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« Moi j’kiffe le rap français » (Axiom)

vendredi 1er juin 2007, par Courant Alternatif

« Je ne suis pas un rappeuse, mais une contestataire qui fait du rap », affirme Kenny Arkana. En effet, le rap est avant tout une musique engagée, née dans les ghettos américains et qui dénonce les problèmes de notre société. En France, depuis les premiers morceaux, à la fin des années 70, jusqu’au rap politisé de la scène actuelle, une partie de ce mouvement musical ne cesse d’affirmer des positions qui font prendre conscience aux jeunes de la réalité du monde, et parfois de la nécessité de lutter. C’est pourquoi nous avons voulu donner un aperçu subjectif de la scène actuelle du rap « engagé » ou « conscient ». Une fois n’est pas coutume, Courant alternatif s’accorde une petite page culture…


D’où c’est qu’ça vient ?


Le rap est une composante du mouvement hip-hop né à New York dans les années 70. Ce mouvement développait les valeurs de « peace, unity, love and having fun1 » face aux violences qui faisaient rage entre les habitants du « ghetto ». On dit souvent que le hip-hop comprend quatre éléments : le graff, la dance, le DJing et le rap. Ce dernier l’a peu à peu emporté sur les autres, et il se développe maintenant indépendamment. Pourtant, à l’origine, les MC, Masters of Ceremony2, ne faisaient que prendre le micro pour animer les battles des danseurs (B boys et B girls) s’affrontant au son des DJ. Mais, à force d’avoir la parole, les MC ont eu toujours plus à dire sur ce qui se passait… C’est donc cela l’essence du rap : dire ce qui se passe dans la rue. Et c’est bien pour cela que les morceaux de rap abordent souvent la question des violences policières, par exemple.
Le hip-hop est arrivé en France au début des années 80. On s’accorde à dire que tout a commencé dans les terrains vagues de la Chapelle, à Paris. Des groupes mythiques comme NTM ou Assassins y ont débuté. Ensuite, d’autres se sont formés en grande banlieue (Ministère AMER à Sarcelles, I am à Marseille, etc.). La période forte du rap français est la fin des années 90, où des rappeurs tels que Fabe, MC Solaar, Zoxea et des groupes comme NTM ou la Fonky Family (FF) ont su « se faire un nom » et vendre des disques par milliers. Le rap, de même que tous les autres courants musicaux, a des influences multiples qui dépendent aussi de chaque artiste. En France, ce courant s’inscrit largement dans la lignée de paroliers comme Brassens, Brel ou Ferré. On retrouve également des influences issues de la musique black américaine, tel le free jazz, ou de la soul et du funk.


L’ancienne école

On ne pourra jamais faire l’économie de parler de NTM, issu de Saint-Denis. Ce groupe est le premier à avoir fait connaître par la vente de disques le message qui a forgé l’identité du rap français. Le nom signifie bien « Nique ta mère », et est une importation du Mother Fuck des Etats-Unis – un exemple de l’influence du hip-hop américain, qui fit rêver ces jeunes de la banlieue parisienne. Et tout a démarré par la danse, la break dance, et le tag. Ceux qui ont connu Paris dans les années 80 se rappelleront sûrement l’abondance des « NTM » sur les murs de la ville. NTM a su imposer un style hardcore, sans concession vis-à-vis de l’Etat et de ses keufs, en combattant le racisme et dénonçant la pauvreté, avec un langage des plus marquants. NTM, puis tous les MC qui ont suivi, n’en ont pas moins développé leur propre langage, le verlant et l’« argot » des quartiers populaires. « Mais qu’est-ce, mais qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ? »
Le groupe Assassins s’est développé avec NTM. Il est un peu la référence du rap dit conscient. Dès leurs premiers sons, dans l’émission « Deenastyle » sur Radio Nova (fin des années 80), ils ont fait du rap avec des conceptions politiques radicales. Anti-électoralisme, anticapitalisme, lutte des minorités, écologie ou féminisme sont des thèmes récurrents dans leurs chansons et prises de parole. En 1995, Assassins est à son apogée avec la sortie de son deuxième album, L’Homicide volontaire, vendu à plus de 100 000 exemplaires, donc pas seulement dans les milieux rap habituels. Avant la disparition du groupe, en 2005, Assassins s’était rapproché du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB). « L’Etat assassine […], la police est comme un gang, de l’Afrique noire au Maghreb, de la Corse à l’Irlande, les minorités se lèvent, notre sang vient de la même sève, c’est pour ça qu’il n’y a jamais de trêves. »


Le rap de « fils d’immigrés »

Cette expression est une sorte de label apposé sur des disques comme ceux de La Rumeur ou de Less du 9. En fait, traduisant une réalité plus large que ces seuls groupes, elle est caractéristique d’une génération particulièrement touchée par la question de l’appartenance, des origines. La plus grande partie de la scène rap appartient à la « catégorie » des fils et filles d’immigrés.
La Rumeur est un des groupes underground les plus connus actuellement. Leur dicours est très politisé et ils affirment souvent soutenir les révoltes ou les émeutes. Voilà maintenant plus de dix ans que le groupe est formé et leur troisième volet intitulé Du cœur à l’outrage vient de sortir « dans les bacs » (à disques). Connus pour leurs propos contestataires et leur rap « sombre » bien à eux, ils se sont aussi fait un nom de par l’acharnement judiciaire du ministère de l’Intérieur Sarkozy, depuis maintenant près de quatre ans, à la suite d’une déclaration d’Hamé, un chanteur du groupe (voir la brève page XX).


Fabe et la Scred Connexion

Fabe, « l’Impertinent », est un vieux de la vieille. Il a sorti plusieurs albums avant d’arrêter la musique il y a quelques années. « Le monde est une manif, la France une vitrine et moi un pavé ! » La Scred est un groupe de jeunes de Barbès (18e arrondissement de Paris) que Fabe a contribué à faire connaître. Dans les années 2000, ils avaient un discours très spontané, engagé – « En même temps que tes pieds, nous on veut voir ton cerveau danser » – appelant à la liberté : « J’veux aller où j’veux quand j’veux en esquivant les frontières ». Leur slogan est « Jamais dans la tendance mais toujours dans la bonne direction ».


Rocé

Ce rappeur est là depuis longtemps, et il a fait des sons avec Fabe, par exemple. « J’ai La Marseillaise sifflée et le drapeau sous les semelles », commence-t-il dans son dernier album, Identité en crescendo, où il aborde les questions de l’identité, des appartenances et de l’intégration : « Devoir s’intégrer à un pays qui est déjà le sien, c’est flairer, se mordre la queue, donc garder un statut de chien. » Avec la chanson Problème de mémoire, il remet en cause l’histoire de France occultée ou ramenée au simple fait du passé. Du fait de ses appartenances multiples – « Avec ma tête de métèque, de juif errant, de musulman, ma carte d’identité suspecte, d’étudiant noir, d’rappeur blanc » –, il aborde la question du multiculturalisme, avec un discours toujours critique et engagé : « Arabe loin d’SOS-Racisme et Juif très loin d’Israël ». Rocé nous offre un album avec des instrumentals jazz très élaborés et un discours très propre et limpide, dans la lignée de la chanson française des Brel et Brassens. Il veut « sortir le rap de l’enfance », mais sûrement pas en lui enlevant son caractère revendicatif, issu du vécu quotidien. Il critique plutôt le rap commercial intégré à la société de consommation, qui « alimente les fantasmes des jeunes bourges »… C’est un son plein d’espoir et de lucidité qui mérite largement l’écoute. A l’heure des grandes réflexion des classes dirigeantes sur le communautarisme, il adopte un point de vue qui respire le vécu, simple et tellement lucide. « Je n’irai pas en guerre, je n’ai pas de terre comme fierté, je n’ai pas de territoire mais des hectares de citoyenneté, qui peuvent aussi se défendre à main armée. A force d’être intégré on finira donc incarné, quitte à chanter quelque chose, je chantonne l’humanité. » Respect !
On peut aussi citer Monsieur R, proche d’Olivier Besancenot ; Casey – « mon hip-hop n’est pas à vendre » ou encore une des rares rappeuses underground, Rost, « la voix du peuple ».


La nouvelle scène « consciente »

Si la période forte du rap a été la fin des années 90, le phénomène est loin d’avoir disparu ; il s’est au contraire commercialisé, et ce très rapidement et fortement. Ainsi, les nouveaux rappeurs du XXIe siècle ont majoritairement, à cause surtout de la progression de la radio Skyrock, laissé de côté les revendications du rap « old school » au profit d’une image de « bad boys » (filles, drogues, voitures, flingues et gros muscles) beaucoup plus vendeuse chez les 18-25 ans. Heureusement, subsistent quelques groupes beaucoup moins médiatisés ayant gardé cet esprit contestataire qui faisait du hip-hop un art venu des banlieues pour changer la donne.
Parmi eux, Cellule X, groupe qualifié d’électro-rap alternatif et proche de la mouvance libertaire. Formé en 1999, ce groupe de Poitiers sort son premier album intitulé X-Pression en 2003, mais il ne sera véritablement diffusé qu’en 2005 par FZM (Folklore de la zone mondiale), un des plus gros labels de musique alternative en France, créé par les Bérurier noir. Privilégiant la scène (déjà une centaine de concerts !), Cellule X s’est vite fait un nom de par la qualité de ses spectacles et les endroits variés où ils se produisent, car ils n’hésitent pas à faire des concerts dans des squats ou dans la rue. En abordant de nombreux thèmes oubliés des nouveaux rappeurs – tels que l’école, la guerre, l’environnement et surtout le travail –, Cellule X a donné un autre envol au rap français. En encourageant le téléchargement de leurs chansons sur Internet, il fait partie de ces quelques résistants du rap qui pensent d’abord à transmettre un message, lutter, plutôt qu’à vendre des disques...
On l’a dit, le mouvement hip-hop a donc été récupéré par le capitalisme sitôt ce phénomène jugé intéressant financièrement, comme la majorité des mouvements de contre-culture artistique (voir la pop). Et la grande gagnante de cette récupération, hormis les maisons de disques, est la radio Skyrock, puisqu’elle a un monopole presque absolu sur le rap francais. Etant la seule diffuseuse du genre au niveau national, elle a la mainmise sur la carrière des rappeurs ou rappeuses. Les groupes (comme par exemple La Rumeur) qui ont réussi à se faire un nom sans passer par ce moyen de diffusion sont donc très peu nombreux.
On peut aussi évoquer le nom de Axiom. Il est dans le milieu depuis un moment avec son groupe, Mental Kombat ; mais on l’a redécouvert récemment, notamment quand il a sorti, pendant les révoltes dans les banlieues de novembre 2005, sa « lettre au Président », en référence à celle de XXX. Mais si son discours est un peu « citoyen » – il réclame une VIe République –, il reflète bien le ras-le-bol ambiant, et surtout la conscience qu’il faut changer les choses et la volonté de le faire.


Kenny Arkana

C’est une des rappeuses les plus pertinentes de la scène rap actuelle. Elle bénéficie d’un large écho et s’est surtout fait connaître par sa chanson La Rage du peuple « ou l’essence de la révolution ». Très politisée, elle donne avec son disque un DVD sur les mouvements sociaux à travers le monde ; elle participe au collectif « L’appel des sans-voix » sur Marseille, qui veut impulser la tenue d’assemblées populaires dans les quartiers. « Dis-leur qu’ils pourrront pas fliquer mon anarchisme. » Avec des paroles parfois drôles – « Nettoyage au Kärcher, avec mes potes on est d’accord, […] c’est à l’Elysée que se cache le plus grand des racailles » – mais qui collent toujours à des réalités de lutes – « Ils envoient même le GIGN pour stopper les grévistes. » Ses textes sont tous des appels à la liberté – « Pour moi un enclos est fait pour essayer d’en sortir ! » – et toujours très fins – « Vos lois sont immorales, ma délinquance a des principes ». Laissons-la se présenter : « Appelle-moi la Marseillaise, plus révolutionnaire que ton chant sanguinaire… »

La K.Bine

Ce collectif d’Aulnay-sous-Bois s’inscrit dans la lignée du « rap conscient ». Les membres du groupe sont des militants, et affirment leur soutien à Action directe ou au peuple palestinien, par exemple. Ils produisent un véritable hip-hop, musical et incisif : « J’aime le foot mais je me dis que ce sport abrutit vraiment les masses ; ils parlent de modèle d’intégration moi je te parle de lutte des classes ». Laissons-leur le mot de la fin :
« REVOLUCION !!! On exige une meilleure répartition des richesses
L’abolition des monopoles et la fin des privilèges
Ils obligent les gens à se radicaliser
Rêvent de la Bourse et d’une situation normalisée
De stabilité des marchés et le pire c’est qu’ils persistent
Se complaisent dans l’apartheid et les idées racistes
Partisan de la grève générale de la part des étrangers
Qu’ils voient une fois pour toutes que sans nous ce pays ne pourrait pas tourner
De l’éboueur qui nettoie vos rues et vos tromés
A l’employé d’aéroport sans qui vos avions ne pourraient pas décoller
Jusqu’au médecin payé deux fois moins qu’un Français offensé
Qui travaille comme un chien dans vos urgences blindées… »

Serje et Seba, juin 2007

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