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Courant alternatif 222 - été 2012 vient de sortir

C’est reparti pour un tour !

dimanche 1er juillet 2012, par Courant Alternatif


C'est reparti pour un tour !

Le mois dernier, avant le premier tour des législatives, nous évoquions dans Courant alternatif l’hypothèse d’une voie « largement ouverte à la recomposition d’un grand parti de droite dure qui mettrait à mal la vieille UMP ».
La campagne électorale, surtout d’entre les deux tours, a largement conforté cette hypothèse tant les frontières entre droite dite classique et droite dite dure –comprenant le FN – ont été franchies à de multiples reprises. Si cela ne s’est évidemment pas avéré encore électoralement payant (la droite populaire a perdu la moitié de ses députés dans un contexte de défaite de l’UMP), les luttes à venir au sein du parti gaulliste laissent à penser que ce scénario ne doit pas être écarté ! Evidemment, cette recomposition ultradroitière que le patronat pourrait appeler au pouvoir en cas de nécessité n’est pas encore pour le proche avenir, mais les ingrédients sont là, bien mûris et prêts à servir. Pour l’instant, la gouvernance socialiste Hollande/Ayraud fait bien son boulot, et nul besoin pour le patronat et les multinationales de chercher ailleurs ce qu’ils ont sous la main à moindres frais et risques.

Une gauche de préfecture

Il est intéressant de noter qu’un clivage significatif et relativement nouveau entre « zones de droite » et « zones de gauche » est apparu : on note que seulement 11 préfectures (sur 106) ont voté Sarkozy alors que 44 départements (tous ruraux, hormis les deux alsaciens et celui des Alpes-maritimes), et même 61 si on ne compte pas les deux villes principales de chacun d’eux (08, 14, 17, 34, 37, 38, 59, 72… et autres), ont fait le même choix. Or ces zones ne sont pas seulement rurales : ce sont en même temps celles qui ont le plus souffert de la diminution drastique des services publics, des fermetures de classe, d’école, d’hôpital, etc. Et c’est dans les préfectures que se concentrent tous les services d’importance (santé, éducation, tribunaux, impôts, transports, etc.), ce qui oblige les ruraux à faire de plus en plus de kilomètres pour en « bénéficier » (laissant ainsi les plus pauvres sur le carreau). C’est dans ces préfectures qu’habitent la bourgeoisie traditionnelle mais aussi les nouvelles classes moyennes supérieures – bobos, enseignants titulaires d’université ou de lycée, qui y ont pris en grande partie le pouvoir politique et s’en servent pour restructurer à leur profit les centres-villes et périphériser les plus pauvres, pour faire du culturel et du bien-vivre un pôle d’innovation, pour lancer des plans écologiques d’urbanisme…

Cela nous ouvre une piste nouvelle quant à l’explication du racisme, ou au moins du rejet des étrangers exprimé dans des zones où on rencontre rarement un Arabe ou un Noir et où la délinquance est faible. Le raisonnement « par procuration » est, dans ce cas, différent. La désertification des services publics est vécu comme un abandon. Et si on nous abandonne, c’est qu’il n’y a pas de fric. Où va le fric ? Dans l’assistanat et les allocations à des gens qui ne travaillent pas et qu’on voit traîner en bas des immeubles de la périphérie de cette préfecture où on se rend parfois, alors que nous, population d’artisans, d’agriculteurs, d’employés, de petits retraités, nous travaillons ou avons travaillé dans un système où le débat 35 heures/40 heures n’a que peu de sens… Il est intéressant de noter que ces zones rurales et touchées par la désertification des services qui ont le mieux résisté au vote Le Pen/Sarkozy sont celles qui ont conservé une relative identité assortie d’une tradition de résistance (zones semi-montagnardes plutôt situées dans le Sud ou le Centre). Et c’est justement dans ces zones que l’on trouve le plus d’initiatives pour mettre en place des embryons d’alternatives concrètes, ou du moins pour y poser le problème.

PCF/Front de gauche :
l’impasse parlementariste

L’effet Mélenchon ne s’est pas reproduit aux législatives. Privé au local de l’effet médiatique du tribun, les sortants communistes sont allés au casse-pipe et ont poursuivi leur lente et régulière chute.
En 1981, la vague rose avait fait perdre la moitié de ses sièges au PCF (il vient d’entrer au gouvernement) qui n’en compte plus alors que 44. C’est le début de l’inexorable déclin du Parti. La stratégie de Mitterrand d’éradication par l’absorption et la digestion des communistes a fonctionné à plein. En 1986, ils n’auront plus que 35 élus et moins de 10 % des voix malgré la proportionnelle. En 1988, à la réélection de Mitterrand, ils ne sont plus que 25 ; puis 23 en 1993, avec un sursaut en 1997 (36 élus)… et ensuite 21 en 2002, 19 en 2007. En 2012, il n’en reste que 9… Sur les 8 élus de la « banlieue rouge » parisienne, ils n’en conservent que 3… et en fait, parmi eux, seule Marie-George Buffet est réellement au PC ; les deux autres l’ont quitté il y a pas mal de temps, et gageons que lors des prochaines consultations électorales la porte du PS leur sera grande ouverte.
Jusqu’à aujourd’hui, le PCF ne devait son existence qu’au bon vouloir d’un PS qui l’avait étouffé… et protégé de façon à mettre en scène une gauche plurielle. Il a pu prolonger l’agonie grâce à de beaux restes d’implantations locales qui lui valaient quelques circonscriptions où il était en tête de la gauche. Mais ces circonscriptions n’existent plus, et le PS a trouvé un autre pigeon pour lui servir de faire-valoir. Gageons que ce qui est arrivé au PC arrivera assez vite aux Verts qui, eux, ne disposent d’aucune parcelle d’autonomie leur permettant d’exister, même petitement et pour un temps, sans leur protecteur.

Nul ne sait ce que deviendra le Front de gauche, tiraillé entre une image médiatique assez forte, mais sans base activiste autre que celle d’un PC peu populaire mais disposant encore de quelques forces militantes. Quoi qu’il en soit, le mauvais score du second tour rafraîchira sans doute les ardeurs de ceux qui, à l’extrême gauche et surtout au NPA, étaient partisans du rapprochement, voire d’une fusion, avec le Front de gauche, et que le premier tour avait encouragés dans cette voie. Les petites formations ralliées auparavant au FDG : ex-LCR de la gauche unitaire de Piquet ou de Convergences et alternative, FASE (elle-même rassemblement de micropartis), pro-albanais du PCOF, etc., n’ont pesé d’aucun poids et ont totalement disparu du paysage couvert par Mélenchon et le PC.

EELV

En attendant, c’est une des plus grosses opérations politicardes de la Ve République que EELV vient de réaliser. Un hold-up qui lui permet de transformer une grosse défaite électorale en un succès revendiqué… au Parlement. Incapables d’emporter par eux-mêmes la moindre circonscription sans l’aide de la proportionnelle, ils ont deux fois plus d’élus que le Front de gauche avec cinq fois moins de voix ! C’était leur but, en passant l’accord que l’on sait avec le PS ; ils ont gagné leur pari et perdu tout dignité !
Nous ne reviendrons pas ici sur cet accord passé avec le PS et ses conséquences sur la politique nucléaire. Simplement pour ajouter que même la promesse-gadget de la fermeture de Fessenheim a de fortes chances de ne pas être tenue. Mais c’est sur la politique africaine (en lien dans ce cas avec le nucléaire) que le premier accroc est venu : à l’issue d’une rencontre avec le Président nigérien, François Hollande s’est prononcé en faveur d’une accélération de la coopération entre Areva et le Niger pour exploiter la mine géante d’uranium d’Imouraren (1). Lorsqu’on sait que Areva fut poursuivi à plusieurs reprises pour provocation à la discrimination, à la haine et à la violence raciale par des associations touareg ; que les impacts de l’exploitation de l’uranium sur la population autochtone touareg ont été multiples (problèmes sanitaires majeurs liés à la pollution radioactive, contamination du sol et de la ressource en eau vitale pour les populations, destruction des espaces naturels et de la faune, spoliations territoriales, déplacements forcés sans indemnisation, atteinte au mode de vie et à la culture touareg…), on est en droit de se demander ce que fait Pascal Canfin (EELV – coopération/développement) au gouvernement. Jadis, Jean-Pierre Cot, qui occupait le même poste dans celui de Mauroy depuis mai 1981, avait démissionné dès 1982 par désaccord avec la politique africaine des socialistes. Canfin ne sera-t-il même pas un sous-Cot ?

Probable, si on en juge par le camouflet subi ensuite par les Verts sans susciter la moindre réaction : le transfert de Nicole Bricq du ministère de l’Ecologie à celui du Commerce extérieur pour avoir décidé, le 14 juin, de suspendre les forages de Shell au large de la Guyane. Certes, il ne s’agissait que d’une suspension, mais qui portait en filigrane un réexamen du code minier français. C’en était déjà trop pour les pétroliers qui n’ont pas eu beaucoup à faire pour remettre les choses à leur place… Comme l’a dit J.-V. Placé, il s’agit d’un lobby extrêmement fort. Eh oui, et que dire alors de celui du nucléaire ! Cécile Duflot n’a pipé mot sur le sujet. Le jour même, le secrétaire adjoint de EELV déclarait après l’annonce de la chaise musicale : « Les écologistes sont là et ça va se voir ! » Que dire aussi du remplacement de Duflot à la tête du parti par Pascal Durand, un clone du clown Nicolas Hulot ? La base des Verts avait cru avoir réussi un bon coup en poussant dehors le médiatique Hulot, son porte-parole revient par la fenêtre à l’unanimité !

On se rappelle ce que sont devenus en 1981 les ministres communistes – les Fiterman, Gayssot, Le Pors ou Rigout…. Le pouvoir les a portés en dehors du Parti en les rapprochant du PS. Nous verrons bien combien de néo-députés et ministres écolos feront de même dans pas longtemps.

Mai 81 - mai 2012

Cela nous amène à nous poser la question de savoir si l’après-2012 va ressembler à l’après-1981. La gauche arrive alors au pouvoir, quand les mouvements sociaux issus de 68 se sont si bien affaiblis que confier les clés de l’Elysée et de Matignon aux socialistes et un peu aux communistes ne peut qu’aider à les éradiquer tout à fait. C’est ce qui s’est passé : la gauche a bel et bien inauguré une longue période de restructurations sur le plan économique, et d’enkystement de ce qui restait d’un peu radical sur le plan culturel et sociétal de la contestation soixante-huitarde. Une fois passé les chants et les danses place de la Bastille, le désenchantement est venu assez vite, pour de longues années horribilis : classe ouvrière battue à Longwy et à la Chiers, poursuite du programme nucléaire, remplacement de la pensée critique par celle des « nouveaux philosophes », institutionnalisation des radios « libres », muséification accélérée de la culture par Jack Lang, etc. Bref, un vide sidéral s’est installé dans cette société française rose et rouge totalement aseptisée.

On ne devait plus les y reprendre, les fêtards de Mai 81 obligés d’avaler couleuvre sur couleuvre… Ils remirent pourtant ça à la première occasion ! Pas tout à fait, cependant, le taux d’abstention n’ayant cessé de croître depuis. Il a fallu attendre 1995, après quinze années d’un puits qui semblait sans fond, pour que réapparaissent ces formes de vie qui nous sont si chères : les luttes.

La situation est bien différente à présent. Si, en France, nous ne sommes pas en période de recul des luttes, le moins qu’on puisse dire c’est que ce n’est pas non plus une montée significative. Il en est tout autrement au niveau mondial et européen, du moins pour sa partie sud. A l’intensification de l’offensive capitaliste pour conquérir de nouveaux espaces géographiques, culturels, technologiques… au niveau mondial a correspondu depuis une quinzaine d’années l’apparition de nouvelles luttes. Luttes altermondialistes, des « indignés », luttes pour des reconquêtes de territoire donnant une nouvelle lumière à la problématiques des luttes de libération nationale, « révoltes arabes », affirmation de luttes ouvrières en Asie illustrant le fait que la condition ouvrière est toujours en expansion, luttes paysannes un peu partout, réappropriation de parcelles économiques en Amérique latine, apparition d’une nouvelle génération de jeunesse rebelle en Europe… Bref, autant d’éléments qui, certainement, apparaîtront dans quelques décennies, et avec la vision globale qui naît obligatoirement d’une certaine hauteur de vue et d’un peu de recul du temps, comme un bouillonnement dont il sera alors temps de définir le sens mais qui seront interprétés comme les prémices de quelque chose que nous ne pouvons définir maintenant.

Mais nous ne sommes pas les seuls à émettre cette hypothèse : la bourgeoisie, partout dans le monde, fait le même constat. Sans être aux abois ni avoir peur, du haut de sa sagesse, elle prend en considération l’hypothèse d’une remontée mondiale des luttes pouvant ouvrir la voie à des situations incontrôlables. Et c’est bien là le sens des nouveaux arsenaux répressifs qui se mettent en place petit à petit. Nul besoin de revenir ici, pour la France, sur les nouvelles lois réintroduisant la responsabilité collective, sur le fantasme législatif de l’anti-terrorisme, etc. La violence répressive s’est déchaînée aussi bien contre les mineurs ou les Indiens en Amérique latine que contre les opposants en Russie ou les grévistes en Tunisie ou en Chine. Récemment, ce sont les mesures qui se sont multipliées pour interdire les manifestations dans des pays « démocratiques » comme l’Espagne ou le Canada qui ont suscité l’indignation en ce qu’elles transgressent ce qui restait un des derniers arguments pour montrer que la démocratie ce n’est pas la dictature. Certes ce n’est pas la dictature, mais ils s’y préparent et peu leur importe la couleur du gouvernement. Nous verrons bien dans les semaines qui suivent les mesures que prendra Manuel Valls.

Car, ce qui est nouveau, par rapport à 1981, c’est la nature des luttes dont nous constatons la montée au niveau mondial. En trente ans, un nombre considérable de structures intermédiaires entre le capital et le travail ont été affaiblies ou même ont disparu. En France (mais plus généralement en Europe), les syndicats représentent de moins en moins de monde. Les élus le sont par de moins en moins de gens. Tant et si bien que les explosions, les luttes sont beaucoup moins canalisées et tendent à l’affrontement direct avec les pouvoirs, tandis que de plus en plus de structures horizontales qui n’obéissent pas forcément aux logiques partidaires habituelles animent des mouvements beaucoup plus incontrôlables et imprévisibles. Et c’est bien ça ce qui inquiète les dirigeants de tous les bords et du monde entier. Et c’est ce qui, en revanche, nous donne quelques espoirs, même si nous savons très bien que le capital n’est pas au bout de rouleau de la crise, et qu’il a mille fois montré par le passé qu’il savait les surmonter et pas seulement au moyen de la répression.

Jpd

1. Le 25 avril dernier, le personnel nigérien du site d’Imouraren a entamé une grève d’avertissement de sept jours pour protester contre ses conditions de travail, affirmant travailler douze heures sur vingt-quatre. Areva avait fait savoir qu’avec ce genre de grève il lui serait difficile de tenir le délai de 2014 pour la mise en service de la mine.

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