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La lutte No Tav : stratégie et histoire d’une lutte populaire

Le Val di Susa contre la LGV Lyon-Turin

vendredi 30 novembre 2012, par WXYZ

A l’heure où la lutte contre l’aéroport de Notre-Dames des Landes entre dans une phase nouvelle et décisive et que les opposants sur place (dans la ZAD), dans toute la région et bien au delà s’entêtent dans une résistance populaire opiniâtre contre ce projet et la raison d’État qu’invoquent les divers représentants du gouvernement écolo-socialiste, il n’est pas inutile de faire connaître une autre lutte emblématique – celle des habitants du Val di Susa, longue de déjà plus de vingt ans – de refus des populations de se voir imposer des infrastructures qui leur sont non seulement parfaitement inutiles, mais conduisent à un saccage des milieux naturels et à une destruction de cadre de vie, de relations sociales pour les besoins du développement capitaliste et ses logiques d’urbanisation, de métropolisation accélérée.

Les mouvements de lutte importants sont toujours ceux qui voient se cristalliser et s’additionner de multiples motifs, contenus, révoltes, "sujets sociaux" en rébellion. Et, indépendamment de leurs spécificités, chaque mouvement est, à un moment donné, confronté aux mêmes questions où se mêlent à la fois celles du rapport de force et de l’autonomie du mouvement, les deux étant, à notre sens, indissociables : le rapport au médias, à la répression de l’État et à la militarisation du territoire, à la désobéissance et à l’illégalité, à la violence, à l’unité des sensibilités et des composantes, à la solidarité avec l’"extérieur". Et aussi la question de ses modes d’organisation et de prise en charge par les habitants-opposants eux-mêmes, aux relations qu’ils établissent avec d’autres mouvements de résistance contre des projets similaires ou sur d’autres sujets (la question des terres, les luttes urbaines sur l’aménagement et le logement, les luttes contre la précarité/adaptabilité, etc.)


Ritroverai parole
oltre la vita breve
e notturna dei giochi,
oltre l’infanzia accesa.
Sarà dolce tacere.
Sei la terra e la vigna.
Un acceso silenzio
brucerà la campagna
come i falò la sera

Tu retrouveras des mots
au-delà de la vie brève
et nocturne des jeux,
au-delà de la force de l’enfance.
Ça sera doux se taire.
Tu es la terre et le vignoble.
Un silence intense
brulera la campagne
comme des feux le soir

Cesare Pavese

La lutte No Tav : stratégie et histoire d'une lutte populaire

Nous sommes allés au camping Notav installé depuis deux mois et demi à Chiomonte. Nous avons participé à des assemblées, appuyé ou proposé des initiatives, cuisiné, nettoyé et marché coude à coude à des centaines de femmes et hommes, jeunes et vieux de la vallée. Chaque geste du quotidien s’est déroulé sous le signe de la participation collective.
Nous avons rencontrés des camarades qui ont tout quittés et sont venus vivre ici, des jeunes qui ont traversé l’Europe en vélo pour venir ici, des anciens qui luttent depuis des années pour défendre cette terre magnifique et profanée. Nous avons vécu en première ligne le miroir déformant des médias, le gouffre entre réalité et récit.
Nous avons décidé d’interviewer Patrizia Soldati (pour les camarades juste Pat), splendide dame – résidente en Val de Susa, cuisinière dans une maternelle et à domicile – qui lutte pour sa terre et nous a enseigné à quel point l’on peut être (et l’on doit être) jeune et combatif à toute âge.


Quand as-tu commencé à t’intéresser à la question de la Tav et à participer à la lutte ?
J’ai assisté à la première assemblée en 1996 en tant que villageoise, mais c’est à partir de 2004 que j’ai commencé à participer activement au sein des associations et comités du Val de Susa.

Est-ce que tu peux nous raconter ces deux mois et demi de camping autogéré No Tav ? Quelles ont été les difficultés majeures et quelles satisfactions ?
Ces deux mois et demi ont été certes très fatigants physiquement, mais ils ont surtout été extrêmement riches. Richesse (non monétisable évidement) amenée par le très grand nombre de personne qui ont voulu participer à la lutte, ne serait-ce que dans la pure et simple gestion du camping. Un extraordinaire et continu échange de compétence et créativité.
Le moment de l’assemblée générale est, à l’intérieur du camping, le plus important de la journée. On s’assoit en cercle, on se regarde, on y organise les actions, on y discute ce qui ne va pas et nécessite une amélioration, on y planifie les tours de cuisine et nettoyage. Cette vie communautaire est sans doute un des meilleurs collants pour le mouvement, c’est ainsi que l’on conquiert la confiance du voisin, que l’on part et l’on revient tout ensemble.

Est-ce tu pourrais nous raconter l’importance de cette pratique au sein du camping ?
Tous les après-midi au camping se tient une assemblée, c’est un moment fondamental de discussion. C’est l’occasion pour expliquer aux nouveaux arrivants les règles, mais c’est aussi le lieu pour lancer des initiatives, de manière ouverte et non hiérarchique. Chacun peut y participer, dire ce qu’il pense. Les décisions sont prises de manière consensuelle. Sans l’ombre d’un doute il s’agit du moment le plus important de la journée. Et c’est aussi la preuve qu’une communauté autogérée et composée des typologies les plus disparates de personnes peut d’organiser de manière efficace.
En effet au camping il suffit de regarder autour de soi pour y rencontrer des personnes de tous les âges, provenant de l’Italie tout entière et même de l’étranger. Il y a ceux qui participent depuis des années, il y a ceux qui amènent leur propre contribution peut-être que depuis quelques jours et pourtant ce qui est le plus frappant c’est que chacun est écouter de la même manière, que les idées de tous sont discutées et évaluées avec la même attention, il n’y a pas de hiérarchie à l’intérieur du mouvement. Malgré cela de nombreux choix sont effectués quotidiennement de nombreux, sans recourir au vote, sans une majorité qui écraserait une minorité, des décisions qui réussissent à tenir tout le monde tous ensemble.

Est-ce que cela te semble un aspect particulier du mouvement No Tav, un de ces points forts ?
Nous considérons que l’opinion de la majorité ne doit pas écraser celle de la minorité : c’est une méthode que nous nous sommes fixés depuis le début et qui nous a permis de rester unis, d’éviter les scissions. Nous pensons que l’assemblée est le moment pour discuter et trouver un accord qui respecte et englobe dans les décisions les instances de chacun, ceci en respectant certaines « règles » de base qu’il est indispensable de partager.

La fin de l’été annonce la fermeture du camping, quelles sont les perspectives et les stratégies pour maintenir le mouvement fort et uni pendant cet automne et hiver qui s’annoncent très mouvementés ?
Il est certain que nous continuerons avec les campagnes déjà lancées, c’est-à-dire celle contre la militarisation du Val de Susa, celle contre les entreprises qui ont gagné l’appel d’offre du chantier de la Tav et y travaillent. Sans oublier la présence physique aux abords du chantier et notamment en Clarea pour empêcher l’activité à l’intérieur du chantier.

“A sarà düra”[1] est un des slogans du mouvement NoTav … en effet les travaux du chantier avancent au ralenti, la répression militaire au lieu d’affaiblir le mouvement (à travers par exemple le « fogli di via »[2]) semble le renforcer. Les initiatives et les projets fleurissent et le mouvement semble s’internationaliser toujours plus. Les No Tav ont réussi à se transformer et se renouveler avec le temps, comment voyez-vous le futur de la lutte No Tav ? Pourquoi allez-vous vaincre ?
La principale transformation qui est en cours est une amplification de la lutte. Celle-ci ne regarde plus spécifiquement la ligne grande vitesse Lyon-Turin, mais en général tous les grands projets fondés sur le gaspillage de l’argent publique – et l’on parle de dizaine de milliards d’euros – sans aucune utilité pratique pour les citoyens. Je crois que ce développement est en ce sens inévitable malgré une répression toujours plus forte, et je crois que les personnes prendront toujours plus conscience de la manière dont ces grands projets sont décidés.

A ce propos, qu’est-ce que le Patto di Mutuo Soccorso[3] ?
Il s’agit d’une sorte d’union entre les différents mouvements de lutte en Italie qui permet à chacun de s’aider et de demander du soutien dans les moments difficiles. Ainsi si un mouvement contre une décharge publique demande de l’aide au pacte d’entraide, il trouvera partout des mouvements pour lui prêter main forte et participer à la lutte.

Qu’est ce que vous répondez à ceux qui accusent le mouvement No Tav d’être conservateur puisqu’il empêche le progrès amené par une nouvelle voie ferrée à grande vitesse ?
Je leur réponds qu’ils devraient se demander quel est le sens de la parole “développement” et “progrès”. Nous ne donnons aucun crédit à ces deux concepts s’ils sont catapultés du haut, car pour nous le développement n’est pas le pillage des biens communs en vue de l’enrichissement de quelques privilégiés.

Comment avez-vous discutez la question de la violence et non-violence qui a si souvent divisé d’autres mouvements de lutte populaire ?
Nous avons toujours renvoyé à l’expéditeur chaque tentatives de nous diviser entre “méchants” et “bons”. Il est évident que les modalités de lutte évoluent, changent de niveau, mais c’est un changement imposé par la « contrepartie » qui réprime à coup de matraques et de gaz CS.
Nous avons toujours demandé d’ouvrir une discussion publique sur la question de l’utilité de ce projet. Mais cela n’a jamais été le cas. Un problème politique a été transformé en une question d’ordre publique allant de pair avec la militarisation massive du territoire. Cela étant dit, il est inacceptable de comparer le jet de pierre ou de peinture aux lacrymogènes tirés à hauteur d’homme. Il est clair que plus les forces de l’ordre élèveront le niveau du conflit et plus nous réagirons. Au fond nous n’avons pas beaucoup d’armes : l’information – à travers internet, le tractage et les initiatives en toute Italie – et parfois lorsque nous sommes attaqués, le jet de quelques pierres. Mais tout cela nous ne le considérons pas violent.

Ces derniers jours se sont succédé des initiatives importantes pour le mouvement : des trous dans les barbelés coupés, des occupations des entreprises Si Tav. Comment la décision a-t-elle été prise ?
Ces actions sont simplement proposées par quelqu’un, puis éventuellement acceptées par ceux qui décident d’y participer - à visage découvert, de manière pacifique dans le cas de l’occupation de la Geovalsusa. Il s’agit d’actions politiques et non de pur vandalisme ou “terrorisme” comme le narre les journaux. Elles nous servent pour dénoncer la situation telle qu’elle est aujourd’hui réellement. Par exemple dans le cas de la Geovalsusa, leur complicité avec le front SiTav.

Ces dernières ont été dépeintes comme des actions “squadriste”[4], mafieuses par les journaux nationaux tels que La Repubblica et La Stampa. Qu’en penses-tu ?
Le mouvement ne se reconnaît pas du tout dans ces définitions, notamment parce que toutes ses actions ont toujours été explicitées et revendiquées. Cela fait 20 ans que nous demandons de nous confronter publiquement sur les données scientifiques en notre possession. Données démontrant que le Tav est une folie. Ces dernières proviennent des très nombreuses études et recherches menées par économistes et techniciens qui gratuitement ont mis leur énergie et leur savoir-faire à disposition du mouvement. Nos requêtes ont été systématiquement ignorées, c’est pourquoi à ce stade il ne nous reste plus qu’à agir tel que nous le faisons aujourd’hui. Quant aux journaux du type de La Repubblica et La Stampa, leur seule réaction possible est la diffamation étant donné que leur position ne tient pas sur le plan technique.


Les journalistes des grands titres de presse ne sont jamais entrés au camping ? Ils ne se sont jamais intéressés à votre point de vue ?

Il ne me semble pas que cette dernière année des journalistes mainstream italiens soient venus découvrir ce qu’est vraiment le mouvement No Tav. Ou du moins s’il sont venus ils ne se sont pas fait reconnaître. L’année dernière en revanche, durant la Libre République de la Maddalena, certains journalistes étaient venus visiter ; et ils ont eu carte libre et une totale liberté d’action et de mouvement.


Quelle est la stratégie médiatique du mouvement ? De quelle manière une lutte populaire peut se communiquer avec l’extérieur, en contrastant les médias officiels ?

Le communiqué de presse est le seul instrument pour l’instant que nous avons à disposition lorsque des informations mensongères et diffamatoires circulent à notre égard. Toutefois nous nous efforçons aussi d’exploiter au mieux les possibilités offertes par internet, afin que toute personne intéressée par nos initiatives puisse avoir des informations sans difficulté. Clairement, une discussion sur les stratégies à adopter pour contrecarrer les fausses nouvelles est en cours.

Il y a deux jours le chantier de la Tav a été attaqué avec des jets de pierre et de peintures contre les militaires et les ouvriers. Comment un mouvement de gauche a pu en arriver à s’opposer au travail des ouvriers. Que répondez-vous à ceux qui expliquent qu’ils « travaillent pour manger » ?
C’est une question très épineuse, surtout pour ceux, très nombreux, qui comme moi pensent que les travailleurs doivent être défendus et soutenus. Toutefois le mouvement a décidé d’attaquer, avec des actions symboliques et non violentes (tel que le jet d’œufs et de peinture), ceux qui prêtent main forte à la construction de la Tav, en considérant que chacun est complice de la dévastation en cours et que les exigences personnelles (le besoins de manger) ne doit pas prendre le dessus sur les besoins de la collectivité. Nous sommes conscients qu’il s’agit de méthodes drastiques, mais nous croyons en une prise de conscience des travailleurs.

Notes
[1] « Ça va être dur » en français.
[2] Interdiction d’accès à un territoire (qui peut être aussi sa propre ville de résidence) décider par la préfecture sans nécessité l’autorisation préalable d’un juge.
[3] Pacte d’entraide.
[4] A modalité fasciste.

Source : ici

Rappel : Manifestation No-TAV à Lyon, le 3 décembre, contre la rencontre Hollande-Monti

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