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CA 216, janvier 2012

Agences de notation : AAA AAAA... tchoum !!

samedi 14 janvier 2012, par Courant Alternatif

La France gardera-t-elle son AAA+++ ? Quelle note aura la Grèce demain ? Un joli show médiatique se joue devant le (télé)spectateur médusé qui ne savait pas jusqu’à récemment que les Etats étaient notés. Les enfants, restez sages, travaillez bien et longtemps, sinon votre note va baisser. Qui sont ces professeurs de finance ? Docteur, c’est grave si j’ai une mauvaise note ?


Qu’est-ce qu’une
agence de notation ?

Les premières agences de notation sont apparues au milieu du XIX e siècle. Elles sont en fait un produit naturel de la Bourse. Les obligations sont de très gros emprunts répartis entre des milliers de souscripteurs. A partir du moment où ce secteur s’est développé, cela a laissé une place aux entreprises spécialisées qui analysent la situation financière des emprunteurs pour conseiller les investisseurs. En principe, ces entreprises doivent être indépendantes pour être crédibles. Après la crise de 1929, on s’est aperçu de l’importance particulière de ces agences, et leur activité est devenue réglementée. Les clients de ces agences peuvent être des créanciers qui veulent être renseignés sur les débiteurs, ou des débiteurs qui veulent rassurer les futurs investisseurs.

Ces entreprises sont très rentables. D’après Wikipedia, il fallait payer à Standard & Poors un minimum de 70   000 $ en 2009, puis un abonnement d’au moins la moitié de la somme de départ, plus une commission de 0,045  % pour chaque nouvel emprunt pour être noté... Il faut dire que le marché est peu concurrentiel, deux agences le dominent (Standard & Poors et Moody’s). Les chiffres donnés varient, mais à elles deux elles réunissent plus de 80 % du marché mondial  ; si on rajoute Fitch, on a plus de 90  %.
Evidemment, quand on voit leur mode de rémunération, on peut avoir des doutes sur la crédibilité de la notation de ces agences : mettre une mauvaise note à un bon client, ce n’est pas très commercial... Rappelons qu’Enron avait la meilleure note d’investissement quatre jours avant sa faillite retentissante  ; Lehman Brother’s était notée A la veille de sa propre faillite... Dans les années 20, ce sont les investisseurs qui payaient ces experts pour connaître les risques. Depuis les années 70, petit à petit, ce sont les émetteurs d’emprunts qui ont commencé à payer. Il semblerait que ceux-ci représentent aujourd’hui l’essentiel de leur chiffre d’affaires... De plus, ces agences ne sont pas indépendantes, ou plutôt elles le sont à la mode capitaliste, c’est-à-dire qu’elles ont des propriétaires. Moody’s est lié depuis 2008 à Warren Buffet par le biais de Moody’s Corporation, dont il possède 13 %, propriétaire de Moody’s et cotée en Bourse. Standard & Poors appartient à un groupe d’édition (éditeur de Business Week).
En réalité, il y a de multiples agences de notation, les banques et les assurances possèdent bien sûr leurs propres services d’évaluation, il existe de nombreuses sociétés de conseil spécialisées dans un secteur particulier, et même des organismes d’Etat – comme la COFACE, en France, qui garantit les exportations. Si on entend essentiellement parler de Moody’s et de Standard & Poors, c’est que ce sont les plus grosses, les seules généralistes, et qu’elles notent aussi les dettes souveraines, c’est-à-dire les emprunts des Etats.
Mais si les notations de ces agences sont aussi peu crédibles, comment se fait-il qu’elles aient une telle importance et que tout le monde en entende parler ? D’abord, elles ne sont peut-être pas si importantes que ça. Le coût des crédits n’a pas monté pour les Etats-Unis lorsque leur note a baissé. La France a la même note que l’Allemagne, mais elle paye ses crédits beaucoup plus cher. Mais alors, pourquoi leurs clients les paient-ils si cher ? En fait, ce sont les institutions internationales qui leur ont accordé une place centrale dans la « régulation financière ».

Un rôle institutionnalisé

Le monde économique est riche en institutions et organismes plus ou moins occultes, créés généralement à l’occasion de crises et qui jouent en quelque sorte un rôle plus ou moins flou de gouvernement mondial. Parmi ces machins, dont l’existence n’est le plus souvent connue que des seuls initiés, existe le Comité de Bâle. Créé en 1975 à la suite d’une minicrise en Allemagne, il réunit des représentants des banques centrales et « autorités prudentielles » de 27 pays (en gros les plus riches et les plus importants financièrement – au départ, ils n’étaient que 13). C’est un forum qui émet des recommandations, et les accords de Bâle sont en fait une série de recommandations à l’usage des marchés financiers. Les premières datent de 1988, elles ont été revues en 2004, puis ont été retranscrites progressivement dans des directives européennes depuis 2006.
Ces recommandations sont très techniques, et donc difficiles à comprendre pour le profane. Un aspect est d’imposer aux banques de posséder une partie de l’argent qu’elles prêtent. Ce principe n’est pas nouveau, mais ces recommandations précisent des taux (supérieurs à 8 %) en fonction du risque que présente le crédit accordé (avec une formule que je vous passe, je ne l’ai d’ailleurs pas vraiment comprise). Et c’est là qu’on retrouve les agences de notation. Les banques doivent proposer leur évaluation du risque… ou peuvent se référer à une évaluation externe, c’est-à-dire aux agences de notation.
La boucle est bouclée. Des entreprises très lucratives accordent des notes plus ou moins fiables sur la qualité des emprunts. Ces notes servent de référence aux banques pour savoir à quelle hauteur elles doivent couvrir leurs crédits. Ce sont les « règles prudentielles », les règles de prudence que les institutions internationales demandent aux banques de respecter. Ces notes, justifiées ou non, auront alors une influence réelle sur le coût du crédit, par le biais du refinancement, c’est-à-dire de l’argent que les banques doivent se procurer auprès des banques centrales (pas gratuitement bien sûr). De fait, ce sont les Etats qui ont donné aux agences de notation l’importance qu’elles ont aujourd’hui. Or, la notation est le produit que vendent ces agences. C’est-à-dire que, comme pour toute marchandise, ses techniques de production sont couvertes par le secret industriel et commercial. Les critères de notation sont donc complètement opaques.

Il faut rajouter que les notes n’influencent pas seulement les taux d’intérêt. Toujours au nom des « règles prudentielles », les notes financières qu’elles attribuent fixent des limites légales aux possibilités de placement aux fonds de retraite ou aux compagnies d’assurances, qui ne peuvent acquérir des titres dont la notation est inférieure à un seuil donné. Une baisse de la note, de la dette grecque pour prendre un exemple pas tout à fait au hasard, va entraîner de ce fait une vente de ces titres dont le cours va baisser, et rendre un nouvel emprunt d’autant plus difficile.
Enfin, la notation a un enjeu financier important par le biais des CDS. Quand on prend un crédit, on souscrit aussi une assurance. Pour les emprunts internationaux, ces assurances font elles-mêmes l’objet d’un marché, et donnent lieu à des produits dérivés. Une baisse de la note se traduit par une hausse du coût de l’assurance, qui donne lieu là aussi à une activité spéculative.

Un système
intrinsèquement pervers

Tout ce battage médiatique autour des agences de notation est finalement assez révélateur du système et de la crise actuelle.
Le système sécrète naturellement et sans complot des entreprises privées telles que les agences de notation, qui prennent une importance croissante au fur et à mesure que le monde de la finance devient plus complexe et plus envahissant.
Les autorités étatiques interviennent pour jouer le rôle qui est le leur : elles réglementent lorsque les intérêts des propriétaires (ici les détenteurs de titres boursiers) risquent d’être atteints. Il ne s’agit pas de limiter le pouvoir de la finance, mais d’offrir des garanties aux investisseurs.

Les banques et la monnaie jouent un rôle central, et pour le fonctionnement du système, et dans le déclenchement des crises. Cependant, elles restent des entreprises privées, c’est-à-dire qu’elles n’agissent pas dans l’intérêt collectif du système, mais dans le leur, comme toute entreprise capitaliste. Lorsqu’elles sont menacées, et que cette menace risque de se propager à l’ensemble de l’économie, des mesures sont prises au coup par coup. Ces mesures sont soit-disant « techniques » (et elles le sont en effet en partie), et échappent donc à toute forme de démocratie. Elles sont prises dans des forums informels, réunissant des responsables, ici publics, mais qui peuvent aussi être privés. Ces recommandations informelles peuvent être peu à peu traduites dans les différentes législations nationales, toujours sans débat et au nom de la « technique ».

Le but (sincère ?) de ces recommandations est d’instaurer des règles de prudence pour éviter que l’appât du gain consubstantiel au capitalisme ne mette en péril le système. Mais ces recommandations sont aussi le fruit de tractations intenses de la part de dirigeants d’entreprises qui refusent qu’on attente à leur liberté de faire du profit. Elles sont donc rarement contraignantes, et passent souvent par le marché (idéologie libérale oblige). Ces mesures donnent lieu à de nouveaux produits financiers et de nouvelles procédures qui, à leur tour, vont faire l’objet de spéculation et remettre de nouveaux acteurs financiers au cœur d’une nouvelle crise. Le système s’emballe à nouveau.
Ces mesures permettent cependant aux politiciens d’amuser la galerie en prétendant qu’ils ont fait quelque chose et qu’ils sont en mesure de s’opposer à la crise. Il s’agit de conserver une légitimité à un pouvoir politique prétendument démocratique qui n’est que le larbin des puissances financières. Quand ça ne marche plus, on fait un coup d’Etat « soft » : en Grèce comme en Italie, ce ne sont ni les manifestants ni les électeurs qui ont fait tomber le pouvoir, c’est Goldman Sachs qui a placé ses hommes en voyant le danger venir.

Le système a cependant sa cohérence : les spéculateurs, les analystes financiers, les chefs d’Etat, les banques centrales, les dirigeants d’entreprises... partagent la même idéologie, l’idéologie libérale qui consiste à déifier le marché  ; ils savent que nous vivons dans une société de classes, et de quel côté de la lutte des classes ils sont. Améliorer la protection sociale, augmenter les salaires, édicter des lois qui protègent les exploités fera toujours baisser la note sans contestation. Si les Etats sont notés (ce n’est d’ailleurs pas eux qui le sont, mais leurs emprunts), c’est parce qu’ils ont décidé de se financer sur les marchés internationaux, c’est-à-dire que leurs dépenses devaient rapporter des intérêts à la finance. Les marchés financiers jouent ensuite un peu le même rôle idéologique que l’Europe il y a un temps : toutes les mesures antisociales sont justifiées comme une fatalité imposée par les marchés, quand elles ne sont pas présentées, un comble, comme un moyen de préserver ce qui reste d’acquis sociaux. Cette cohérence est renforcée par les liens personnels entre des individus qui viennent du même monde, des mêmes écoles, des mêmes entreprises et éventuellement des mêmes familles, comme l’a montré le scandale du rôle occulte de Goldman Sachs (qui n’est pas une agence de notation, n’en est à ma connaissance pas actionnaire, mais elle n’en a pas besoin  : elle est juste une grande banque d’affaires).

Sylvie

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