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Edito 156 Fevrier 2006

mercredi 1er février 2006, par Courant Alternatif


ÉVITER LE RECUL DE LA COMBATIVITÉ COLLECTIVE


Les Agences Nationales Pour l’Emploi flambent aujourd’hui comme les paillotes corses sous le préfet Bonnet, ou les voitures des cités à l’Automne (ou les centres de rétention en Australie en 2002 : Retour sur une révolte p.20) . Tout le monde ou presque s’y attendait. Et le feu sera utilisé pour d’autres causes – prisons, usines, administrations - n’en doutons pas, vu le blocage total imposé par le pouvoir à la société (cf le social à la bretonne p.4)...

Les flics interdisent toute occupation collective des ANPE, ASSEDIC et autres lieux publics représentant la gestion concrète du chômage en cognant et inculpant tout protestataire. « Il faut donc passer à d’autres moyens que la manifestation traîne-savates… ou l’immolation par le feu », geste tenté par un chômeur bordelais le mois dernier. Ce message adressé par le gouvernement Villepin aux déconstructeurs énervés (appelons-les ainsi pour le moment !) est manifestement reçu cinq sur cinq : cinq ANPE et une ASSEDIC incendiées et six tentatives reconnues. Voici un bel exemple de communication politique, et nous remercions Galouzeau de Villepin pour sa franchise !

Mais malheur aux imprudents qui s’expriment sur ce thème dans un espace de « liberté » comme Internet ; l’agent CGT de l’ANPE Saint-Nazaire qui appelait à brûler son agence par dérision, se retrouve en garde à vue ! Nous encourageons bien sûr les internautes citoyen-ne-s à appeler à l’incendie généralisé, histoire de rééditer sur le Net les opérations « Faucheurs d’OGM » d’auto dénonciation : au vu de l’activité policière actuelle, les fichiers préfectoraux vont ressembler à des listes électorales !!!

La répression actuelle est sans faille pour les isolé-e-s et les désarmé-e-s. À l’image de Sarkozy doux avec les forts et dur avec les faibles, le pouvoir piétine allègrement les individus (cf la mobilisation pour les prisonniers d’Action Directe p. ???). Mais il se retient quand il y a du répondant : les dockers européens, qui ont allumé soixante-trois flics à la manifestation de Strasbourg le 16 janvier dernier ont obtenu finalement le recul du parlement européen sur la déréglementation du travail portuaire – même si les témoignages des manifestant-e-s indiquent que les dockers arrêtés l’ont été avant les affrontements, à la descente des bus ou sur le parcours, comme par intimidation…-. Autre exemple, le détournement du Pascal Paoli lors du conflit de la SNCM fut un remarquable exemple de l’adaptation de la répression : au début, il s’agissait d’un « acte de piraterie passible de dix ans de prison » ; face au blocus des ports corses, les derniers emprisonnés du STC sont finalement ressortis, inculpés mais libres !
Comme dans le monde économique, il n’y a plus de position acquise définitivement…

Le pouvoir veut soupeser la force de frappe effective qui se dresse devant lui, puis relâche momentanément son intransigeance selon les cas. Quitte à se déjuger (comme sur le colonialisme p.17) et passer pour une ganache ridicule.

Cette répression entretient la peur et l’insécurité, mettant sous pression celles et ceux qui luttent. L’Etat exhibe sa présence et sa force, fait des exemples sur des individus isolés avec des sanctions financières et pénales, pour imposer la norme capitaliste dans les esprits et développer des logiques individualistes (la réforme de l’apprentissage à 14 ans est éclairante de cette idéologie omni-présente p.7). Les médias donnent à ce jeu étatique une visibilité essentielle, doublée d’une grande souplesse d’exécution (voir la canonisation de Sharon, homme de paix ! p.22). Certaines luttes aux aspects spectaculaires sont mises sous le feu des flashs, caméras et micros. D’autres aussi importantes et très longues sont ignorées (comme dans l’usine Nestlé Saint-Menet prés de Marseille, où les salarié-e-s ont obtenu un accord substantiel au bout de deux ans face à une multinationale impitoyable). Ces mêmes médias coupent le robinet de l’information quand les risques d’extension se précisent : les émeutes des banlieues de novembre 2005 sont devenues invisibles au bout de trois semaines, tout comme en janvier 1998 les actions des collectifs de chômeurs, généralisées un peu partout mais n’ayant plus aucun écho. Cette dépendance des luttes envers les médias officiels pousse les actrices et acteurs à les « mettre en scène » pour leur donner du sens et être reconnus ; aujourd’hui, cet aspect des luttes marche de moins en moins s’il n’y a pas de coût économique ou de conséquence politique directs pour les pouvoirs confrontés aux revendications. Le charisme et la popularité de Bové ne l’ont pas empêché d’aller en prison et le citoyennisme altermondialiste façon ATTAC - Greenpeace se retrouve nu face à la brutalité réactualisée du pouvoir (voir notre rubrique mensuelle Big Brother p.15).

La répression sur les luttes amène des réponses multiples, sinon opposées. Il y a un repli majoritaire, une absence de luttes (voir un bilan du Comité Anti Expulsions parisien p.11), ou du moins une grande frilosité avec le choix de formes d’action étroitement légalistes. Mais aussi l’émergence de luttes en petits commandos, à visage découvert, avec quelques militants qui se “sacrifient” pour la cause (actions de désobéissance civile ou de sabotage au Pays Basque, comme le fameux barrage d’Itoïz), ou bien carrément à couvert type guérilla urbaine.

Le recul de la combativité collective et son inefficacité peuvent être évités, et la tendance inversée, en s’organisant ; L’importance vitale de l’organisation, pour améliorer le rapport de forces et la solidarité, revient au premier plan, pour disposer de réseaux autonomes des pouvoirs, pour analyser et réfléchir collectivement sans état-majors auto désignés (ou martyrs exemplaires allant au casse-pipe avec leçons de morale à la clé). L’autonomie de la diffusion de l’information est aussi une donnée déterminante pour reconstruire cette résistance et l’offensive nécessaire que le pouvoir nous impose de façon plus pressante de jour en jour.


Nantes le 31 /01/06

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