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Portugal

Mobilisation contre l’austérité : Quand on a perdu tout espoir et toute patience…

lundi 3 décembre 2012, par Courant Alternatif


Portugal

Mobilisation contre l’austérité :
Quand on a perdu tout espoir
et toute patience…

J’ai appris le 12 novembre le voyage au Portugal d’Angela Merkel, non pour aller regarder les eaux du Tage ou écouter du fado dans un des quartiers chaque fois moins populaires de Lisbonne – ce qui en soi n’aurait pas plus de conséquences que la visite d’une quelconque vedette en pareilles circonstances – non, elle y est allée pour distribuer des bons et des mauvais points aux politicards impliqués dans la « mise à mort » d’une partie du peuple portugais.

Ces politicards à qui la chancelière fédérale allemande a rendu visite sont aux aguets, et, pour eux, les bains de foule et le serrage de mains commencent à n’être plus qu’un lointain souvenir. Par les temps qui courent, leur grande préoccupation c’est aussi leur propre sécurité – éviter de se faire écrabouiller par la colère de plus en plus vive du peuple qu’ils disent gouverner.
Comment s’étonner, en tout cas, que des sentiments et propos antiallemands, encore isolés, se fassent jour au Portugal ? Ils sont souvent un mélange de très mauvais goût de patriotisme et de souverainisme, et on les entend particulièrement dans la bouche de certains dirigeants du Parti communiste – il suffit de lire le discours de Jeronimo de Sousa, son secrétaire général, à la fête du Parti pour s’en apercevoir : des formules comme « politique patriotique » ou « gouvernement patriotique » reviennent à plusieurs reprises. Mais si on prête plutôt l’oreille au commun des mortels, les commentaires sont l’expression d’un tout autre sentiment, et imprégnés d’une naïveté certaine – comme de penser que la dirigeante allemande, avec sa rigidité de comportement, pourrait avoir un rôle d’éducatrice auprès des dirigeants locaux, que la population ne considère plus que comme des voleurs – un terme parfaitement adapté aux détenteurs du pouvoir actuel mais aussi à ceux qui l’ont détenu hier.

Petit historique
de l’austérité portugaise…

Les premières mesures d’austérité (après coup, on peut presque les considérer comme un apéritif léger) ont été annoncées et mises en application au Portugal en mai 2010. A cette époque où le Parti socialiste est au pouvoir avec son premier ministre José Socrates, il s’agit d’une augmentation de la TVA à tous ses échelons (le plus élevé passant de 20 % à 21 %). En même temps est approuvée une augmentation de l’impôt sur le revenu de 1 % pour les tranches inférieures et de 1,5 % pour les autres, ainsi qu’une surtaxe de 1,5 % pour les entreprises les plus bénéficiaires. Passos Coelho, alors dans l’opposition et aujourd’hui Premier ministre, après avoir voté pour ces mesures de rigueur, s’adresse aux Portugais pour leur présenter des excuses.
Tout ça n’a évidemment pas suffi (et je pense ici aux mesures prônées en France par M. Gallois !) : en septembre de la même année, M. Socrates, qui a très peu d’un philosophe grec, revient à la charge et annonce une réduction des salaires des fonctionnaires publics de 5 % et l’augmentation de la TVA à 23 % ; à ce point de notre dramatique histoire, aucun écho de pleurs ou de quelque excuse de la part de M. Passos Coelho : les mesures sont approuvées, et rien n’est réglé. Il faut qu’une majorité de Portugais n’ayant pas particulièrement bénéficié des largesses du régime vomissent ce qu’ils n’ont pas mangé !

En mars 2011, notre Socrates socialiste démissionne et des élections législatives sont programmées pour le 5 juin 2011. En sortent vainqueurs les partis PSD et CDS, qui forment une coalition : le Parti social-démocrate (PSD), avec 108 députés, et le Centre démocratique et social - Parti populaire (CDS-PP, composé de démocrates-chrétiens et de nostalgiques de la monarchie), avec 24 députés, dans une Assemblée composée au total de 230 sièges. Et celui qui est nommé Premier ministre n’est évidemment autre que Passos Coelho – précisément cet homme qui, un jour, a demandé des excuses pour la dureté des mesures approuvées. Mais que croyez-vous qu’il arrive alors ? De l’austérité, pardi ! Toujours de l’austérité. Le 30 juin, notre homme annonce au pays la suppression de la moitié de la prime accordée au moment des fêtes de Noël, et prétend justifier ce fait par l’état déplorable des comptes publics. Et cela suffit-il ? Bien sûr que non, les limites de l’austérité sont impénétrables !

Le 13 octobre 2011, pendant une quinzaine de minutes, de nouvelles mesures sont présentées aux Portugais : pour les fonctionnaires publics et retraités qui touchent 1 100 euros et plus, sont carrément et immédiatement supprimées les primes correspondant à leurs 13e et 14e mois ; pour ceux qui touchent entre 600 et 1 100 euros, la déduction est progressive et entrera en vigueur au cours des années 2012, 2013 et 2014. Il semble que le tribunal constitutionnel considère ces mesures comme inconstitutionnelles, mais il les maintient pour des raisons budgétaires en ce qui concerne 2012. Ici, nous devons tenir compte du fait que le salaire minimum des Portugais est actuellement de 485 euros : l’ajout d’une somme équivalant à deux mois de salaire supplémentaires ne fait donc pas vraiment d’eux des privilégiés, comme certains l’insinuent…

Toujours à cette même occasion sont également annoncées, pour satisfaire les exigences de la « troïka », l’obligation de travailler une demi-heure de plus chaque jour dans le secteur privé et la suppression de quatre jours fériés (deux d’entre eux étant religieux, il a fallu l’accord du Vatican), ainsi qu’une nouvelle augmentation de la TVA pour certains produits ou services se trouvant dans une échelle intermédiaire.
Toutes ces mesures déclenchent évidemment plusieurs grosses manifestations à Lisbonne, où travailleurs et employés originaires de plusieurs points du pays se donnent rendez-vous pour ce faire, mais cela n’ébranle apparemment pas les certitudes d’un pouvoir et d’une clique qui semblent voir dans l’application de cette rigueur la raison de sa propre survie.

…et « solutions » actuelles à la Crise

Et voici maintenant les mesures qui vont provoquer la plus grosse manifestation que le Portugal ait connue depuis mai 1974, peu après la révolution dite des « œillets » : le 7 septembre dernier, le gouvernement préconise un changement radical dans la taxe sociale unique (1). Cette TSU est le pourcentage de charges figurant sur un bulletin de salaire : la part des travailleurs est alors de 11 % et celle du patronat de 23,75 %, l’idée des dirigeants est de faire grimper celle des travailleurs à 18 % et d’abaisser celle des patrons à 18 %. Une idée, je pense, qui visait à améliorer la compétitivité des entreprises, et par la même occasion à grappiller encore quelques sous.
Le 15 septembre, à l’appel d’une trentaine de personnalités de la société civile qui accusent l’Etat de promouvoir le chômage, la précarité et l’inégalité, des manifestations ont lieu dans un nombre considérable de villes au Portugal, et même devant quelques consulats et ambassades à l’étranger. On estime qu’elles ont réuni plus d’un million de manifestants, ce qui fait environ 10 % de la population. Le slogan choisi était « Que la troïka dégage, nous voulons récupérer le contrôle de nos vies » – un message bien gentil comparé à ce que j’ai vu sur beaucoup de pancartes, où les insultes les plus crues à l’égard des politiques en général reflétaient le degré de colère. Pour nos innommables dirigeants habitués à plus de retenue de la part de la population, le choc est terrible et les mesures envisagées sont sans tarder jetées à la poubelle.

Mais l’histoire n’a pas de fin, l’Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international sont là pour nous le rappeler.
Pour détendre l’atmosphère, je vous raconte les souhaits ridicules d’un personnage ridicule : M. le Premier ministre Pedro Passos Coelho, un beau jour du mois de juillet, pendant un des rares moments où il doit quitter les dessins animés à la télé et se mettre à réfléchir, trouve que les Portugais sont devenus pantouflards et incapables de se remuer ; il les exhorte donc à… partir travailler à l’étranger ! Une magnifique solution qui paraît régler tout un tas de problèmes, en vidant le pays de ses habitants, pour que seuls les arnaqueurs, voleurs et profiteurs de toutes sortes ayant fait fortune aient le droit d’y rester, avec quelques boys qu’ils iront chercher à des endroits où le prix de la main-d’œuvre est très bon marché. Comment peut-il ouvrir sa gueule pour recommander un exode, ce monsieur, alors que nous sommes en train de parler d’un pays où la croissance démographique est de 1,3 enfant par femme – et ce ne sont certes pas les circonstances actuelles qui vont lui faire atteindre le seuil de renouvellement des générations ?

Retournons à la litanie des mesures d’austérité. La réforme de la TSU ayant échoué, il faut bien présenter une alternative ; M. le ministre des Finances Vitor Gaspar s’y attelle et trouve tout de suite la solution : on va utiliser l’impôt sur le revenu (IRS), en réduisant le nombre de tranches de huit à cinq et en augmentant la taxe moyenne de 9,8 % à 13,2 %. La frénésie des mesures se poursuit donc : avant qu’on ait le temps d’en comprendre une, une autre se met en place – toutes dans le but de récolter le maximum d’impôts. Mais cette fois-ci, le ministre Vitor Gaspar, sacrilège ! prétend faire payer aussi les riches : imposer les voitures de grosse cylindrée et autres bateaux de plaisance, transactions financières, immeubles de rapport élevé, etc. J’espère que M. le Ministre n’est pas en train de devenir « communiste », sous l’influence de son cousin germain Francisco Louçã – d’origine trotskiste et fondateur du BE (Bloc de gauche) avec 8 élus à l’Assemblée ?

Alors que le chômage dépasse actuellement les 15 %, le mémorandum de la troïka stipule qu’une augmentation de salaire (en fait, du salaire minimum) se justifie seulement si le développement économique et la pression du marché du travail permettent au Portugal de devenir compétitif, et si tout continue à évoluer vers l’objectif recherché, qui est de voir le coût du travail à Shanghaï et Shenzhen dépasser le sien dans quelques années !
Bien avant tout ce fatras de mesures, cependant, les réglementations du marché du travail avaient déjà complètement explosé, et trouver un travail avec un contrat en CDI relevait de l’exploit. Les familles de la petite classe moyenne, et même du milieu ouvrier, qui ont envoyé leurs enfants à l’Université en faisant, la plupart du temps, beaucoup de sacrifices sont obligées ensuite de subvenir à leurs besoins pendant très longtemps.

Une des choses fascinantes dans nos démocraties, c’est la parfaite irresponsabilité de nos gouvernants dans la faillite ou l’effondrement de tout ce qu’ils ont entrepris pendant des décennies : rien ne tient jamais, ça marche tant que ça marche, et après il ne faut pas venir leur demander des comptes – ce n’est pas leur faute, jamais leur faute ! Mais leur trouver une excuse – le contexte international difficile, la Crise ou à tout ce que vous voulez –, ce serait trop facile, et ce n’est certainement pas moi qui leur donnerai l’absolution.

Du côté des syndicats,
pas de surprise

Pour finir, quelques mots sur la grève générale et la manifestation qui se sont déroulées mercredi 14 novembre. La CGTP – la plus grande centrale syndicale portugaise, fondée en 1970 et proche du PC (16 députés) – a organisé pour la troisième fois en un an une grève générale, très suivie dans la fonction publique, les transports, les services portuaires, etc.
Cette centrale n’aime pas les anarchistes, ni les trotskistes, ni ceux qui pensent qu’une société égalitaire et sans bureaucrates est possible, et elle n’aime pas non plus les débordements ; mais les temps sont durs, et à Lisbonne la manifestation s’est terminée devant le Parlement, avec de sévères affrontements entre manifestants et policiers pendant plus de deux heures. Le bombardement de toutes sortes d’objets fait par les manifestants a provoqué la répression de la part des flics, à l’aide de chiens et de bâtons ; il en est résulté 48 blessés et 7 arrestations. Selon le porte-parole policier, ce sont les flics qui ont souffert du jet de pierres, eux qui ont les blessés… mais peut-être pas les personnes arrêtées ? Comme la bagarre a débuté alors que les manifestants demeuraient sur place, il est facile d’imaginer les coups que les policiers ont portés sur tout ce qui bouge, en fait. On peut voir sur les photos de nombreuses personnes au visage ensanglanté. Plus tard, des jeunes ont déclaré : « Nous sommes révoltés, et c’était pour qu’ils voient que nous avons perdu tout espoir, mais aussi ce qu’il nous reste de patience. »

Mais si la CGTP n’aime pas les débordements ni les groupes qui ne partagent pas ses conceptions, elle n’aime pas non plus que la police s’attaque à des ouvriers encartés et faisant les piquets de grève devant les dépôts de bus, ce qui est arrivé à trois ou quatre endroits. Aussi Arménio Carlos, secrétaire général, a-t-il affirmé que de tels agissements étaient inadmissibles, et qu’on cherchait à limiter le droit de grève, ce qui prouvait que l’exécutif était aux abois. Sur les événements et la répression qui se sont déroulés devant le Parlement, en revanche, on ne lui a rien entendu dire…

E. L.

Encart

Au menu du jour, la grande braderie sur fond de privatisations

La Constitution instaurée après le 25 avril 1974 parlait d’une société en voie de socialisme et de l’irréversibilité des nationalisations. En 1989, époque où est Premier ministre (1986-1995) l’actuel Président de la République (il y est depuis 2006, il ne gouverne ni ne légifère, mais est la preuve vivante d’un certain masochisme de la part de l’électorat !), la Constitution est modifiée et l’irréversibilité des nationalisations abolie ; dès lors, les privatisations sont tenues pour la solution miracle. Selon les discours des décideurs, cela va permettre la création de grands groupes, de la saine concurrence qui, forcément, va faire bénéficier les consommateurs de bien d’autres merveilles… C’est pendant cette période que l’on restitue les terres de l’Alentejo aux anciens propriétaires, avec de forts dédommagements.

Portugal intègre la CEE en 1986, l’argent rentre à flots, mais des exigences accompagnent cette « générosité » : la destruction d’innombrables secteurs d’activité, parmi lesquels la pêche, l’agriculture, la sylviculture, etc. Des indemnisations sont proposées pour l’arrachage ou l’abandon de tout ce qui n’est pas au goût de la CEE. Je ne vous décris pas le tsunami de corruption de toutes sortes qui a accompagné ces années fastes, la confusion entre intérêts privés et collectifs, les pistons, les postes bien rémunérés pour les politiques et leurs amis – il faudrait toutes les pages de ce journal et un supplément pour en faire le tour…
Les socialistes au pouvoir de 1995 à 2002 ne sont pas en reste, et communient exactement sur la même ligne politique. De 2002 à 2004, le pays est gouverné par celui qui est aujourd’hui le président de la Commission européenne, et qui, dans une autre vie, était un militant maoïste du MRPP, je veux parler de Durão Barroso. Celui-ci n’est resté que deux ans à la tête du pouvoir, avant de démissionner pour partir à Bruxelles. Il a fait construire des stades de football pour l’Euro 2004, et en 2003 a rabâché les mêmes mensonges que Blair et les Américains pour défendre sans vergogne l’intervention en Irak. Il a préconisé la privatisation de tout, absolument tout – de l’eau à l’air que nous respirons. L’UE a adoré.

Aujourd’hui, c’est la grande braderie ; il faut faire rentrer de l’argent, alors tout est à vendre. Parmi les acquéreurs, s’il y en a toujours de provenance plus ou moins « classique » – comme Vinci, candidat parmi d’autres à l’achat d’ANA (Aéroports et navigation aérienne) –, deux nouveaux investisseurs ayant beaucoup d’argent et beaucoup d’appétit sont arrivés depuis quelques années sur le marché : la Chine et l’Angola.

La première est en tête, avec 6 ou 7 milliards d’investissement ; et la société China Three Gorges, la State Grid ou la pétrolifère Sinopec acquièrent des parts importantes de tout ce qui est lié aux énergies renouvelables ou autres, aux combustibles et à leur exploitation… et bientôt les ports – très importants pour les Chinois, les ports, avec l’élargissement du canal du Panama…
L’ancienne colonie portugaise, l’Angola dont le président-propriétaire est José Eduardo dos Santos, fait aussi ses emplettes au Portugal. C’est surtout la fille aînée du président Isabel dos Santos qui s’en charge. La femme la plus riche de l’Afrique subsaharienne est de plus en plus une des grandes propriétaires du Portugal par holdings interposées : Santoro (les banques), Kento no (le multimédia), Esperanza (l’énergie et le pétrole)… et cela risque de continuer encore longtemps, vu les taux de croissance angolais. Cette dame a dépensé 4 millions de dollars pour son mariage à Luanda, dans un pays ou 58 % de la population n’a pas d’accès à l’eau potable !

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