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TGV Pays Basque, Aéroport NDDL, THT Cotentin-Mayenne

Présentation de trois grands chantiers : Historique des luttes

compte rendu des rencontres OCL de cet été

jeudi 22 novembre 2012, par admi2

Aux rencontres OCL de cet été à Eychenat (Ariège), deux journées ont été consacrée à une discussion sur les grands chantiers dits "inutiles" avec des militants actifs au Pays Basque, à Nantes et dans le Cotentin-Maine. Évidement l’historique s’arrête cet été. Les débats sur les enjeux et perspectives politiques de ces luttes feront l’objet d’un article distinct dans le numéro de décembre 2012 de Courant Alternatif.
Pour la suite des évènements, se reporter à ce site et à Courant Alternatif.


 {{Rencontres libertaire d'Eychenat- 1° Août 2012 Présentation de trois grands chantiers : TGV Pays Basque, Aéroport NDDL, THT Cotentin-Mayenne}}

TGV – Pays Basque Sud

Au Pays Basque sud, le projet remonte à 1988 ; la lutte contre le TGV est issue d’une dynamique lancée dès 1993 par un mouvement radical sous forme d’une Assemblée (coordonnant des groupes locaux), porteur d’actions directes et d’une critique globale du système au travers des grosses infrastructures imposées, dont le TGV ; puis ce mouvement a choisi de s’inscrire, en 2001, dans une Coordination - Elkarlana (« Travaillons ensemble ») - regroupant diverses forces, syndicales, politiques, associatives hostiles au TGV. Ce travail en commun a été possible à partir d’une plate-forme aux principes et objectifs très clairs (NOTE : refus total du TGV à cause de ses impacts sociaux, environnementaux, économiques, territoriaux, etc. et proposition de créer partout un mouvement populaire de base, avec des groupes locaux ; dénonciation de l’imposition de ce projet en revendiquant la capacité de décision des populations locales ; promotion d’un débat sur le modèle d’aménagement du territoire, des transports et le modèle de société.)

L’hétérogénéité était une richesse : elle permettait l’élargissement de la lutte à beaucoup de gens ; chaque groupe apporte sa vision et son expression, ses motivations et maintient son activité propre : l’assemblée contre le TGV, la gauche abertzale, les syndicats…Chacun dynamise des groupes locaux très actifs dans de nombreux villages. La pluralité est une force, permettant des débats entre les positions plus possibilistes en quête de solutions alternatives et celles porteuses d’une critique plus générale quant à la fonction et aux conséquences de l’implantation du TGV

Certes ces derniers et des secteurs écolos n’ont pu s’empêcher, fin 2003, de vouloir avancer une pseudo alternative, le ‟Réseau pour un train social”, qui centrait tout le débat sur le modèle ferroviaire de transports, en voulant se poser en lobby pour négocier avec le gouvernement basque au lieu de chercher à créer un mouvement social, un mouvement populaire. Mais, ils ont échoué et ont été critiqués pour avoir tenté de réorienter le mouvement en vue d’une négociation.

Une période longue et intense de luttes s’est déroulée jusqu’en 2008 : actions de désobéissance tous azimuts et à la portée des gens (ne pas payer les trains par exemple ), manifestations massives, actions spectaculaires, consultations populaires dans les villages ; cela accompagné d’un gros travail d’information et d’analyse au cours de cette période de 2007…

La lutte contre le TGV est devenue très importante, très connue au Pays Basque à ce moment-là. Ce n’était plus une lutte sectorielle ; elle avait pris place au cœur des luttes sociales, elle était devenue une très grande référence pour les mouvements populaires au Pays Basque et ceci également au Pays Basque Nord où la contestation contre un projet de nouvelles Lignes à grande vitesse redevient très forte dès 2007.

Cependant, depuis 4 ans, les limites du mouvement commencent à être visibles.

D’une part, le démarrage des travaux (malgré un camp de résistance pendant 3 mois, pour tenter de l’empêcher) puis leur extension, a eu un indéniable impact psychologique démobilisateur dans les cantons où ont lieu ces chantiers, et y compris chez les plus militants. Aujourd’hui il reste encore 70% du budget à dépenser pour les travaux, mais les dégâts sont déjà énormes.
Ensuite, la Coordination elle-même semble atteinte. Elle n’a plus le même dynamisme et n’est plus capable d’incorporer de nouvelles forces…
Il y a aussi des stratégies mal partagées, des désaccords entre différents secteurs pour réaliser des actions. . Dans les moments les plus importants, on n’a pas réussi à avoir un lieu reconnu par tout le monde pour que l’ensemble du mouvement débatte des axes, des stratégies, des actions. Le caractère hétérogène du mouvement, qui était sa force, devient alors un problème, il y a des dissensions internes.

L’ intervention de l’ETA pendant plusieurs mois et l’assassinat d’un des entrepreneurs de construction de la ligne à grande vitesse en décembre 2008 ont non seulement entraîné une vague de pression terrible sur le mouvement mais ont aussi enlevé de la crédibilité à la stratégie de désobéissance et créé beaucoup de tensions. D’autant que l’État et le gouvernement basque se sont lancés dans une campagne de criminalisation, usant de l’intoxication médiatique.

De plus, les interventions de la gauche abertzale dans la lutte contre le TGV avaient été inégales selon les endroits et, avec l’arrêt de la lutte armée, il y a eu un changement de priorité politique, la lutte contre le TGV n’étant plus, dans le contexte actuel tout au moins, à l’ordre du jour.

D’autre part, la répression policière se fait très violente depuis janvier 2009 (grande manifestation dans la zone des travaux sauvagement réprimée) et cela crée des dissensions internes sur les choix stratégiques et un reflux des actions sur la zone des travaux.

Comment relancer la mobilisation, la préoccupation étant de toucher le plus grand nombre de gens possibles et de ne pas s’enfermer dans des actions minoritaires ?

L’énormité des dépenses consacrées aux grandes infrastructures alors que depuis 4 ans il y a des coupes toujours plus importantes dans les budgets sociaux, ne semble pas être un argument suffisant pour relancer la dynamique, bien au contraire. C’est comme si les problématiques autour du TGV, sa gravité et son irréversibilité, étaient reléguées derrière les autres questions sociales dans ce nouveau contexte de la crise.

Un nouveau mouvement, Mugitu ! (Bouger ! Pour l’arrêt du TGV), mouvement clairement identifié de résistance et de désobéissance, a été créé en 2011 pour donner la priorité à des actions participatives, qui puissent être réalisées par le plus de monde possible et dont les conséquences judiciaires ne soient pas trop dures, surtout pénalement. Il y a beaucoup d’actions mais en même temps trop limitées à cause du contexte de reflux de la mobilisation. L’action la plus connue a été l’entartage de Yolanda Barcina, la présidente de la Navarre, à Toulouse.
La question est peut-être que, même si beaucoup d’acteurs-trices se sont engagés dans la lutte, même si les mobilisations ont été très nombreuses, même si le TGV est devenu un thème central, l’opposition au TGV n’a jamais eu un caractère vraiment populaire au sens où elle n’a pas entraîné une mobilisation assez large, déterminée et massive sur la durée.


Lutte contre le TGV au Pays Basque Sud... quelques repères supplémentaires

Poursuites pénales pour entartage
Un dossier “APPEL À LA SOLIDARITÉ : DES PEINES DE 4 A 9 ANNÉES DE PRISON POUR UN ENTARTAGE A LA CREME CONTRE LE TGV ?” est accessible en français (1) .
Le but est de lancer, aussi bien au Pays Basque qu’au niveau international, une campagne informative de solidarité avec les quatre membres du mouvement de désobéissance au TGV Mugitu ! accusés devant l’Audience Nationale de Madrid (tribunal d’exception) suite à l’entartage de la présidente navarraise Yolanda Barcina le 27 octobre 2011 à Toulouse (2). Face à ce nouveau cas de criminalisation de la lutte contre le TGV et de la désobéissance comme forme de lutte sociale, voici ce qu’il s’agit notamment de dénoncer à propos de ce procès :

1. Ce qui n’est qu’une action comique de protestation et n’entraîne quasiment aucune conséquence judiciaire dans la plupart des pays occidentaux est au contraire, dans l’Etat espagnol, l’objet d’une criminalisation et d’une poursuite pénale écrasante, avec des demandes du procureur allant de 4 à 9 années de prison.
2. La vengeance politique du Gouvernement de Navarre qui recherche une condamnation exemplaire et revancharde auprès de l’Audience Nationale de Madrid, tribunal d’exception hérité du franquisme devenu actuellement l’organe de répression le plus féroce à l’encontre de la dissidence dans l’Etat espagnol.
3. La collaboration judiciaro-policière des autorités françaises qui ont laissé sans suite les démarches qui avaient été engagées au début à Toulouse, où cette action d’entartage anti-TGV n’aurait été l’objet que d’une simple contravention ; l’attitude de ces autorités françaises a permis de laisser l’affaire entre les mains des juges de l’Audience Nationale espagnole, débouchant sur l’inculpation et la brutale poursuite pénale des quatre personnes.


Notes :
1 - https://dl.dropbox.com/s/8hpmcoup14nlsug/dossierM%21Mfr.pdf?dl=1)
2 -Article paru dans Courant Alternatif n°221 (juin 2012) : Quand balancer une tarte est jugé comme un “attentat grave” et que les autorités françaises s’en balancent.


Jeûne de désobéissance contre le TGV
Ce jeûne, organisé du 10 novembre au 1° décembre par le mouvement d’opposition au TGV Mugitu ! (1), est réalisé par rotation d’une semaine dans trois provinces du PB sud (Bizcaye, Guipuzcoa, Navarre) et est relayé en Pays Basque nord.
Le thème est : « Le TGV nous laisse l’assiette vide » ; il s’agit de dénoncer le coût économique très élevé de cette macro-infrastructure (2), la destruction de terres fertiles qu’elle entraîne, et de montrer que la politique du ciment et du béton non seulement n’est pas la solution mais est une des causes de l’actuelle récession, et que, pendant que les travaux avancent, la précarité et l’exclusion sociale avancent aussi.

Dans treize villes et pendant trois semaines, ont lieu des actions très variées destinées à appuyer cette initiative de désobéissance (affiches, banderoles, musique, danses, théâtre de rue, expositions, conférences-débats, films, peintures murales, manifestations...) auxquelles participent plusieurs collectifs (Mouvement du 15 Mars, Assemblées de chômeurs, syndicalistes paysans et ouvriers, travailleurs de la santé, étudiants, associations de retraités, collectifs d’artistes, habitants voisins du tracé, etc).
L’objectif est de relancer la mobilisation et d’additionner des forces pour arrêter le TGV.


Notes :
1 - http://mugitu.blogspot.com
2 - L’investissement total du TGV dans la communauté autonome basque et la Navarre pourrait dépasser les 10 000 millions.
6.000 millions, cela équivaut au budget du Logement du Gouvernement basque pendant 24 ans ou à celui de l’Environnement pour 54 ans, et ceci sans prendre en compte les coupes faites ces dernières années dans ces postes à cause de la crise. Un seul kilomètre de TGV (30 millions d’euros sur le territoire de la Communauté autonome basque-CAB) dépasse le coût annuel que le Gouvernement basque consacrait au Programme Mondial de l’Alimentation avant la crise.
Mais, au vu de la grave situation économique , le gouvernement espagnol prévoit de réduire jusqu’à 40% le budget prévu pour la construction de la nouvelle LGV au Pays Basque sud ("Y Basque").

... et contre la LGV au Pays Basque Nord

Une manifestation massive à Bayonne le 27 octobre

Près de 10 000 personnes, avec à la tête du cortège une centaine de tracteurs, puis une brochette d’élu-es portant écharpe tricolore (!), ont manifesté à Bayonne pour protester contre le projet de la nouvelle LGV Bordeaux-Hendaye et en faveur de la modernisation des voies existantes.
À l’heure où le gouvernement hésite dans ses choix, les opposants au projet ont souhaité montrer leur détermination à poursuivre la mobilisation jusqu’à l’arrêt définitif de ce grand chantier.
Plusieurs actions et mobilisations ont précédé ce temps fort du 27 octobre.
Parmi les plus récentes, début octobre, une délégation du collectif des associations de défense de l’environnement (CADE) a remis au sous-préfet de Bayonne les registres d’une enquête publique sur l’inutilité du projet et une pétition contre la LGV forte de 23 652 signatures. Sur le site Internet du CADE (1), est mis à disposition du public un dossier complet démontrant que le projet est "fondé sur un débat public biaisé" et que "la réalité des trafics a été falsifiée et les prévisions surestimées".
Peu de jours avant le 27 octobre, des militants du collectif altermondialiste Bizi ont réalisé une action spectaculaire à Pau pour dénoncer le financement de la LGV par le Conseil Général des Pyrénées Atlantiques. Ils ont déployé une immense banderole sur la façade du bâtiment : « CG64 : 80 millions pour la LGV Tours-Bordeaux ! On veut + de bus, pas de LGV ! Manif le 27 octobre à Bayonne ».
Si la manifestation a été un peu moins massive que celle de décembre 2010, c’est que les déclarations et les études remettant en cause la pertinence des nouvelles lignes se sont multipliées au cours des mois précédents. Ces prises de position ont pu laisser penser que, finalement, la LGV étant sur de mauvais rails, le projet ferait long feu. Ce qui a eu un effet démobilisateur.
En effet, plusieurs voix officielles ont appelé à la modération financière en matière de TGV. Les Assises du ferroviaire, exercice de réflexion collective sur l’avenir du rail lancé par le gouvernement en septembre, conseillent à la mi-décembre une "révision des projets de développement de LGV et un moratoire sur les projets non engagés" pour donner "la priorité à la rénovation du réseau existant".
Auparavant, en juillet, le rapport de la Cour des Comptes rappelle que, "pour être lancés, ces investissements doivent d’abord être rentables" car "ils pourraient se traduire par une forte croissance des investissements publics dans les prochaines années qui ne paraît pas compatible avec la situation financière du pays". Et Jérôme Cahuzac, ministre du Budget, déclare dans la lancée que les 14 nouvelles lignes de LGV devraient être remises à l’étude et que "le gouvernement n’aura pas d’autre choix que de renoncer à certaines des options qui ont été privilégiées." A cela s’ajoute que, localement, fin septembre, les élus de l’Agglomération Côte Basque-Adour (Bayonne, Anglet, Biarritz), alors qu’ils sont très favorables à la LGV Pays Basque, en viennent à douter de sa réalisation et décident de suspendre leur participation financière en attendant des "éclaircissements" sur l’avenir de la nouvelle voie LGV Bordeaux-Pays Basque.

Et pourtant, malgré ces signes apparents de moindre enthousiasme pour une LGV de la part des décideurs, et malgré une opposition qui se manifeste sans faiblir depuis de nombreuses années, le projet est toujours là et les pro-LGV, eux aussi, continuent de se mobiliser.

La veille de la manifestation de Bayonne, le président PS du Conseil régional d’Aquitaine, Alain Rousset, s’est dit « satisfait du bon avancement du Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO), du respect du calendrier » ainsi que « de la qualité de la concertation et du travail fin réalisé par RFF (...) en tenant compte des volontés locales »...
Il prévoit une validation ministérielle pour les derniers choix de tracé fin 2012 et la mise en place des enquêtes publiques dès l’été 2013. La Région a même réaffirmé son volontarisme en avançant le montant global des collectivités d’Aquitaine (11,6 M€) pour débuter rapidement les études complémentaires préalables à la déclaration d’utilité publique et les acquisitions foncières anticipées.
Dans ce contexte, il est clair que rien n’est joué et que la mobilisation ne doit pas se relâcher, bien au contraire.

Note :
1 - www.voiesnouvellestgv.webou.net

Lutte contre l’aéroport de Notre-Dame des Landes

Au départ, en 1973, la résistance est menée par des paysans (ADECA, Association de Défense des Exploitants Concernés par l’Aéroport). Un décret institue une ZAD, Zone d’aménagement différé, qui délimite une surface de terres gelée. Et le projet est remis à plus tard. Il ressort sous le gouvernement Jospin (1997-2002) sur l’instruction de Jean Marc Ayrault, député-maire de Nantes et actuel premier ministre.

Une nouvelle opposition se met en place : des associatifs, des institutionnels et des anti-institutionnels. L’ADECA se réactive et très vite il y a l’émergence d’un mouvement citoyen contre l’aéroport avec la création de l’ACIPA (Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d’Aéroport). Cette association commence à se faire connaître et prend de l’ampleur à ce moment-là.
Elle est très centrée sur des actions visant à sensibiliser l’opinion, à produire un discours médiatique, à interpeller les élus, les pouvoirs publics pour qu’ils se positionnent contre l’aéroport. Selon elle, l’opposition à l’aéroport doit passer par des médiations institutionnelles.,
Puis, en 2002, se crée la Coordination des opposants qui rassemble à la fois le mouvement citoyen avec l’ACIPA, le mouvement paysan avec l’ADECA, toute une myriade d’associations environnementalistes et de défense de la nature, et surtout un cartel de partis politiques qui va du Modem au NPA (la LCR à l’époque), en passant par les Verts qui, ayant le principal budget, tiennent les cordons de la bourse.
La Coordination s’inscrit dans la continuité de la mobilisation citoyenne. Mais dès son origine, des personnes essaient d’y intervenir en y défendant d’autres options de lutte, notamment des méthodes d’actions directes et une critique qui cherche à articuler le refus de cet aéroport à Nantes avec la remise en cause de l’industrialisation, de la promotion du capitalisme vert, etc. Cela parvient à obtenir un certain écho, au point de pousser une partie de la base de l’ACIPA à des actions assez radicales et sortant de la légalité (par exemple, une action de sabotage massive des parcmètres à Nantes )

Ce qui fait que ces personnes sont devenues très vite gênantes et ont été isolées et rejetées dans la coordination par l’ACIPA.

C’est l’émergence dès 2007 puis le développement d’un mouvement d’occupation de la zone qui a contribué grandement à la radicalisation de la lutte. Avoir un lieu ou plusieurs lieux ouverts sur le terrain de la lutte est quelque chose de très important.

Le mouvement des occupations sur la ZAD s’est fait progressivement : d’abord une maison vide, puis un Camp « Action Climat » ; ensuite un appel plus large formulé par les habitants en lutte, l’ouverture d’une ferme, l’occupation d’autres maisons et de l’auto-construction.

La force de ce mouvement vient de ce que les occupants tissent des liens avec les habitants qui résistent. L’idée est d’assurer une présence sur le terrain, avec une disponibilité et une proximité qui permettent d’entraver concrètement l’avancée des travaux. C’est aussi la possibilité d’unir des personnes (qui viennent parfois de très loin) avec des riverains, et cela sur des bases claires : « Pas d’aéroport ici ni ailleurs ». Cela permet de constater qu’il y a de la porosité entre les positions radicales, les actions directes, le mouvement d’occupation et une partie de la coordination et des franges institutionnelles du mouvement.
A ce moment-là, le mouvement d’occupation et l’opposition institutionnelle permettent à pas mal de monde d’entraver vraiment les travaux.
Le mouvement d’occupation grandit lentement, la lutte se diffuse un peu et devient plus visible au-delà de Nantes, au niveau national.
2011 est l’année charnière.

Des gens continuent de s’installer, dont ceux qui vont lancer une boulangerie sur la zone, avec l’idée de vendre du pain à prix libre et d’avoir un lieu pour créer du lien et des échanges. A ce moment-là, s’installent aussi beaucoup de gens venant d’autres nations (dits « les internationaux ») riches de leur vision de l’écologie radicale, de leurs pratiques (contre les lignes à très haute tension en Espagne, contre la construction d’un centre commercial à Bruges, contre les autoroutes en Angleterre...) et de leurs méthodes (construction de cabanes très haut perchées et fabrication de dispositifs rendant difficiles et longues les expulsions), de leurs modes d’organisation, de leur expérience de l’action directe non-violente. Des rencontres se font, des ponts sont créés : toute une culture politique va se marier avec la culture du mouvement squat nantais et va aussi rencontrer toute une tradition de lutte de la région nantaise portée par des gens impliqués dans le mouvement, dans la continuité du mai 68 ouvriers et paysans, des mouvements de l’après-68 en Loire-Atlantique, les paysans travailleurs, luttes antinucléaires...

Un tournant dans la lutte va se faire lors de la manif-occupation du mois de mai 2011, avec la création de la Ferme maraîchère de la Chevrière et du Sabot.
De la rencontre d’une partie des occupants et du réseau Reclaim the Fields (un réseau européen de luttes paysannes qui défend l’autonomie paysanne, l’agriculture vivrière, les pratiques alternatives et de lutte etc) naît l’idée d’une grande manif-occupation avec outils agricoles en mains pour venir défricher un endroit et cultiver les terres vouées au bétonnage. Cette manifestation est un franc succès et attire la sympathie active des paysans de l’ADECA et de la Confédération paysanne. Elle contribue aussi à faire connaître la lutte.
En juin 2011, l’opposition aux forages va faire exister pour la première fois la conflictualité sur le terrain. Jusque-là, lors des précédents sondages et forages, il n’y avait pas une grosse militarisation, mais le mouvement grossit, il y a les occupations, la présence des internationaux et par conséquent débute une militarisation de la zone avec des forces de gendarmerie importantes pour accompagner les géomètres. Sur le terrain, les opposants usent de différentes pratiques de résistance et comme les gens de la composante institutionnelle ne sont pas souvent confrontés aux violences policières, les différends politiques et pratiques existant entre cette composante et les personnes qui prônent plutôt des formes d’action directe vont s’élargir.

En juillet 2011, dans le cadre de l’organisation d’un camp sur la ZAD, une action d’occupation temporaire de l’aéroport de Nantes, prévue pour être pacifique, va être fortement réprimée, ce qui ajoutera au traumatisme de la composante institutionnelle qui participait à l’action.

La radicalisation de la lutte, surtout avec la poursuite des occupations mais aussi au travers d’actions de sabotage, s’accompagne d’une augmentation assez considérable de la répression. En moins d’un an, il y a eu 38 procès et condamnations. Il n’y a plus une action qui ne soit suivie d’au moins une interpellation et d’un procès. De plus, l’idée des autorités est de diviser et en particulier d’intimider les paysans qui s’allient et agissent avec le mouvement d’occupation : ils subissent des perquisitions, ils se retrouvent devant un juge.
Pendant la période électorale, les composantes institutionnelles ont développé des logiques de séduction à l’égard des candidats aux présidentielles. Et alors qu’il y a de plus en plus de répression et de tentatives de division, la Coordination s’est mise à condamner les actions du mouvement d’occupation, en en dénonçant les acteurs comme étant des ultras, des personnes dangereuses, etc. Après la manifestation de mars « arrêt immédiat du projet », la Coordination enchaîne une grève de la faim sur des bases très en retrait : pas même un moratoire du projet mais la suspension des expulsions et des expropriations jusqu’à la fin des recours juridiques qui est accordée 2 jours plus tard.. Ce qui a provoqué des désaccords et des tensions très fortes et rendu difficile la relance de la mobilisation dans une optique radicale de mars à juin.
Le 21 juin, alors que commence l’enquête publique, la Coordination fait appel au mouvement d’occupation pour mener une action commune : l’occupation de la mairie. Sur place se combinent divers modes d’action : blocage des accès avec des tracteurs, sabotage des serrures à la colle, occupation du toit… et s’expriment deux messages extrêmement différents : celui de la Coordination et de l’ACIPA qui demande un report des enquêtes publiques avec l’objectif d’obtenir quelque chose en négociant, et le message des occupants et de la frange radicale du mouvement qui dénoncent l’arnaque des enquêtes publiques et les refusent. Cela donne la mesure des écarts stratégiques entre les opposants La mobilisation est sclérosée par des bureaucrates associatifs professionnels, qui sont dans la logique de la représentation et de l’accompagnement du projet. Et du côté de la frange radicale du mouvement, une des faiblesses est l’absence d’un espace de rencontre, de discussion et de décision commun.

Pour relancer et poursuivre la mobilisation

Malgré la faiblesse et la division du mouvement, il y a des opportunités car les travaux du barreau routier doivent commencer en février 2013 et on arrive au terme des recours juridiques, au terme des actions d’information et de sensibilisation ; il n’y aura plus beaucoup d’autres recours que des modes de mobilisations et d’actions directes. Le mouvement d’occupation va-t-il pouvoir amener une partie de la base du mouvement citoyen vers ces modes d’action-là, avec un discours un peu plus radical de critique de la société et une manière un peu plus radicale de s’opposer au projet. ?
Le mouvement d’occupation va essayer de faire évoluer un peu l’attitude de la Coordination face à la répression, lors des procès, et face aux expulsions, pour l’amener à exprimer et engager sa solidarité.
Quand la zone est militarisée, que le chantier est hyper défendu, tu ne peux plus agir sans un mouvement de masse qui s’impose par le nombre, comme au Val Susa.

Je ne sais si, sur NDDL, on arrivera à construire cette mobilisation, même si l’évacuation des occupants peut faire un point de conflictualité important. On ne peut pas le présager.

Lignes THT

La lutte du Chefresne contre la ligne THT Cotentin (Flamanville)-Mayenne a pu être lancée parce qu’il existe une tradition de rejet du nucléaire dans le Nord-Cotentin, région hyper-nucléarisée ( les premiers sous-marins nucléaires, l’arsenal de Cherbourg, une centrale à Flamanville, l’usine de La Hague, puis une deuxième entité qui se construit à Flamanville (EPR) etc...) Certes les gens ont appris à vivre avec le nucléaire, mais ils ne l’acceptent pas vraiment.
Lors de la mise en place des lignes THT, la mobilisation s’est faite à travers les institutionnels (les Verts, la Confédération paysanne…) qui sont arrivés à leur limite, à savoir négocier le passage des lignes THT.

Aujourd’hui, c’est la deuxième phase de la lutte, qui est née dans la dynamique du camp de Valognes, en novembre 2011, contre le transport par train Castor des déchets nucléaires. Cette action, qui a d’ailleurs montré que la population était solidaire avec les manifestant-es, a été un déclencheur.

L’ AG à Coutances qui a suivi, début janvier 2012, a permis que le débat sur l’anti-nucléaire se poursuive. La question de lignes THT en cours d’installation a été envisagée comme un autre angle d’attaque du nucléaire et du monde qu’il nous prépare ; en n’oubliant pas que ces réseaux de transport d’électricité peuvent aussi trouver leur raison d’être dans d’autres sources comme des installations de parcs d’éoliennes, ou encore de panneaux solaires prévus à une échelle pharaonique, pour consommer toujours plus d’énergie..

Au cours de cette AG, le maire du Chefresne a proposé de réunir des forces autour de ce village (sur 64 communes traversées, seules 5 résistent encore, RTE -Réseau de transport d’électricité- n’hésitant pas à utiliser le rouleau compresseur financier pour acheter la soumission et la paix sociale), en occupant un bois et un château d’eau sur la commune. Cela représentait un objectif à la fois symbolique et concret, ces lieux pouvant devenir des lieux d’organisation, de rencontres et d’assemblées pour la lutte.

Ainsi, le renouveau de la lutte antinucléaire qu’a laissé entrevoir l’initiative de Valognes a relancé chez les irréductibles parmi les riverains (les « locaux ») des lignes THT, de Chefresne notamment, le désir de reprendre le combat, de se joindre à des militants extérieurs, afin d’essayer ensemble de remettre en place et d’articuler de nouveau la résistance.

La dynamique a pris, une compréhension s’est installée entre les gens, ce qui a relancé la mobilisation chez les riverains. Comme dit le maire, sans les militants, il n’y aurait rien et sans les riverains il n’y aurait rien non plus.
Les décisions se prennent en AG et les actions directes sont favorisées (déboulonnage de pylônes, sabotage d’engins, blocage d’entreprises en rapport avec la THT). Une charte a été discutée : il y est dit que tous les modes d’action sont permis, à l’exception des agressions physiques sur les personnes. On est loin de la résistance institutionnelle d’il y a 5 ou 6 ans, où les opposants, liés au réseau des Verts et à la Confédération paysanne, avaient épuisé tous les recours administratifs possibles et tolérés et en étaient restés là.
L’occupation du bois, qui se fait jour et nuit pendant deux mois et demi, permet des échanges, une circulation de gens qui viennent d’autres lieux de lutte, comme la ZAD de NDDL. Des gens locaux occupent par intermittence, par roulement. Des repas, des actions se font en commun.

Au début, les actions sont dirigées contre les lignes THT, donc par extension contre le nucléaire. Puis, contre les grands travaux, et pas seulement dans la région. L’horizon s’élargit, des échanges ont lieu avec des gens qui viennent d’autres lieux où se mènent aussi des luttes, les rencontres et les débats sont facilités par le fait d’avoir un lieu permanent.

Au Chefresne, on ne peut pas parler véritablement de mouvement, mais plutôt d’une action de résistance qui a démarré de façon sympathique et qui, au début, restait bon enfant. Mais progressivement l’atmosphère a changé, les flics du coin ont été remplacés par ceux d’une brigade éloignée.

Petit à petit, la répression a pris de l’importance, avec une militarisation énorme de tout le secteur, un contrôle permanent de la population y compris du maire.
Dans la commune de Montabot, au cours d’un camp de trois jours au mois de juin, lors d’une manifestation symbolique, la répression des flics a été féroce. Il y a eu 3 manifestants blessés très gravement par des armes offensives, et une vingtaine d’autres blessés plus légèrement. Une telle violence policière laisse des marques.

Peu après, deux AG se sont tenues au Chefresne. C’est au cours de l’une d’elles que le maire a annoncé unilatéralement que l’occupation du bois n’avait plus lieu de continuer. Ainsi, après le traumatisme de Montabot, le choc de la décision du maire. Pour autant la résistance plus éparse, plus isolée, se poursuit au quotidien de chacun chacune, annoncée par une info minimaliste. Pourtant les circonstances de la répression, comme lors du procès de Cherbourg contre les trois inculpé(e)s de Valognes, relaxé(e)s, redonnent une visibilité : ce fut un moment collectif fort, avec 150 personnes présentes à l’audience, heureuses de se retrouver (malgré le contexte), d’échanger et désireuses de poursuivre la lutte.

La suite de la lutte pose problème : la dynamique a lieu tant qu’on peut la tenir, parce qu’en face, il y a la criminalisation. Comment intervenir maintenant que, à chaque rassemblement, des brigades de flics coupent les cortèges, empêchent les manifestations, verbalisent en pleine campagne parce que vous êtes arrêtés au bord de la route, etc. ? La question est aussi comment continuer avec des méthodes radicales d’action dans cette nouvelle situation où il semble y avoir un éloignement entre la population et les gens extérieurs qui viennent ponctuellement s’il n’y a plus de lieu commun d’échange et de débat. ? Et si on ne peut plus intervenir au Chefresne, qui est devenu un symbole, la lutte va-t-elle se déplacer sur un autre site ? Si tel est le cas, quelle sera aussi la réaction de la dynamique commune qui se retrouvait dans la lutte. Envie de continuer ou désabusement ?

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