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Lutter auprès des sans-papiers : HISTOIRE DU CAE PARIS

mercredi 1er février 2006, par Courant Alternatif

Fin octobre, un très bref communiqué du Collectif Anti-Expulsions d’Ile de France (CAE) annonçait qu’il cessait ses activités. Il est normal de s’interroger sur les raisons de cette disparition. Il est exceptionnel qu’un groupe politique soit en état de produire un bilan lors de sa disparition. Le CAE n’est pas une exception et ceci est une contribution personnelle. Je ne prétends pas présenter une analyse qui supposerait de s’appuyer sur des prises de position au sujet de problèmes généraux, qui devraient d’ailleurs être plus discutés, comme le fonctionnement d’un groupe qui, sans être une organisation politique, ne se limite pas à une lutte ponctuelle . Elle demanderait aussi beaucoup plus de développements sur le mouvement des sans-papiers.


Les débuts

Début 1998, le mouvement des sans-papiers est en crise. La circulaire Chevènement a fait son effet de démobilisation et de division. En même temps, avec la pluie de refus de régularisation, de nouveaux sans-papiers s’organisent ou se réorganisent. Les 15 et 18 mars, deux églises parisiennes sont occupées par des sans-papiers. Tous les occupants sont arrêtés, une quarantaine mis en rétention en vue de leur expulsion. A partir du dimanche suivant (22), des militants se rendent à l’aéroport de Roissy pour s’adresser aux passagers et les persuader de s’opposer aux expulsions. Une bonne partie des occupants des deux églises seront débarqués à la suite de ces actions.

Ce fut une période d’intense mobilisation. Les militants étaient de plus en plus nombreux à l’aéroport, bien après que les derniers occupants des églises aient quitté les centres de rétention, les uns expulsés, les autres libérés. La plupart de ceux qui étaient intervenu décidèrent de s’organiser pour s’opposer durablement aux expulsions ; c’est ainsi que le CAE est né, le 7 avril.

En même temps, il élargissait son action. Des interventions ont eu lieu à la Gare de Lyon avec SUD-rail sur des trains où des étrangers (sans-papiers ou double peine) étaient emmenés à Marseille pour être expulsés par bateau. Le 5 mai a eu lieu une intervention massive (nous étions largement 200) et assez mouvementée. Le train a de nouveau été bloqué à Lyon et était attendu à Marseille, villes où s’étaient aussi créés des collectifs anti-expulsions (ainsi qu’à Nantes ). Après cela, la police a renoncé à utiliser la Gare de Lyon pour ces départs forcés.

Les principes

Le CAE a vécu sur quelques idées simples :

  • S’opposer aux expulsions dans la pratique.
  • Nous ne sommes pas soutiens des sans-papiers, nous luttons avec eux pour des motivations et des convictions qui nous sont propres.
  • Ces motivations et convictions sont diverses selon les individus mais dans tous les cas anti-capitalistes.
  • Le collectif est autonome et travaille avec les collectifs de sans-papiers qui sont autonomes non en paroles mais dans leur pratique.
  • Prise des décisions en assemblée générale.

Ces idées nous mettaient nettement en opposition avec les associations, partis etc qui soutiennent, plus ou moins selon les moments, les sans-papiers, même si nous avons pu à l’occasion travailler avec certains d’entre eux. Leur mise en pratique présentait bien d’autres difficultés à résoudre. Prenons l’exemple de l’autonomie des collectifs de sans-papiers. Le problème n’est pas que tous ne sont pas autonomes dans leur pratique, même s’ils prétendent l’être (il n’y a qu’à voir comment l’Alliance d’Ile de France est à la remorque de Droits Devant et quelques autres). Le problème est que reconnaître l’autonomie ou pas d’un collectif et trouver des modalités de travail avec lui demande une adaptation difficile aux circonstances. Si on est trop exigeant, on finit par ne plus travailler avec personne. Si on ne l’est pas assez, on risque de servir de force d’appoint aux citoyennistes, ou même à la politicaille. Ces difficultés ont créé des tensions entre nous.

Certaines organisations soutenaient le CAE par la diffusion de ses appels et la participation de leurs militants : au tout début les JRE (Jeunesses contre le Racisme en Europe, trotskistes, très visibles à l’aéroport), la CNT, Scalp, l’OCL et l’OCML Voie Prolétarienne.

Décantation

Le CAE avait pour but l’attaque de tous les rouages de la machine à expulser. Un des plus importants est fait des lieux où on enferme les étrangers pour les expulser : centres de rétention (pour ceux qui sont déjà sur le territoire français) et zones d’attente (pour ceux qui sont refoulés à la frontière).

Le CAE a tenté d’occuper le 12 juin 1998 une petite zone d’attente dans la Gare du Nord. L’objectif était pour le moins hardi et aurait demandé une préparation très précise, difficile à réaliser. Bref, nous sommes arrivés à 200 environ, mais nous avons été refoulés sans ménagement dans l’escalier, heureusement que personne n’a paniqué ! Ensuite, matraquages et arrestations (un camarade a fini par être condamné à quatre mois ferme sous le prétexte habituel de violence à agent). L’affaire a été source d’engueulades internes et sans doute de découragement chez certains.

Les assemblées générales se tenaient à plus de cent au siège de la CNT. Celle-ci a commencé à prendre ses distances et il a fallu trouver un autre lieu. De plus, beaucoup de militants sont partis en vacances. La capacité de maintenir une activité en été est pour moi un indice important de la santé d’un groupe politique . Le CAE a passé avec succès ce premier test, mais sur la base d’un nombre limité de militants

A partir de ce moment-là, le CAE a tourné avec un noyau fixe de trente à quarante militants, beaucoup d’entre eux libertaires, mais quand même d’origines et de cultures politiques diverses. Il était capable d’en rassembler un bien plus grand nombre à l’occasion de certaines actions.

Contre les centres de rétention, de Choisy-le-Roi …

Le domaine d’action du CAE a continué à s’élargir. Une campagne a été lancée contre le groupe ACCOR. C’est une des plus grandes multinationales du tourisme, à l’époque, elle louait deux étages de l’hôtel Ibis de Roissy au ministère de l’intérieur pour servir de zone d’attente. Elle avait aussi, par l’intermédiaire de sa filiale Carlson-Wagons-Lits, le monopole des réservations pour les expulsions. Le ministère de l’intérieur a décidé de faire construire une zone d’attente destinée à remplacer l’hôtel Ibis, l’actuelle ZAPI3. Le point culminant de la campagne a été l’occupation de cet établissement le 16 décembre 2000, quelques semaines avant son inauguration.

Les objectifs visés avec le plus de ténacité dans la lutte contre les centres de rétention ont été ceux de Choisy-le-Roi puis de Palaiseau. Le premier a attiré notre attention pour plusieurs raisons. Il est situé au milieu d’une banlieue populaire. Il sert beaucoup à l’expulsion des double peine. Enfin Choisy-le-Roi est dans le Val de Marne (94) où existait à l ’époque un collectif de sans-papiers peu nombreux mais autonome et combatif (cela va presque toujours ensemble).

Un premier rassemblement a eu lieu devant le centre le 24 octobre 1998. L’affaire est devenue plus sérieuse le 8 novembre 1999 quand le collectif du 94 a occupé un local paroissial situé juste en face. Il y a eu des rassemblements toutes les semaines. Les occupants avaient l’occasion de discuter avec les familles et les amis qui venaient visiter les retenus, ceux qui avaient des papiers (surtout des militants régularisés au cours de la lutte) allaient les visiter aussi. Nous avons pu intervenir plusieurs fois avec succès lors d’expulsions grâce aux contacts ainsi établis.

L’occupation s’est effritée, le collectif du 94 a été domestiqué par une association de soutien départementale mais nous avons continué à agir contre le centre de rétention. Le 13 février 2001, au début de la campagne pour les municipales, nous nous sommes rendus à une réunion publique avec le maire PCF (nous avions déjà eu une entrevue avec lui … à deux heures du matin, après une intervention chaude au centre). Il nous a lu une lettre de Vaillant, alors ministre de l’intérieur, lui annonçant que le centre de rétention de Choisy serait fermé en 2003, quand un nouveau centre serait ouvert à Palaiseau.

… à Palaiseau

Palaiseau est une banlieue plus lointaine et plus bourgeoise. Une militante du CAE travaillait à côté et la connaissait. La ville voisine de Massy, plus populaire, abritait un collectif de sans-papiers actif avec lequel nous avions de bons rapports. Nous sommes donc allé aux réunions électorales de la gauche, en même temps que nous commencions une campagne d’affiches. La gauche a remplacé la droite à la mairie. Le député-maire PS nous avait dit que la question serait discutée par un débat citoyen au sein de la coalition et que lui ne voyait pas de raison de s’opposer à l’implantation du centre. Il a juré par la suite qu’il avait toujours été contre. La gauche de la gauche a pris position contre, d’autant que le premier adjoint était aussi responsable de la commission immigration du PCF. Les affiches nous ont apporté quelques contacts.
Un collectif départemental (en fait de Palaiseau et Massy) contre le centre de rétention s’est créé sur la base d’organisations politiques, de la LDH et de quelques autres. Nous en avons fait partie tout en menant notre campagne propre. Nous en avons d’ailleurs été l’élément moteur. Les premières manifestations ont été sauvées du bide grâce aux collectifs de sans-papiers qui nous soutenaient.

Le chantier a commencé début janvier 2004 alors que nous nous efforcions de démarrer une campagne nationale contre les centres de rétention, surtout les nouveaux, en partant de l’idée que la politique d’expulsions à tous crins en exigerait plus. Cela a réactivé l’activité du collectif départemental et la nôtre. Nous avons regroupé quelques dizaines de militants pour occuper le chantier le 4 mai. Quand la police est arrivée, une dizaine des occupants étaient déjà installés sur la grue du chantier. Le RAID (pas moins) est venu les en déloger à six heures du soir au moment où démarrait une manifestation à notre appel.

Cette action a été bien reçue par la population. Nous avons estimé que c’était maintenant aux forces locales, c’est-à-dire au collectif départemental de passer à une vitesse supérieure, malheureusement, il n’en a rien fait. De notre côté, nous avons lancé une campagne nationale contre Bouygues, principal constructeur de ces centres. Après quelques succès, elle a tourné court. C’était un peu une fuite en avant.

Finalement, le centre de Palaiseau est entré en fonction en 2005, avec deux ans de retard. Son existence, pourtant en projet depuis 1996, était totalement inconnue de la population avant notre intervention et elle a été connue, discutée et très largement désapprouvée après. A Choisy, nous avons aussi obtenu de nombreuses marques d’accord avec l’action des sans-papiers et la nôtre sans que nous ayons été capables de la transformer en opposition active. Une de nos faiblesses a peut-être été de ne pas tenter une propagande énergique dans les cités. Il est bien sûr impossible de dire ce qu’elle aurait pu donner.

La crise de l’automne 2001

Malgré certains appels du pied, le CAE n’a jamais participé à un contre sommet, libre bien sûr aux militants d’y aller à titre individuel ou avec un autre groupe. Nous voyions qu’y dominait l’altermondialisme le plus fumeux, et de toute façon, nous avions bien trop à faire chez nous pour nous investir dans des rassemblements lointains. Mais à la rentrée de 2001, le petit milieu militant de Paris était très agité par l’après Gênes. Une militante du CAE a présenté en urgence un article expliquant notre position sur le sujet. Il était assez obscur et contenait des positions personnelles, nous avons donc refusé de le prendre à notre compte. Il est finalement paru sous sa responsabilité, mais sous une forme telle que certains ont pu penser qu’il émanait du collectif. D’autres incidents ont eu lieu qui opposaient entre eux des militants du CAE. Cela empoisonnait l’atmosphère. Plus sérieusement, une brochure (n° 4) éclaircissant les positions du CAE était en préparation. La gestation était très laborieuse. Une position, celle de la militante déjà mentionnée en particulier, était de nier l’importance des relations Nord-Sud. La chose me paraît d’autant plus curieuse que nous défendions dans le réseau No Border un point de vue anti-impérialiste. Les formulations étaient très obscures et il a fallu longtemps pour arriver à poser que ce point ne pouvait faire l’objet d’un accord interne et devait être supprimé. Là-dessus, les militants de No Pasarán s’étaient retirés du CAE ; ils n’avaient d’ailleurs pas participé à l’écriture de la brochure. Assez incohérent, No Pasarán a continué à diffuser un dépliant où il déclarait travailler sur l’immigration dans le cadre du CAE.

Le collectif en sortait considérablement affaibli. En nombre, ce qui était important vu l’ampleur des tâches, mais aussi parce que ces événements portaient en germe la constitution d’un groupe dirigeant de fait et une attitude de plus en plus fermée. Cependant le travail du CAE a continué. On a vu que c’était le cas à Palaiseau. Les interventions aux aéroports ont continué elles aussi pendant longtemps. Mais, sans qu’on arrive à en discuter sérieusement dans le collectif, l’intensification de la répression sur le plan mondial et de la régression sociale sur le plan français ont créé à partir de cette époque un contexte nouveau auquel nous n’avons pas su nous adapter.

Les inculpations de passagers

Lors des interventions massives de mars-avril 1998, la police avait arrêté une fois une dizaine de passagers qui ont été relâchés sans poursuites. Ensuite, en plus de quatre ans, nous n’avons eu connaissance que de deux arrestations de passagers ; pour l’une au moins, le procès a été annulé pour un vice de procédure.

De décembre 2002 à décembre 2004, on compte huit arrestations de passagers après des protestations contre les conditions des expulsions. A noter que nous ne sommes pour rien dans ces protestations-là. Toutes ont été suivies de procès, sauf une pour laquelle le procureur s’est contenté d’un rappel à la loi. Certains inculpés ont été soutenus par des associations, le syndicat ALTER, un petit syndicat de pilotes est intervenu par des témoignages. Mais nous avons été les seuls à organiser systématiquement la solidarité. Cela nous paraissait évident, restait à savoir comment. Nous avons été présents aux procès, diffusé l’information, organisé un débat public. Mais la seule intervention directe possible était de cibler les compagnies aériennes, surtout Air France. Nous avons donc occupé certaines de ses agences et commencé à distribuer des tracts dans les agences de voyage. Nous avons aussi alerté le personnel. C’était d’autant plus important pour nous que notre forme la plus suivie d’intervention était compromise. Mais nous avons bientôt trouvé que pour être efficace, cette campagne aurait dû être développée au delà de nos forces.

Depuis, d’autres interventions aux aéroports ont eu lieu avec succès, en particulier dans le cadre du réseau Education Sans Frontières. Nous avions dans le passé largement fait connaître ce type d’action et d’ailleurs diffusé une brochure (aujourd’hui périmée) intitulée Guide d’Intervention aux Aéroports. On ne peut pas savoir si ce travail a donné l’idée des interventions actuelles ; c’est probable. On peut conclure que les interventions à l’aéroport restent possibles mais qu’il faut une forte mobilisation sur place pour qu’elles ne mettent pas les passagers en danger.

Impasse

Début 2005, le CAE était très affaibli. Les campagnes contre Air France et Bouygues étaient à bout de souffle. Plusieurs militants s’étaient retirés et nous restions à une dizaine. L’autorité d’un noyau dirigeant, mais non reconnu comme tel, s’était affirmée . Il faut préciser ici que la responsabilité d’une telle situation incombe à l’ensemble du groupe, donc aussi à chacun de ses membres. Ce noyau était d’ailleurs formé de quelques militants très capables et actifs. Malheureusement, ils étaient aussi intolérants et avaient une conception élitiste de l’action politique. La Mouette Enragée, en se retirant de la coordination contre les centres de rétention, a parlé d’avant-gardisme. Pour moi, qui me situe dans la tradition marxiste léniniste, une avant-garde est une unité qui opère en avant du gros des troupes. Sans armée derrière, elle n’est rien. Et justement l’élitisme de nos dirigeants nous coupait de tout mouvement social, au moment même où l’intensification de la répression tous azimuts et les réactions qu’elle commençait à susciter rendaient à la fois possible et plus que jamais nécessaire de nous y lier. Par exemple, l’idée de s’intéresser au réseau Education Sans Frontières a suscité de tels sarcasmes que j’ai compris qu’il était inutile d’en discuter.

Les divergences non exprimées que comportait cette situation ont éclaté au grand jour quand le 9ème collectif des sans-papiers a porté son action à un niveau supérieur. Du 12 au 18 janvier 2005, il a occupé le siège du PS de la Seine Saint Denis avec la participation de quelques membres du CAE, les plus éloignés du noyau dirigeant, et d’autres militants français. Le CAE en tant que tel ne s’est manifesté qu’à la fin. Le 4 mars c’était au tour d’un local de l’UNICEF d’être occupé, pour plus de six semaines. Là aussi les mêmes militants ont aidé l’occupation de différentes façons.

Début juin, dans une des dernières réunions du CAE, les choses ont enfin été discutées. Les militants qui participaient aux activités du 9ème collectif et pensaient que c’était une condition de notre efficacité, mais ils n’avaient pas la force de réorganiser le collectif sur cette base. Ceux qui suivaient le noyau dirigeant les accusaient de faire du caritatif, de violer l’autonomie des sans-papiers en participant à leurs A.G. mais n’avaient rien à proposer. C’était l’impasse.

Martin 01/06

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