus payer la paix sociale qui permettait aux sociaux libéraux de gérer le capital national. Face à cette fraction de la bourgeoisie sociale, une fraction néo libérale se restructurera dans l’UMP puis, se dynamisera autour de N. Sarkozy, pour se hisser au pouvoir. Cette fraction néo et ultra se débarrasse aussi des ses éléments sociaux, héritiers d’un humanisme social et chrétien, incarné par F. Bayrou., suivi par quelques députés et 18% d’électeurs majoritairement de droite. C’est le changement, la rupture annoncée. Dans ses discours, par son langage et ses mots d’ordre, l’UMP annonce sans ambiguïté se mettre au service du capital et des patrons du CAC 40. Durant la campagne électorale, elle tient un discours de classe défendant ses intérêts à savoir ceux du patronat : Travail, Famille, Patrie. Ces néo libéraux rompent les tabous et transgressent les valeurs en cours : Fierté, nationalisme… Ils ne s’embarrasseront pas à payer une paix sociale. Ils sont pour l’Ordre avec la répression et l’enfermement nécessaire. La brutalité du langage sarkosien ne s’encombre plus des discours sociaux mystifiants. Les deux prétendants à l’investiture suprême rivalisent sur le même programme politique d’agression contre le monde du travail. Direct et sans états d’âme pour le libéral Sarkozy, nuancé et emprunt d’humanisme social pour Royal obligée de composer avec le PS et son électorat traditionnel. C’est d’ailleurs naturellement qu’elle reprendra les mêmes thèmes et valeurs. Seul leur mode d’accompagnement dans la gestion les différencieront.
Ce peu de différence a été illustré par le ralliement, sans complexe, à N. Sarkozy d’intellectuels, d’artistes, de politiciens, de managers etc., socialisants des années Mitterand

Est-ce étonnant ? Dès les années 1980, on nous annonce la fin de l’Histoire, et la rupture avec le “ communisme ” puis c’est l’attaque contre “ l’idéologie marxiste ” dénoncés par des ex gauchistes souvent issus du maoïsme. On assiste ensuite à l’apparition de multiples cercles, et fondations (dont la célèbre Saint Simon). C’est dans ces hauts lieux du politiquement correct que se retrouvaient pour “ échanger ” : des patrons, des politiques, des syndicalistes ainsi que des personnalités du monde économiques, et culturelles de droite comme de gauche. C’est de ces creusets que sortira le prêt à penser du néo libéralisme français accompagné par la vague anglo-saxonne. Idéologie néo libérale qui se répandra et contaminera l’ensemble des partis politiques ayant côtoyé les rouages de l’état ainsi que les confédérations syndicales.

DE L’EPOUVANTAIL
LE PEN A LA DIABOLISATION
DE SARKOZY.

En 2002, la gauche était balayée du second tour électoral par ceux et celles qui avaient mal voté, éliminant par leurs mauvais choix le candidat de gauche de la finale de la présidentielle. En 2007, incertain de sa victoire, le PS utilise la culpabilisation Ce sera le battage pour le vote utile dès le premier tour. Puis, rejoint par les autres candidats de gauche, ils instrumentaliseront le sentiment légitime de peur et de rejet que suscite Sarkozy. Suite à ses propos sur la racaille et le karcher dans les banlieues et aux émeutes qui s’en suivirent, la gauche envoie ses sergents recruteurs quadriller les quartiers : artistes, sportifs, associatifs etc pour inciter à s’inscrire sur les listes électorales et à voter pour elle comme force de proposition et solution alternative. Ainsi, ce sera trois millions de nouveaux électeurs en grande majorité des jeunes qui auront répondu aux sirènes électorales. Bien sûr, le défenseur avoué du programme du patronat avec démagogie et des accents populistes pour flatter l’électorat de la France d’en bas, celle qui se lève tôt, le candidat Sarkozy imbu de sa personne, autoritaire, arrogant… bref antipathique à loisir se prêtait à cette diabolisation du mal, du pire face à la colombe de gauche. D’où l’usage à gauche : du PS à l’extrême gauche notamment lors du second tour, du mot d’ordre fédérateur “ tout sauf Sarkozy ”. Cette utilisation du candidat de droite masquait le peu de différence programmatique. Car il n’était nullement question de personnalité, d’individu à éliminer mais d’une logique impliquée par le système. D’une représentation mise en scène par la bourgeoisie afin de s’aliéner les travailleurs pour qu’ils en fassent leur enjeu. Quel que soit son (sa) porte-parole, la fraction bourgeoise qui arrive au pouvoir démocratiquement, répond aux besoins du moment pour le capital. Certes les travailleurs ont à craindre la politique brutale qui sera menée par le nouveau gouvernement, à redouter sa précipitation à mettre en œuvre les mesures antisociales, contenues dans les réformes, dont le patronat a besoin et qui ont trop traîné à être mises en place. Mais, En force ou en douceur, avec la droite ou avec la gauche, la bourgeoisie n’a qu’un seul programme : baisser le coût du travail, augmenter les profits pour les patrons et les actionnaires au seul détriment des travailleurs.


L’UNION SACREE.

Dans cette bataille électorale, la bourgeoisie n’a eu de cesse d’illusionner les travailleurs afin qu’ils se rangent derrière l’une ou l’autre bannière. Elle distillait ses poisons idéologiques : Travail, Ordre, Démocratie, République, Civisme, Citoyens…afin qu’ils oublient leur origine de classe et leurs intérêts. D’où la campagne pour s’inscrire massivement sur les listes électorales suivie de celle du vote utile. Chacune des fractions se devait d’enrôler l’électorat populaire pour une union sacrée bourgeois/ prolétaire, patron/ salarié contre l’autre camp. Une rhétorique différenciée pour un même programme anti-ouvrier. Vive la démocratie bourgeoise et sa possibilité d’alternance par le bulletin de vote.
Il n’est donc pas étonnant que tous aient, le soir du premier tour électoral, célébré le civisme des français et des françaises au vu du taux de participation et la belle victoire de la démocratie.

Pour intégrer les exploités dans ses rangs, la bourgeoisie avait besoin que chacun de ses représentants y participent. Alters, radicaux et 100% a gauche surent y répondre. Qui mieux que ces supplétifs pouvaient, avec succès, séduire les jeunes et les enrôler pour les deux tours électoraux ? Après leur premier tour, en ordre dispersé antilibéraux et anticapitalistes se rangèrent derrière les héraults du second tour. Bien entendu c’est la gauche qui en a bénéficié le plus. L’union sacrée autour de sa candidate avait pris corps, après la menace médiatique de F. Hollande de ne pas leur accorder de signatures, lors des inscriptions à la candidature. Les J. Bové, les M-G. Buffet etc, surent mettre leurs critiques d’avant le 22 Avril contre cette “ gauche du renoncement ” dans leurs poches pour soutenir la candidate du PS.

M-G. Buffet invite : “ Sans hésitation… tous les hommes et toutes les femmes de gauche, toutes et tous les démocrates à voter et faire voter le 6 Mai pour Ségolène Royal ”. Un peu plus 100% à gauche, le radical O. Besancenot appellera lui à voter contre Sarkozy : “ Le 6 Mai, nous serons du côté de ceux et celles qui veulent empêcher N. Sarkozy d’accéder à la présidence. ” Malgré sa rhétorique, et les contorsions dialectiques de son organisation, comme il ne s’agit ni de voter blanc, ni de s’abstenir, voter contre l’un revient à porter le bulletin de soutien à la candidate du PS. Après la peur, on soutient la moins pire. Déjà en 2002 pour barrer la route à Le Pen ils avaient ainsi fait le lit de Chirac et en 1981, ils appelaient à voter Mitterand pour “ chasser ” Giscard.
Si O. Besancenot a la délicatesse de ne pas citer la madone du PS, de son côté, A. Laguiller dont c’est la dernière prestation au nom de “ lutte ouvrière ”, n’hésitera pas une seconde à enrôler l’électorat populaire derrière la fraction de gauche de la bourgeoisie : “ Je souhaite de tout mon cœur que Sarkozy soit battu. Je voterai donc pour Ségolène Royal. J’appelle tous les électeurs à en faire autant… sans réserve mais sans illusion. ” D’ailleurs, quelques jours plus tard, S. Royal saura lui rendre un hommage lors d’un meeting.

En 1981 : “ Le 19 Mai, tous les travailleurs doivent voter Mitterand ”. En 1974 : “ le 10 Mai, sans illusion mais sans réserve votons Mitterand ”. Sans doute est-ce cela “ être dans le camp des travailleurs ” comme le précisait les affiches électorales de “ Lutte ouvrière ” en 2007. Simple tactique politicienne de la part de ces deux organisations “ révolutionnaires ” ? Vieille habitude réformiste ou, opportunisme pour ne pas se couper de leur électorat ?

En célébrant la victoire de la démocratie, la bourgeoisie divisée pour cette joute, peut se féliciter d’avoir gagné les élections contre la classe ouvrière. La droite néo libérale a gagné le pouvoir mais la gauche en sort renforcée institutionnellement grâce aux soutiens des alters mondialistes et des anticapitalistes. Absents du terrain politique et social de ces dernières années, les sociaux-libéraux du PS, et autres sont redevenus législativement l’opposition institutionnelle nécessaire au capital. Ils renforcent ainsi l’illusion d’une force qui saura défendre les intérêts des travailleurs et des exploités pour mieux en canaliser les révoltes.
Les différences qui séparent ces fractions et partis bourgeois s’estompent toujours dans une union nationale qui se retourne alors contre les travailleurs et les exploités pour peu que ceux-ci aient des velléités d’émancipation sociale et politique autonome.

Cet enrôlement électoral à servi à isoler les salariés de leur conscience collective de classe pour ne devenir que de simples “ citoyens ” Une illusion entretenue par la bourgeoisie pour faire croire que le bulletin de vote permet de sanctionner les sortants et d’aller vers une alternative politique or il n’en est rien. Le système électoral sert les intérêts du capital avant tout. Celui-ci s’accommode fort bien de changements de personnels politiques qui le gèrent dans la mesure où, soit par alternance démocratique soit par des méthodes plus musclées, son système perdure.
C’est parce que la démocratie bourgeoise sert encore ses intérêts que le capital n’a pas encore interdit les élections.

MZ Caen le 25 06 2007.

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