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Edito 157 Mars 2006

mercredi 1er mars 2006, par Courant Alternatif


Revenons sur ce qui a été .l’ « affaire des caricatures de Mahomet », car elle nous semble être un symptôme révélateur de la violence, de l’hypocrisie et des errements de la période actuelle.
Attachons-nous d’abord à quelques réactions du monde politique occidental.

Aux Etats-Unis, Bush a appelé au respect des religions, lui si prompt à invoquer le Dieu des chrétiens pour justifier ses guerres au Moyen-orient et ses actes de barbarie, et à maquiller en action morale ses agressions militaires contre « l’axe du mal ».
En France, la classe politique s’est montrée très embarrassée. On relevait des contradictions entre ministres : Donnadieu (le bien nommé) de Vabre, ministre de la culture, déclarait qu’il était le « garant du respect de la liberté de la presse, pilier de notre démocratie », tandis que son collègue de la Justice, Clément (le mal nommé), disait qu’il fallait « faire attention à ne pas blesser les musulmans, moins habitués à la caricature que les pays de culture chrétienne » (sic !). Etait généralement affirmé le principe de la liberté d’expression, assortie d’un « mais » quasi unanime pour que soit tu « tout ce qui blesse les individus ». Une liberté, donc, sous escorte, à géométrie variable, et tenue de ne pas toucher aux religions instituées.
L’embarras s’est lu aussi dans les rangs de la gauche, un peu dans les mêmes termes que lors des « émeutes de banlieue » : tous les communiqués d’alors commençaient par « même si nous ne sommes pas d’accord avec les incendies, les méthodes… » et finissaient en abordant les causes. Dans le cas des caricatures, ils étaient introduits par « même s’il faut faire attention à ne pas choquer », avant de parler de liberté d’expression.
Cette affaire a aussi révélé à quel point les religions sont faussement solidaires. Des représentants des religions monothéistes, - qui se sont étripées, massacrées pendant des millénaires et le feront encore, c’est leur raison d’être, tant qu’elles auront sous la main des esprits sous influence -, ont constitué une union sacrée contre le blasphème. Dès que c’est le principe de religiosité qui est attaqué, les gens d’église, de temple, de synagogue ou de mosquée font cause commune et oecuménique.

Le rabbin Sitruck « partage la colère des musulmans », et le droit à la satire, selon lui, « s’arrête dès qu’il est une provocation » (qu’est-ce qu’une provocation et qui décide que c’en est une ?). Les catholiques intégristes ne disent pas autre chose, eux qui sont une énorme machine à procès, prompte à pourchasser des créations cinématographiques, à porter plainte contre des dessins ou des affiches qui mettent, par exemple, Jésus en « cène ».
Le Pen surenchérit : « Si, à juste titre, on condamne de blessantes caricatures du prophète, à plus forte raison doit-on condamner les ignobles et permanentes caricatures du Dieu incarné des Chrétiens ».

Tous ces religieux et leurs fervents relais et défenseurs nous insupportent.

Mais nous insupportent tout autant ces petits Voltaire d’opérette qui se sont emparés des vignettes du très réactionnaire journal danois, dans un grand élan de solidarité avec le directeur d’un autre quotidien réactionnaire français (France Soir), pour les brandir comme les signes par excellence de la liberté d’expression : tel le directeur de Charlie Hebdo, grand pourfendeur des interdits, lui qui avait mené campagne pour l’interdiction du Front National.
On a aussi pu entendre Sarkozy, le pantin de la place Beauvau, se faire le grotesque héraut de la liberté d’expression, proférant : « Je préfère l’excès de caricature à l’excès de censure » ; les chanteurs poursuivis par lui pour des chansons hostiles aux flics, ou le passant emprisonné pour avoir lâché un juron à son passage apprécieront, ainsi que tous ceux qui sont pourchassés pour délit de faciès…
L’affaire des caricatures a servi ainsi de prétexte à certains pour faire l’éloge d’une démocratie républicaine, exempte de tout délire xénophobe, berceau de la liberté d’expression, comme chacun sait, une fois qu’on en a maquillé toutes les entraves, toutes les limitations, toutes les censures. De quelle liberté d’expression peut-il s’agir dans un système d’exploitation et d’oppression, qui s’applique à renforcer sans cesse ses moyens de contrôle et de coercition ?

Il n’empêche. L’affaire des caricatures a pris la tournure d’une mise en scène opposant un occident incarnant les libertés, et notamment la liberté d’expression, et un monde musulman, assimilé bien souvent au monde arabo-perse, incarnant l’obscurantisme. Le premier exhibant avec arrogance sa prétendue supériorité sur l’autre.
Dans ce contexte, les caricatures sont apparues comme une agression raciste de plus aux yeux de gens qui se vivent humiliés, discriminés, stigmatisés et pour qui la religion sert parfois d’identité de substitution. La religion a toujours eu ce rôle de dérivatif et de détournement, canalisant énergies et colères vers de fausses routes et vers de faux combats. Pour esquiver les vrais problèmes, les Etats et les religieux contribuent à organiser et alimenter une controverse incessante sur des bases fallacieuses : il s’agit de faire perdre de vue que non seulement chaque partie n’est pas sur le même pied d’égalité mais encore que l’une agresse l’autre, de gommer un contexte international de guerres impérialistes, de nier les rapports de force en jeu, de refaire surgir le spectre du « choc des civilisations », et d’attendre que ce mensonge prenne corps pour lui donner des airs de guerre de religion.

Pour ce faire, on mélange tout, religion, ethnie, racisme.
Or il est important de rappeler que critiquer, brocarder, dénoncer une religion ou une croyance quelle qu’elle soit ne saurait en aucun être assimilé à une attaque raciste. Aucun groupe ethnique, aucune race, aucun peuple, aucun individu ne peut se réduire à une religion.
Les prétentions des religions et de leurs clergés à créer et à entretenir la confusion en effaçant ce qui sépare et distingue la religion du peuple sont profondément dangereuses, il faut les combattre pied à pied. Les sionistes sont pratiquement parvenus à faire croire que le peuple juif est équivalent au croyant juif. Les islamistes s’engagent dans la même démarche qui consiste à faire fusionner une religion avec des peuples. Quant aux chrétiens, ils ne sont pas en reste, en ayant tenté récemment de faire inscrire la culture chrétienne dans la Constitution européenne, pour assimiler Européens et chrétiens ou, plus avant, avec la France « fille aînée de l’Eglise », menant croisades et guerres coloniales contre des impies.

Les Etats démocratiques occidentaux s’assoient sur la liberté et la dignité des peuples, mais ils se couvrent d’un masque hypocrite, alors que les autres Etats en font tout autant, mais plus ouvertement. Les uns comme les autres sont habiles à manipuler les populations qu’ils malmènent : d’un côté, l’étendard fièrement brandi d’une fallacieuse liberté d’expression, encadrée par la loi (qui décide de ce qui est tabou), à géométrie variable, à solidarités ou indignations sélectives et à affinités électives, qui subit des entorses incessantes ; une liberté d’expression qui ne peut être que postiche dans une société inégalitaire, d’oppression et d’exploitation ; de l’autre côté, une révolte contre l’occident, instrumentalisée par des Etats et des religieux fondamentalistes - à l’émergence et à l’entretien desquels ont activement collaboré les Etats démocratiques - qui la détournent des causes réelles et multiples (les guerres contre l’Irak, l’occupation et les bombardements en Afghanistan, les tortures et les scandaleuses détentions à Guantanamo et dans des prisons clandestines, le conflit en Palestine ; les discriminations, les exclusions, les politiques d’immigration, les répressions…) vers des objectifs fallacieux.

Oui on peut caricaturer Mahomet, et tous les dieux, les imams, les rabbins, le pape et les curés, ainsi que tous ceux qui voudraient manipuler nos consciences. Oui on peut dénoncer tous les symboles des pouvoirs et de la dictature du fric. Oui on peut ridiculiser tous les Tartuffes et tous les Ubus rois.
L’aspiration des femmes et des hommes à vivre libres n’est pas le credo des religions et ne le sera jamais. Mais ce n’est pas non plus, absolument pas, l’objectif des Etats, fussent-ils démocratiques.

Pays Basque, le 25 février

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