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Tierra y libertad en Andalousie aujourd’hui

mardi 20 mars 2012, par Administrateur OCL Web

« Notre philosophie peut se résumer de la façon suivante : la terre, comme l’air et l’eau, est un don de la nature que personne ne peut s’approprier pour son profit individuel ou pour son enrichissement privé. La terre est un bien public, propriété du peuple, qui doit être à l’usage et à la jouissance de ceux qui y vivent et qui la travaillent. Si alors la terre n’est à personne, la propriété de la terre est un vol. C’est pour cela que nous demandons l’expropriation sans indemnisation… »1


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Trente ans après la grande époque de ses occupations massives de terres, le Syndicat andalou d’ouvriers agricoles (Sindicato de Obreros del Campo - SOC), vient de renouer avec cette tradition. A 11 heures du matin, le 4 mars, 500 journaliers agricoles et membres du syndicat ont envahi la Finca Somonte dans les riches terres de la plaine du Guadalquivir près de Palma del Rio dans la province de Cordoba. Ce domaine de 400 hectares, dont 40 à l’arrosage, fait partie d’environ 20.000 hectares que la Junta, le gouvernement andalou socialiste, avait décidé de vendre aux enchères. La vente, ou privatisation, du domaine de Somonte était justement prévue pour le 5 mars.

Qui, dans l’Espagne d’aujourd’hui, frappée par une crise économique sans précédent et par un chômage touchant environ 25% de la population et 50% des jeunes1, pourrait en avoir les moyens nécessaires ? Une famille richissime, une banque, une institution financière… ? En tout cas pas les habitants de Palma del Rio, village qui compte 1.700 chômeurs…

L’occupation dure déjà depuis une semaine. Trente personnes des villages des alentours se sont installées sur le lieu et ont commencé à travailler la terre, à semer salades, tomates, pommes de terre, oignons et autres légumes, d’abord pour l’autoconsommation. Elles sont aidées tous les jours par des dizaines d’autres venus de toute l’Andalousie pour appuyer l’occupation. Dont deux hommes âgés qui connaissent fort bien cette ferme, y ayant travaillé de nombreuses années. Ils ont apporté leur savoir-faire en précisant que ces terres sont très riches, mais que jusqu’à présent personne ne les a jamais vraiment mises en valeur. Un autre voisin de 83 ans a apporté des outils manuels qui ne sont plus utilisés dans l’agriculture intensive d’aujourd’hui. D’autres ont amené des semences, des plants, des poules…

Parallèlement il a fallu aménager les habitations afin de pouvoir loger tous les occupants. Un électricien de Fuente Carreteros et un plombier de Palma del Rio se sont proposés comme volontaires. Toutes les décisions sont prises dans des assemblées générales quotidiennes et des commissions ont été établies pour s’occuper de la logistique, des relations avec les médias, du nettoyage, des repas, du travail horticole…

Cette ferme se trouve à 50 km de Marinaleda, grand bastion du SOC, où la municipalité a créé des conserveries et des ateliers qui pourraient transformer les produits de Somonte. Selon le SOC, la partie irrigable pourrait, dans une première étape, fournir du travail à au moins 50 personnes. La ferme pourrait à terme faire vivre beaucoup plus de gens, grâce à la « culture sociale » de tout le domaine. Les occupants disent qu’ils ne veulent pas créer une coopérative de salariés, mais une « coopérative de résistance » assurant la survie et un lieu de vie pour de nombreuses personnes frappées par la crise.

Au niveau régional et national, le soutien dépasse les milieux syndicaux, venant également de mouvements écologiques, d’associations soutenant l’agriculture biologique, de groupes urbains…

Le jeudi 8 mars une délégation s’est rendue au Département de l’Agriculture à Séville, afin de demander que la vente du domaine soit annulée et qu’elle soit mise à la disposition d’une coopérative de travailleurs. Dehors, une manifestation de plus de mille membres du SOC les appuyait. Une nouvelle réunion a été fixée pour mardi le 13 mars.

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C’est en 1978 que le SOC, deux ans après sa légalisation suite à la mort de Franco, a lancé les premières occupations de terres depuis la guerre civile. Elles ont surtout visé des latifundia appartenant à des familles aristocratiques, comme les 17.000 hectares du Duc del Infantado occupés par les journaliers de Marinaleda en 1985. Le SOC est sans doute le seul syndicat européen à avoir officiellement réclamé la réforme agraire. En partie, il a eu gain de cause et a pu créer des coopératives sur des terres occupées. A l’époque la répression était très forte et des centaines de journaliers se sont trouvés inculpés aux tribunaux. Nous2 avions lancé une campagne de solidarité internationale, en organisant des tournées d’information dans toute l’Europe et en envoyant des délégations d’observateurs aux procès.

Cette fois-ci, même si la Guardia Civil suit de près l’occupation de la Finca Somonte, les autorités n’ont pas encore agi contre le SOC. C’est vrai que des élections régionales cruciales auront lieu le 25 mars où le parti socialiste pourrait bien perdre le pouvoir en Andalousie pour la première fois depuis la fin de la dictature. Il est donc peu probable que la junta lance les gardes civils avant cette date… d’autant plus que, face à la crise, ce genre d’action est très populaire et que la colère de la population contre les gouvernants est grande. Mais après le 25 mars… ??

Le SOC a, en tout cas, lancé un appel à la solidarité locale, nationale et internationale. A nous de nous tenir prêts ! Une présence européenne sur place serait une grande aide et rendrait moins probable une intervention policière pour évacuer la ferme. Un compte bancaire sera bientôt ouvert pour une caisse de solidarité financière. Dans l’immédiat, il serait très utile d’envoyer des lettres de soutien à l’adresse électronique indiquée ci-dessous.

« Cette action devrait être le début de la révolution agraire qui, en cette période de chômage, de pénurie et d’escroquerie néolibérale, nous manque tant. Aujourd’hui toute alternative pour survivre avec dignité doit passer par la lutte pour la terre, l’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire… »3.

Même si le gouvernement a déjà pu vendre plus de la moitié des 20.000 hectares dont il était le propriétaire, il reste encore environ 8.000 hectares à occuper…

Nicholas Bell, Forum Civique Européen
nicholas.bell[at]gmx.net

Pour plus d’information :
www.sindicatoandaluz.org
somontepalpueblo[at]gmail.com

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1 Message

  • Finca Somonte, Andalousie : la terre à ceux qui la travaillent

    Jean-Pierre Petit-Gras

    lundi 16 avril 2012

    Vers l’Ouest et le Nord, l’horizon est barré par les lignes sombres de Sierra Morena[1], derrière lesquelles le soleil, après cette chaude journée d’avril, s’est enfin décidé à se glisser. Avant l’assemblée des occupants, où seront prises les décisions concernant les prochains jours, la responsable de la cuisine, María, nous livre quelques bribes de sa vie. Elle évoque les siens. Son grand-père paternel, que les falangistes sont venus chercher un soir à la maison familiale... On n’a jamais retrouvé son corps. Son père, à qui les contremaîtres des señoritos[2] ne donnaient pratiquement pas de travail, à cause de sa tendance à réclamer son dû, arrêté un jour qu’il venait de voler un sac de pommes de terre. Il fallait bien donner aux gosses quelque chose à manger. Les gardes civils l’ont tabassé, et lui ont brisé le bras à coups de crosses de fusil. Il est resté définitivement manchot. Sa mère est morte, faute de médicaments, alors qu’elle était encore toute petite. Pourtant, María est aujourd’hui tout sourire.

    Depuis le 4 mars dernier, la Finca Somonte, à Palma del Río (province de Cordoue), est occupée par des jornaleros (ouvriers agricoles journaliers) organisés au sein du SOC-SAT (Syndicat des ouvriers de la campagne). María en fait partie. Avec Lola, Susana et quelques autres, elles sont à la fois l’âme du mouvement, et les organisatrices inlassables des activités : préparation d’un champ, que l’on va débarrasser de tonnes de cailloux[3] pour y semer des piments de piquillo, nettoyage de l’un des puits, où il faudra descendre pour en retirer des dizaines de seaux de boue, plantation d’oliviers, travail du potager, créé dès le premier jour de l’occupation, et dont les premières rangées de laitues, d’oignons, de haricots et de tomates témoignent d’un savoir-faire évident...

    Le cortijo Somonte est une finca de 400 hectares (dont 40 irrigués) appartenant à la Junta de Andalucía, le gouvernement local dirigé par le PSOE. La Junta a décidé la vente aux enchères de 20 000 hectares de terres. Au prix moyen de l’hectare, seules de grosses fortunes, ou des entreprises importantes peuvent emporter le morceau.

    Cette occupation répond donc à une situation insoutenable et scandaleuse : plus de 32% de la population andalouse est au chômage[4], alors que d’immenses propriétés, « appartenant » à des aristocrates ou à des fonds d’investissement, se consacrent à l’agriculture d’exportation, à la chasse, ou encore à des activités de façade, qui leur permettent de bénéficier des subventions de la communauté européenne. L’exigence de ces ouvriers agricoles n’est pas de toucher les indemnités de misère (420 euros mensuels pendant un maximum de six mois, à condition de justifier d’au moins 35 journées travaillées), mais de pouvoir travailler.
    Et leur mouvement pose clairement la question historique de la propriété de la terre. L’Andalousie bat en effet tous les records en matière d’inégalité d’accès au foncier. Le latifundisme, ce régime de grande et très grande propriétés, dénoncé depuis plus de 100 ans[5], s’est encore accentué ces dernières années. En effet, aux aristocrates traditionnels sont venus s’ajouter les investisseurs qui voient dans l’extension de la monoculture d’exportation (olivier, coton, agrumes, fraises ou maraîchage), ou bien dans la collecte des subventions européennes, l’occasion de s’enrichir un peu plus.

    La spéculation, la mécanisation, et les politiques suivies par les gouvernements qui se sont succédés aussi bien à Madrid qu’en Andalousie (où le PSOE est au pouvoir depuis les premières élections qui ont suivi la mort de Franco) ont eu pour résultat d’accroître l’exode rural. Mais toute la population n’est pas résignée pour autant, comme en témoignent les luttes menées à la fin des années 70 par le SOC, et qui ont abouti à l’occupation des terres du duc de l’Infantado à Marinaleda, dans la province de Séville, et à la constitution de coopératives qui ont pu redonner dignité et travail, ainsi qu’un minimum d’autonomie aux jornaleros qui s’y sont impliqués.

    C’est dans leur culture ancestrale que les jornaleros puisent leur détermination. L’attachement pour la terre, chez ces gens qui ne sont pas propriétaires, le désir d’y rester pour en vivre, leur fait retrouver l’aspiration historique au bien collectif (« la propriété privée, c’est le vol » nous martèle Lola, porte-parole du syndicat de la province, « et la terre c’est comme l’air et l’eau, cela ne peut appartenir à personne »).

    Leur capacité à travailler et vivre ensemble, jointe à une gaieté permanente, qui les aide à se rire des pires difficultés, est une force. Parfois, jaillit d’une poitrine une copla improvisée de cante jondo, ce chant profond qui dit les bonheurs et les peurs, les obsessions et les émerveillements d’un peuple issu du métissage complexe où se mêlent sang visigoth et normand, mémoire gitane et maure... Un groupe de jeunes de Cordoue vient d’apporter une trentaine de poules, deux coqs et une brouette neuve... Aussitôt, on se met à agrandir le poulailler, pendant qu’un groupe finit d’installer le goutte à goutte dans le potager...

    Vendredi 13 avril : un juge vient de décider, suite à la requête de la Junta socialiste, l’expulsion de Somonte. Les jornaleros appellent à résister, à venir avec vivres, tentes et sacs de couchage. Les grands quotidiens, la radio et la télévision rassurent les citoyens : le roi Juan Carlos, qui s’est fracturé la hanche en tombant d’un escabeau, alors qu’il chassait l’éléphant au Botswana, va beaucoup mieux.

    Quelqu’un a amené un chevreau à la finca. Rejeté par sa mère, il a failli mourir de faim, subi une infection intestinale, et sa santé demeure précaire. Il est incapable de se relever s’il tombe, et ne peut s’alimenter seul. Lola et María, comme si le travail ne leur suffisait pas, ont entrepris de le soigner. Sous le regard mi-goguenard, mi-attendri des hommes. « Bien sûr qu’il va s’en sortir », dit Lola en riant. « C’est comme nous, ici à Somonte, on va tous s’en sortir ».

    Pour soutenir les jornaleros de Somonte, on peut écrire au président de la Junta de Andalucía, Sr José Antonio Griñán, directement sur le site http://www.juntadeandalucia.es/organismos/presidente/correo.html
    Sans oublier de les mettre en copie à l’adresse suivante : somontepalpueblo@gmail.com

    P.S. Pour se rendre à la finca Somonte, c’est simple (quoiqu’un peu loin). A la sortie de Palma del Río, traverser le río Genil et prendre la direction de La Campana. Au kilomètre 10,5, après un tronçon en travaux, on aperçoit sur la gauche la pancarte "Junta de Andalucía, cortijo Somonte". Prendre le chemin de terre, il mène à la finca.

    Notes
    [1] On pourrait traduire par « montagne brune »
    [2] Les señoritos - petits messieurs - sont les latifundistes, héritiers des « grandes » familles qui accaparent la terre.
    [3] Il s’agit de galets, que les Andalous appellent lijeñas, charriés jusqu’ici par un Guadalquivir qui a dû être énorme.
    [4] Il s’agit de chiffres officiels (http://www.ine.es/daco/daco42/daco4211/epapro0311.pdf), publiés par l’INE, équivalent espagnol de l’INSEE. Dans la province de Cordoue, le taux de chômage atteint les 34%. Chez les jeunes de moins de 25 ans, il dépasse les 50%.
    [5] Le latifundisme a ses partisans, qui l’expliquent – sans rire – par le fait que le climat particulier (les énormes chaleurs estivales, la douceur hivernale) empêcherait la plupart des individus de réfléchir en été, et les rendrait paresseux en hiver...

    14 avril 2012 - Jean-Pierre Petit-Gras

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