Accueil > Courant Alternatif > *LE MENSUEL : anciens numéros* > Courant Alternatif 2006 > 157 Mars 2006 > Elections Palestiniennes : la fausse surprise

Elections Palestiniennes : la fausse surprise

mercredi 1er mars 2006, par Courant Alternatif

Les dernières élections en Palestine ont semble-t-il fait l’effet d’un coup de tonnerre pour nombre d’observateurs dits avisés de cette région du monde. Ceux-ci prévoyaient bien une montée en influence significative pour le Hamas mais pas au point de remporter les élections. Plusieurs raisons expliquent cette nouvelle situation. Mais d’abord pourquoi Hamas a-t-il gagné les élections ? Il y a à cela plusieurs causes :


Il y a d’abord et avant tout l’occupation militaire israélienne.

Celle-ci prend plusieurs formes. Les entraves à la circulation par les check-points ne sont que l’aspect le plus visible mais la conséquence logique de ces entraves est le morcellement et l’isolement des groupes humains à l’échelle du village ou du quartier. Il n’est pas rare de rencontrer des villageois qui n’ont pas vu leurs proches habitant à quelques kilomètres depuis plusieurs années. Cet isolement ne favorise pas la réflexion ni la lutte collective. Cette occupation dure maintenant depuis près de 39 ans.


Il y a aussi la paralysie endémique de la justice.

La police palestinienne n’a pas les moyens d’exécuter les jugements concernant les affaires de droit commun. Il est de notoriété publique que toute la police palestinienne réunie en Cisjordanie possède moins d’armes que les habitants d’un seul village. La population palestinienne est l’une de celles où le taux de possession d’armes est le plus élevé du monde. Par endroits, il est plus facile de se procurer une kalachnikov, pas toujours en bon état, certes, que de l’alimentation pour bébé.


Il y a aussi la loi de la jungle.

L’insécurité est permanente, causée par la présence des armes "de la résistance". La population civile en souffre parfois des conséquences mais aussi d’abus fréquents. La réalité de gangs mafieux, en particulier dans les villes, n’est pas que de la propagande sioniste.
Tous ceux qui en ont souffert ont voté Hamas.
Ces thèmes ont largement été évoqués dans la campagne électorale de Hamas

Ensuite il y a la réalité sociale se traduisant par un taux de chômage élevé.

Tous les chômeurs ont voté Hamas, l’autorité (Fatah) n’ayant pu apporter de solution.
La situation économique actuelle dans les territoires est misérable, Hamas est très actif dans l’action sociale et caritative. Pour la première fois depuis la première guerre mondiale, une partie du peuple palestinien a faim… Il existe des familles qui nourrissent leurs enfants de pain trempé dans du thé. Hamas qui a de l’argent, a nourri, soigné, pris soin des handicapés, construit des écoles.


Autre raison majeure, la "corruption" (point central de la campagne électorale de Hamas).

A l’évidence, certains responsables et hauts fonctionnaires de l’Autorité Palestinienne étaient corrompus : de l’ordre de 10% d’entre eux, mais d’une façon très visible et au point de pouvoir ainsi utiliser leur influence dans une Palestine qui n’est pas un Etat de droit. Certains ont sévi longtemps. Il faut parallèlement parler d’une certaine forme de clientélisme que connaît chaque pouvoir mais qui est considéré comme de la corruption. Il est à peu près certain qu’il y a autant de corruption, de clientélisme, de détournements de fonds au sein du Hamas que dans tous les mouvements et partis politiques en Palestine, et ailleurs sans doute, mais cela n’est pas visible.
L’immense déficit politique et social de l’Autorité palestinienne.
Les maigres résultats des accords d’Oslo se sont traduits par une baisse globale des libertés de circuler, de travailler, d’étudier. Il n’y a jamais eu autant de check-points, de restrictions de liberté de circuler, d’arrestations, de confiscations de terres, de destructions de maisons et d’assassinats que depuis la mise en place des accords d’Oslo en 1993. L’état d’Israël continue de faire ce qu’il veut dans les territoires occupés. Tout cela dans le cadre d’un processus dit de négociation qui au final n’a abouti qu’à renforcer la présence israélienne et à développer la colonisation. Cet échec patent du processus de paix, issu des accords d’Oslo, a eu des effets négatifs sur la vie quotidienne de l’homme de la rue qui, frustré, appauvri, a voté pour Hamas qui lui promet une très bonne situation économique.
Les pays occidentaux et l’ONU se sont donné bonne conscience en finançant largement l’Autorité Palestinienne mais ont une responsabilité écrasante dans l’échec du processus de paix, en cautionnant la logique unilatérale qu’a choisie l’Etat d’Israël, en refusant d’imposer la moindre pression pour une reconnaissance pleine et entière de la souveraineté du peuple palestinien.


Quelle analyse de la nouvelle situation ?

Ces dernières élections marquent un tournant historique à plusieurs niveaux.
Tout d’abord pour le peuple palestinien qui a choisi d’envoyer un signal fort contre les partis au pouvoir au sein de l’Autorité Palestinienne. Il n’y a pas eu un vote massif d’adhésion au Hamas mais plutôt un vote contre le Fatah. On sait de source sûre qu’un nombre non négligeable de militants de ce parti ont clairement voté pour le Hamas.
C’est un tournant historique aussi au sein même des pays arabes de la région. C’est la confirmation de la montée d’un courant radical, celui du refus des dictatures corrompues soutenues de près ou de loin par l’Amérique de Bush. Le Hamas représente en Palestine ce courant, dans lequel la religion est loin d’être absente, comparable à ce qui se passe en Egypte avec les Frères musulmans, comparable à ce qui se passe en Syrie où le fils Assad contient tant bien que mal une situation politique qui lui échappe de plus en plus, comparable enfin à la Jordanie où le petit roi serait déjà balayé si l’influence américaine et israélienne n’était pas si présente.
C’est un tournant historique enfin dans le sens où l’Occident va devoir réfléchir à une nouvelle doctrine vis-à-vis d’une Autorité Palestinienne encore largement imprévisible. Quand bien même il n’est pas encore question de discuter avec une organisation considérée comme terroriste prônant la destruction de l’Etat d’Israël, une majorité de pays occidentaux s’y résoudront un jour.
Nombre de pays occidentaux oscillent encore entre le fait d’aider malgré tout le peuple palestinien, en particulier l’Europe, et le fait de diaboliser le Hamas comme complice des ennemis de l’occident. Pour certains, le syndrome 11 septembre et Al Qaeida ne sont pas loin.
Ce tournant historique est avant tout la victoire d’Israël, à travers sa politique unilatérale qui a prévalu avec l’arrivée au pouvoir de Sharon. Cette politique avait induit, avec l’échec provoqué des accords d’Oslo, une impasse politique où aucune perspective ne pouvait émerger de la part de l’ancienne Autorité Palestinienne. Le piège israélien a bien fonctionné. A partir du moment où Israël a décrété qu’il n’y avait pas d’interlocuteur crédible du côté palestinien, cet Etat s’estimait légitimé à décider de ce qu’il devait faire sans négocier avec les Palestiniens.
Avec son refus d’Oslo et donc de la constitution d’un Etat palestinien, Sharon a cassé les structures embryonnaires de cet Etat, rendant incapable et impuissante une Autorité Palestinienne qui s’est trouvée sans plus aucun crédit auprès de la population palestinienne. Cette Autorité Palestinienne dominée par le Fatah s’est quasiment effondrée. Fort de son principe qu’il n’y a aucun interlocuteur du côté palestinien, Israël a constamment maintenu un degré élevé de répression, en particulier par l’arrestation des cadres moyens de la résistance (tous partis confondus), ceux qui ne sont pas dans les ministères mais dans la lutte sur le terrain, privant en cela l’Autorité Palestinienne de précieux relais pouvant donner de véritables perspectives politiques. Le plus célèbre d’entre eux est Marwan Barghouti, condamné à la prison à vie. De son côté, l’Autorité Palestinienne dirigée par le Fatah est aussi largement responsable de son échec par son absence de politiques claires sur la manière de mener la lutte et surtout par son incapacité à apporter du mieux-être à la population, engluée qu’elle est dans ses dissensions et ses rivalités, minée qu’elle est par la corruption. Il faut rappeler qu’il n’y a pas eu de congrès du parti au pouvoir depuis 1996.

Le résultat de ces élections va profiter à Israël de plusieurs manières

D’abord il ne faut jamais perdre de vue que l’émergence du Hamas a été bien tolérée par le gouvernement israélien en 1987-1988 pour diviser le peuple palestinien et créer une force destinée à diminuer l’influence de l’OLP ; que le Fatah et l’OLP sont nés en 1964-65 et sont par la suite entrés en conflit, à un moment ou à un autre, avec tous les régimes arabes (Irak, Syrie, Arabie saoudite, Egypte, Libye etc.), tandis que Hamas n’a jamais connu d’affrontement avec les voisins de la Palestine ; que le Fatah est au pouvoir, si l’on peut dire, au sein de l’Autorité palestinienne depuis dix ans avec les mêmes personnes, que ce soit dans le législatif, l’exécutif ou les nombreux services de sécurité.
Le fait d’avoir peut-être dans l’avenir un état religieux en Palestine va aider le gouvernement israélien à mieux faire passer l’idée d’un Etat juif religieux… Le conflit entre laïcs et religieux en Israël n’est pas fini, loin de là, le camp religieux est très fort. Israël est incapable de se doter d’une constitution, en grande partie à cause de ce conflit entre Israéliens. Les questionnements sur qui est juif, qui ne l’est pas, le poids du rabbinat pour tout ce qui concerne les questions civiles, les questions des frontières, n’ont jamais été tranchés. Ces problématiques semblent oubliées face à la médiatisation du conflit avec les Palestiniens, mais restent néanmoins d’actualité dans la société israélienne.
Désormais, le gouvernement israélien se sentira conforté, face à la communauté internationale, pour agir unilatéralement en matière de colonisation, de construction du mur, de spoliation de l’eau etc…
Il se sentira encore plus légitimé pour se livrer à encore plus de répression aux yeux de l’opinion internationale, accentuant en cela la radicalité de toute une frange du peuple palestinien prête à choisir l’arme du terrorisme suicidaire.
Sachant que les propos politiques de Hamas sont ceux de Fatah pendant les années 70, Israël et la communauté internationale ont recommencé à sortir les mêmes phrases, à savoir : Hamas doit reconnaître Israël, sachant pertinemment que ce n’est pas à l’ordre du jour, un recul qui fait encore gagner du temps à Israël qui continue tous les jours son processus de colonisation. De moins en moins d’espace pour un éventuel futur Etat palestinien…
A ce propos, les interviews des responsables de Hamas avec les journalistes ces jours-ci le confirment. : « Nous étions, il y a trente ans à Fatah, victimes de notre discours ; Hamas est dans la même situation ; que de retard sur l’histoire… »


La stratégie du Hamas

Même si celui-ci a subi une répression majeure, il a su tirer parti de la déliquescence de l’Autorité Palestinienne dominée par le Fatah. Dans une vision clientéliste, il a développé un véritable travail social islamiste privé, palliant en cela l’absence de services publics d’aides à la population, à travers la mise en place d’écoles, de centres sociaux, de soutien aux familles de prisonniers (9300 à ce jour), de soupes populaires, de soutiens financiers divers, car le Hamas est riche. Les soutiens provenant en particulier de l’Iran ne sont pas que de la propagande. Le Hamas a aussi parfaitement réussi dans sa communication auprès des gens avec une autre manière d’être ; il a donné à voir une considération, franchement démagogue à certains endroits, et avec à l’occasion un discours populiste le rendant tout de suite sympathique. La politesse, le savoir-faire et la rigueur apparents des membres et sympathisants de Hamas ont donné une image de ce parti, un crédit que n’avaient plus depuis longtemps les membres du Fatah. Depuis que Hamas existe, 87-88, il n’a pas eu à gérer les affaires publiques, contrairement à Fatah. La préoccupation première était de gagner les élections, aussi bien au sein des syndicats de travailleurs, des organisations estudiantines et de toutes sortes d’associations. Ses sympathisants sont très organisés et efficaces pour aller chercher les personnes âgées le jour des élections, les amener aux bureaux de vote et leur expliquer pour qui voter : pour ceux qui prônent "l’Islam est la solution" –slogan présent sur les affiches de tous les candidats.
Dans une société majoritairement musulmane, et surtout parmi les personnes âgées, beaucoup sont sensibles à ce slogan.
Le Hamas s’est donc posé comme une véritable alternative à la fois sociale et politique en faisant campagne contre la stratégie politico-militaire du Fatah. Celui-ci préconisait le désarmement des milices incontrôlées (sans en avoir les moyens), prônait la négociation envers et contre tout avec Israël, mais aussi était favorable, même si l’investissement militant n’était pas à la hauteur, à des formes de luttes plus ou moins non violentes mais surtout collectives, avec la participation d’Israéliens anticolonialistes et des internationaux. L’exemple le plus flagrant est la lutte contre le mur à Bil’in. Mais cette pratique collective et cette volonté de globaliser les luttes datent au moins de 2002. A l’inverse, le Hamas n’a jamais vraiment accepté la présence des internationaux sur aucun terrain de luttes, en particulier ceux contre le Mur, encore moins la présence d’anticolonialistes et pacifistes israéliens.
Le Hamas s’inscrit donc en rupture vis-à-vis de la stratégie qui consiste à négocier et à entrer dans le jeu institutionnel. D’ailleurs personne ne veut de lui tant qu’il n’aura pas reconnu l’Etat d’Israël et renoncé à la violence. Le problème est qu’il existe un courant non négligeable au sein de la population palestinienne qui aspire à la paix et à la négociation avec Israël. Ce courant n’est pas conjoncturel, c’est une tendance lourde qui se confirme à chaque sondage.
La question maintenant va être de savoir comment le Hamas va gérer cette contradiction. D’un côté les désirs de retour à l’ordre et à la sécurité au sein des villes palestiniennes, la fin de la corruption ; tout ceci correspond au programme du Hamas. De l’autre, sortir de la culture de la violence qui, au final, a été bien plus contre-productive que réellement efficace depuis le début de la deuxième Intifada, et accepter l’option de la négociation avec Israël. Mais sur quelles bases ?

Et la société palestinienne ?

On peut légitimement s’interroger sur le projet de société que le Hamas souhaiterait mette en place. Autrement dit, doit on avoir peur d’un processus de "talibanisation" de l’Autorité Palestinienne avec l’instauration de la charia ? Même si certaines franges de ce parti le souhaitent, ce n’est pas certain, d’abord parce que Hamas est encore loin d’être majoritaire en Palestine (en terme de voix, Hamas a recueilli 434 817 voix, les autres listes réunies 523 900), ensuite parce que l’idéologie de Hamas n’est pas bâtie sur les mêmes principes ayant cours à Kaboul, ce n’est pas la même mentalité. La logique multiculturelle est bien plus présente en Palestine. A titre d’anecdote, il existe toujours aux environs de Naplouse (en plein territoire palestinien) une antique secte juive, les samaritains, parfaitement acceptée par la population palestinienne. Il existera bien çà et là quelques intégristes locaux qui tenteront d’imposer le port du voile à des femmes un peu trop occidentalisées, mais rien ne dit que nous assisterons à un mouvement de régression intégriste massif

Surtout, jusqu’à maintenant et il est clair que c’est encore pour longtemps, le peuple palestinien a fait preuve d’une rare maturité, qui fait que les mouvements et les partis politiques ont su et sont parvenus à garder des relations fraternelles malgré les petits affrontements, même si on a pu assister à Gaza notamment à quelques épisodes de violence un peu supérieure en importance et en intensité à ce que l’on connaissait d’habitude. On peut considérer que ces escarmouches sont le fait d’individus ou de petits groupuscules. Jamais un parti ou un mouvement politique n’a pris la décision d’affronter un autre parti ou mouvement d’une manière violente. Les bruits de risques de guerre civile et d’affrontements durables et majeurs entre factions rivales ne sont pas fondés. Le peuple palestinien dispose-t-il d’un garde-fou ? Oui, car l’OLP est encore le seul représentant légitime de l’ensemble du peuple palestinien en diaspora et à l’intérieur de la Palestine. Juridiquement la plus haute instance palestinienne est le Conseil National Palestinien. Les 132 élus du Conseil Législatif font partie de ce CNP et le Hamas est loin d’être majoritaire au CNP qui comprend environ 600 membres représentant, tous les mouvements politiques palestiniens, sauf Hamas.
Le résultat de ces élections, quel que soit l’avis que l’on puisse avoir là-dessus, est une réalité. L’aspiration à la liberté et la souveraineté de la Palestine est toujours à l’ordre du jour pour le mouvement de solidarité internationale. Ce mouvement doit même être accentué, face aux attaques en règle orchestrées par les Etats-Unis et Israël. Mais cette solidarité ne doit pas être aveugle, elle se doit d’être vigilante sur tout ce qui concerne le projet de société qui va se mettre en place, en particulier vis-à-vis des femmes, car même si le pire n’est jamais certain, l’histoire récente est là pour rappeler au mouvement international de solidarité qu’un parti religieux qui arrive au pouvoir est toujours un risque pour l’autre moitié de l’humanité que sont les femmes.

Patrick OCL Caen
Février 2006

Répondre à cet article


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette