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Nucléaire

13 octobre : une maigre mobilisation

jeudi 15 novembre 2012, par Courant Alternatif

Le réseau Sortir du nucléaire et EELV organisaient le 13 octobre dernier, dans une dizaine de villes de l’hexagone, une journée antinucléaire préparée sans y associer l’ensemble des structures de base du mouvement. Une initiative venue d’en haut comme seuls le Réseau et les Verts savent le faire. En se bornant à évoquer dans leur bilan « des milliers de personnes », les organisateurs ont trouvé la formule permettant à la fois de ne pas mentir et de passer sous silence l’échec de cette journée. En effet, à part les maigres 3 000 manifestants à Laval et les presque 1 000 à Lyon, tous les autres rassemblements furent plutôt squelettiques.


Plusieurs explications à cet échec

Ça serait une erreur de n’interpréter la faiblesse de la mobilisation que par la seule stratégie des bureaucrates « antinucléaires ». Nous savons depuis longtemps que les échecs et les dérives expliqués par l’absence de « bonne direction politique » ou par la « traîtrise » de quelques-unes est une impasse. En effet, en ces temps où la « crise » est mise en scène, présentée comme horizon indépassable, et provoque la peur et l’angoisse, bien réelles et justifiées, mais entretenues largement par le discours des politiques et des medias il est évident que les préoccupations dites « écologiques » font moins recette et apparaissent comme un luxe pour classes moyennes protégées. Cela dit, il faut bien reconnaître que cette tendance compréhensible se trouve renforcée du fait que le parti qui représente officiellement cette écologie, mais aussi les satellites comme Hulot ou Lepage, n’ont strictement aucun discours social, ni sur la crise ni sur les luttes qui se mènent ou pourraient se mener, et que ce sont eux que les médias veulent entendre.

Il est pourtant évident que les luttes antinucléaires, comme celles contre les grands travaux et les aménagements du territoire, ne sont pas seulement des luttes écologiques mais se doivent d’être des luttes sociales reliées à tous les efforts que font les capitalistes pour préserver leur taux de profit. Car il faut répéter que l’industrie nucléaire fut mise en place pour augmenter ce taux de profit plus que pour nous fournir une énergie électrique au-delà de nos besoins. Et, présentement, que c’est pour maintenir ce taux de profit que les industriels ferment PSA et d’autres usines et ne veulent pas arrêter les centrales nucléaires. Et que, par conséquent, la lutte des salariés contre les licenciements devrait être la même que celles des antinucléaires… contre un système qui fait du profit le seul moteur de l’économie. Nous n’en sommes certes pas là, mais c’est ce qui devrait nous guider dans nos tentatives de mobilisation et d’intervention. Or, s’il ne s’agit pas de faire porter le chapeau des difficultés aux simples erreur ou traîtrise de direction autoproclamées, force est de constater tout de même une volonté marquée qu’aucune jonction ne s’opère, qu’aucun point commun n’apparaissent en dehors de ce qui débouche sur une perspective électorale.

En ce sens le mot d’ordre des organisateurs des manifs « changeons d’ère… » pouvait être prometteur d’une tentative de généralisation et de rapprochement d’intérêts apparemment opposés ou au moins différents. Mais la suite « flopait » en un pitoyable « … sortons du nucléaire » sans la moindre hypothèse sur la durée de cette ère ni sur ce qu’elle pourrait être. Quant aux objectifs immédiats affirmés, « arrêt immédiat des chantiers EPR et THT » ils se calquaient sur la pire conception du syndicalisme qui considère que c’est en demandant le moins qu’on obtiendra un peu quelque chose alors que, quant à nous, nous considérons que c’est en demandant beaucoup (ou même le plus).

Dans Courant alternatif du mois dernier, nous parlions de manifs instrumentalisées pour désigner celles qui se préparaient. Et ce fut le cas, par un moyen classique : des personnalités médiatiques attirant la presse. Il n’est plus nécessaire de faire nombre et de mobiliser pour avoir l’attention des grands médias et se persuader que l’on pèse d’un quelconque rapport de force, il suffit de faire venir quelques députés ou personnalités, et le tour est joué. A Laval, la seule manifestation d’une certaine ampleur (rien à voir cependant avec celle de Rennes il y a un an qui réunit 15 000 personnes), les Verts se firent discrets dans la rue mais omniprésents dans les médias qui accordèrent (comme d’habitude avec d’autres figures politiques) autant de place à la présence de J.-V. Placé et du nouveau secrétaire national Pascal Durand qu’à une réelle description du contenu de la manif. Itou à Lyon qui « bénéficia » de Yannick Jadot. Et lorsqu’il y a le nombre on bat un rappel encore plus grand de « personnalités » pour la vitrine. On se rappelle que lors de la chaîne humaine entre Lyon et Avignon en mars 2012 la presse remplit ses colonnes du seul fait de la présence au coude à coude de Bové, Joly, Voynet et Placé ! On ne saura jamais ce que les milliers d’autres pensaient. Et aussi la conférence de presse d’élus régionaux EELV affirmant leur soutien avec toutes les « actions non-violente menées » en marge du rassemblement de Montalbot (Chefresne) contre la ligne THT le 24 juin, plutôt que de se trouver anonymement avec les manifestants qui se faisaient taper dessus. L’autre volet de cette stratégie c’est l’affection portée au « spectacle non violent citoyen » : des citoyens bisounours et infantilisés regroupés de telle sorte que se dessinent au sol des slogans (comme à Strasbourg, ou au forum contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes en juillet dernier), ou des chaînes humaines comme celle prévue pour… le 9 mars, la prochaine échéance de nos organisateurs. C’est ainsi, paraît-il, que l’on peut toucher le maximum de gens et être crédibles auprès des populations ! Mon cul ! En fait, c’est surtout ainsi que l’on peut apparaître aux yeux du pouvoir comme une opposition tolérable permettant dans le même temps d’apparaître critique tout en restant dans l’appareil d’Etat en repoussant la question de l’arrêt des centrales à plusieurs dizaines d’années.

Y être ou pas…

Tous ces éléments peuvent évidemment apporter de l’eau au moulin des camarades qui étaient sceptiques quant à l’importance d’être présents dans ces manifestations et de mobiliser. Nous, qui avons choisi d’y intervenir avons cependant quelques arguments à faire valoir.

Le « bloc anticapitaliste » auquel nous appelions à Laval et que nous concevions comme une prolongation des initiatives à Rennes le 15 octobre 2011 d’abord, puis à Nantes le 24 mars 2012 n’a certes pas été aussi important que précédemment, dans des manifs qui, il faut le rappeler, avaient regroupé entre 10 000 et 15 000 personnes. Pourtant, partis de quelques dizaines avec la banderole « Ni rose ni vert, arrêt immédiat du nucléaire », ce sont plusieurs centaines de personnes qui ont constitué un cortège anticapitaliste qui, cette fois, s’est retrouvé en tête de manifestation en y imprimant une certaine tonalité. Des « inorganisés », des anti-THT, des anars (visibles – AL, CNT – ou invisibles – FA, OCL), des anticapitalistes de tous genres se sont regroupés derrière cette banderole reprise en un slogan structurant le cortège avec « Les Verts sont jaunes, on n’y comprend plus rien », « Pas l’temps d’aller voter, on a des pylônes à faire tomber » (variante avec « bosser » et « sauter »)… qui furent largement repris au-delà de nos rangs. En évitant de tomber dans un triomphalisme de mauvais goût, nous avons ressenti que dans la plus grosse partie de la manif la défiance vis-à-vis des écolos de gouvernements gagnait du terrain. A tel point que ces derniers, regroupés en queue de cortège, se sont disloqués avant même l’arrivée sur la grande place afin de ne pas risquer d’être brocardés par des individus incontrôlables !

Cela signifie qu’il existe une potentialité de recomposition de ce mouvement antinucléaire, mais certainement pas, à nos yeux, sur le modèle d’une simple amélioration du Réseau sortir du nucléaire en le rendant simplement plus transparent et « démocratique », ou en le cantonnant à une région. Certainement pas non plus par la simple reconstitution ou addition de petits groupes qui se borneraient à assurer la diffusion d’une bonne parole radicale. C’est seulement dans les assemblées de base, locales, larges dans lesquels les uns et les autres trouveraient leur place en acceptant les contradictions et les erreurs que pourrait se dessiner une perspective. C’est pas gagné.

En tous les cas, il est clair que se termine la période où le mouvement antinucléaire existait peu ou prou « en lui-même ». Celles et ceux qui s’y manifestent actuellement sont pratiquement les mêmes que celles et ceux que l’on retrouve contre les lignes LGV, contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, contre les lignes THT, bref contre ce qu’on appelle à tort « les grand projets inutiles » (ils le sont à nos yeux mais ils sont fort utiles à la survie du système capitaliste). Et c’est de la capacité de ces nouveaux mouvements à s’affirmer politiquement comme une force collective, et pas seulement comme une addition de réseaux plus ou moins fluctuants, que dépendra la capacité ensuite de créer à une ouverture en direction de toutes les contestations que la « crise » engendre.

OCL-Ouest

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